jeudi 20 août 2009

La Trinité : paternité - maternité en Dieu selon Nzuzi Bikabi (1993)

Par Flavien Muzumanga Ma-Mumbimbi

L’ouvrage de Nzuzi Bibaki « Le Dieu-Mère, l’inculturation de la foi chez les Yombe[1] » aborde la question du mystère de Dieu à partir de l’analyse de 29 proverbes. L’objectif du livre est de montrer l’identité qui existe entre le Dieu de Jésus-Christ et celui du peuple yombe. Cette identité se trouve dans l’existence réelle de ce Dieu et de son caractère personnel, relationnel et familial avec les êtres humains[2]. Il tente également de montrer que ce Dieu est de préférence reçu par les Yombe comme Dieu-Mère[3], c’est-à-dire, le Dieu de la compassion[4]. Dès le début, l’A. marque cependant la profonde différence qui existe entre le Dieu des chrétiens et celui de la religion des Yombe. Celle-ci tient en la Trinité des hypostases divines adorée dans le christianisme. La religion des Yombe est un monothéisme qui n’est pas trinitaire[5]. Ainsi pour Nzuzi le Dieu des Chrétiens est « unique en sa nature et en sa fonction »[6]. Que veut-il dire par là ?
Voici la note explicative donnée par l’A. : « Dieu le Père, dans le Christianisme, est unique dans sa nature comme première personne de la Trinité ; Il est aussi unique dans sa fonction intra-trinitaire d’engendrer le Fils et de faire, en tant que Père, procéder l’Esprit du Fils »[7]. Il est à noter, cependant qu’il est nécessaire de faire quelques précisions à cette affirmation. D’abord il est à redire que la nature de Dieu le Père est la même et l’unique que possèdent le Fils et l’Esprit-Saint, chacun selon son ordre mais également dans la périchorèse divine. C’est dire que ce n’est pas par sa nature que le Père se différencie du Verbe-Fils et de l’Esprit-Saint. En effet, leur consubstantialité n’est pas comme la nôtre. Elle est, plutôt, strictement unique et absolument identique.
En plus, à strictement parler les processions divines ne sont pas des fonctions que réalise la première personne de la Trinité. En revanche, elles sont deux actes d’être absolument nécessaires à Dieu en tant que Dieu. Dit d’une autre manière, c’est en engendrant son Verbe-Fils que la première Personne de la Trinité est Père. Sans cet engendrement il ne serait pas tel, c’est-à-dire, Père, première Personne et donc Dieu. De même pour la spiration. Sans l’acte d’être qui constitue l’Esprit-Saint comme personne divine, Dieu ne peut plus être Dieu car amputé de son ontologie trinitaire. La spiration est nécessaire à l’être de Dieu afin que Dieu soit Dieu.
Revenons au thème central du livre : la paternité et la maternité de Dieu. Dans son ouvrage, Nzuzi montre l’universalité de ce thème, en analysant tour à tour l’Hindouisme, la Bible, l’Islam, le monde grec et la tradition chrétienne[8]. Déjà ici, l’on note qu’il opte pour l’attribution non seulement de la féminité en Dieu au Père, mais également au Fils qui est Jésus-Christ[9]. Nzuzi fait aussi référence, en les assumant[10], aux arguments philologiques et linguistiques de la féminité du Dieu de la Bible[11].
Mais dans son analyse de la relation « Dieu-Mère » et Jésus-Christ, il se montre prudent dans l’attribution du titre de la fille de Dieu au Fils. Mais, cette prudence est positive et ouverte, car elle est basée sur la théologie du Fils l’image parfaite du Père. Voici un extrait de son texte.
Jésus est la manifestation visible du Dieu invisible, le ‘resplendissement’ de (la) gloire, l’‘effigie de (la) substance’ de Dieu, en qui habite corporellement la plénitude de la divinité’ (He 1, 3 ; Col 2, 9), épiphanie du ‘Père’ (cf. Jn 14, 9).
Mais en tâchant d’inculturer ainsi Jésus-Christ il faudrait en plus faire attention à ne pas soulever de nouveaux problèmes : en régime matrilinéaire, comme celui des Yombe, où Dieu est Mère, que peut devenir Jésus-Christ ?
C’est un terrain délicat et glissant surtout si on pousse trop la logique. Il faut y aller prudemment pour ne pas arriver à parler du Christ comme fille du Dieu-Mère, même si un proverbe courant pourrait se prêter à sauvegarder l’égalité entre Dieu-Mère et Dieu-Fille : ‘Telle fille, telle mère’’, dit le proverbe. Mais un enrichissement doctrinal n’est pas sans danger. D’autre part le danger ne signifie pas qu’il faut délaisser l’essai d’inculturation[12].
Nzuzi est conscient de la nécessité d’inculturer toute la doctrine de la Trinité même si cette tâche est dangereuse et délicate. La mission d’inculturer la doctrine de la Trinité n’a pas seulement pour visée la réception du contenu de la foi en Afrique. En plus de cela, cette inculturation pourrait permettre aux Églises d’Occident et d’Orient de dépasser les difficultés soulevées par le Filioque[13]. Nzuzi connaît aussi la théologie qui identifie la féminité en Dieu avec l’Esprit-Saint[14]. Cependant, il n’y prête pas assez d’attention. En revanche, il revient aux thèmes du Dieu-Mère comme Dieu compatissant et de la compassion christique[15] comme réponse effective et efficace au drame africain[16].
Quelques observations finales. Il est curieux de voir que Nzuzi ne fait référence à la Trinité que dans les notes de son ouvrage. Il n’a pas dédié une seule page entière à cette question dans le corps de son étude. En plus, Nzuzi reproduit les thèmes possiblement problématique. Mais, ils ne les discute pas systématiquement. Il n’expose pas leur côté positif et négatif. En définitive, en aucun endroit il ne fait une proposition de l’inculturation concrète de la Trinité à partir du contenu de la doctrine de Dieu telle que présente dans la religion Yombe. A notre humble avis, sa thèse selon laquelle le monothéisme de la religion africaine est proche du monothéisme exclusif parce qu’absolu du Judaïsme et de l’Islam est très discutable. Nos réserves tiennent au fait qu’il ne prend pas en considération le fait que beaucoup d’analyses philologiques, linguistiques et théologiques africaines prouvent l’identité de Dieu en Afrique bantoue est ouverte et inclusive, surtout dans les noms théophores et des noms de Dieu qui portent la racine sémantique -UNG-. C’est la même et unique racine qui se trouve dans Ph-ung-u qu’il traduit curieusement par « Dieu-Gorille » ou « Puissant », au lieu de Dieu dont l’ontologie est unitive/alliante[17].
[1] Kinshasa, Editions Loyola, 1993.
[2] Ibid. p. 13.
[3] Ibid. p. 15, note 13 : « Les 29 proverbes théophores yombe que nous analyserons mettent en lumière les caractéristiques du Dieu yombe. Bien qu’ils ne parlent pas du tout du Dieu-Mère, la plupart peuvent cependant être ramenés à cette conception théologique principale yombe : Dieu est Mère ».
[4] Ibid. p. 186.
[5] Ibid. p. 119, note 34 et 165 : « Aucun proverbe yombe ne parle de la manifestation d’une pluralité dans l’unique Dieu, comme le sont les personnes divines dans la doctrine chrétienne. En ce sens, le monothéisme yombe est plus proche de celui de l’Islam et du Judaïsme[...] C’est donc une nouveauté pour l’expérience religieuse monothéiste traditionnelle yombe. Par elle passe dès lors la différence essentielle entre le Christianisme et les religions traditionnelles africaines comme celle des Yombe. Cette différence, c’est Jésus-Christ ». Nous soulignons.
[6] Ibid. p. 13.
[7] Ibidem, note 7.
[8] Ibid. p. 49-56. Son chapitre 3 aura donc pour mission de montrer que l’Afrique ne fait pas exception. En effet, chez les Yombe, cette même application des analogies biologiques et sociales à Dieu existe.
[9] Ibid. p. 54-55. Il commente pour ce fait Mt. 23, 27 et suit Clément d’Alexandrie qui parle du « sein du Verbe maternel ».
[10] Ibid. p. 149-154.
[11] Ibid. p. 54, note 18 qui cite à cet effet l’exégète américaine Virginia Mollenkot. MOLLENKOT, V., Dieu au féminin, Paris, Centurion, 1990.
[12] Ibid. p. 165-166.
[13] Ibidem., notes 21 et 22.
[14] Ibid., p. 178. Cite JOINET, B., Les Africains, o. c.
[15] Ibid., p. 180.
[16] Ibidem, p. 180-181.
[17] Détails dans MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., La Santísima Trinidad, p. 75-80.

1 commentaire:

  1. Très intéressant. Merci, mais il n'y a pas de date pour cet article. De quand date le livre? de quand date l'article ? Merci

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