mardi 23 juin 2009

La Trinité: de l'Égypte antique à l'Afrique noire actuelle. Commentaires sur une étude de Bilolo Mubabinge (1982)


Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi

C’est dans le cadre de la continuité religieuse et philosophique qui existe entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire que Bilolo situe son intelligence de la Trinité. Son orientation n’est pas à proprement parler théologique chrétienne, mais celle de l’histoire des religions[1]. D’après Bilolo dans la plupart des systèmes philosophiques et théologiques de l’Egypte ancienne, Dieu est saisi à la fois comme l’Un et le Multiple, l’Unité aux multiples Formes. L’image de Dieu qui se dégage des hymnes de l’Egypte ancienne est celle du « Dieu très grand, commencement du Devenir », « Pères des pères, Mères des mères »[2].
Dans l’ancienne Egypte, dit-il, l’on rencontre aussi des textes qui tendent « à personnaliser ou hypostasier la Raison divine ou le Cœur de Dieu (HATI) et le Verbe ou la Parole ou Langue de Dieu. D’autres textes prétendent qu’il s’agit des membres ou facultés du Créateur »[3]. D’après l’égyptologue congolais, l’Egypte ancienne est arrivée à parler de la communauté d’action entre l’Un et le multiple, mais également de l’inhabitation réciproque de l’Un et du multiple en Dieu[4]. Mais le texte le plus intéressant à propos de cette étude thématique est celui-ci: “La notion du Dieu trinitaire intervient surtout à propos du Dieu Créateur ou Organisateur du monde. Elle se révèle à travers des noms composés comme Osiris-Isis-Horus. Cette triade reflète plus la vie familiale du Père-Mère-Enfant. Elle exploite aussi une autre idée : « le père renaît dans son fils, le fils devient son propre père ou sa propre mère[5] ».
L’Egypte connaissait aussi des triades composées des êtres ayant un même statut, c’est-à-dire, l’égalité entre les trois êtres divins (Amun-Atum-Ptah [IMN-TM-PT] ou Amon-Ra-Ptah). L’Egypte ancienne présentait également la triade en accordant aux deux termes de la trinité la qualité de « fils » ou de « facultés de Dieu ». C’est le cas de « Ra, Sia et HW » ou encore de « Path, Atum, Thot, Horus »[6]. Bilolo accepte l’idée selon laquelle la première triade connue dans l’histoire est celle composée de Nun (Raison), Atum (Verbe), Ra (la Substance de vie), tous trois formant l’unique Tem[7]. Bref, dans l’Egypte ancienne il n’existait pas une seule et unique théologie trinitaire.
Il existe des textes (comme celui de Memphis et celui d’Echnaton) qui soutiennent la notion de l’unique Dieu et considèrent tout le reste comme sa créature ; les autres soutiennent et son unicité et sa trinité, mais hiérarchisant les termes (A est plus grand que B ; A et B sont plus grands que C : modèle familial) ; les autres prêchent l’égalité de ces trois termes, A = B = C, tout en reconnaissant la différence de leurs fonctions. Une autre tendance est celle de la procession : de A procède B et de B procède C ou encore de A procède B et de A-B procède C. A la rigueur, toutes les positions théologiques et philosophiques défendues par des chrétiens à propos de la Trinité sont en fait une reprise des luttes bien connues en Afrique antique[8].
La théologie du Pneuma est connue et bien développée en Egypte antique et surtout dans le Moyen-Empire et au cours du Nouvel-Empire. Amun, le Dieu-Souffle ou Vent, l’esprit de vie, est considéré comme le Sauveur de tous ceux qui sont dans le besoin. « Il est celui que les femmes appellent à l’heure de l’accouchement. Il est le libérateur »[9]. Il convient de relever ici le lien étroit qui existe entre la maternité, la libération et l’action du Dieu-Vent. Dans la mission spécifique de ce Dieu-Vent, Amun, l’on compte le fait d’habiter dans le cœur de celui qui l’aime ; Amun est la richesse par excellence qu’il faut avoir dans son cœur[10].
Des triades égyptiennes, Bilolo passe à la présentation des trinités nubiennes et méroïtiques. Il explique l’existence de ces triades en Nubie par la colonisation de la civilisation Napata et Méroé par la religion égyptienne[11]. Cependant, dans le concert des ces triades il existe bien des divinités égyptiennes que nubiennes. L’A. affirme que « la religion la plus dominante était celle d’Amun : Amun était le Dieu Suprême, et, Napata, un autre Thèbe. Cet Amun est reçu aussi comme Dieu trinitaire : Amun-Shou-Tefnou […] Parmi les dieux locaux, citions la triade : Arensnouplis-Apédémak (un dieu-lion avec un long arc et des flèches) – Sebewyemeker (le Créateur) qu’on rencontre à Musawarat et à Naga. La préférence revient au Dieu (MK), mieux au Grand-Dieu (MK-LH) Soleil : Dieu de Lumière. Amon (IMN) ou MS (mash en nubien actuel) signifie le soleil » [12].
Quant à l’Ethiopie, Bilolo montre l’existence de la triade « Mahrem-Beher-Meder »[13]. C’est en Ethiopie également que l’on cherchera à exprimer la Trinité chrétienne avec le langage africain d’Axoum[14]. L’on a traduit le mot « Trinité » au sens chrétien par « Sellase ». L’Ethiopie a une très grande prédilection pour la Trinité. Sa civilisation respire la Trinité. En effet, on cherche à représenter la Trinité dans tous les domaines de la vie : instruments de travail à forme trinaire ; architecture ; objets d’art et jeux des enfants ont une forme triadique. Les chroniques littéraires commencent au nom de la Trinité. L’être humain est lui également conçu comme un être trinitaire[15].
Parlant de l’Ouest et du Sud du Sahara, l’A. nous y fait découvrir une nette continuité avec les zones déjà analysées. Il me semble opportun de donner cette citation de Bilolo parce qu’elle montre non seulement la continuité des doctrines, mais aussi, elle critique une des grandes œuvres théologiques du christianisme noir du XXe siècle.
Ce que nous avons dit à propos d’Amon peut se dire de l’Etre Suprême des africains actuels. Il suffit de lire la notion de Dieu élaborée à partir des données Bantu du Kasaï/Zaïre par Dr. Bimwenyi Kweshi[16], dans son Discours théologique négro-africain. Problème des fondements [Louvain, 1977] pour se rendre compte de la ressemblance entre Amon, de l’Égypte, MS et Sebewyemeker de Nubie et Méroé, Mahrem d’Axoum et Maweja de l’Empire Luba au Zaïre. Notons toutefois que Bimwenyi a courcircuité la dimension communautaire voire trinitaire de Maweja. La dimension trinitaire de l’homme et de Dieu a été mise en évidence dernièrement par le Prof. E. Mveng, dans Essai d’anthropologie négro-africaine : la personne humaine (in Religions Africaines et Christianisme, Kinshasa, 1978). Selon Mveng, l’homme apparaît dans le langage initiatique et artistique comme un projet dynamique : d’abord comme monade (individu), puis comme dyade (en se découvrant dans sa double-dimension, Homme-femme), puis comme triade (Père-Mère-Enfant) et enfin comme communauté, comme société ou histoire[17].
La citation est de grande importance surtout dans l’application de l’analogie anthropologique à Dieu. Il est à noter que c’est la même et unique personne qui est à la fois : monade, dyade (Homme-Femme) et triade (Père-Mère-Enfant) et communauté. Il ne s’agit pas de trois personnes distinctes qui seraient à la fois monade, dyade, triade, société ou histoire. L’on note clairement ici une différence entre la théologie trinitaire chrétienne et l’histoire des religions. En effet, le christianisme ignore ce passage « monade – dyade – triade ». Il est vrai que le christianisme affirme que le Père est la source de toute la divinité. Mais, le nom même de Père est relationnel au Fils. Par le même acte de la génération éternelle du Fils par le Père, il y a spiration éternelle du Souffle.
Pour fonder sa théologie trinitaire noire africaine dans des faits religieux, Bilolo recourt à une étude de Dennett[18] sur les Bavili du Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo). Vu l’importance de la question, il n’est pas mieux que donner le texte même de l’auteur.
R.E. Dennett signale que les Bavili ont une conception trinitaire de Dieu. Le Dieu Créateur est appelé Nzambi. Il est représenté souvent symboliquement par le chiffre un – 1 –. Car, il est l’Un Primordial. De lui procèdent Nzambi Mpungu, Nzambi Ci et Kici. Procéder, n’est pas le mot qu’il faut. Disons seulement, vu du point de vue de son action, il se révèle trois.
Ces trois êtres de la Trinité apparaissent dans la philosophie des bosquets initiatiques comme Xi, Ci et Fu. Xi est le principe passif ou maternel et Ci, le principe actif ou paternel. Dennet note aussi que ces idées se retrouvent aussi répandues à l’Ouest de l’Afrique et plus particulièrement chez les Beni et Yoruba. Ce qui est vrai, car la religion africaine de Brésil, influencée par la religion Yoruba, garde la conception trinitaire de Dieu[19].
Avant tout commentaire sur l’extrait, il est à remarquez que Bilolo se situe dans l’ordre économique. Il parle de l’action de Dieu en vue de sa manifestation dans le créé. Il y a une nette différence entre l’identité de Dieu et la pluralité de manifestations dépendantes de son agir. Nous sommes loin de l’homoousios de Nicée (325) et surtout de la théologie des Cappadociens qui ont trouvé l’équillibre entre l’unicité de l’ousie divine et la pluralité effective des hyspostases en Dieu. Pour y arriver, les Cappadociens avaient à lutter contre les ariens et les sabelliens. Ces derniers réduisaient les trois hypostases en Dieu à des pures fonctions. Les sabelliens sont pour l’unicité divine et contre une vraie et réelle Trinité supprimant ainsi la distinction en Dieu ad intra. En revanche, les ariens acceptaient la Trinité contre l’égalité des hypostases et l’unicité de l’ousie intradivine. Dans l’affirmation de Bilolo, il sied de constater qu’il est absolument difficile de faire une distinction claire entre personne et substance (hypostase et ousie) à cause de la stricte unicité divine qui ne se manifeste différentiellement que par une pluralité d’actions historiques. Ceci fait qu’une transposition directe de cette position à la systématique chrétienne nous situerait proche du sabellianisme[20].
Mais, ceci n’enlève rien au fait que l’extrait soit riche en contenus. Huit points sont à noter comme éléments de réflexions théologiques. 1º. L’A. insinue que la symbolique africaine peut être le lieu de la recherche trinitaire africaine. 2º. Ensuite, il fait remarquer que la relation qui relie Nzambi à Nzambi Mpungu, Nzambi Ci et Kici, n’est pas une relation de « procession » comme l’est dans le cas de la Trinité chrétienne. 3º. De cette affirmation se dégage une autre. Les relations dans la Trinité Bavidi sont purement énergétiques, dynamiques. Elles relèvent de l’ordre de l’action de l’unique et même personne de Nzambi. 4º. Comme conséquence[21], Nzambi Mpungu, Nzambi Ci et Nzambi Kici sont soit des modes d’être (pure modalité), soit ils sont à comprendre dans le cadre du traité des Noms divins[22]. Dans les deux cas, il s’agit d’une pluralité de noms qui n’implique pas une pluralité de personnes divines. 5º. Il se dégage de l’extrait cité que Dieu, Nzambi, est d’abord un principe personnel primordial féminin[23], mais passif. 6º. Cette passivité de Dieu liée à sa féminité opposée à l’activité de Dieu liée à sa paternité est un signe révélateur de l’influence de la conception occidentale sur la pensée de Bilolo. 7º. En reprenant à son compte, sans discrimination, cette passivité et activité de Dieu en relation de proportion directe avec la féminité, Bilolo ne voit pas aussi la difficulté philosophique et théologique d’admettre ensemble le « manque de procession en Nzambi » et l’existence de « trois êtres » en la Trinité. La question est la suivante : comment les « trois êtres de la Trinité » ont-ils obtenu leur être ? 8º. Une autre affirmation d’importance est la situation de la religion africaine dans la diaspora[24]. Cependant, peut-on dire que la conception trinitaire de Dieu relève exclusivement de l’influence de la religion Yoruba ? Après le résumé de l’étude de R.E. Dennett, l’A. expose la conception de « Dieu Un et Communautaire » des Luba-Luluwa du Kasaï/Zaïre développée dans des sociétés d’initiation[25]. Voici ce que l’A. dégage de cette étude des sociétés initiatiques :
La société Nkwembe (Luba-Luluwa de Kananga) ou Bwadi (Luba de Mbuji-Mayi) a une quadrade, tandis que les sociétés Songé, Kuba et Cokwe[26], etc. auraient seulement une triade.
Dieu, dans la théologie de Nkwembe, est représenté comme suit :
Mvidi-Mukulu Wa Came ou
Mikombo wa Kalowa
Au commencement était Maweja. Pour créer Maweja déploya ses pouvoirs (Makole ende), en l’occurrence : -Came qui est une femme et qui sera louée comme « Mère de Dieu[27] » (Mvidi-Mukulu wa Came ou Esprit-Aîné fils de Dieu) ; -Mikombo-wa-Kalowa ou Mvidi-Mukulu wa Came, Premier-Fils de Dieu ; Mule-Mwedi ou Cipanga (littéralement « Celui qui a une longue barbe » et le « Bélier »), symbole de la Sagesse ; Kavidividi ou « Petit-Esprit-déchu », source de la mort et du mal.
Ces quatre Seigneurs sont des Pouvoirs de Maweja hypostasiés ou personnifiés : Dieu comme Mère-Source de Vie et d’Amour ; comme Sagesse ou Père-Source de toute Paternité ; comme Fils-Fruit ou Symbole de Fécondité de tout Amour ; comme Kavidividi, Raison permissive du mal[28]. Nos informateurs, dit l’A., le mettaient à côté du Cercle, car il est Esprit déchu, un Mauvais Esprit.
En enlevant le Kavidividi (directement assimilé à Satan de la Bible), il reste une triade. Came a été assimilée à la Vierge-Marie et Mikombo wa Kalowa à Jésus-Christ. Maweja ou Mvidi-Mukulu à Dieu le Père. Mule-Mwedi est resté dans l’ombre[29].
C’est ce personnage resté dans l’ombre qui sera identifié, analogiquement, avec l’Esprit-Saint. Il est, cependant, remarquable le fait que la vision trinitaire de Dieu est étroitement liée à la personne de la Mère de Dieu qui est Marie pour les chrétiens. Mérite aussi une mention spéciale, le fait que la sagesse photosophe (Cianda Citoke) dont parle Bilolo n’est pas au féminin, comme le prétendent certains théologiens occidentaux actuels. Au contraire, la féminité de Dieu est scrutée par la voie de la Vie et de l’Amour. Chez Bilolo, la masculinité de Dieu est trouvée dans sa sagesse. Cependant, de même que Dieu est Vie et Sagesse, vice versa, de même la masculinité et la féminité sont propres à l’identité de Dieu. La pneumatologie luba proposée par Bilolo privilégie l’Intelligence[30] et le Pouvoir (Cianda) en opposition avec la métaphore du Cœur/Vie (Moyo), du Souffle et/ou Vent (Lupepele)[31], malgré la proximité de cette analogie avec la réalité biblique.
La notion de Moyo (Cœur, Vie) ou Lupepele (Vent, Souffle) ou Nguma bien qu’elle soit proche du langage biblique demande beaucoup d’explications pour circonscrire le champ d’action de l’Esprit-Saint. Tandis que la notion de Cianda-Citoke, Photosophie ou Sagesse Blanche, Lumineuse résume aussi le Mystère (Wunder). Certes, Cianda-Citoke en tant que Puissance et Intelligence écarte la notion de Personne, à moins qu’il s’agisse d’une métonymie. [C]et usage métonymique est très fréquent dans le langage courant[32].
Une est la fonction de l’Esprit-Saint, mais triplement articulée : guider l’humanité exclusivement dans le sens de la Vérité (Bulelela), du Bien (Buimpe), de la Vie (Moyo). C’est pour cette raison que la personne habitée par l’Esprit-Saint devient un défenseur de la Vérité, de la Justice, du Bien et de la Vie[33]. Abordant la question de la traduction des concepts et de la formule trinitaire, Bilolo montre les limites des traductions et surtout du concept de la personne en Afrique noire.
Il affronte d’abord la question du rapport entre l’Esprit-Saint et Dieu. La question est de savoir si Dieu a un Esprit. Sa réponse repose sur un argument linguistique : l’inexistence du verbe avoir en Luba. De là, il procède à cette conclusion : « La question de savoir si l’Esprit de Dieu peut être interprété dans le sens de ‘Dieu a un Esprit’ tombe en Luba. Car dans l’univers linguistique luba on vit sur le mode de kuikala ne, d’être-avec et on dira : Dieu est avec l’Esprit[.] Dieu envoie l’Esprit avec lequel il vit. La pneumatologie africaine partirait ainsi d’une théologie d’être avec, d’une théologie de co-existence et non de possession »[34]. Cela dit, Bilolo proposera un concept luba capable d’assumer le contenu sémantique de la notion de la personne.
Les trois ‘‘Choses’’ (Bintu) qui constituent la Trinité sont appelées « Bantu[35] » (Hommes) ou « Ba-Mvidi[36] » (Esprits, Seigneurs). Mais il existe aussi un autre terme « Mivu ». Les Mivu sont des « choses » réelles, mais qui sont des manifestations ou formes (hprw en égyptien) d’un même être. Il nous semble que le terme Muvu, moyennant une certaine transformation sémantique[37] est plus apte à exprimer et l’unité et la multiplicité (la trinité). En tout cas mieux que le terme tertullien (200 après J.C.) de ‘Personne’ »[38].
La proposition de Bilolo est insatisfaisante parce qu’elle parle plus des modes d’être d’une seule et même réalité, plus que des réalités différentielles qui ont une unicité absolue de nature. Dit d’une autre manière, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ne sont pas des formes ou des modes de l’unique et même Dieu. Le Père n’est pas une forme du Fils et de l’Esprit-Saint. Le Fils n’est pas une forme du Père et de l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint n’est pas une forme du Père et du Fils. Père, Fils et l’Esprit-Saint sont des hypostases réelles, différentes entre-elles. Il y a vraiment trois actes d’être en Dieu et non trois formes, trois manifestations de l’unique être. Le danger de la perspective de Bilolo est donc le modalisme. Comme on le constate, Bilolo opte pour le schéma d’égalité stricte entre A, B et C. Mais, il les différencie seulement au niveau de leur fonction (voir a. c., p. 1440). Cette option est largement insuffisante pour la systématique catholique.
Comme conclusion, même si Bilolo ne se limite qu’à présenter une étude dans le cadre de l’histoire des religions, le spécialiste en triadologie africaine ne peut s’empêcher d’y découvrir des bases pour l’éclairage de la foi en la Trinité dans sa communauté de vie. L’importance de l’étude en appelle à d’autres recherches pour vérifier si les triades[39] dont l’A. parle sont réelles. Si elles sont elles, méritent-elles d’être assumées en dogmatique chrétienne ? La distance prise par Bilolo, en pneumatologie, concernant la proximité qui existe entre le vent, le cœur et les mêmes analogies bibliques, ne sert-elle pas d’exemple pour la démarcation à poser entre les triades africaines et la Trinité chrétienne ? Faut-il situer la Trinité chrétienne au même niveau que les triades de la RA ?
Enfin, il nous semble que l’option prise par Bilolo de chercher des analogies de la Trinité chrétienne dans les triades africaines aurait bénéficié des grandes lumières si l’A. aurait pris en compte les résultats des recherches de R. Schulte[40] sur la préparation de la révélation trinitaire dans le monde extra-biblique. De même, Bilolo aurait gagné en assumant la théologie de Karl Rahner sur l’autocommunication de Dieu tel qu’il est partout. Bilolo aurait vu déjà que toute vraie connaissance, tout vrai amour de Dieu et toute vraie adoration de Dieu sont toujours déjà trinitaires[41]. Ceci est possible non pas par un impératif humain, mais par l’unique et exclusive grâce de Dieu qui est et correspond à son ontologie.

[1] Pour l’optique générale des études de l’A., lire KÄ Mana, Le souffle pharaonique de Jésus-Christ en Afrique. Dimensions et perspectives de la recherche égyptologique africaine, dans KABASELE, F., DORE, J. et LUNEAU, R., o. c., p. 195-226.
[2] BILOLO Mubabinge, La notion de l’Esprit-Saint et de la Trinité face à la tradition religieuse africaine, dans Credo in Spiritum Sanctum. Atti del Congresso Teologico Internazionale di Pneumatologia, Roma 22-26 marzo 1982, t.II, Città del Vaticano 1983, p. 1437-1454, p. 1437. A propos de la relation entre l’Unité de Dieu et sa pluralité de Formes, l’A. cite (p. 1438) ces exemples à titre d’illustration : “Je suis Un devenu Deux. Je suis deux devenu Quatre. Je suis quatre devenu Huit, mais je suis Un ; « J’étais un et je suis devenu trois » ; « quand l’Unique était et qu’il devint Trois ». En note 7, 8 et 9, il fait appel, respectivement à ENEL, Les origines de la genèse et l’enseignement des temples de l’ancienne Egypte, Paris, 1963, p. 26, 93 ; SAUNERON, S. – YOYOTTE, J., La naissance du monde selon l’Egypte Ancienne, dans La naissance du monde (S.O. 1), Paris, [s.d. dans la note de Bilolo], p. 30 ; DERCHAIN, La religion égyptienne, dans Encyclopédie de la Pléiade. Histoire des Religions, t. I., Paris, 1970, p. 111. Les textes cités montrent qu’il y a à la fois, dans le rapport entre « le Dieu Un et le Dieu multiple » un mouvement de l’Un qui est vers le multiple qui devient, mais aussi du multiple qui se recentre dans l’Un. Cependant, du point de vue purement systématique, il faut se demander si la relation entre l’Un et le multiple est une relation d’émanation, un rapport panthéiste et/ou modaliste. Quelle est la consistance et quel est le contenu de la relation que le multiple a envers l’Un (synthèse, composition, somme, mélange ou mixture, assomption) ? Bref, le problème central réside dans « l’être Un » avant de « devenir multiple ». N’oublions pas que le christianisme n’enseigne pas la préexistence du Dieu un sur la Trinité. Il n’y a pas de moment où Dieu existait comme être pré-trinitaire.
[3] Ibid., p. 1438. Voici comment l’A. poursuit son exposé : « Et de fait, le Souffle de Divin, SW ; son Intelligence ou Sagesse, SIA ; son Cœur (IB ou HATI), son Esprit (KA ou BA), etc. sont souvent considérés comme des « êtres autonomes », ayant leur personnalité propre (d’où leur nom de NTRW ou Puissances divines), bien qu’étant un avec leur source ».
[4] Ibid., p. 1438.
[5] Ibid., p. 1438. L’A. se réfère à une Stèle abydénienne de Ramsès IV, citée par DERCHAIN, P., a. c., p. 112. Cette dernière idée du « fils qui devient père de soi (uiopator) » est connue dans la théologie modaliste de Sabelius. La théologie chrétienne orthodoxe n’admet pas une telle idée qui nie la consistance réelle du Père et du Fils.
[6] Ibid., p. 1439.
[7] Ibidem.
[8] Ibid., p. 1440.
[9] Ibid., p. 1441.
[10] Ibid., p. 1442-1443.
[11] Ibid., p. 1444.
[12] Ibid., p. 1444-1445.
[13] Ibid., p. 1445.
[14] Ibid., p. 1446.
[15] Ibid., p. 1447. Il est intéressant de noter ici ce que l’A. affirme concernant la théologie trinitaire de S. Augustin : « Rappelons que Saint Augustin avait insisté aussi sur les vestigia trinitatis dans l’homme. Dans esprit (sic) : mens, notitia et amor ou encore memoria-intellectus-vouluntas. Cette approche analogique de la Trinité à partir d’une phénoménologie ou anthropologie de l’homme, du Muntu semble être une constante de la pneumatologie africaine. Et Saint Augustin se révèle malgré son aliénation linguistique profondément africain ». Il faut faire remarquer tout de même qu’autre chose est affirmer presque intuitivement cette constance, autre chose est faire une étude patristique et théologique qui puisse confirmer cette intuition. Malheureusement, il n’existe pas encore d’étude noire africaine qui chercherait à faire une herméneutique inculturée du traité de De Trinitate du Grand Docteur Africain.
[16] Dans ce passage du texte le nom de Bimwenyi est mal écrit (Bimwenyo).
[17] Ibid., p. 1448. La référence complète de l’article de Mveng est la suivante: E. MVENG, Essai d’anthropologie négro-africaine : la personne humaine, dans AA. VV., Religions Africaines et Christianisme. Colloque International de Kinshasa 4-14 janvier 1978, Tome II, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, 1979, p. 76-85.
[18] DENNETT, R.E., At the Back of Man’s Mind, or Notes of the Kingly Office in West Africa, London, 1906. Cependant, l’A. ne donne pas les pages exactes de l’étude citée. Voir, Ibid., p. 1449.
[19] Ibid., p. 1449.
[20] Lire, GREGOIRE De Nazianze, Orat. 42, 16.
[21] C’est une conséquence qui ne vient pas de l’A.
[22] Cf. DENYS l’Aréopagite, Des Noms divins, dans Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite, traduction de M. De GANDILLAC, Paris, Aubier, 19802, p. 177-184 ; MANARANCHE, A., Des noms pour Dieu, Paris, Fayard, 1980.
[23] Comp. DEVISH, R., a. c., p. 151: “[…] Ces métaphores [Yaka] qualifient la transcendance d’une perspective avant tout féminine, - l’androgyne et le viril n’y figurant que de façon subsidiaire ».
[24] Voir aussi, BILOLO Mubabinge, La religion africaine face au défi du christianisme et de la techno-science, dans Présence Africaine 119 (1981), p. 29-46.
[25] Ibid., p. 1449. Sa source est FOURCHES, J. A. T – MORLIGHEM, Une Bible noire, Bruxelles, éd. Max Arnold, 1973, contrôlée par un travail de terrain effectué par l’A. lui-même à Kabwe ‘‘auprès des vieux’’.
[26] Les Songé, Kuba et Cokwe sont des peuples de la République Démocratique du Congo.
[27] Voir aussi, KABASELE, F., Le Christ comme Chef, p. 122-124, nous parle d’une autre tradition vivante luba de la Mère de Dieu (Mua Mulopo).
[28] La question qui susurre dans le fond de cette affirmation est double : le caractère personnel et ontologique du mal ; la provenance divine dudit mal ontologique. N’affrontant pas la question, Bilolo ne peut aboutir à la théologie de la libre volonté comme l’avait fait S. Augustin dans sa Cité de Dieu.
[29] BILOLO Mubabinge, La notion de l’Esprit-Saint, p. 1449-1450.
[30] En théologie trinitaire classique, c’est le Fils qui est le fruit de l’Intelligence du Père. La procession du Fils n’est pas identifiée avec l’Intelligence du Père. Une impossible identification de ladite procession avec l’Intelligence du Père détruirait toutes les analogies psychologiques de St. Augustin. Ceci vaut également pour la Troisième personne de la Trinité dans son rapport analogique avec la volonté.
[31] Cependant, sa position n’est pas exclusive. Voir, Ibid., p. 1451 : « Le concept de Vent reste valable dans le cas de Nikongo (lire Kikongo) et Swahili. Le mot swahili Roho (ruach en Hébreux) signifie vent et esprit. Soit dit en passant, nous épousons la thèse de Olson dans Swahili as an educational medium [dans Africa Theological Journal 14 (1971), p. 25-39] : le swahili a une précision théologique plus grande que le grec de par ses affinités avec les langues orientales. Mpeve en Kikongo signifie aussi vent et esprit ».
[32] Ibidem.
[33] Ibid., p. 1450-1451.
[34] Ibid., p. 1451.
[35] Souvenons-nous que c’est le concept a été utilisé par le Catéchisme de 1624 (Antu). Refusé aujourd’hui, nos langues recourent au mot latin « persona ».
[36] Il y a un sens de Mvidi que Bilolo ne donne pas, mais qui se situe dans la logique de sa réflexion. Ce sens nous le trouvons chez KABASELE, Fr., Christ comme Ancêtre et Aîné, dans KABASELE, F., DORE, J. et LUNEAU, R., o. c., p. 131-143, p. 137 : « Le mot Mvidi désigne une catégorie d’arbres qui se multiplient et par les grains et par les racines et par les branches. Leur écorce secrète du latex blanc et visqueux. En saison sèche, ces arbres ne dépérissent pas. Quand un Luba avait vécu des événements heureux (richesses abondantes, victoires éclatantes dans les combats, progénitures nombreuse et belle), il plantait le Mvidi devant sa maison comme symbole de ce bonheur et comme « mémorial » (au sens deutéronomique) de ce qu’il avait vécu. Les repas de communion de la famille se feront désormais autour de cet arbre ; on le badigeonnera de blanc, couleur de l’au-delà et des Ancêtres. Si Dieu est appelé du nom de cet arbre, c’est nous semble-t-il, pour marquer qu’il est source de vie, d’une vie surabondante, d’une vie qui reste constante et stable… ». Avec cette citation nous rejoignons de nouveau l’univers symbolique de la période prophétique du Royaume Kongo.
[37] L’A. ne propose pas ladite transformation sémantique.
[38] Ibidem. Comp. VONKEMAN, J., a. c., p. 150-151 : donne les traductions des concepts Trinité, substance et personne en Zulu et en Xhona. Cette étude comparée se fonde sur beaucoup de sources (catéchisme, chants et hymnes liturgiques, etc.).
[39] Bilolo n’est pas le premier à parler des triades en milieux noirs. Détails dans VONKEMAN, J., a. c., p. 151.
[40] SCHULTE, R., La préparation de la Révélation Trinitaire, dans Mysterium Salutis, t. 5, Paris, 1970, p. 67-116.
[41] RAHNER, K., Dieu Trinité. Fondement Transcendant de l’Histoire du Salut, dans Mysterium Salutis, t. 6, Paris, 1971, p. 9-135 ; ID., Dieu dans le Nouveau Testament, dans Ecrits Théologiques, t. 1, Paris, 1959, p. 11-111.

jeudi 18 juin 2009

La Trinité chez BENEZET BUJO (1981)

Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi


Avant toute étude sur une possible théologie trinitaire de B. Bujo, il faut absolument tenir compte de la remarque que ne cesse de lui faire Charles Nyamiti. Ce dernier affirme que Bujo ne fonde pas sa christologie du Proto-Ancêtre dans le mystère de la Trinité[1]. D’autre part, il faut aussi tenir compte de la réponse de Bujo. Ce dernier pense que le Christ notre Ancêtre proposé par Charles Nyamiti n’offre pas assez de distance par rapport à la génération biologique des descendants[2]. Toujours d’après Bujo, Nyamiti n’est pas clair dans son attribution de l’unique et même titre d’Ancêtre tant au Père qu’à Jésus-Christ[3]. Sans vouloir entrer dans le débat de fond, il est à signaler cependant que la production de Nyamiti en théologie trinitaire est tellement importante qu’elle a déjà fait objet, au moins, d’une étude doctorale[4]. Qu’en est-il de Bujo ? Juvénal Ilunga[5] ne semble-t-il pas donner raison à Nyamiti parce qu’il ne retient pas la Trinité comme thème majeur de la théologie de Bujo ? Autrement dit, notre recherche sur la théologie trinitaire de Bujo n’est-elle pas un chemin de garage ?
Les nombreuses études de Bénezet Bujo sur le Pro-Ancêtre[6], l’Ancêtre par excellence identifié strictement au Christ est une assomption explicite et ferme de la famille africaine dans le sens élargi de la Jamaa spirituelle qui englobe et la vie-ci et la vie de l’Au-delà[7]. Bujo veut présenter le christianisme à partir de la tradition africaine des Ancêtres. A partir de là, il voudrait aussi aboutir à la fois à une christologie et à une ecclésiologie qui puissent parler à l’Africain dans un langage compréhensif par lui[8]. La visée de Bujo est essentiellement éthique et sociale[9]. Pour cette raison, il n’y a pas mieux pour lui que d’opter pour une christologie ascendante[10]. Le choix de la christologie d’en bas signifie également la prise en compte réelle de l’expérience religieuse africaine dont l’axe central est la relation avec les Ancêtres. Le rapport aux Ancêtres est vital, parce que par son langage, ses gestes et ses rites, cette relation abouche au mystère du salut lié à la tension entre la mort et la vie[11].
A partir d’ici, Bujo opère avec un critère éthique dans la détermination de l’identité des ancêtres. Il y a d’une part les ancêtres bons et de l’autre des ancêtres mauvais. L’identification du Christ au Proto-Ancêtre, ancêtre par excellence, se fait, on ne peut en douter du côté des ancêtres bons[12]. C’est cet idéal de bonté conduit à la plénitude anthropologique dans l’identité de l’ancêtre africain que Jésus portera à sa perfection absolue[13]. Bujo fait intervenir à partir de maintenant le concept de la force vitale avec lequel le Proto-Ancêtre réalise sa mission prophétique et messianique. Ses signes (miracles) sont le déploiement historique de cette force vitale proto-ancestrologique[14].
Bujo médite également sur la mort, la résurrection de Jésus à partir de l’expérience de la mort d’un père de famille. Les qualités du mourant africain qui lègue sa parole lors d’un repas d’adieu sont assumées par le Proto-Ancêtre dans son eucharistie comme espace du don de la force vitale qu’il appelle aussi proto-force vitale[15]. Pour éviter d’établir un diagramme de pure continuité entre les ancêtres africains et le Proto-Ancêtre, Bujo insistera sur l’unicité exclusive de Jésus qui non seulement porte à la perfection l’idéal des ancêtres africains, mais également transcende cet idéal à l’infini[16]. Cette infinité de distance tient au fait que le Proto-Ancêtre est l’origine de toute union vitale. Le Proto-Ancêtre qui donne la proto-force vitale est la vie[17]. De là, l’A. dira que les Ancêtres africains sont des images dérivées du Proto-Ancêtre. Mais pour que les ancêtres africains puissent participer à cette iconologie proto-ancestrologique, il y a eu de la part de Dieu réalisation de la kénose en vue de la divinisation de l’homme[18].
C’est à partir de cette affirmation que Bujo dira que le titre de Proto-Ancêtre aura une plus grande signification pour le négro-africain que les titres du Logos (Parole) et de Kyrios (Seigneur) qui proviennent d’une culture différente de la sienne[19]. Cette affirmation montre que Bujo refuse volontairement l’intelligence du mystère du Proto-Ancêtre à partir de la vie ad intra du Fils de Dieu (Logos). Redisons-le, il opte pour la christologie ascendante. Mais, cette option implique-t-elle le rejet de la christologie descendante ? Bujo ne cède pas à cette tentation d’évacuer la christologie descendante de son parcourt[20]. Cependant, Bujo insistera sur le fait que le thème du Christ guérisseur et celui du Christ initiateur sont des formes de la christologie ancestrologique. C’est dans sa méditation sur la christologie initiatique que Bujo sera appelé, par deux fois, à préciser les rapports que Jésus a avec la Trinité ad intra. Je reproduis ici le premier extrait portant sur l’initiation du Fils ad intra par son Père.
[…] L’initiation de Jésus n’est plus un exemple purement extérieur justement parce que le Fils de Dieu continue à accomplir l’initiation déjà réalisée et enracinée éternellement en Dieu et qui s’est manifestée dans le monde. Le Père, qui possède une force vitale infinie, engendre le Fils et tous deux vivent l’un pour l’autre ; ils vivent donc dans une parfaite et totale union, qui renforce réciproquement cette communauté de vie. La force vitale, qui va du Père au Fils et l’engendre, retourne de ce dernier au Père. Ils arrivent ainsi – selon le modèle vital participatif négro-africain – à un ‘soutien réciproque’ et une contribution à une ‘communauté de vie’.
Cette union vitale, qui porte à une interaction entre le Père et le Fils et constitue ainsi le lien entre les deux, n’est rien d’autre que la force divine, que, comme intimement divine et une figure concrète[21] peut être identifiée avec l’Esprit Saint[22].
Le problème dogmatique d’une initiation éternelle du Fils par le Père tient d’abord à l’introduction dans la vie ad intra d’un système de croissance d’une étape à une autre. En effet, la vertu de l’initiation est de faire devenir ‘‘autre’’ que celui/celle que l’on a conscience d’être et en élevant son ordre social. L’initiation a la vertu de donner une nouvelle conscience de soi qui implique des nouvelles connaissances objectives transmises progressivement par l’initiateur individuel ou corporatif. Est-ce qu’entre le Fils et le Père une telle relation peut-elle exister ? Toutes les vérités possédées par le Père ne le sont-elles pas également par le Fils et l’Esprit-Saint ? Avec quoi coïncide l’initiation intradivine ? Cette dernière change - t’elle l’ordre du Fils ?
Il est plus que curieux de noter ici que Bujo abandonne sans justification aucune son concept-clé du Christ Proto-Ancêtre ou du Proto-source de la force vitale. Comme on le remarque, il recourt aux concepts classiques du Père-Fils auxquels il attribue les qualités de la famille clanique. Ici l’on note également que c’est la christologie du Fils préexistant qui justifie l’identité et la continuité de Jésus comme l’Initié qui se manifeste dans le monde. Ce texte opère avec deux diagrammes : « Père et Fils » et « Père/Fils et Esprit-Saint ». L’on dirait que la vie du Père et du Fils se déroule dans une communauté de vie qui ‘‘préexiste’’ à l’irruption de l’Esprit-Saint dans ladite communion[23]. L’A. a maintenu la même position dans ce long extrait que je cite[24].
Déjà les termes Père-Fils ne peuvent être compris que comme relation. En effet, on ne peut être père que parce qu’on a un fils ou une fille. Il en est de même du fils ou fille. En lui-même, le terme ‘‘fils’’ ou ‘‘fille’’ n’a un sens que si on a un père ou une mère. Si nous transposons cela sur Dieu, on aura la réflexion suivante : Dieu le Père n’est dit Père que parce qu’il a un Fils, à savoir Jésus-Christ. En d’autres termes, c’est uniquement la relation entretenue envers le Fils qui constitue Dieu en tant que Père, car sans cette relation, il n’est que Dieu tout court. De là, être ‘‘père’’ est toujours un mouvement vers quelqu’un d’autre : c’est faire un acte de partage spécial avec quelqu’un, c’est aussi se donner d’une manière spéciale à quelqu’un. En Dieu, cet acte de donner et de partager est on est peut plus parfait : c’est la donation totale au Fils. Ce dernier terme à son tour signifie « relation », car personne ne peut parler de fils sans songer au père. Jésus-Christ, lui aussi, ne peut mériter d’être appelé « Fils » que s’il a un Père. Laissé à lui-même, Jésus-Christ n’est pas Fils, mais uniquement Dieu devenu homme. Ici aussi on doit dire : Pas de Fils sans le Père ou Mère. Cette relation « Père-Fils » est tellement totale et tellement parfaite que le Père et le Fils se donnent entièrement l’un à l’autre dans l’Amour parfait à tel point que cet amour lui-même devient toute une personne, qui est l’Esprit-Saint, la troisième personne de la Trinité. Par ailleurs, l’Amour signifie toujours partage ; ainsi, Dieu dans sa relation en trois personnes signifie un partage au degré le plus élevé. Aucune des trois personnes ne peut posséder quelque chose sans le partager avec les autres. Finalement, être défini comme personne signifie s’appauvrir dans le partage de manière à enrichir les autres. C’est aussi en ce sens que le Christ s’est anéanti et vidé de lui-même[…].
En lisant cet extrait, quelques observations s’imposent. 1º. les relations en Dieu n’étant pas accidentelles mais subsistantes, il est impossible que Dieu soit Dieu sans être Père – Fils - Esprit-Saint ; 2º. L’Amour en tant que partage en Dieu n’est pas seulement question de degré, le plus élevé soit-il. Cet Amour est qualitativement différent car basé sur les différences des ontologies. Qui plus est, l’Amour en Dieu est hypostatique (Esprit-Saint) ; 3º. Chaque personne divine ‘‘a’’ des propriétés distinctives qui ne sont pas possédées par les autres. Sans ces propriétés dites notionnelles, il est impossible d’arriver à une vraie Trinité des hypostases.
Bujo ne distingue pas assez clairement « la force vitale identique à la nature divine en tant que celle-ci est esprit » de « l’hypostase de l’Esprit-Saint ». Cette difficulté se remarque dans l’acte de l’engendrement du Fils par le Père. En effet, l’A. affirme que la force vitale qui va du Père au Fils et l’engendre, retourne du Fils au Père. C’est de là que surgit la question. Cette force vitale est-elle l’esprit du Père (la nature divine) ou l’Esprit-Saint ? Bujo ne remarque pas qu’en identifiant, à cet endroit, la force vitale avec l’hypostase de l’Esprit-Saint il bouleverse inconsciemment l’ordre divin qu’il défend consciemment. Mais plus fort que cela, il ne voit pas que cette identification contredit clairement toute la première partie de son texte ci-haut cité.
Nous verrons, dans notre analyse prochaine de Mulago que le modèle de communion-participation en Dieu est univoque. C’est-à-dire que c’est le Fils qui reçoit du Père et sa nature et son hypostase. C’est lui le Fils qui partage la même et unique vie du Père, mais ce dernier étant la Source absolue de la vie divine. Ici, Bujo change d’optique, tout en utilisant les mêmes ressources que Mulago. Il insiste sur le caractère périchorétique de la vie qui va du Père au Fils et retourne du Fils au Père. C’est la paternité de la première personne qui constitue le Verbe comme Fils, en revanche, c’est la filiation du Verbe qui détermine l’identité de la Source sans source comme Père.
L’identification de l’union vitale avec l’hypostase de l’Esprit-Saint dans l’économie montre comment le rapport entre le Proto-Ancêtre et le Souffle est déterminé par la théologie de « l’Esprit de Jésus ou du Fils ». L’Esprit-Saint dépend du Verbe incarné qui est la Proto-source de la vie qui par sa mort et résurrection est le médiateur du don de l’Esprit-Saint[25]. Bujo ne contemple pas, au moins ici, le Verbe incarné à partir de la mission et de la personne de l’Esprit-Saint (fonction de l’Esprit-Saint dans l’incarnation ; le baptême ; la vie publique et les prières de Jésus ; la mort, résurrection et glorification du Fils de Marie).
Au contraire, Bujo méditera le mystère de l’Incarnation à partir du rapport qui existe entre le Père et le Fils. Il dira que celle-ci est la « génération personnifiée du Père dans la personne de Jésus. Ceux-ci donne (sic) la continuité à la vie reçue du Père[26] » dans l’éternité. C’est une affirmation peu claire. Que signifie une « génération personnifiée du Père dans la personne de Jésus » ? C’est le Père qui s’engendre [du Père] ? La personne de Jésus étant le Verbe-Fils du Père, Bujo veut-il dire que le Père s’engendre lui-même dans son Fils incarné ? L’expression « génération personnifiée » ne fait-elle pas penser que le Père peut engendrer d’une autre manière, c’est-à-dire non personnifiée ?[27]
L’explication que Bujo donne à son affirmation n’apporte aucune réponse à ces questions. Au contraire, il se contente de dire que le mouvement de retour (reditus) de Jésus dans le mystère de la gloire, passant par le mystère de sa pâques, conduit à la plénitude de vie pour les Ancêtres africains. C’est par ce mouvement de retour dans la gloire divine que Jésus « les initie et leur accorde une nouvelle dynamique vitale et la joie de la vie, précisément l’Esprit, unit le Père et le Fils, lui qui maintenant qui unit la création entière, de façon très particulière les ancêtres avec Dieu définitivement et de manière historiquement salvifique »[28].
La pneumatologie de Bujo, dans ce livre, recoure à ces analogies : « l’union vitale », « force de vie », « dynamique de vie », « force transcendantalement divine » qui sortent et dépendent de la personne et de l’action de Jésus-Christ. L’action de l’Esprit consiste à « rendre cohérente la nouvelle communauté tribale et ethnique [Église] et promouvoir la croissance de la vie »[29]. Cependant, il est à remarquer que Bujo ne se pose pas la question du passage des analogies énergétiques à la réalité hypostatique de l’Esprit-Saint. Il ne le fait pas parce qu’à cette époque les intellectuels africains et africanistes défendaient le « personnalisme énergétique (Muntu [être humain] = force vitale) » hérité de Tempels et systématisé par Mulago. Donc, quand Bujo affirme que l’Esprit-Saint est force vitale, nous devons l’entendre également de telle sorte qu’il existe une identité entre personne et muntu.
Il est sans dire que Bénézet Bujo se place clairement dans la Tradition chrétienne Congolaise par la voie des études de Mulago[30]. Ceci se remarque également dans son étude que j’analyse, dans la mesure où Bujo tisse tout son discours à partir de la position africaine face à la vie[31]. Que l’on se souvienne ici du fait que Mulago avait appliqué toute l’anthropologie africaine de l’union vitale, de communion participation, de la force vitale au mystère de l’Eucharistie. C’est aussi ce que Bujo va faire. Il va prolonger cette théologie en l’abouchant à son fondement ultime : le mystère de la Trinité[32]. L’Eucharistie est comprise comme ‘‘la communion Proto-Ancestrale’’. En même temps, ladite Eucharistie fonde la vie non seulement ecclésiale, mais également sociale et communautaire. Se basant sur les rites funéraires africains, Bujo montre que malgré leur diversité d’actuations ces rites ont une seule visée focale : la « poussée vers la vie en plénitude, qui après sera pour le bien de la famille, de la communauté tribale, etc. »[33]. C’est en cela qu’ils se rencontrent avec la signification de l’Eucharistie.
Bujo expose sa pensée en reprenant sur son compte certains concepts classiques de la théologie de l’Eucharistie (pain et vin, anticipation et mémoire, narration et annonce). A ces concepts, il ajoute le proprement africain. Dans et par l’Eucharistie, l’on reçoit « la Proto-force vitale ancestrale ». Ce renforcement des concepts classiques par l’idée fondamentale qui se dégage des rites funéraires africains suit le sérieux, la logique et la voie de l’Incarnation. Et pourtant, ce fondement dans le mystère de l’Incarnation ne dira son dernier mot que dans les relations qui existent entre les trois personnes divines. Voici l’extrait dans lequel Bujo parle de la Trinité en recourant de nouveau au mot-clé de la « force vitale ». Il ne change cependant pas de contexte. En effet, l’espace théologique de la reprise est toujours « l’initiation africaine » et le Christ vu comme initié et initiateur.
[…] Dieu, le Père, possède la force vitale en plénitude et pour cette raison engendre le Fils. En plus, il a été dit que, par l’interaction, la force vitale retourne du Fils au Père, puisque chacun donne sa propre contribution vitale à la vie intimement divine. Mais, simultanément cette interaction est une dynamique de vie qui unit le Père et le Fils dans une union vitale, c’est cette dynamique de vie par laquelle le Père a suscité [engendré] le Fils : l’Esprit.
Cet Esprit, dynamique et joie de vie, qui déjà unit le Père au Fils et est ainsi celui qui renforce la vie, de la communauté intimement trinitaire, qui porte désormais à la croissance de la nouvelle communauté initiatique tribale. Le Fils, suscité à la nouvelle vie de la dynamique vitale (l’Esprit) du Père, constitué Proto-ancêtre, il est vraiment la source de cette même dynamique de vie : ensemble avec le Père, il donne la force vitale en abondance, commune à lui et au Père, qui introduit la nouvelle communauté tribale, cette Église fondée, dans la plénitude vitale et la perfection eschatologique[34].
Cet extrait confirme les idées de la première citation. Bujo suit la logique et le traitement de la théologie trinitaire occidentale. Il pose d’abord, la relation paterno-filiale pour aboutir, dans un second lieu, à la relation du « Père et du Fils » face à l’Esprit-Saint. Cependant, même dans la relation Père – Fils, Bujo accorde au Père une possession absolue de la plénitude de la force vitale. Il affirme même que c’est cette possession qui est la cause de la génération du Fils. Il y a un danger réel de considérer le Père comme une hypostase absolue. Ici également, l’identification de la force vitale du Père avec l’hypostase de l’Esprit-Saint pose problème.
De fait, à cause de ce manque de précision Bujo défend l’idée très discutable de la generatio a Patre Spirituque. Ceci est d’autant plus patent qu’il est difficile de concilier l’idée de la génération du Fils ad intra par la force vitale identique à l’Esprit-Saint avec sa théologie résolument marquée par le Filioque. Le même problème persiste dans la pensée de l’A. au moment où il tente de faire une démarcation entre le christianisme et les autres religions du monde. En effet, il affirme que « La nouveauté du christianisme ne tient pas dans l’annonce du monothéisme, mais dans le fait qu’il annonce que le même et unique Dieu (quel medesimo Dio) est en même temps Jésus-Christ, Dieu, en forme parfaite et définitive » [35]. La limite de cette affirmation est fonction du fait qu’en christianisme Jésus-Christ ne totalise pas à lui seul l’identité du même et unique Dieu en tant que Dieu plénier et définitif. D’où la nécessité de montrer que la nouveauté du christianisme par rapport à la RA, non seulement à partir de « Dieu qui est Jésus-Christ, différentiellement », mais surtout à partir du « Dieu un et unique qui est Trinité, et réciproquement ». Malgré ces limites, retenons à l’actif de Bujo qu’il pose toujours un lien réel entre l’Église et la Trinité tant ad extra comme ad intra. On observe aussi chez lui une relation de proportion entre l’attribution à Dieu des qualités de la famille clanique africaine et l’identification de ladite Église à la famille clanique. Cependant, les dérives sociopolitiques et les génocides de l’Afrique ont conduit l’auteur à porter son insistance sur l’universalité de l’Église en opposition directe au clanisme et au tribalisme[36]. Face à cette situation de crise sociopolitique, il est fortement remarquable de noter que Bujo recourt à la métaphore de l’arbre sacré (ficus) comme symbole parlant et libérateur apporté par le Proto-Ancêtre, exactement comme le fit des siècles avant lui Béatrice Kimpa Vita[37].
[1] NYAMITI, Ch., Cristologías africanas actuales, dans Misiones extranjeras 161, 19 (1997), p. 475-498, p. 493.
[2] Le problème du corps et son applicabilité à l’être de Dieu revient ici. Comparer avec BUJO, B., Teologia africana nel suo contesto sociale, Brescia, Queriniana, 19882, p. 28-29 : “La vie biologique comme thème de la foi en Dieu”.
[3] Ibid., p. 128-129, note 25; p. 143, note 40; ID., La dimension sociopolitique de la christologie africaine, dans KABASELE, F., DORE, J., LUNEAU, R., Chemins de la christologie, p. 335-347, p. 336, note 2. Pour lui, Proto-Ancêtre est un titre d’exemplarité (modèle) économique de Jésus-Christ à notre égard. Il ne s’agit pas, cependant, de l’ordre chronologique, parce que le titre traduit l’identité du Christ comme Nouvel Adam, racine du premier dans l’ordre des créés.
[4] VÄHÄKANGAS, M., Genuinely Catholic, Authentically African? The Encounter between Neo-Thomism and African Thinking in Charles Nyamiti’s Theological Methodology. Doctoral dissertation. University of Helsinki, Theological Faculty, Helsinki, 1997.
[5] ILUNGA Muya, J., Bénézet Bujo. Eveil d’une pensée systématique et authentiquement africaine, dans BUJO, B. et ILUNGA Muya, J., o. c., p. 101-141. Il est intéressant de voir que dans la présentation que John Baur (2001) et Iwele (1993) font de la théologie de Bénézet Bujo, il n’y aucune allusion à la théologie trinitaire.
[6] Pour une bibliographie sélective de l’A. voir, ILUNGA Muya, J., a. c., p. 139-141. Sans compter les traductions, dans cette bibliographie de l’A. on recense 41 études (livres et articles).
[7] C’est une idée qu’il reprend aussi dans ID., Le Notre Père son impact sur la vie quotidienne. Méditation d’un théologien africain, Kinshasa, St Paul, 2000, p. 116 : « L’option fondamentale du Synode africain de 1994 est de considérer l’Église comme Famille. Pour éviter tout malentendu, il faut dire dès l’abord qu’il ne s’agit pas de la famille au sens occidental du terme, mais ce mot voudrait être compris au sens africain, la famille dans son sens le plus large. En fait, c’est dans les langues africaines que nous devrions exprimer cette réalité. On verrait alors que par exemple en Kiswahili on parlerait de jamaa. Si on se tenait au contexte africain, et on doit le faire, on ne devrait pas introduire le mot familia qui finalement vise à s’adapter au concept occidental. Quand on dit ‘‘jamaa’’, tout Africain sait que ce terme englobe les vivants, les morts et même les enfants non-encore-nés. Il sait surtout que ce terme ne se limite pas aux pères, mères et enfants, mais qu’il embrasse tout le clan et que le concept famille peut s’étendre même au-delà du groupe clanique. On citera ici en particulier les alliances et les pactes du sang qui peuvent unir même les membres des différentes ethnies pour ne former qu’une seule famille ».
[8] BUJO, B., Teologia africana, p. 111.
[9] Ibid., p. 112.
[10] Ibid., p. 114.
[11] Ibid., p. 115-116.
[12] Ibid., p. 116-119.
[13] Ibid., p. 120.
[14] Ibidem.
[15] Ibid., p. 121-122.
[16] Ibidem.
[17] Ibid., p. 122.
[18] Ibid., p. 124.
[19] Ibid., p. 126. Mais on peut se demander si le « Christ-chef et Roi » de la christologie africaine ne traduit pas le titre de Kyrios. Ne peut-on pas, à partir de la sagesse concernant la Parole (cas des Dogons), faire une dogmatique africaine du Verbe ? D’ailleurs Bujo a dépassé cette conception, dans sa visée existentielle. ID., La dimension sociopolitique, p. 346, note 10.
[20] Ibid., p. 127; ID., La dimension sociopolitique, p. 336, commence avec la voie descendante dans la mesure où l’A. parle de la Parole de Dieu qui est son Fils et qui devient Proto-ancêtre.
[21] En théologie trinitaire, « figure concrète » peut s’entendre par prosopon. Cependant, la théologie du prosopon ne coïncide pas totalement avec celle de l’hypostase. MILANO, A., o. c., p. 53-59.
[22] BUJO, B., Teologia africana, p. 130-131.
[23] Comp. BUJO, B., Le Notre Père, p. 17 : « Quand, en parlant de Dieu et en nous adressant à lui, nous disons ‘‘notre Père’’, c’est à partir du Fils unique, Jésus-Christ, et grâce à lui que nous pouvons avoir le droit de parler ainsi. Si tel en est le cas, il est nécessaire de nous poser la question de la relation de Jésus, le Fils, avec Dieu, son Père. Cette interrogation, à son tour, nous amènera à considérer la place qu’occuppe l’Esprit-Saint en tant que le fruit de cette relation du Père et du Fils ». Je souligne.
[24] BUJO, B., Le Notre Père, p. 20.
[25] BUJO, B., Teologia africana, p. 131.
[26] Ibidem. Voici le texte italien : « Quando si tratta dell’incarnazione di Dio, si tratta della generazione personificata del Padre nella persona di Gesù. Questi dà [sic] continuità alla vita ricevuta dal Padre ».
[27] Ibidem. Cependant son idée peut se justifier dans le sens de l’Ancêtre qui est engendré symboliquement dans sa descendance. Il s’agit de traduire ici l’idée de l’inhabitation du Père dans la personne dans son Fils.
[28] Ibidem.
[29] Ibidem.
[30] BUJO, B., Pour une éthique africano-christocentrique, dans AA.VV., Combats pour un christianisme africain. Mélanges en l’honneur du Prof. V. Mulago, Kinshasa, CERA, 1981, p. 21-31.
[31] ID., Teologia africana, p. 141; ID., La dimension sociopolitique, p. 337.
[32] ID., Teologia africana, p. 144-146.
[33] Ibid., p. 144.
[34] Ibid., p. 145.
[35] Ibid., p. 28-29
[36] ID., La dimension sociopolitique, p. 338-343.
[37] Ibid., p. 340-343. Lire aussi, BUJO, B., La christologie africaine n’est-elle qu’une archéologie culturelle ?, dans AA.VV., Cristologia e Missione oggi. Atti del Congresso Internazionale di Missiologia, Roma, Urbaniana Universty Press, 2001, p. 360-363 (p. 362 : personne est relations ; p. 362-363 : Jésus-Christ, le Protoancêtre et l’arbre de vie; Jésus est le ficus).

lundi 15 juin 2009

La Trinité et le Discours théologique de BIMWENYI-KWESHI (1981, 1989)

Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi

La recherche des fondements de la théologie africaine et de sa pertinence caractérise la pensée du Père Oscar Bimwenyi. Il est connu qu’en christianisme le Principe de tout ancrage de tout discours théologique n’est pas seulement « Dieu » en tant qu’il est un et unique. En plus de cette unicité, Dieu est au même moment et de façon inaltérable Trinité des hypostases. Comment, le théologien congolais soucieux des principes fondateurs du discours théologique africain[1] articule-t-il l’unicité divine avec la pluralité de personnes en Dieu ?
Avant de répondre à cette question, il convient de se rappeler que Bimwenyi avait concentré tout son effort dans la recherche des documents traditionnels (sources orales) pour fonder le discours théologique africain. A partir de ces diverses sources orales, Bimwenyi montre que le langage religieux africain est capable d’un christianisme authentique et alternatif au christianisme colonial. Pour lui, le problème des fondements du langage théologique africain trouve son dénouement dans son enracinement anthropologique existentiel[2]. C’est sur ce fond du débat sur les sources d’une possible théologie africaine que Bimwenyi va centrer sa recherche sur le « Dieu de nos Ancêtres »[3]. Ces mêmes sources utilisées dans la précision des attributs et les relations que Dieu a avec nos peuples seront reprises dans sa grande œuvre qui n’est autre que son Discours théologique. Mulago n’avait pas fait autre chose. Il s’était appuyé sur les mêmes sources traditionnelles. Comme Mulago, Bimwenyi débouchera sur une anthropologie familiale caractérisée par un entrelacement relationnel en vue de la vie dans laquelle Dieu n’est pas étranger[4].
Vu l’importance de la figure de Bimwenyi en théologie africaine, l’on s’attendrait à un discours théologique qui puisse aborder non seulement le problème des fondements (article indéfini), mais celui du fondement fontal : la Trinité. L’analyse de son Discours Théologique montre clairement que Bimwenyi n’y a pas élaboré une théologie trinitaire explicite qui serait le fondement des divers fondements du discours théologique africain. La raison de ce manque est connue : l’objectif de sa thèse doctorale n’était pas de nous offrir un traité particulier de théologie africaine. Cependant dans cette thèse, devenue un des livres les plus importants de la théologie africaine, l’on rencontrera des indications concrètes qui peuvent conduire à une élaboration d’une triadologie africaine. Bimwenyi nous offre des sources pour une telle entreprise, même si l’A. n’en a pas une intention directe[5].
Le chemin qui permet de rencontrer en Bimwenyi l’assomption de l’analogie familiale africaine dans la Trinité est déductif. C’est en partant du principe basilaire de son livre sur le caractère constitutif des deux pôles « Dieu et homme » ou de la théandricité[6] et son insistance sur la pertinence/validité de l’anthropologie africaine[7] que l’on est conduit à l’applicabilité des concepts familiaux africains à Dieu.
En plus de ce principe déductif, il est à retenir que Bimwenyi mène un combat contre la réduction de l’Afrique et de tous ses systèmes. Il est impensable qu’il n’utilise pas des concepts africains pour parler de Dieu. D’ailleurs, dans ses études les relations que Dieu a envers l’humanité sont toujours écrites en langues africaines avant d’être traduites en français. En pratique ceci me permet de dire que quand Bimwenyi parle de la paternité, de la filiation de Jésus et de toute personne humaine, il ne recourt pas à l’analogie anthropologique occidentale. Au contraire, il s’agit là de l’assomption de l’anthropologie de la famille telle que réalisée en Afrique. Chez Bimwenyi, Dieu est le Père de Jésus, des Africain(e)s et de tout l’univers selon le modèle expérientiel et culturel africain. Dans ce sens l’identité stricte que l’A. pose entre le Dieu Père de nos Ancêtres et le Père de Jésus-Christ[8] est une identification analogique entre d’une part, « la paternité – la filiation divine, la fraternité de Jésus pour nous » et « la paternité, la filiation et la fraternité africaines ». Qu’en est-il de la pneumatologie ?
Pour répondre à cette question, je reprends un extrait de l’A. qui parle explicitement des trois personnes divines. Ce texte provient d’une communication prononcée le « matin du dimanche 25 mai 1986, en la fête de la Très Sainte Trinité » devant une sélecte assemblée[9]. En lisant le titre du colloque et celui de son article, l’on se rend compte du fait que le contexte est absolument propice pour que Bimwenyi nous y donne sa théologie de la Trinité et son inculturation en Afrique. L’A. est explicitement conscient de l’entreprise. C’est très utile de citer ici un extrait préliminaire, mais important dans la compréhension du corps de sa pensée. L’A. affirme :
C’est en allant bien au-delà de ‘‘l’adaptation’’ et des ‘‘pierres d’attente’’, pour prendre au sérieux l’œuvre de Dieu en Afrique depuis toujours et prendre en considération l’impact de cet itinéraire culturel et religieux, ainsi que les différents chocs survenus au cours de l’histoire comme compréhension préalable du muntu, sa précompréhension au moment où se produit pour lui l’événement de la rencontre avec le Christ, révélateur du Père et de l’Esprit, qu’il est possible de comprendre le caractère radical de la mission des Eglises locales négro-africaines non frileuses et qu’on peut comprendre la visée essentielle de la Congrégation de la Sainte Trinité[10].
Trois choses sont à noter à ce niveau. Dans un premier moment, l’A. récapitule toute l’histoire africaine qu’il avait présentée dans son Discours Théologique. Il souligne la nécessité d’aboutir à la théologie de l’Inculturation, en dépassant les étapes de la théologie de l’adaptation et celles des pierres d’attente. Ici, il n’y a aucune nouveauté ni sur le plan de l’histoire de la théologie africaine ni sur le plan du contenu de ladite théologie. Mais, cette récapitulation contextuelle a la fonction de réaffirmer notre contexte actuel comme exigence tant du « caractère radical de la mission des Eglises locales » que de la visée essentielle de la « Congrégation de la Sainte Trinité ». Dans un second moment, l’A. parle de l’événement de la rencontre du Christ avec l’Afrique. C’est une reprise certaine du thème de l’expérience du ‘‘Buisson ardent’’ et du Mont Tabor. Mais, ce thème de la rencontre lié au contexte christologique est une donnée qui peut bien l’attacher à la tradition inaugurée par Tempels[11].
Enfin, il est important de noter l’ordre trinitaire suivi par l’A. : « Christ – Père – Esprit-Saint ». C’est une reprise évidente du Discours Théologique : Verbe de Dieu – Fils créé du Père – Vent[12]. L’A. met en avant plan l’ordre messianique. Cet ordre de communication divine se situe dans un autre plus fondamental, c’est-à-dire, celui qui est fonction de la primauté de la révélation de l’unique et même Dieu des Ancêtres. Dans la logique de Bimwenyi, la nouveauté chrétienne pour les Africains se situe au niveau de la connaissance. « Dans ce domaine de l’expérience ancestrale de Dieu, dira Bimwenyi, la rencontre du Christ permet de relever, notamment deux points très importants. En premier lieu, elle fait advenir une sorte d’expérience du ‘‘buisson ardent’’, ‘‘le négro-africain accédant à une connaissance du même Dieu par l’avènement de ses nouveaux noms et titres »[13].
Le problème qu’implique cette affirmation tient à une « connaissance du même Dieu par l’avènement de ses nouveaux noms et titres ». Deux solutions au problème sont à notre disposition. D’une part, dire que Bimwenyi donne aux « noms et titres » le contenu anthropologique qui vient de Tempels qu’il connaît bien, même s’il ne le cite pas. Dans ce cas, les noms et les titres seront entendus comme des « noms de vie et d’être ». Comme tels, ces noms traduisent des personnes relationnelles[14]. D’autre part, l’on peut refuser cette interprétation en maintenant comme telle l’affirmation explicite de l’auteur. Si tel est le cas, alors une observation critique s’ensuit.
Le Fils et l’Esprit-Saint qui sont l’événement nouveau de la révélation du même et unique Dieu ne sont pas simplement de « ses nouveaux noms et titres ». Ils sont Dieu, mais différentiellement. Ils sont deux hypostases différentes du Père. Ceci signifie que la position de Bimwenyi dans ce cas serait incomplète parce qu’elle ne mettrait pas suffisamment en relief la nouveauté inouïe de l’économie de la Trinité pour la Trinité immanente elle-même. Il me semble que l’A. est conscient des difficultés que comportent son affirmation. Et, c’est pour cette raison qu’il ajoute ces réflexions relatives à la Trinité ad intra. Ici le mode d’expression compte beaucoup. En effet, l’A. combine la prose et la poésie. Et pourtant, malgré ce mode d’expression sa pensée demeure dans les limites de la théologie trinitaire occidentale classique.
Après cette sorte de réédition du ‘‘Buisson ardent’’, un second aspect dévoilé par la rencontre du Christ, le long de l’itinéraire religieux ancestral est tout à fait central et capital : ‘‘l’expérience du Surgisseur [Créateur] comme Relation non seulement ad extra, propulsant les choses dans l’existence, mais plus encore, comme Nœud d’une Triple Relation constitutive, d’un Triple-élan-l’Un-vers-l’Autre de Trois Personnes et Foyer d’une Tension énergétique subsistant (1 Jn. 4, 16[15]).
Extase et émerveillement.
Nombril du Monde.
Racine de toutes choses.
Fécondité sans limite.
Il est le Père.
Il est le Fils.
Il est Esprit d’Amour.
Il est l’Unique [Dieu].
‘‘La paternité n’est pas chez lui accessoire, liée à sa fonction de Surgisseur. Elle lui est immanente bien ‘avant les collines’ (Pr. 8, 25), ‘avant l’aurore’ (Ps. 109, 3) du moine, avant le chant des coqs des siècles’’[16] Il y a là un niveau de profondeur vertigineux qui donne sur l’intérieur mystérieux de l’Inaccessible, de l’Ineffable […], l’Auteur-des-siècles, qui est aussi ‘‘Père de toutes choses’’, est donc paternité originaire, originant toute autre paternité ; générant éternellement un Fils unique, toujours depuis toujours tourné-vers-le-Père dans le sein duquel il séjourne éternellement (Jn. 1, 18), dans un Amour subsistant et fulgurant qu’est l’Esprit Saint[17]. Polarité-nuptialité immanente à la Sainte Triade, dans l’énergétique foudroyante de la périchorèse[18].
Dans l’interprétation de ce poème, il est relativement facile de voir que le texte se divise en deux parties (ligne 1- 4 et ligne 5-8). Mais, comment faire la correspondance entre les deux parties ? En effet, l’on peut faire correspondre à toute la Trinité comme à chacune des hypostases les quatre premiers vers. Quant à la seconde partie (l. 5-8), son problème tient à celui que remplace « Il ». Au cas où « il » remplaçait « Dieu », alors surgit le problème de l’adéquation entre ce langage et le langage biblique qui marque une différence théologique entre « le Dieu » et « Dieu ». Dit d’une autre façon, dans les quatre vers de la deuxième partie du poème, la copule « est » porte des différences qui assurent les relations mutuelles et d’origine en Dieu, mais en même temps, le fait qu’« il est l’Unique ». Cependant, en parlant seulement de « l’Unique » ce poème de Bimwenyi n’évoque pas l’unicité numérique de l’essence divine différentiellement hypostasiée par le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. La raison est simple. Le fait d’« être l’unique » et celui d’« être un » ne signifient pas nécessairement la même chose.
Une autre question qui surgit est celle liée à la « polarité–nuptialité » en Dieu. Qui sont, dans la Trinité ad intra, les personnes en relation nuptiale ? L’A. ne dit rien à propos. La proximité du nom de l’Esprit-Saint avec la polarité-nuptialité fait penser à une identité entre les deux. Si mon interprétation est correcte, alors, le Père et le Fils seront les termes qui sont reliés par l’Esprit-Saint qui est analogiquement identifié à l’alliance nuptiale en Dieu. Il faut insister sur le caractère strictement analogique de cette « polarité-nuptialité » de peur de faire penser qu’en Dieu l’unité entre le Père et le Fils est morale. Une telle unité morale viendrait postérieurement à la constitution du Père et du Fils comme personnes. Dit d’une autre manière, cette unité serait une union plutôt qu’une unicité numérique. Pour la plus grande prudence, il me semble utile d’éviter ce langage d’alliance matrimoniale dans la méditation sur la Trinité ad intra.
Enfin, l’expression « Tension énergétique subsistant » peut aussi faire penser qu’en Dieu il n’y a qu’un subsistant. Même si cette « Tension énergétique subsistant » était l’égal de « Dieu est Amour », l’on doit toujours garder des réserves. En effet, l’Amour notionnel ou hypostatique qu’est l’Esprit-Saint ne couvre pas à lui seul la réalité « Dieu est Amour ».
Bref, l’extrait cité n’apporte pas de concepts et/ou de vision particulière du mystère de la Trinité. On attendrait que la nouveauté théologique soit fournie ici avec un appui explicite sur une anthropologie systématique africaine qui conduirait à une nouvelle intelligence ou mieux à l’inculturation de la Trinité en Afrique, mais rien n’est fait à ce niveau. Il fallait se poser des questions africaines relatives au sens et à la signification existentielle d’une relation, d’une subsistance, d’une relation subsistante, de l’amour, de la fécondité, etc. Puis, il fallait transmuter ce sens et cette signification existentielle en un sens et une signification dogmatiques. C’est une tâche que l’on ne trouve nulle part dans cette étude de Bimwenyi.
Le travail de l’anthropologie culturelle qui a été fait dans le Discours Théologique (p. 566, par exemple) n’est pas recueilli ici pour l’élever au niveau d’une anthropologie systématique. Et pourtant le besoin s’y fait ressentir avec urgence. Il est à redire que l’A. n’ébauche pas ici une anthropologie dogmatique africaine abouchée à des nouveaux concepts dogmatiques proprement africains de la famille, de la paternité, de la filiation, etc. comme analogies de la Trinité. Il ne nous offre aucun paradigme nouveau de la théologie trinitaire, comme l’ont fait Cardoso, Tempels, Constance-Marie, Mulago, Mukenge, etc.
Cependant, il est aussi à noter qu’ailleurs Bimwenyi applique à Dieu l’analogie de la féminité. En effet, dans son Discours Théologique (p. 555), analysant des proverbes luba, il compare Dieu à la « Poule-mère qui rassemble ses poussins au jour de grand vent ». La maternité, le rassemblement et la protection sont les qualités féminines découvertes en Dieu. Trois pages plus loin (p. 558), il montrera, par le quatrième proverbe qu’il nous rapporte, que Dieu est comparable à une Belle-mère africaine qui offre, par son action discrète, un repas à son gendre qui en est grandement surpris. A la même page, il compare Dieu tout simplement avec toute cuisinière discrète (proverbe 5). La bonté de Dieu et son amour se réalise dans la discrétion. On perçoit dans ces valeurs attribuées à Dieu l’idée de la femme que l’on se fait dans ce domaine : « rassembler, donner et renforcer la vie, protéger la vie, poser des actions discrètes mais pleines d’amour surprenant ».
Il vrai que l’A. ne met pas d’emphase sur la leçon de l’action discrète de la belle-mère pour son gendre ou tout simplement de toute cuisinière luba. Mais, à mon avis, le plus important dans l’être et l’action de la belle-mère pour son gendre, c’est la relation d’alliance et le respect qui les unit réciproquement. La conjugaison de la relation d’alliance et du respect débouche à l’émerveillement fondement de toute belle surprise. Nous sommes dans un contexte d’amour familial, on ne peut en douter. L’analogie poursuivant son chemin, l’on dira alors que c’est dans le contexte d’alliance familiale que Dieu se révèle comme don et discrétion, cuisinière et nourriture, prévoyance et protection. Dieu surprend parce qu’il est Amour, mais l’Amour qui se donne dans la discrétion.
Le fait de présenter Dieu comme une « personne qui cuisine sans faire monter la fumée », c’est-à-dire avec et dans la discrétion, est une application certaine des qualités anthropologiques féminines africaines à Dieu. Il ne s’agit pas ici d’une application de la féminité à une hypostase différente du Père. Le Dieu qui est comme la Poule-mère, la Belle-mère et toute cuisinière, est le Dieu des Ancêtres qui a pour attribut principal la paternité. Que l’on se rappelle que l’A. identifie strictement le Dieu de nos Ancêtres au Père de Jésus ou à la première personne de la Trinité. Mais, il faut se le dire. Il est vraiment difficile d’appliquer à Dieu l’analogie féminine de la belle-mère tant au niveau de la Trinité ad intra qu’à la relation qu’ont les personnes divines avec l’Église, épouse du Fils de Dieu dans son incarnation. Bimwenyi ne le fait pas. Les raisons sont connues. Dans le cadre économique, une telle affirmation implique que l’action surprenante de la Belle-mère (Père) ne serait plus adressée à l’Église (épouse), mais à l’Époux qu’est Jésus-Christ. Ceci impliquerait une relation d’alliance entre Jésus-Christ et son Père, par le truchement de l’Église. Comme conséquence, le Fils de Dieu identique à Jésus ne serait plus Fils par nature. En plus, nous savons tous que Jésus-Christ est la Nouvelle Alliance du Père pour l’Église et le monde. En ce qui concerne la Trinité ad intra, l’analogie de la Belle-mère (Père) ne fonctionne pas à cause de l’unicité et de la périchorèse divines. En plus, cette analogie ne peut pas fonctionner parce qu’il n’y a pas de mariage possible entre le Fils (époux) et l’Esprit-Saint (épouse). Dans ce cas également toutes les relations en souffriraient terriblement.
[1] Lire aussi, OZANKOM, Cl., Oscar Bimwenyi. Fin d’une période de discussion sur la possibilité d’une théologie Africaine, dans BUJO, B. et ILUNGA Muya, J., o. c., p. 89-100.
[2] BIMWENYI-KWESI, O., Discours Théologique, p. 505.
[3] ID., Le Dieu de nos Ancêtres, dans CRA 4 (1970), p. 137-151 ; 5 (1971), p. 59-112 ; ID., Dieu dans la théologie africaine, dans Bulletin de Théologie Africaine 5 (1983), p. 85-91.
[4] ID., Discours…, p. 599.
[5] Ibid., surtout le chap. III (lire de la p. 516 à la page 561). On y dégage facilement la structure trinaire qui va de l’Antériorité du Verbe de Dieu - au Fils-créé et le Père créateur (boucle familial) au Vent-qui-emplit-les-montagnes. Le chapitre 1er (paragraphe 2, 1 : « La Pentecôte des Nations », p. 54-63) a des fondements bibliques et patristiques de la légitimité de l’altérité culturelle qui mettent l’accent sur l’action de la troisième personne de la Trinité.
[6] Ibid., p. 393-410.
[7] Ibid., p. 385. Titre : « Africanité, pôle constitutif de la révélation ».
[8] ID., Dieu dans la théologie…, p. 89 « […] C’est à partir d’un autre lieu, d’une autre expérience humaine et religieuse fondamentale que s’opère pour eux [les négro-africains] la rencontre du Christ et qu’ils sont appelés à penser, critiquement et avec rigueur et profondeur, cette rencontre bipolaire »; ID., Le Dieu de nos Ancêtres, dans CRA 4, 8 (1970), p. 137-151 ; 5, 9 (1971), p. 59-112.
[9] ID., Congrégation de la Sainte Trinité et exigence d’inculturation, dans AA.VV., Vie monastique et inculturation à la lumière des traditions et situations africaines. Actes du Colloque International Kinshasa, 19-25 février 1989, Kinshasa, Archidiocèse de Kinshasa et Aide Inter-monastères, 1989, p. 155-174, p. 155.
[10] Ibid., p. 164.
[11] TEMPELS, P., Catéchèse bantoue, p. 260-262.
[12] Evidement cette reprise occulte des difficultés en triadologie : le manque d’identité stricte entre Christ et le Verbe de Dieu ; entre son économie et sa vie ad intra. Mais, l’A. n’en parle pas. L’ordre « Christ – Père – Esprit-Saint » est une synthèse qui implique un autre ordre sans lequel, Jésus ne serait pas Christ. Cet ordre est : « Esprit-Saint – Christ – Père ». C’est l’ordre qui traduit le mouvement qui va du baptême à la montée du Fils inacrné à la droite du Père. Mais, le problème devient sérieux si nous y ajoutions, à la suite de l’A., l’Esprit-Saint comme terme qui vient après le Père (Esprit-Saint – ‘‘Christ – Père – Esprit-Saint’’). Dans un tel ordonnancement, l’Esprit-Saint deviendrait le point de départ et le point culminant des relations en Dieu, ce qui est le propre du Père.
[13] Ibid., p. 165. Je souligne.
[14] TEMPELS, P., La Philosophie Bantoue (traduction de A. Rubbens), p. 84-86.
[15] Voici le texte de 1 Jn 4, 16 : « Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru. Dieu est Amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ». A proprement parler, l’identité de Dieu n’est pas vue en relation avec les autres hypostases divines. Pour y arriver, il faut toute une dogmatique de l’amour qui puisse déboucher sur l’existence réelle des trois personnes divines.
[16] Cite CEZ, Fonctions et tâches de la famille chrétienne dans le monde contemporain. Contribution de l’Episcopat du Zaïre au Synode des Évêques, Kinshasa, Secrétariat Général de l’Ép. du Zaïre, 1980, p. 41.
[17] ID., Discours théologique, p. 51, note 21 : « Ainsi par exemple le mot ‘Tatu’, ‘Père’, si fondamental dans le discours ancestral sur Dieu, voit son sens acquérir une autre profondeur. Sans perdre son sens fonctionnel – Dieu est Père-Créateur, il est origine de toute chose – qu’il a en Afrique, il s’approfondit dans le sens d’une paternité plus congénitale à Dieu et indépendante de la Création : en lui il est Père-Fils-Esprit et, de cette paternité intrinsèque toute autre, au ciel et sur terre, tire son nom (Ép. 3, 15) ». La citation n’est pas claire non plus. Elle pourrait faire penser que la « paternité plus congénitale à Dieu et indépendante de la création » concerne aussi l’Esprit-Saint. L’on peut aussi penser que c’est toute la Trinité qui est Père.
[18] ID., Congrégation de la Sainte Trinité, p. 166. Il aurait été vraiment stimulant scientifiquement pour l’A. lui-même de comparer cette « périchorèse divine » à la « périchorèse fondamentales des êtres » créés, dont il parle dans son Discours théologique, p. 222-223, note 65. Il n’est pas à oublier que dans cette note, l’A. parle de la rencontre/découverte mutuelle entre Tempels et les congolais. C’est au cœur de cette rencontre que Temps parle des mystères fondamentaux du christianisme, découvrant aussi une vitalité nouvelle du mystère. « ‘‘[…] La seconde expérience, associée par TEMPELS avec cette prédiction, fut une rencontre avec une religieuse. Ils échangèrent mutuellement leurs idées et leurs expériences religieuses personnelles sur la Sainte Trinité, le Christ et la Sainte Vierge…’’(cite TEMPELS, Notre Rencontre, Léopolville, CEP, 1962, p. 3-4 [NB : la référence de cette citation n’est pas correcte dans la mesure où le livre commence avec la page 9. J’ai vérifié aussi la page 34, mais la citation n’y est pas non plus]). TEMPELS chemina donc avec ses ouillalles [congolais] qui, peu à peu, lui ouvrirent le tabernacle de leur monde, de leurs aspirations majeures à la vie intense, à la fécondité-aux-cents-visages et à l’exercice de la ‘‘périchorèse’’ fondamentale des êtres[…] (Cite, TEMPELS, Notre Rencontre, p. 3-4, 38-39) ».