jeudi 20 août 2009

La Trinité : paternité - maternité en Dieu selon Nzuzi Bikabi (1993)

Par Flavien Muzumanga Ma-Mumbimbi

L’ouvrage de Nzuzi Bibaki « Le Dieu-Mère, l’inculturation de la foi chez les Yombe[1] » aborde la question du mystère de Dieu à partir de l’analyse de 29 proverbes. L’objectif du livre est de montrer l’identité qui existe entre le Dieu de Jésus-Christ et celui du peuple yombe. Cette identité se trouve dans l’existence réelle de ce Dieu et de son caractère personnel, relationnel et familial avec les êtres humains[2]. Il tente également de montrer que ce Dieu est de préférence reçu par les Yombe comme Dieu-Mère[3], c’est-à-dire, le Dieu de la compassion[4]. Dès le début, l’A. marque cependant la profonde différence qui existe entre le Dieu des chrétiens et celui de la religion des Yombe. Celle-ci tient en la Trinité des hypostases divines adorée dans le christianisme. La religion des Yombe est un monothéisme qui n’est pas trinitaire[5]. Ainsi pour Nzuzi le Dieu des Chrétiens est « unique en sa nature et en sa fonction »[6]. Que veut-il dire par là ?
Voici la note explicative donnée par l’A. : « Dieu le Père, dans le Christianisme, est unique dans sa nature comme première personne de la Trinité ; Il est aussi unique dans sa fonction intra-trinitaire d’engendrer le Fils et de faire, en tant que Père, procéder l’Esprit du Fils »[7]. Il est à noter, cependant qu’il est nécessaire de faire quelques précisions à cette affirmation. D’abord il est à redire que la nature de Dieu le Père est la même et l’unique que possèdent le Fils et l’Esprit-Saint, chacun selon son ordre mais également dans la périchorèse divine. C’est dire que ce n’est pas par sa nature que le Père se différencie du Verbe-Fils et de l’Esprit-Saint. En effet, leur consubstantialité n’est pas comme la nôtre. Elle est, plutôt, strictement unique et absolument identique.
En plus, à strictement parler les processions divines ne sont pas des fonctions que réalise la première personne de la Trinité. En revanche, elles sont deux actes d’être absolument nécessaires à Dieu en tant que Dieu. Dit d’une autre manière, c’est en engendrant son Verbe-Fils que la première Personne de la Trinité est Père. Sans cet engendrement il ne serait pas tel, c’est-à-dire, Père, première Personne et donc Dieu. De même pour la spiration. Sans l’acte d’être qui constitue l’Esprit-Saint comme personne divine, Dieu ne peut plus être Dieu car amputé de son ontologie trinitaire. La spiration est nécessaire à l’être de Dieu afin que Dieu soit Dieu.
Revenons au thème central du livre : la paternité et la maternité de Dieu. Dans son ouvrage, Nzuzi montre l’universalité de ce thème, en analysant tour à tour l’Hindouisme, la Bible, l’Islam, le monde grec et la tradition chrétienne[8]. Déjà ici, l’on note qu’il opte pour l’attribution non seulement de la féminité en Dieu au Père, mais également au Fils qui est Jésus-Christ[9]. Nzuzi fait aussi référence, en les assumant[10], aux arguments philologiques et linguistiques de la féminité du Dieu de la Bible[11].
Mais dans son analyse de la relation « Dieu-Mère » et Jésus-Christ, il se montre prudent dans l’attribution du titre de la fille de Dieu au Fils. Mais, cette prudence est positive et ouverte, car elle est basée sur la théologie du Fils l’image parfaite du Père. Voici un extrait de son texte.
Jésus est la manifestation visible du Dieu invisible, le ‘resplendissement’ de (la) gloire, l’‘effigie de (la) substance’ de Dieu, en qui habite corporellement la plénitude de la divinité’ (He 1, 3 ; Col 2, 9), épiphanie du ‘Père’ (cf. Jn 14, 9).
Mais en tâchant d’inculturer ainsi Jésus-Christ il faudrait en plus faire attention à ne pas soulever de nouveaux problèmes : en régime matrilinéaire, comme celui des Yombe, où Dieu est Mère, que peut devenir Jésus-Christ ?
C’est un terrain délicat et glissant surtout si on pousse trop la logique. Il faut y aller prudemment pour ne pas arriver à parler du Christ comme fille du Dieu-Mère, même si un proverbe courant pourrait se prêter à sauvegarder l’égalité entre Dieu-Mère et Dieu-Fille : ‘Telle fille, telle mère’’, dit le proverbe. Mais un enrichissement doctrinal n’est pas sans danger. D’autre part le danger ne signifie pas qu’il faut délaisser l’essai d’inculturation[12].
Nzuzi est conscient de la nécessité d’inculturer toute la doctrine de la Trinité même si cette tâche est dangereuse et délicate. La mission d’inculturer la doctrine de la Trinité n’a pas seulement pour visée la réception du contenu de la foi en Afrique. En plus de cela, cette inculturation pourrait permettre aux Églises d’Occident et d’Orient de dépasser les difficultés soulevées par le Filioque[13]. Nzuzi connaît aussi la théologie qui identifie la féminité en Dieu avec l’Esprit-Saint[14]. Cependant, il n’y prête pas assez d’attention. En revanche, il revient aux thèmes du Dieu-Mère comme Dieu compatissant et de la compassion christique[15] comme réponse effective et efficace au drame africain[16].
Quelques observations finales. Il est curieux de voir que Nzuzi ne fait référence à la Trinité que dans les notes de son ouvrage. Il n’a pas dédié une seule page entière à cette question dans le corps de son étude. En plus, Nzuzi reproduit les thèmes possiblement problématique. Mais, ils ne les discute pas systématiquement. Il n’expose pas leur côté positif et négatif. En définitive, en aucun endroit il ne fait une proposition de l’inculturation concrète de la Trinité à partir du contenu de la doctrine de Dieu telle que présente dans la religion Yombe. A notre humble avis, sa thèse selon laquelle le monothéisme de la religion africaine est proche du monothéisme exclusif parce qu’absolu du Judaïsme et de l’Islam est très discutable. Nos réserves tiennent au fait qu’il ne prend pas en considération le fait que beaucoup d’analyses philologiques, linguistiques et théologiques africaines prouvent l’identité de Dieu en Afrique bantoue est ouverte et inclusive, surtout dans les noms théophores et des noms de Dieu qui portent la racine sémantique -UNG-. C’est la même et unique racine qui se trouve dans Ph-ung-u qu’il traduit curieusement par « Dieu-Gorille » ou « Puissant », au lieu de Dieu dont l’ontologie est unitive/alliante[17].
[1] Kinshasa, Editions Loyola, 1993.
[2] Ibid. p. 13.
[3] Ibid. p. 15, note 13 : « Les 29 proverbes théophores yombe que nous analyserons mettent en lumière les caractéristiques du Dieu yombe. Bien qu’ils ne parlent pas du tout du Dieu-Mère, la plupart peuvent cependant être ramenés à cette conception théologique principale yombe : Dieu est Mère ».
[4] Ibid. p. 186.
[5] Ibid. p. 119, note 34 et 165 : « Aucun proverbe yombe ne parle de la manifestation d’une pluralité dans l’unique Dieu, comme le sont les personnes divines dans la doctrine chrétienne. En ce sens, le monothéisme yombe est plus proche de celui de l’Islam et du Judaïsme[...] C’est donc une nouveauté pour l’expérience religieuse monothéiste traditionnelle yombe. Par elle passe dès lors la différence essentielle entre le Christianisme et les religions traditionnelles africaines comme celle des Yombe. Cette différence, c’est Jésus-Christ ». Nous soulignons.
[6] Ibid. p. 13.
[7] Ibidem, note 7.
[8] Ibid. p. 49-56. Son chapitre 3 aura donc pour mission de montrer que l’Afrique ne fait pas exception. En effet, chez les Yombe, cette même application des analogies biologiques et sociales à Dieu existe.
[9] Ibid. p. 54-55. Il commente pour ce fait Mt. 23, 27 et suit Clément d’Alexandrie qui parle du « sein du Verbe maternel ».
[10] Ibid. p. 149-154.
[11] Ibid. p. 54, note 18 qui cite à cet effet l’exégète américaine Virginia Mollenkot. MOLLENKOT, V., Dieu au féminin, Paris, Centurion, 1990.
[12] Ibid. p. 165-166.
[13] Ibidem., notes 21 et 22.
[14] Ibid., p. 178. Cite JOINET, B., Les Africains, o. c.
[15] Ibid., p. 180.
[16] Ibidem, p. 180-181.
[17] Détails dans MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., La Santísima Trinidad, p. 75-80.

mardi 18 août 2009

TRINITE : Source et exemplarité de la vie chez B. Muzungu (1989/1995)

Par Flavien Muzumanga Ma-Mumbimbi
Lors de la dix-septième Semaine Théologique de Kinshasa organisée par les Facultés Catholiques de Kinshasa, le professeur Bernardin Muzungu présenta une étude intitulée « Religions traditionnelles africaines et Théologie Africaine »[1]. Conformément au sous-titre de la Semaine Théologique, l’on attendait de lui qu’il fasse le bilan et propose des perspectives portant sur les rapports qui existent entre les deux composants du titre de sa communication. L’A. n’avait pas de prétention de faire de la théologie trinitaire. Mais, pour comprendre ce qu’il nous dit à propos de ce mystère, il est plus qu’important de signaler que tout son article se meut sur le fond de la distinction à maintenir entre les religions qui dépendent de la révélation surnaturelle et les autres religions issues de la conscience humaine[2]. La révélation historique basée sur l’autorité même de Dieu éclaire la valeur des religions dont le fondement n’est qu’anthropologique. Le christianisme est une religion abrahamique, mais dont la spécificité est « Dieu, la Trinité et Jésus-Christ »[3].
Par rapport à Dieu, l’A. affirme une nette coïncidence entre la doctrine chrétienne et celle de la RA. Dans les deux cas, Dieu est créateur. Il est unique et véritable. Il s’émerveille même de voir que les Africains ont eu l’intuition de dire que Dieu est Amour[4]. Curieuses sont, cependant, les paroles qui suivent cet émerveillement : « Si nos ancêtres ont eu une si bonne idée de Dieu, il est un point dont la connaissance exige sa révélation par Dieu lui-même. Cette nouveauté chrétienne est de savoir que ce Dieu si grand est très proche de nous, qu’il est notre interlocuteur. Nos ancêtres parlaient de Lui, ils parlaient à Lui mais jamais avec lui »[5].
Dit d’une autre manière, d’après l’A. nos ancêtres n’avaient qu’une relation intellectuelle avec Dieu. Ils n’avaient jamais fait une expérience de rencontre dialogale et interpersonnelle avec Dieu. Il n’est pas besoin de dire que très peu de personnes accepteraient aujourd’hui cette thèse. D’abord pour des motifs théologales. En effet, la thèse du père B. Muzungu semble vider la liberté de Dieu de se donner vraiment lui-même partout et en tout moment indépendamment de limites humaines. Puis, elle semble réduire la RA à un effort cognitif sans contenu mystique[6] parce qu’abandonnée à elle-même. La RA serait donc, dans cette logique, un héritage humain, un patrimoine religieux et non un vrai lieu d’autocommunication gratuite de la Trinité.
La meilleure chose à laquelle pourrait prétendre le patrimoine religieux africain est sa dépendance à une probable révélation historique ‘‘primitive’’ de Dieu. Mais, l’A. entend par révélation primitive d’une communication chronologique ponctuelle de Dieu dans un passé lointain des premiers êtres humains[7].
L’A. ne se rend pas compte du fait que ce qui assure la continuité diachronique et diatopique de Dieu dans l’histoire est l’être même de Dieu comme être panenthéique et son acte qui fait subsister tout le créé par et dans la création continue. Cela étant dégagé, donnons le long extrait dans lequel il parle de la Trinité.
Le mystère de Dieu, dans une unité de nature et une trinité de personnes, est quelque chose que l’esprit humain ne pouvait imaginer. Seule la révélation nous l’a fait connaître. Même révélé, ce mystère est incompréhensible. Et cela est tout fait normal. Dieu dépasse toutes nos capacités d’entendement. Nous pouvons deviner la réalité de ce mystère en méditant sur la nature de l’amour puisqu’il nous est dit que Dieu est amour. L’amour suppose la distinction de personnes amies et en même temps l’union et la communion la mieux possible. En Dieu, les Trois partagent tout ce qu’ils sont mais sans tomber dans une fusion qui pulvériserait la personnalité de chacun. C’est le mystère qui fonde à la fois l’individualité incommunicable des personnes humaines et en même temps la communion, l’ouverture aux autres, la dimension dialogale entre les hommes. Les notions de famille et de société qui nous sont si familières viennent de cette source première qu’est le mystère de la Trinité divine. Ce mystère de Dieu n’est pas seulement à l’origine de notre vie de communion, mais il est également le but vers lequel notre vie de communion tend. Nous sommes attirés vers le partage de la vie divine.
Le grand danger que nous courons tous et dont le messager de l’Evangile doit être conscient est que ce mystère de la vie divine risque de rester une pure abstraction, qu’elle n’influence pas réellement notre vie. Il faut faire des efforts particuliers pour acquérir une attitude d’enfant à l’égard de Dieu le Père, une piété de fils adoptifs sur le modèle du Fils unique de Dieu et une charité à l’égard de tout homme sous la mouvance de l’Esprit-Saint[8].
Le texte cité ne dit rien de particulièrement africain. Il va de l’apophatisme divin dont l’explication est ici déterminée seulement par nos limites anthropologiques dans l’acte de comprendre les réalités infinies. Puis, il se sert de l’analogie de l’amour humain pour poser le tremplin de l’identité de Dieu comme Amour. L’A. parle de la distinction, de l’union et de la communion comme réalités intrinsèques à toute vraie amitié humaine. En Dieu, ceci aura comme fondement et finalité les différences hypostatiques et l’égalité desdites personnes divines. C’est l’exemplarité divine qui assure l’authenticité et l’effectivité de l’individualité incommunicable des êtres humains et leur communion, l’ouverture aux autres et la dimension dialogale de leur existence.
Le même principe est utilisé dans la relation que la personne humaine doit avoir avec les différentes hypostases divines : piété filiale adoptive à l’exemple du Fils envers le Père et l’exemplarité de l’amour sous la mouvance de l’Esprit-Saint. L’A. parle aussi de Dieu comme principe source et final de la vie tant familiale que sociale. La vie familiale et sociale sont ici comprises comme vie de communion. L’unique phrase de l’A. qui fait penser qu’il parle des sociétés et des familles africaines est sans doute la suivante : « Les notions de famille et de société qui nous sont si familières viennent de cette source première qu’est le mystère de la Trinité divine ». C’est un auteur africain qui parle à une assemblée africaine. Ceci justifie que les notions de famille et de société dont ils parlent ne soient autre qu’africaines.
Fidèle à ses énoncés, B. Muzungu ne pouvait pas faire une herméneutique de la Trinité à partir des réalités africaines. La raison, nous l’avons déjà rencontrée : la religion révélée seule éclaire les réalités humaines. Pour le dire avec une métaphore, l’on ne peut pas prétendre éclairer le soleil avec une lanterne.
En 1995 l’A. revient sur la question avec quelques modifications majeures de sa pensée. En effet, à partir de ses enseignements à la Faculté de Théologie des Facultés Catholiques de Kinshasa, le théologien dominicain rwandais va publier le premier tome de son livre « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir »[9]. Dans cet ouvrage, l’A. réaffirme les thèses que nous venons de rencontrer dans son article. Il dira que « La Trinité, l’Incarnation, la divinisation de l’homme, font partie de cette nouveauté chrétienne[10] » qu’on ne peut rencontrer de façon naturelle. Il montre comment le Christ est reçu à travers des catégories royales, théocratiques du Fils Aîné du Père identifié au Dieu Roi suprême[11].
Mais, à cela il ajoute les difficultés spécifiques de la pneumatologie africaine. En effet, dit-il, en Kirundi, le Saint-Esprit est appelé « Mutima Mwerenda ou Mutima Mutagatifu » qui se traduit littéralement par « le cœur saint ». Cette même expression « Mutima Mutagatifu » signifie en Kinyarwanda « Sacré cœur ». L’affinité de deux langues est un problème à ne pas négliger[12]. Cependant, note l’A., le problème théologique tient à la nature et à la personnalité même de l’Esprit-Saint. Pour lui, la difficulté du langage est un signe du caractère insaisissable de la personnalité du Saint-Esprit[13].
Donc, pour Muzungu deux sont les problèmes théologiques qui déterminent la réception, en langues africaines, du Saint-Esprit : « le concept même de la nature spirituelle doublé du mystère de la personnalité de la troisième personne divine »[14]. Muzungu maintient l’ordre traditionnel des hypostases divines. Cette remarque est très importante car elle constituera une clé de lecture de son identification analogique entre la Trinité et la famille nucléaire africaine. Voici l’extrait du livre qui utilise l’analogie de la famille africaine en correspondance avec la Trinité.
La réalité première et dernière signifiée par le mariage naturel et chrétien est la vie intra-trinitaire. La vie divine est une dans la communion de pluralité de personnes. Le Père engendre le Fils et le Saint est le terme de l’amour réciproque des deux. Le mariage humain constitue son reflet dans la création. L’homme et la femme, dans leur amour réciproque, donnent origine à l’enfant. Il y a là aussi une sorte de communion à une même vie (deux dans une chair : Gn. 2, 24) avec le fruit de cet amour qu’est l’enfant, ce qui donne une sorte de trinité. Ce modèle exemplaire de la communauté matrimoniale qu’est la Trinité divine est aussi le but de l’amour appelé à s’achever dans la participation de toutes les personnes humaines à la nature divine trinitaire. En ce moment-là le mariage-signe aura vécu. Il restera la réalité signifiée naturellement est sacramentellement : ‘‘Dieu sera tout en tous’’ (1 Cor. 15, 28)[15].
Cet extrait est fonction de la distinction à faire entre l’ordre naturel, l’ordre de la grâce et celui de la gloire. La famille africaine qui n’est pas chrétienne appartient au premier ordre. En revanche, celle qui a reçu le sacrement du mariage appartient à l’ordre de la grâce. Dans la gloire, le signe sacramentel de la famille cède la place à son contenu qui est le Dieu tout en tous. Il y a ici clairement une hiérarchie dans la manière d’être image de la Trinité. En effet, le niveau de la nature, celui de la grâce et l’ordre de la gloire ne sont pas les mêmes[16]. Ceci dit, l’A. affirme clairement que la famille nucléaire africaine qu’elle soit naturelle ou chrétienne suit le modèle exemplaire de la Trinité ad intra. Comment ? C’est ici où intervient le schéma d’identification de la famille de la Trinité à la famille nucléaire africaine, et pas le contraire.
1. Le Père seul engendre le Fils
2. Le Père et le Fils s’aiment réciproquement
3. L’Esprit-Saint est le terme de cet amour mutuel du Père et du Fils
La correspondance de ce schéma trinitaire ad intra s’applique dans la famille nucléaire africaine, qui relève de la volonté du Créateur et de son œuvre ad extra[17], de cette manière :
1. L’homme et la femme dans leur amour réciproque (un seul principe)
2. L’enfant est le terme, le fruit de cet amour des parents.
A y voir de près, l’A. semble identifier analogiquement le Père avec l’homme (époux) ; le Fils avec la femme (épouse) et l’Esprit-Saint avec l’enfant comme fruit de l’amour réciproque de l’homme et de la femme. Cependant, vu que l’A. reprend la relation « Père engendre (seul) le Fils », il faut éviter de transvaser et d’identifier les propriétés des genres des parents en les dissociant de l’origine fontale et unique de son Fils unique.
Cette précaution est authentifiée par le fait que traitant des noms théophores africains, en occurrence celui de Habyarimana, l’A. identifie les propriétés distinctives et unitives de deux parents humains dans Imana, comme la source première de la vie humaine[18]. Imana est pour lui, le Père et la Mère ultime de toute personne humaine. Le Dieu Imana est identifié au Créateur[19] qui est la Première personne de la Trinité[20].
L’analogie de la famille nucléaire que Muzungu utilise explicite le deuxième Concile de Lyon célébré en 1274 qui affirme que le Père et le Fils sont un seul principe de la spiration de la troisième personne de la Trinité[21]. L’Esprit-Saint est le fruit de l’amour mutuel du Père et du Fils[22]. L’analogie porte sur l’amour[23] et non sur les genres des personnes qui s’aiment. En effet, pour l’A. les analogies de la maternité et de la paternité sont exclusivement attachées à la première personne de la Trinité qui est à la fois et indissociablement Imana et Habyariama. Ceci est conforme à l’affirmation johannique du Père qui porte un sein, origine de son Fils (Jn. 1, 18).
Muzungu n’opte pas pour la famille clanique. Il opère avec la famille nucléaire. Cependant, loin de mettre l’accent sur le nombre trois en lui-même, l’A. veut expliquer les processions divines à partir d’un diagramme à deux temps.
1. Dans la relation « première Personne - deuxième Personne de la Trinité », l’A. attribue la paternité et la maternité, de manière exclusive, à Imana.
2. Dans la relation « première Personne - deuxième Personne de la Trinité » et « Esprit-Saint », l’analogie des parents comme principe unique de la vie sert à expliquer le Filioque. L’application de l’analogie parentale ne comporte plus ici la notion des genres. Elle se focalise sur l’unicité du principe qui fait venir l’Esprit-Saint du Père et du Fils.
En bref, Muzungu ne pouvait pas identifier strictement la structure de la famille tripartite avec la Trinité à cause de l’ordre trinitaire qu’il veut respecter absolument. Puis, sa thèse sur le caractère insaisissable de la « nature et la personnalité » de l’Esprit-Saint ne pouvait l’emmener à une telle identification qui briserait, d’une certaine manière, l’apophatisme. Enfin, sa distinction nette entre l’ordre qui relève de la liberté de Dieu et l’immanence de Dieu fait qu’il n’aboutisse pas non plus à cette identification. Pour cette raison, il opte pour l’exemplarité de la Trinité sur la famille humaine et l’affirmation de la Trinité comme cause finale du « signe familial » appelé à céder la place au « signifié théologal » dans la gloire. La théologie de Muzungu demeure clairement dans le cadre classique. Son explication n’a rien de particulièrement africain.
[1] Cf. MUZUNGU, B, Religions traditionnelles africaines et Théologie africaine, dans AA.VV., Théologie Africaine, p. 71-93, p. 88.
[2] Ibid., p. 72.
[3] Ibid., p. 86.
[4] Ibid., p. 87.
[5] Ibidem.
[6] L’A. a dépassé cette vision dans son Je ne suis pas venu abolir, p. 46-49, p. 49 : « Un mystique chrétien ou un mystique tout court c’est la même chose. C’est l’expérience du seul et vrai Dieu. Cette présence de Dieu devient perceptible pour tout homme qui ‘‘descend’’ dans le fond de son être que la Bible appelle le ‘‘cœur’’ (Jr 31,33) ».
[7] Ibid., p. 77.
[8] Ibid., p. 88.
[9] Kigali, Éd. Centre Saint-Dominique, 1995. En ce qui concerne la naissance de ce livre et de ses thèmes au sein de la Faculté de théologie de Kinshasa, lire, la dédicace. Au cours de cette même année, il est à signaler la brochure de LEFEBVRE, P., L’Église est notre Famille, Kinshasa, L’Epiphanie, 1995. Parlant du paradigme ecclésiologique post-synodal, aux pages 19-20, le Père Pierre Lefebvre affirme ce qui suit : « La justification de cette vision de l’Église est claire : elle situe dans le domaine trinitaire. A ce propos, en s’en tenant au Synode, il faut remarquer qu’aucun développement n’a été proposé concernant la vie et les paroles de Jésus vis-à-vis de sa famille humaine. Paroles et comportements de Jésus qui peuvent cependant éclairer très fort l’idée de l’Église comme Famille. C’est d’ailleurs ce que les premières communautés ont très bien compris. Se référer uniquement au Mystère de la Trinité est valable et pertinent. Mais n’est-ce pas aussi se priver d’un éclairage indispensable pour en comprendre la portée ». Nous soulignons. Il est évident ici que le Père a des réserves par rapport à l’application de l’analogie de la famille africaine à l’Église. C’est un point de vue très discutable, dans la mesure où Jésus dans l’unicité de sa personne est la deuxième personne de la Trinité. Ensuite, l’analogie africaine de la famille que l’on applique à l’Église et à la Trinité relève de la grâce de Dieu. Cette analogie est prise en ce qu’elle a d’excellent tout en n’oubliant pas que dans la ressemblance, il existe une très forte dissemblance selon les affirmations du IVe Concile du Latran (1215). Voir, DS, 806.
[10] Ibid., p. 61-62.
[11] Ibid., p. 62.
[12] Ibidem.
[13] Ibid., p. 63.
[14] Ibidem.
[15] Ibid., p. 181.
[16] Ibid., p. 60 : « Tout ce qui vient du Créateur par le biais de la nature humaine et de la révélation historique a inévitablement une plate-forme commune. Mais la révélation naturelle est souvent dépassée et surtout élevée au niveau sur-naturel ».
[17] Ibid., p. 180 : « La famille relève de la volonté du Créateur qui a associé l’homme et la femme à son œuvre dans le don de la vie et de l’éducation des enfants ». Nous soulignons.
[18] Ibid., p. 143.
[19] Ibid., p. 56-57.
[20] Ibid., p. 67.
[21] D.S., nº850 : « Nous professons avec fidélité et dévotion que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, non pas comme deux principes, mais comme d’un seul principe, non pas par deux spirations, mais par une seule et unique ».
[22] D.S., nº527 (XIe Concile de Tolède du 11 avril 672-17 (16 ?) juin 676) : « Car il [l’Esprit Saint] ne procède pas du Père vers le Fils ni ne procède du Fils pour sanctifier les créatures, mais il apparaît bien comme ayant procédé à la fois de l’un et de l’autre, parce qu’il est reconnu comme la charité ou la sainteté de tous deux ». C’est aussi lors de ce concile que l’on attachera au Père l’analogie de la féminité (l’utérus du Père = Patris utero) dans la conception et génération éternelle de son Fils. D.S., nº526. Mais, il est à savoir, comme déjà dit, que cet utérus est la pensée du Père. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., Jésus-Christ, p. 160, note 41.
[23] Mais, Muzungu insiste sur la distinction et le dépassement de l’amour naturel par l’amour des personnes humaines qui sont dans le Christ. Cet amour des chrétiens a pour finalité ultime « Dieu est Amour - Communion entre les trois personnes divines ». Ibid., p. 60.

mardi 4 août 2009

[Godefroid] MUKENG’A Kalong : la Trinité est Relations mutuelles.

Exemplarité sponsale du Mystère (1983).
Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi
Mgr Mukeng’a Kalong est le même auteur que Godefroid Mukenge qui avait étudié en 1970 le thème de la Trinité et la famille. En 1983, il présente de nouveau le mouvement de la Jamaa (famille) en rapport avec la spiritualité matrimoniale[1]. Pour commencer, l’A. précise le contexte qui a vu naître le mouvement spirituel africain chrétien qui porte le nom de la Jamaa (famille) : 1º. le colonialisme ; 2º. le cléricalisme ; 3º. le rigorisme janséniste qui discréditait la sexualité (p. 314). Autrement dit, la Famille en tant que mouvement spirituel proprement africain est, aussi, une réaction au système réducteur de la personne humaine qui se caractérise par le colonialisme, le cléricalisme et le discrédit de la vie sexuelle[2]. Ce qui est intéressant dans cet article c’est la recherche des fondements du mouvement Jamaa à la fois dans les récits fondateurs, les initiations et les documents artistiques de la RA[3]. Ce sont ces sources que l’A. met en correspondance avec la révélation chrétienne. Les idées-clefs qu’il dégage nous sont déjà connues. Il s’agit notamment de la force vitale, de la fécondité, de la place de la sagesse et de la parole en Afrique, de l’importance de la famille, de la communion et de la communication universelle de la vie[4].
Cependant, pour bien saisir la théologie de Mgr Mukeng’a Kalong, j’opte ici pour une petite comparaison entre Mulago et l’Archevêque de Kananga. Celle-ci tient à la manière dont ils présentent l’exemplarité de la Trinité par rapport à la famille humaine. Il nous faut commencer par ce qui unit les deux théologiens, c’est-à-dire le principe théologique qu’ils ont utilisé : l’exemplarité. Leur raisonnement est celui-ci : « parce que cause efficiente[5], la Trinité est aussi la cause exemplaire[6] (modèle) et finale (finalité ou but ultime) de la famille humaine ». Les deux auteurs ne prennent pas ici la famille africaine comme principe d’interprétation de la Trinité. Leur démarche se veut, de préférence, unidirectionnelle. Cette égalité soulignée, il y a des différences réelles à signaler. Voici le texte clé de Monseigneur Mukeng’a Kalong qui marque la différence dans l’application de l’exemplarité théologale dans la famille africaine.
« La vie en plénitude se trouve en Dieu[7]. Sa surabondance se répand en Père-Fils et Esprit[8], Trinité éternelle, famille sans commencement. Elle a crée sur terre, à son image, la sainte famille de Nazareth, laquelle à son tour est le modèle de toute famille chrétienne sur terre[9] ». Mukeng’a Kalong défend la thèse de deux exemplarités ontologiques et morales. Il introduit une hiérarchie dans la manière dont la famille humaine est à l’image de la Famille sans commencement : la Trinité. L’on pourra reproduire le diagramme de sa pensée de cette façon :
1. Famille éternelle : la Trinité = Père-Fils et Esprit
2. Famille de Nazareth : image (directe) de la Trinité
modèle des familles humaines
3. Toute famille chrétienne : image de la Famille de Nazareth
L’A. montre donc qu’il y a une médiation iconologique entre la famille humaine et la Trinité comme Famille. C’est la famille de Nazareth qui est directement l’image de la Trinité comme Famille. Les autres familles du monde trouvent leur exemplarité dans la communauté familiale de Nazareth. Dans cette perspective, il est impossible de prendre directement les structures et les qualités de la vie des familles chrétiennes comme une analogie immédiate de la Famille éternelle. Mais, quelle est la structure de la famille de Nazareth retenue par l’A. comme image directe de la Trinité ? Cette structure est-elle tripartite ?
Dans l’exemplarité de la famille de Nazareth, il ne retient seulement que « Jésus-Christ et Marie ». L’A. nous met devant une famille binaire : « Fils et Mère, vice versa ». Joseph n’est pas pris dans le diagramme familial. La symbolique du charpentier de Nazareth n’a pas le même poids théologique que les deux autres membres de la famille de Nazareth qui sont considérés comme les archétypes de toute famille humaine. Voici l’extrait qui exprime clairement cette vue :
Dans cette perspective, […] le Christ et la Vierge Marie sont présentés comme archétypes dont il faut imiter l’exemple de vie, des Ancêtres dont nous recevons la vie et avec qui nous vivons en communion, des initiateurs et consommateurs de notre épanouissement en vie chrétienne. C’est ce sens qu’il faut comprendre quand la Jamaa présente le Christ et la Vierge Marie comme l’idéal des époux[10].
Il n’est pas à redire que la perspective est totalement ancestrologique, et donc, familiale africaine. Mais, l’A. prend pour acquis la connaissance de celui et de celle que l’on appelle Ancêtre. A noter ici la dernière phrase de la citation : « C’est dans ce sens qu’il faut comprendre quand la Jamaa présente le Christ et la Vierge Marie comme l’idéal des époux ». C’est le Christ qui est vu comme l’époux de la Vierge Marie. L’A. reprend ainsi la théologie occidentale classique des épousailles du Verbe-Fils avec l’humanité dans et par son Incarnation dans le ventre de la Vierge Marie[11]. Cette option théologique a des correspondances dans sa théologie de la famille trinitaire. L’Archevêque Mukeng’a Kalong parle quasi sur toutes les pages de son article de la paternité surféconde du Père et de la mission du Fils, mais il ne montre pas assez le rôle spécifique et l’identité de l’Esprit-Saint[12] dans cette famille trinitaire. L’A. n’a pas appliqué donc, à strictement parler, le diagramme de la famille tripartite à la Trinité. Son anthropologie familiale qui sert de base analogique va explicitement dans le sens de la famille binaire[13] (Père / Epoux = Christ ; Mère et Epouse = Marie). C’est pour cette raison que les relations familiales africaines qu’il expose ne mettent pas de distinctions strictes entre la parentalité et la filiation.
Donc dans la parentalité même, la paternité et la maternité sont des réalités relatives à elles-mêmes pas nécessairement à un troisième pôle différent de l’époux et de l’épouse[14]. La paternité et la maternité sont un amour pluriel entre les époux[15]. C’est dire que la pluralité et la fécondité relationnelle[16] qui se vivent dans d’un foyer sont de ce type « père – mère – fille – fils ; époux – épouse – ami – amie ; frère – sœur ». C’est ce diagramme dont le contenu est le flux et reflux de la vie qui trouve son exemplarité dans la vie trinitaire[17]. Ce que la famille chrétienne, par la médiation iconologique de la famille de Nazareth, reflète dans et de la Trinité, c’est la vie comme flux et reflux sans fin. C’est dire qu’il faut garder une différence entre la réalisation concrète de la famille et la vie mystérieuse de Dieu en Dieu, tout en sachant que Dieu est le modèle de la vie en famille.
Une des raisons qui fait que Mgr Mukeng’a Kalong n’applique pas l’image de la famille comme « père – mère – fils » à la Famille éternelle tient au fait que pour lui, la fécondité globale est le propre du Père seul dans la Trinité. En plus pour lui, être appelé père ou mère ne signifie pas nécessairement être homme ou femme. En effet, une seule et même personne peut être père pour tel(le) et mère pour tel(le) autre. C’est un cas qui ne demande pas de longues explications car connu de tous et admis par toute notre communauté bantu du Congo. En effet, cette inclusion de la paternité dans la maternité, vice versa, a pour point de réalisation anthropologique d’une part, la personne de la tante paternelle, d’autre part, de l’oncle maternelle. Appelée et se réalisant comme « mère » des ses propres enfants, elle se reconnaît et se réalise également comme vrai et « père » réel des enfants de son frère. De même pour l’oncle maternel. Père de ses fils, il est aussi la mère des fils de sa sœur. Il y a ici une très grande distinction entre paternité, maternité et genre sexuel de l’être humain. En plus, « être à la fois père et mère » est une idée très bien fondée dans la vision cosmologique et anthropologiques africaines. Du point de vue des réalités créées c’est la vision sponsale qui ne les cloue pas dans le déterminisme des genres[18].
Vue cette perspective tant au niveau du nombre parfait et complet (le nombre 2) qu’au niveau des noms « père – mère – fils », l’A. ne pouvait arriver à la transposition stricte de l’analogie de la famille humaine, même pas celle de Nazareth, à la Famille éternelle de la Trinité. La raison est unique. Admettons que l’Esprit-Saint soit Épouse et Mère[19] dans le coupe « Père et l’Esprit », il peut bel et bien devenir « Époux de la seconde personne de la Trinité et Père de ce dernier dans le couple « Esprit-Saint et le Verbe-Fils ou Saint Esprit – Jésus-Christ ». C’est un chemin de garage que Mgr Mukeng’a Kalong n’a pas pris. Mais, le plus heureux de son article tient à ce qu’il fonde l’exemplarité au niveau de l’amour comme fécondité infinie, vie à profusion, sans fixité et fossilisation numérique parce qu’une multifacialité relationnelle sans borne.
Pour terminer, il est à redire que comme pour le professeur Mulago et les autres théologiens congolais, dans le fond de la pensée de Mgr Mukeng’a Kalong on remarque le motif sotériologique de l’exemplarité trinitaire dans la famille humaine : libération de l’aliénation coloniale ; libération du cléricalisme dans l’Église ; libération du mariage de la vision janséniste. Il s’agit en fait de la valorisation du corps en tant que tel. L’article de Mgr Mukeng’a Kalong nous aide également à avoir une autre herméneutique relationnelle des couples ‘‘opposées’’ comme « lumière-ténèbres ; ciel-terre ; homme-femme, etc. ». Cette herméneutique africaine ne se met pas dans le sillage dualiste et donc des pôles constitutifs des couples exclusifs entre eux. C’est dans ce contexte africain qu’il est évident que le symbole de la lumière exclusive de la nuit peut-être pire qu’une lumière qui brille dans l’ombre. Lucifer en est un exemple. Sa lumière est l’équivalent d’ontologie de la lutte contre le sens de la vie. Contrairement à Lucifer, toutes les nuits relatives à l’évangile de la naissance du petit Jésus sont la lumière du monde et la joie du ciel. Ces exemples montrent que ce qui est nuit pour un couple peut devenir lumière dans un autre sans perdre pourtant le fait d’être nuit, échappant ainsi aussi relativisme et au nominalisme absolus.
L’herméneutique relationnelle africaine des couples échappe également aux apories d’une pensée duale qui envisage les pôles en terme de pure complémentarité de deux dans un univers dyadique. En revanche, l’herméneutique africaine des couples envisage chaque terme d’un couple comme un pôle à plusieurs références constitutives. Chaque pôle d’un couple a plusieurs faces parce qu’il se situe dans une constellation plus grande qu’un couple. C’est pour cette raison que la dualité doit être comprise comme une porte mystérieuse qui conduit à la complétude. Ladite complétude est le paradigme essentiel de toute interprétation africaine des mystères, car Dieu est tout en tous.
[1] Spiritualité matrimoniale, cas de la Jamaa, dans AA.VV., L’Afrique et ses formes de vie…, p. 311-337.
[2] Cependant, l’Archevêque de Kananga (R. D. Congo) ne va pas plus loin que ça dans la critique du jansénisme qui discrédite la sexualité. Il pouvait montrer que la sexualité, étant une structure fondamentale à la personne humaine, a été créée à l’image réelle et efficace de la Trinité. L’on sait que la sexualité est différente du sexe, entendu comme genre et des actes sexuels. La sexualité est la manifestation de notre finalité comme êtres appelés à la communion pour notre pleine réalisation. Elle est le signe le plus parlant de notre être-pour-les autres. Dans ce sens, elle est une base fondamentale de la spiritualité matrimoniale et donc un espace chrétien de la compréhension béatifique de Dieu tant dans son être pour nous que son être pour lui-même. Mais, dans le cadre du mariage chrétien même les actes sexuels et leurs plaisirs doivent être considérés comme des actes de réalisation des époux comme personnes alliées sacramentellement. Ces actes et le plaisir qu’ils procurent sont à entendre comme rite et liturgie par lesquels Dieu se donne non seulement comme Créateur, mais aussi comme jouissance, le contenu réel de la communication sacramentelle. C’est dire qu’il est impérieux pour les théologien(e)s marié(e)s d’explorer ce domaine de la sexualité africaine et de se servir de cette anthropologie pour apporter une intelligence nouvelle du mystère de Dieu. Voir, LaCugna M.C., Dio per noi. La Trinità e la vita cristiana, Brescia, Queriniana, 1997, p. 409-410; MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., La Santísima Trinidad, p. 22-24.
[3] MUKENG’A Kalong, a. c., p. 315-318.
[4] Ibid., p. 317, note 12 et pages suivantes.
[5] C’est-à-dire, Dieu comme Créateur est l’Origine historique de toute famille humaine.
[6] L’exemplarité se réalise du point de vue : 1º. - de l’être (modèle ontologique) ; 2º. de la qualité d’être (p. e. être saint comme l’est Dieu) ; 3º. enfin, dans le mode d’agir (agir comme le Christ, Fils de Dieu).
[7] A strictement parler « La vie en plénitude ne se trouve pas seulement en Dieu ; car Dieu est la Vie en plénitude. Il est la plénitude de la vie ».
[8] Il est à noter l’ordre (taxis) des personnes divines « Père-Fils et Esprit » ou première, deuxième et troisième personne qui sont la Trinité éternelle. Egalement à observer, le couple « Père-Fils » auquel est ajouté, par la conjonction de coordination « et » l’Esprit. Je pense que c’est une manière graphique de soutenir le Filioque.
[9] Ibid., p. 319. Je souligne. Cite dans la note 16, « G. MUKENGE, Une spiritualité africaine du mariage chrétien chez les Bantu de l’Afrique Centrale : la Jamaa, in Revue du Clergé Africain, mars 1970, p. 160-161 ».
[10] Ibid., p. 316.
[11] Ce thème vient d’AUGUSTIN, Trat. in Joh. 8, 4. Aujourd´hui certains théologiens situent les noces du Christ avec sa Mère sous la croix. Pour les difficultés anthropologiques et dogmatiques africaines qui surgissent de cette théologie des épousailles du Christ avec la Vierge, on lira, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., La Trinité, l’eschatologie…, p. 426-428.
[12] Ibid., p. 328.
[13] Il n’est pas à oublier que l’A. considère le nombre deux comme complétude, perfection et bonne chance. Ibid., p. 325, note 27. Nous avons déjà vu qu’en Afrique, l’unité de l’époux et de l’épouse, vice versa, conduisaient symboliquement (3 + 4) au nombre parfait (7). La perfection du nombre deux comporte donc une autre profondeur symbolique : celle de l’union des nombres cultuels qui déterminent l’identité anthropologique spécifique. GRAVRAND, H., Rites et Symboles, p. 127 ; KOLIE, C., Jésus guérisseur, dans KABASELE, F., DORE, J., LUNEAU, R., (éd.), o. c., p. 167-194, p. 180.
[14] Ibid., p. 331, met l’accent sur la relation sponsale comme rencontre dont le contenu est le « flux et reflux de la vie ».
[15] Ibid, p. 325. Ici s’agit ici de la même idée que nous avons trouvée chez Mulago.
[16] Ibid., p. 321.
[17] Ibid, p. 325.
[18] Ibid., p. 325, note 27 : « Cette multifacialité de l’amour a peut-être sa toile de fond dans la vision sponsale des choses. Dieu, en effet, selon le mythe bantu de la création, a créé les choses par des paires jumelles, deux à deux, qui se correspondent et régissent l’un sur l’autre. Ainsi le ciel et la terre ; la lumière et les ténèbres ; le soleil et la lune ; la lune et les étoiles ; l’homme à deux côtés : le côté male et femelle. Le nombre deux est complet, parfait et bonne chance. Dans ces paires, l’une des choses a qualité de mâle par rapport à l’autre qui devient femelle. Elles sont frère et sœur, époux et épouse, etc. Telle chose femelle dans une paire peut être mâle dans une autre. Ainsi, la lune épouse et sœur du soleil, devient mâle dans la paire lune-étoiles (Cite, F. FOURCHE et H. MORLINGHEN, Une bible noire, Bruxelles, Ed. Arnold, 1973, p. 1-14). Mais, la véritable source de cette façon de vivre en symphonie (en père-mère-fille-fils-époux-épouse-ami-amie) au sein d’un foyer, se trouve dans la vie trinitaire en Dieu ».
[19] Il est à noter que l’Esprit serait, dans ce cas impossible, « Mère de son Époux (= première personne de la Trinité) ».