jeudi 18 juin 2009

La Trinité chez BENEZET BUJO (1981)

Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi


Avant toute étude sur une possible théologie trinitaire de B. Bujo, il faut absolument tenir compte de la remarque que ne cesse de lui faire Charles Nyamiti. Ce dernier affirme que Bujo ne fonde pas sa christologie du Proto-Ancêtre dans le mystère de la Trinité[1]. D’autre part, il faut aussi tenir compte de la réponse de Bujo. Ce dernier pense que le Christ notre Ancêtre proposé par Charles Nyamiti n’offre pas assez de distance par rapport à la génération biologique des descendants[2]. Toujours d’après Bujo, Nyamiti n’est pas clair dans son attribution de l’unique et même titre d’Ancêtre tant au Père qu’à Jésus-Christ[3]. Sans vouloir entrer dans le débat de fond, il est à signaler cependant que la production de Nyamiti en théologie trinitaire est tellement importante qu’elle a déjà fait objet, au moins, d’une étude doctorale[4]. Qu’en est-il de Bujo ? Juvénal Ilunga[5] ne semble-t-il pas donner raison à Nyamiti parce qu’il ne retient pas la Trinité comme thème majeur de la théologie de Bujo ? Autrement dit, notre recherche sur la théologie trinitaire de Bujo n’est-elle pas un chemin de garage ?
Les nombreuses études de Bénezet Bujo sur le Pro-Ancêtre[6], l’Ancêtre par excellence identifié strictement au Christ est une assomption explicite et ferme de la famille africaine dans le sens élargi de la Jamaa spirituelle qui englobe et la vie-ci et la vie de l’Au-delà[7]. Bujo veut présenter le christianisme à partir de la tradition africaine des Ancêtres. A partir de là, il voudrait aussi aboutir à la fois à une christologie et à une ecclésiologie qui puissent parler à l’Africain dans un langage compréhensif par lui[8]. La visée de Bujo est essentiellement éthique et sociale[9]. Pour cette raison, il n’y a pas mieux pour lui que d’opter pour une christologie ascendante[10]. Le choix de la christologie d’en bas signifie également la prise en compte réelle de l’expérience religieuse africaine dont l’axe central est la relation avec les Ancêtres. Le rapport aux Ancêtres est vital, parce que par son langage, ses gestes et ses rites, cette relation abouche au mystère du salut lié à la tension entre la mort et la vie[11].
A partir d’ici, Bujo opère avec un critère éthique dans la détermination de l’identité des ancêtres. Il y a d’une part les ancêtres bons et de l’autre des ancêtres mauvais. L’identification du Christ au Proto-Ancêtre, ancêtre par excellence, se fait, on ne peut en douter du côté des ancêtres bons[12]. C’est cet idéal de bonté conduit à la plénitude anthropologique dans l’identité de l’ancêtre africain que Jésus portera à sa perfection absolue[13]. Bujo fait intervenir à partir de maintenant le concept de la force vitale avec lequel le Proto-Ancêtre réalise sa mission prophétique et messianique. Ses signes (miracles) sont le déploiement historique de cette force vitale proto-ancestrologique[14].
Bujo médite également sur la mort, la résurrection de Jésus à partir de l’expérience de la mort d’un père de famille. Les qualités du mourant africain qui lègue sa parole lors d’un repas d’adieu sont assumées par le Proto-Ancêtre dans son eucharistie comme espace du don de la force vitale qu’il appelle aussi proto-force vitale[15]. Pour éviter d’établir un diagramme de pure continuité entre les ancêtres africains et le Proto-Ancêtre, Bujo insistera sur l’unicité exclusive de Jésus qui non seulement porte à la perfection l’idéal des ancêtres africains, mais également transcende cet idéal à l’infini[16]. Cette infinité de distance tient au fait que le Proto-Ancêtre est l’origine de toute union vitale. Le Proto-Ancêtre qui donne la proto-force vitale est la vie[17]. De là, l’A. dira que les Ancêtres africains sont des images dérivées du Proto-Ancêtre. Mais pour que les ancêtres africains puissent participer à cette iconologie proto-ancestrologique, il y a eu de la part de Dieu réalisation de la kénose en vue de la divinisation de l’homme[18].
C’est à partir de cette affirmation que Bujo dira que le titre de Proto-Ancêtre aura une plus grande signification pour le négro-africain que les titres du Logos (Parole) et de Kyrios (Seigneur) qui proviennent d’une culture différente de la sienne[19]. Cette affirmation montre que Bujo refuse volontairement l’intelligence du mystère du Proto-Ancêtre à partir de la vie ad intra du Fils de Dieu (Logos). Redisons-le, il opte pour la christologie ascendante. Mais, cette option implique-t-elle le rejet de la christologie descendante ? Bujo ne cède pas à cette tentation d’évacuer la christologie descendante de son parcourt[20]. Cependant, Bujo insistera sur le fait que le thème du Christ guérisseur et celui du Christ initiateur sont des formes de la christologie ancestrologique. C’est dans sa méditation sur la christologie initiatique que Bujo sera appelé, par deux fois, à préciser les rapports que Jésus a avec la Trinité ad intra. Je reproduis ici le premier extrait portant sur l’initiation du Fils ad intra par son Père.
[…] L’initiation de Jésus n’est plus un exemple purement extérieur justement parce que le Fils de Dieu continue à accomplir l’initiation déjà réalisée et enracinée éternellement en Dieu et qui s’est manifestée dans le monde. Le Père, qui possède une force vitale infinie, engendre le Fils et tous deux vivent l’un pour l’autre ; ils vivent donc dans une parfaite et totale union, qui renforce réciproquement cette communauté de vie. La force vitale, qui va du Père au Fils et l’engendre, retourne de ce dernier au Père. Ils arrivent ainsi – selon le modèle vital participatif négro-africain – à un ‘soutien réciproque’ et une contribution à une ‘communauté de vie’.
Cette union vitale, qui porte à une interaction entre le Père et le Fils et constitue ainsi le lien entre les deux, n’est rien d’autre que la force divine, que, comme intimement divine et une figure concrète[21] peut être identifiée avec l’Esprit Saint[22].
Le problème dogmatique d’une initiation éternelle du Fils par le Père tient d’abord à l’introduction dans la vie ad intra d’un système de croissance d’une étape à une autre. En effet, la vertu de l’initiation est de faire devenir ‘‘autre’’ que celui/celle que l’on a conscience d’être et en élevant son ordre social. L’initiation a la vertu de donner une nouvelle conscience de soi qui implique des nouvelles connaissances objectives transmises progressivement par l’initiateur individuel ou corporatif. Est-ce qu’entre le Fils et le Père une telle relation peut-elle exister ? Toutes les vérités possédées par le Père ne le sont-elles pas également par le Fils et l’Esprit-Saint ? Avec quoi coïncide l’initiation intradivine ? Cette dernière change - t’elle l’ordre du Fils ?
Il est plus que curieux de noter ici que Bujo abandonne sans justification aucune son concept-clé du Christ Proto-Ancêtre ou du Proto-source de la force vitale. Comme on le remarque, il recourt aux concepts classiques du Père-Fils auxquels il attribue les qualités de la famille clanique. Ici l’on note également que c’est la christologie du Fils préexistant qui justifie l’identité et la continuité de Jésus comme l’Initié qui se manifeste dans le monde. Ce texte opère avec deux diagrammes : « Père et Fils » et « Père/Fils et Esprit-Saint ». L’on dirait que la vie du Père et du Fils se déroule dans une communauté de vie qui ‘‘préexiste’’ à l’irruption de l’Esprit-Saint dans ladite communion[23]. L’A. a maintenu la même position dans ce long extrait que je cite[24].
Déjà les termes Père-Fils ne peuvent être compris que comme relation. En effet, on ne peut être père que parce qu’on a un fils ou une fille. Il en est de même du fils ou fille. En lui-même, le terme ‘‘fils’’ ou ‘‘fille’’ n’a un sens que si on a un père ou une mère. Si nous transposons cela sur Dieu, on aura la réflexion suivante : Dieu le Père n’est dit Père que parce qu’il a un Fils, à savoir Jésus-Christ. En d’autres termes, c’est uniquement la relation entretenue envers le Fils qui constitue Dieu en tant que Père, car sans cette relation, il n’est que Dieu tout court. De là, être ‘‘père’’ est toujours un mouvement vers quelqu’un d’autre : c’est faire un acte de partage spécial avec quelqu’un, c’est aussi se donner d’une manière spéciale à quelqu’un. En Dieu, cet acte de donner et de partager est on est peut plus parfait : c’est la donation totale au Fils. Ce dernier terme à son tour signifie « relation », car personne ne peut parler de fils sans songer au père. Jésus-Christ, lui aussi, ne peut mériter d’être appelé « Fils » que s’il a un Père. Laissé à lui-même, Jésus-Christ n’est pas Fils, mais uniquement Dieu devenu homme. Ici aussi on doit dire : Pas de Fils sans le Père ou Mère. Cette relation « Père-Fils » est tellement totale et tellement parfaite que le Père et le Fils se donnent entièrement l’un à l’autre dans l’Amour parfait à tel point que cet amour lui-même devient toute une personne, qui est l’Esprit-Saint, la troisième personne de la Trinité. Par ailleurs, l’Amour signifie toujours partage ; ainsi, Dieu dans sa relation en trois personnes signifie un partage au degré le plus élevé. Aucune des trois personnes ne peut posséder quelque chose sans le partager avec les autres. Finalement, être défini comme personne signifie s’appauvrir dans le partage de manière à enrichir les autres. C’est aussi en ce sens que le Christ s’est anéanti et vidé de lui-même[…].
En lisant cet extrait, quelques observations s’imposent. 1º. les relations en Dieu n’étant pas accidentelles mais subsistantes, il est impossible que Dieu soit Dieu sans être Père – Fils - Esprit-Saint ; 2º. L’Amour en tant que partage en Dieu n’est pas seulement question de degré, le plus élevé soit-il. Cet Amour est qualitativement différent car basé sur les différences des ontologies. Qui plus est, l’Amour en Dieu est hypostatique (Esprit-Saint) ; 3º. Chaque personne divine ‘‘a’’ des propriétés distinctives qui ne sont pas possédées par les autres. Sans ces propriétés dites notionnelles, il est impossible d’arriver à une vraie Trinité des hypostases.
Bujo ne distingue pas assez clairement « la force vitale identique à la nature divine en tant que celle-ci est esprit » de « l’hypostase de l’Esprit-Saint ». Cette difficulté se remarque dans l’acte de l’engendrement du Fils par le Père. En effet, l’A. affirme que la force vitale qui va du Père au Fils et l’engendre, retourne du Fils au Père. C’est de là que surgit la question. Cette force vitale est-elle l’esprit du Père (la nature divine) ou l’Esprit-Saint ? Bujo ne remarque pas qu’en identifiant, à cet endroit, la force vitale avec l’hypostase de l’Esprit-Saint il bouleverse inconsciemment l’ordre divin qu’il défend consciemment. Mais plus fort que cela, il ne voit pas que cette identification contredit clairement toute la première partie de son texte ci-haut cité.
Nous verrons, dans notre analyse prochaine de Mulago que le modèle de communion-participation en Dieu est univoque. C’est-à-dire que c’est le Fils qui reçoit du Père et sa nature et son hypostase. C’est lui le Fils qui partage la même et unique vie du Père, mais ce dernier étant la Source absolue de la vie divine. Ici, Bujo change d’optique, tout en utilisant les mêmes ressources que Mulago. Il insiste sur le caractère périchorétique de la vie qui va du Père au Fils et retourne du Fils au Père. C’est la paternité de la première personne qui constitue le Verbe comme Fils, en revanche, c’est la filiation du Verbe qui détermine l’identité de la Source sans source comme Père.
L’identification de l’union vitale avec l’hypostase de l’Esprit-Saint dans l’économie montre comment le rapport entre le Proto-Ancêtre et le Souffle est déterminé par la théologie de « l’Esprit de Jésus ou du Fils ». L’Esprit-Saint dépend du Verbe incarné qui est la Proto-source de la vie qui par sa mort et résurrection est le médiateur du don de l’Esprit-Saint[25]. Bujo ne contemple pas, au moins ici, le Verbe incarné à partir de la mission et de la personne de l’Esprit-Saint (fonction de l’Esprit-Saint dans l’incarnation ; le baptême ; la vie publique et les prières de Jésus ; la mort, résurrection et glorification du Fils de Marie).
Au contraire, Bujo méditera le mystère de l’Incarnation à partir du rapport qui existe entre le Père et le Fils. Il dira que celle-ci est la « génération personnifiée du Père dans la personne de Jésus. Ceux-ci donne (sic) la continuité à la vie reçue du Père[26] » dans l’éternité. C’est une affirmation peu claire. Que signifie une « génération personnifiée du Père dans la personne de Jésus » ? C’est le Père qui s’engendre [du Père] ? La personne de Jésus étant le Verbe-Fils du Père, Bujo veut-il dire que le Père s’engendre lui-même dans son Fils incarné ? L’expression « génération personnifiée » ne fait-elle pas penser que le Père peut engendrer d’une autre manière, c’est-à-dire non personnifiée ?[27]
L’explication que Bujo donne à son affirmation n’apporte aucune réponse à ces questions. Au contraire, il se contente de dire que le mouvement de retour (reditus) de Jésus dans le mystère de la gloire, passant par le mystère de sa pâques, conduit à la plénitude de vie pour les Ancêtres africains. C’est par ce mouvement de retour dans la gloire divine que Jésus « les initie et leur accorde une nouvelle dynamique vitale et la joie de la vie, précisément l’Esprit, unit le Père et le Fils, lui qui maintenant qui unit la création entière, de façon très particulière les ancêtres avec Dieu définitivement et de manière historiquement salvifique »[28].
La pneumatologie de Bujo, dans ce livre, recoure à ces analogies : « l’union vitale », « force de vie », « dynamique de vie », « force transcendantalement divine » qui sortent et dépendent de la personne et de l’action de Jésus-Christ. L’action de l’Esprit consiste à « rendre cohérente la nouvelle communauté tribale et ethnique [Église] et promouvoir la croissance de la vie »[29]. Cependant, il est à remarquer que Bujo ne se pose pas la question du passage des analogies énergétiques à la réalité hypostatique de l’Esprit-Saint. Il ne le fait pas parce qu’à cette époque les intellectuels africains et africanistes défendaient le « personnalisme énergétique (Muntu [être humain] = force vitale) » hérité de Tempels et systématisé par Mulago. Donc, quand Bujo affirme que l’Esprit-Saint est force vitale, nous devons l’entendre également de telle sorte qu’il existe une identité entre personne et muntu.
Il est sans dire que Bénézet Bujo se place clairement dans la Tradition chrétienne Congolaise par la voie des études de Mulago[30]. Ceci se remarque également dans son étude que j’analyse, dans la mesure où Bujo tisse tout son discours à partir de la position africaine face à la vie[31]. Que l’on se souvienne ici du fait que Mulago avait appliqué toute l’anthropologie africaine de l’union vitale, de communion participation, de la force vitale au mystère de l’Eucharistie. C’est aussi ce que Bujo va faire. Il va prolonger cette théologie en l’abouchant à son fondement ultime : le mystère de la Trinité[32]. L’Eucharistie est comprise comme ‘‘la communion Proto-Ancestrale’’. En même temps, ladite Eucharistie fonde la vie non seulement ecclésiale, mais également sociale et communautaire. Se basant sur les rites funéraires africains, Bujo montre que malgré leur diversité d’actuations ces rites ont une seule visée focale : la « poussée vers la vie en plénitude, qui après sera pour le bien de la famille, de la communauté tribale, etc. »[33]. C’est en cela qu’ils se rencontrent avec la signification de l’Eucharistie.
Bujo expose sa pensée en reprenant sur son compte certains concepts classiques de la théologie de l’Eucharistie (pain et vin, anticipation et mémoire, narration et annonce). A ces concepts, il ajoute le proprement africain. Dans et par l’Eucharistie, l’on reçoit « la Proto-force vitale ancestrale ». Ce renforcement des concepts classiques par l’idée fondamentale qui se dégage des rites funéraires africains suit le sérieux, la logique et la voie de l’Incarnation. Et pourtant, ce fondement dans le mystère de l’Incarnation ne dira son dernier mot que dans les relations qui existent entre les trois personnes divines. Voici l’extrait dans lequel Bujo parle de la Trinité en recourant de nouveau au mot-clé de la « force vitale ». Il ne change cependant pas de contexte. En effet, l’espace théologique de la reprise est toujours « l’initiation africaine » et le Christ vu comme initié et initiateur.
[…] Dieu, le Père, possède la force vitale en plénitude et pour cette raison engendre le Fils. En plus, il a été dit que, par l’interaction, la force vitale retourne du Fils au Père, puisque chacun donne sa propre contribution vitale à la vie intimement divine. Mais, simultanément cette interaction est une dynamique de vie qui unit le Père et le Fils dans une union vitale, c’est cette dynamique de vie par laquelle le Père a suscité [engendré] le Fils : l’Esprit.
Cet Esprit, dynamique et joie de vie, qui déjà unit le Père au Fils et est ainsi celui qui renforce la vie, de la communauté intimement trinitaire, qui porte désormais à la croissance de la nouvelle communauté initiatique tribale. Le Fils, suscité à la nouvelle vie de la dynamique vitale (l’Esprit) du Père, constitué Proto-ancêtre, il est vraiment la source de cette même dynamique de vie : ensemble avec le Père, il donne la force vitale en abondance, commune à lui et au Père, qui introduit la nouvelle communauté tribale, cette Église fondée, dans la plénitude vitale et la perfection eschatologique[34].
Cet extrait confirme les idées de la première citation. Bujo suit la logique et le traitement de la théologie trinitaire occidentale. Il pose d’abord, la relation paterno-filiale pour aboutir, dans un second lieu, à la relation du « Père et du Fils » face à l’Esprit-Saint. Cependant, même dans la relation Père – Fils, Bujo accorde au Père une possession absolue de la plénitude de la force vitale. Il affirme même que c’est cette possession qui est la cause de la génération du Fils. Il y a un danger réel de considérer le Père comme une hypostase absolue. Ici également, l’identification de la force vitale du Père avec l’hypostase de l’Esprit-Saint pose problème.
De fait, à cause de ce manque de précision Bujo défend l’idée très discutable de la generatio a Patre Spirituque. Ceci est d’autant plus patent qu’il est difficile de concilier l’idée de la génération du Fils ad intra par la force vitale identique à l’Esprit-Saint avec sa théologie résolument marquée par le Filioque. Le même problème persiste dans la pensée de l’A. au moment où il tente de faire une démarcation entre le christianisme et les autres religions du monde. En effet, il affirme que « La nouveauté du christianisme ne tient pas dans l’annonce du monothéisme, mais dans le fait qu’il annonce que le même et unique Dieu (quel medesimo Dio) est en même temps Jésus-Christ, Dieu, en forme parfaite et définitive » [35]. La limite de cette affirmation est fonction du fait qu’en christianisme Jésus-Christ ne totalise pas à lui seul l’identité du même et unique Dieu en tant que Dieu plénier et définitif. D’où la nécessité de montrer que la nouveauté du christianisme par rapport à la RA, non seulement à partir de « Dieu qui est Jésus-Christ, différentiellement », mais surtout à partir du « Dieu un et unique qui est Trinité, et réciproquement ». Malgré ces limites, retenons à l’actif de Bujo qu’il pose toujours un lien réel entre l’Église et la Trinité tant ad extra comme ad intra. On observe aussi chez lui une relation de proportion entre l’attribution à Dieu des qualités de la famille clanique africaine et l’identification de ladite Église à la famille clanique. Cependant, les dérives sociopolitiques et les génocides de l’Afrique ont conduit l’auteur à porter son insistance sur l’universalité de l’Église en opposition directe au clanisme et au tribalisme[36]. Face à cette situation de crise sociopolitique, il est fortement remarquable de noter que Bujo recourt à la métaphore de l’arbre sacré (ficus) comme symbole parlant et libérateur apporté par le Proto-Ancêtre, exactement comme le fit des siècles avant lui Béatrice Kimpa Vita[37].
[1] NYAMITI, Ch., Cristologías africanas actuales, dans Misiones extranjeras 161, 19 (1997), p. 475-498, p. 493.
[2] Le problème du corps et son applicabilité à l’être de Dieu revient ici. Comparer avec BUJO, B., Teologia africana nel suo contesto sociale, Brescia, Queriniana, 19882, p. 28-29 : “La vie biologique comme thème de la foi en Dieu”.
[3] Ibid., p. 128-129, note 25; p. 143, note 40; ID., La dimension sociopolitique de la christologie africaine, dans KABASELE, F., DORE, J., LUNEAU, R., Chemins de la christologie, p. 335-347, p. 336, note 2. Pour lui, Proto-Ancêtre est un titre d’exemplarité (modèle) économique de Jésus-Christ à notre égard. Il ne s’agit pas, cependant, de l’ordre chronologique, parce que le titre traduit l’identité du Christ comme Nouvel Adam, racine du premier dans l’ordre des créés.
[4] VÄHÄKANGAS, M., Genuinely Catholic, Authentically African? The Encounter between Neo-Thomism and African Thinking in Charles Nyamiti’s Theological Methodology. Doctoral dissertation. University of Helsinki, Theological Faculty, Helsinki, 1997.
[5] ILUNGA Muya, J., Bénézet Bujo. Eveil d’une pensée systématique et authentiquement africaine, dans BUJO, B. et ILUNGA Muya, J., o. c., p. 101-141. Il est intéressant de voir que dans la présentation que John Baur (2001) et Iwele (1993) font de la théologie de Bénézet Bujo, il n’y aucune allusion à la théologie trinitaire.
[6] Pour une bibliographie sélective de l’A. voir, ILUNGA Muya, J., a. c., p. 139-141. Sans compter les traductions, dans cette bibliographie de l’A. on recense 41 études (livres et articles).
[7] C’est une idée qu’il reprend aussi dans ID., Le Notre Père son impact sur la vie quotidienne. Méditation d’un théologien africain, Kinshasa, St Paul, 2000, p. 116 : « L’option fondamentale du Synode africain de 1994 est de considérer l’Église comme Famille. Pour éviter tout malentendu, il faut dire dès l’abord qu’il ne s’agit pas de la famille au sens occidental du terme, mais ce mot voudrait être compris au sens africain, la famille dans son sens le plus large. En fait, c’est dans les langues africaines que nous devrions exprimer cette réalité. On verrait alors que par exemple en Kiswahili on parlerait de jamaa. Si on se tenait au contexte africain, et on doit le faire, on ne devrait pas introduire le mot familia qui finalement vise à s’adapter au concept occidental. Quand on dit ‘‘jamaa’’, tout Africain sait que ce terme englobe les vivants, les morts et même les enfants non-encore-nés. Il sait surtout que ce terme ne se limite pas aux pères, mères et enfants, mais qu’il embrasse tout le clan et que le concept famille peut s’étendre même au-delà du groupe clanique. On citera ici en particulier les alliances et les pactes du sang qui peuvent unir même les membres des différentes ethnies pour ne former qu’une seule famille ».
[8] BUJO, B., Teologia africana, p. 111.
[9] Ibid., p. 112.
[10] Ibid., p. 114.
[11] Ibid., p. 115-116.
[12] Ibid., p. 116-119.
[13] Ibid., p. 120.
[14] Ibidem.
[15] Ibid., p. 121-122.
[16] Ibidem.
[17] Ibid., p. 122.
[18] Ibid., p. 124.
[19] Ibid., p. 126. Mais on peut se demander si le « Christ-chef et Roi » de la christologie africaine ne traduit pas le titre de Kyrios. Ne peut-on pas, à partir de la sagesse concernant la Parole (cas des Dogons), faire une dogmatique africaine du Verbe ? D’ailleurs Bujo a dépassé cette conception, dans sa visée existentielle. ID., La dimension sociopolitique, p. 346, note 10.
[20] Ibid., p. 127; ID., La dimension sociopolitique, p. 336, commence avec la voie descendante dans la mesure où l’A. parle de la Parole de Dieu qui est son Fils et qui devient Proto-ancêtre.
[21] En théologie trinitaire, « figure concrète » peut s’entendre par prosopon. Cependant, la théologie du prosopon ne coïncide pas totalement avec celle de l’hypostase. MILANO, A., o. c., p. 53-59.
[22] BUJO, B., Teologia africana, p. 130-131.
[23] Comp. BUJO, B., Le Notre Père, p. 17 : « Quand, en parlant de Dieu et en nous adressant à lui, nous disons ‘‘notre Père’’, c’est à partir du Fils unique, Jésus-Christ, et grâce à lui que nous pouvons avoir le droit de parler ainsi. Si tel en est le cas, il est nécessaire de nous poser la question de la relation de Jésus, le Fils, avec Dieu, son Père. Cette interrogation, à son tour, nous amènera à considérer la place qu’occuppe l’Esprit-Saint en tant que le fruit de cette relation du Père et du Fils ». Je souligne.
[24] BUJO, B., Le Notre Père, p. 20.
[25] BUJO, B., Teologia africana, p. 131.
[26] Ibidem. Voici le texte italien : « Quando si tratta dell’incarnazione di Dio, si tratta della generazione personificata del Padre nella persona di Gesù. Questi dà [sic] continuità alla vita ricevuta dal Padre ».
[27] Ibidem. Cependant son idée peut se justifier dans le sens de l’Ancêtre qui est engendré symboliquement dans sa descendance. Il s’agit de traduire ici l’idée de l’inhabitation du Père dans la personne dans son Fils.
[28] Ibidem.
[29] Ibidem.
[30] BUJO, B., Pour une éthique africano-christocentrique, dans AA.VV., Combats pour un christianisme africain. Mélanges en l’honneur du Prof. V. Mulago, Kinshasa, CERA, 1981, p. 21-31.
[31] ID., Teologia africana, p. 141; ID., La dimension sociopolitique, p. 337.
[32] ID., Teologia africana, p. 144-146.
[33] Ibid., p. 144.
[34] Ibid., p. 145.
[35] Ibid., p. 28-29
[36] ID., La dimension sociopolitique, p. 338-343.
[37] Ibid., p. 340-343. Lire aussi, BUJO, B., La christologie africaine n’est-elle qu’une archéologie culturelle ?, dans AA.VV., Cristologia e Missione oggi. Atti del Congresso Internazionale di Missiologia, Roma, Urbaniana Universty Press, 2001, p. 360-363 (p. 362 : personne est relations ; p. 362-363 : Jésus-Christ, le Protoancêtre et l’arbre de vie; Jésus est le ficus).

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