lundi 27 juillet 2009

La doctrine de la Trinité au Congo entre 1992 et 1997.

Apport de Mgr Joseph NTEDIKA Konde (+ 26.05.2009)

Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi

En 1992, Mgr Joseph Ntedika Konde avait publié un article synthèse fort intéressant portant sur la doctrine de Dieu dans la Religion Africaine (RA) telle qu’elle se dégageait dans la revue Cahiers des Religions Africaines[1]. Son point de départ est anthropologique, c’est-à-dire « la recherche, la quête inlassable de Dieu et finalement la rencontre avec lui en ce monde, par la connaissance et l’amour, et les retrouvailles avec lui dans l’autre vie, dans un face-à-face inénarrable […] »[2]. Dit d’une autre manière, dans cette étude l’A. n’envisage que l’effort de l’être humain dans sa recherche et sa rencontre avec Dieu. Il ne focalise pas son attention sur l’initiative de Dieu, sa recherche et sa quête inlassable de l’être humain et finalement de sa rencontre avec ce dernier ici, maintenant, et dans la vie après la mort. Enfin, il ne parle pas de l’effort conjugué de Dieu et de l’être humain, vice versa, dans la recherche passionnée l’un de l’autre, vice versa.
Cette option de l’A. fait que son étude descriptive et synthétique vise à déterminer en premier lieu la voie, le projet d’un cheminent et d’un progrès spirituel, systématique et continu vers Dieu. Il recherche le cadre de la réalisation de ce projet, s’il existe. En second lieu, l’A. abordera la question de la médiation des Ancêtres face à Dieu. Intéressant est le troisième degré de son questionnement qui pose le problème de la Providence de Dieu et de l’origine du mal. La quatrième question qu’il se pose vise à éclairer la valeur de l’amour africain envers Dieu, c’est-à-dire, la gratuité et la conformité à la volonté divine. Enfin, il aborde la question du contenu dogmatique de l’Eschatologie de la RA et des critères éthiques qui permettent la participation au contenu de la vérité de la RA[3].
Dans le développement des thèmes, l’A. commence avec l’existence ou non d’un culte adressé à Dieu dans la RA. Il montre que les avis des chercheurs sont partagés. Il y en a qui sont pour et d’autres contre une telle existence. Les raisons données pour justifier l’inexistence d’un culte théologal sont révélatrices de l’idée que l’on a de Dieu : l’Être sans besoin, plénitude de bonheur et de bonté ; sa transcendance et son inaccessibilité font que le culte humain ne l’intéresse nullement. Cependant, Dieu qui ne dépend pas du culte anthropologique est présent au monde et aux êtres humains. Sans la présence de Dieu l’être humain n’existerait pas[4]. L’A. dégage également ce qui constitue au fond la loi de tout culte dans la RA : Dieu est adoré à travers la vénération des Ancêtres[5]. Cependant, constate l’A., à la suite des spécialistes de la RA, que la vénération des Ancêtres occupe factuellement plus d’espace que l’adoration de Dieu. Dieu est moins invoqué que les Ancêtres et les esprits dans ce qui constitue le thème central de la RA : « la condition humaine, concrète, considérée à tous les niveaux : familial, social, économique et politique »[6].
« Des chercheurs, cependant, pensent que, d’après les Africains, Dieu lui-même est d’accord pour que des supplications et des sacrifices soient offerts aux ancêtres. La vie nous vient de Dieu par leur canal. Ils demeurent par conséquent nos médiateurs et nos intercesseurs. Et, en assurant la sauvegarde et l’accroissement de la vie de leurs descendants, c’est le don de Dieu lui-même qu’ils protègent et développent »[7].
Quant à la question portant sur la providence et le problème du mal, l’A. montre une fois de plus que les résultats des travaux des chercheurs ne sont pas unanimes. D’aucuns disent que certaines tribus défendent l’unicité de l’origine de tout, le bien et le mal. Pour ces peuples, le malheur qui vient de Dieu est médicinal. Il est l’expression de sa miséricorde et de sa bonté. D’autres, au contraire, affirment que Dieu n’est pas la cause du mal. Ce sont les Ancêtres, les esprits et les sorciers, créés par Dieu, qui sont, en revanche, la cause du mal[8]. Il existe une vraie relation parentale entre Dieu et les êtres humains, vice versa. Dans cette relation familiale, « Dieu est dans sa totalité de vie » comme être Suprême, simultanément père et mère, vice versa[9].
En 1994, un article de l’A. sera publié. Il porte sur l’eschatologie Kongo[10]. De cette étude descriptive de l’eschatologie Kongo et en même temps comparative avec la vision d’autres peuples[11], rien de particulier n’est dit sur la doctrine de Dieu. Mais, juste dans le dernier paragraphe de l’article l’A. propose des images bibliques qui peuvent servir dans l’inculturation de l’eschatologie kongo qui met l’accent sur l’eau. Les références bibliques données parlent au moins de deux personnes divines : le Père et le Fils.
L’eau fraîche et limpide qui baigne le village des ancêtres et traverse leur pays, cette eau dont le peuple kongo a rêvé pendant des siècles, cette eau qui coule éternellement et étanche la soif de ceux qui en boivent, dans l’autre vie, pourrait rappeler la vision du fleuve de cette Jérusalem nouvelle qui nous attend, du fleuve de ce paradis futur que décrit le livre de l’Apocalypse : ‘Puis, il me montra un fleuve d’eau vive brillant comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau’’ (Ap. 22, 1). ‘‘Et il me dit : … A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive gratuitement’’ (Ap. 22, 6[12] ; 22, 17). En fin de compte, c’est le Christ lui-même que nous avons à désirer, puisque d’après le Nouveau Testament, il est le rocher d’où jaillit, au désert, l’eau qui restaure et redonne la vie (1 Cor. 10, 4). Et il est aussi le bon berger, le grand ancêtre, qui nous prendra près de lui (Jn 14, 3), si nous lui sommes fidèles et qu’il nous conduira lui-même auprès des eaux limpides de l’autre vie, pour nous désaltérer : ‘‘car, l’agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d’eaux vives. Et Dieu essuiera toute haine de leurs yeux (Ap. 7, 17)[13].
L’intérêt de la citation tient aux analogies cosmologiques qui parlent de l’identité du Fils de Dieu et dans son don en kénose et dans sa vie ad intra, après la glorification. La symbolique de l’eau et même celle du rocher sont, en fait, un patrimoine du prophétisme kongo[14]/Congo[15]. Mais, dans cet extrait, il recouvre la plénitude de leur signification trinitaire, même si Mgr Ntedika ne fait pas de références explicites aux rapports qui existent entre la symbolique de l’eau et l’Esprit-Saint donné par Jésus-Christ (Jn 3, 5)[16]. Au fond, si l’A. ouvrait sa recherche à une étude systématique, il pouvait aboutir à une théologie trinitaire inculturée[17].
Mais, à l’actif de l’A. nous retiendrons le fait qu’il assume les analogies de l’eschatologie kongo comme lieu d’expression de la vérité eschatologique du Verbe incarné et glorifié. En d’autres mots, l’eschatologie kongo est un lieu de révélation du Dieu Trinité dont notre unique voie de connaissance historique est l’événement Jésus-Christ. Ce dernier est venu rencontrer les congolais dans les chemins culturels tracés par leurs Ancêtres. Il en est le suprême herméneute.
Dans une autre étude sortie aussi en 1994, l’A. rapporte la christologie et la pneumatologie d’une secte de Kinshasa[18]. Le cadre global de l’article et sa finalité sont en pure continuité avec les thèmes déjà vus dans la tradition prophétique congolaise[19]. Pour nous en rendre compte, reprenons un extrait de l’article.
Le message de l’Église de Jésus/Alliance Finale, de Masina (Kinshasa), est un mélange de visions et de prophéties. Il fait ainsi partie de la littérature religieuse de genre apocalyptique et eschatologique. L’interprétation des documents à étudier doit, par conséquent, tenir compte des principes herméneutiques requis pour la compréhension des textes en cette matière. Doivent être également pris en compte la sensibilité, les enjeux spirituels et le conditionnement historique et culturel et social de la secte[20].
Pour le moment, il faut le constater, l’A. ne donne pas ces principes herméneutiques et ne nous offre pas non plus tous les autres éléments requis dont il parle. En revanche, il passe directement à la description de la vocation et de l’investiture du prophète fondateur de la secte de l’Alliance Finale[21]. Cette description de l’appel divin est daté et même l’on y détermine l’heure de la vision. Cette note est très importante car elle montre le caractère vraiment historique de l’événement. La vision d’investiture au cours de laquelle le prophète devient le fondateur de la secte est nocturne. Quant au contenu de la vision, elle est purement anthropologique et missionnaire. Le prophète ne voit et n’entend pas Dieu, mais des êtres humains dans leur état eschatologique qui, cependant, n’abroge pas leur appartenance raciale et leur langue[22].
Une langue congolaise, le lingala, devient dans cette vision, une langue céleste, langue d’expression des Noirs dans leur condition finale[23]. Par le même biais, la diaconie eschatologique est attribuée aux Noirs, race qui devient par le même fait, le symbole eschatologique du triomphe de Dieu. La théologie de la conquête et de la victoire est interprétée en fonction de la race noire. De même, la théologie de la clôture de la révélation avec le surgissement du dernier prophète est contextualisée strictement dans le cadre de la secte et en la personne du prophète fondateur de ladite secte : Mungunzi Mundambu[24]. Ce prophète est le missionnaire de Dieu dont la vie et les œuvres sont en une parfaite relation symétrique : il fera sept cents ans et accomplira sept cents symboles et signes[25]. La mission du prophète devient l’espace eschatologique privilégié de la théologie du nom non seulement de l’envoyé, de ceux qui envoient, mais également de l’identité stricte entre le Dieu de Jésus-Christ et celui des Ancêtres. Toute cette théologie a pour contenu l’Alliance Finale entre Dieu et la totalité du réel[26].
L’eschatologie de l’Église de l’Alliance Finale est inclusive et universaliste : sans xénophobie ni exclusivisme. Cependant, elle répond également au principe herméneutique propre à nos initiations tribales : l’inversion symbolique ou la présentation des données visées par la voie du contraire. C’est par ce fait que les dominés de la terre deviennent le symbole parlant de la gloire et de la victoire de Dieu sur le péché[27]. L’inversion ne suit pas des raisons purement raciales et sociologiques. En revanche, la participation à la vie céleste a pour condition obligatoire pour tous les êtres humains la conversion. Cette dernière est le critère d’authentification et d’intériorité à l’exemple du message que Noé adressa à ses contemporains[28]. Nous sommes là au cœur même de la particularité du langage spécifique de la foi. Mais quels sont les habitants de ce monde céleste qui fait appel à la logique de la foi ? C’est en répondant à cette question que l’Église de l’Alliance Finale fait intervenir la Trinité. L’on affirme en effet que « Le monde céleste est la demeure de Dieu le Père, de Dieu le Fils, de l’Esprit-Saint, des esprits ou chefs du ciel et des ancêtres »[29].
Outre le fait qu’il sied de noter que l’ordre divin est respecté, il faut signaler de nouveau, l’insertion de l’eschatologie africaine dans la vision eschatologique de la Trinité. Il y a là une présence remarquable des « esprits et des Ancêtres (= RA) » auprès du « Père, du Fils et de l’Esprit-Saint (= christianisme) ». Les Ancêtres sont saisis ici comme des personnes qui se sont convertis à la Trinité. Ils ont écouté l’appel de Dieu à la repentance que Dieu lui-même leur a adressé. Comment ? Le texte ne le dit pas. Mais, ce qui est évident, c’est ce fait dogmatique : le « Dieu des Ancêtres » est donc, selon cette eschatologie, le Dieu Trinité[30]. Effectivement, signale l’A. dans sa christologie eschatologique, l’Église de l’Alliance Finale affirme que « le Dieu de nos ancêtres enverra son Fils bien aimé »[31].
Avant l’avènement de la parousie, les êtres humains sont invités à accomplir non seulement la volonté de Dieu, mais aussi celle de Jésus-Christ et des esprits. Jésus-Christ et les esprits sont présentés comme la source des merveilles terrestres[32]. La théologie de la parousie est, à notre avis, aussi trinitaire. Le prof. Mgr. J. Ntedika qui rapporte cet événement eschatologique n’en fait pas de commentaire. Voici le résumé descriptif de notre A. : « Et, au terme de toutes les années, les habitants du monde loueront Dieu et Jésus-Christ dans la fête de la dernière alliance. Jésus recevra de Dieu l’Esprit Saint »[33]. Dans la logique de ces deux phrases, c’est dans et par la parousie que l’Alliance finale entre Dieu et les êtres humains se scellera. C’est dire que pour l’Église de l’Alliance Finale, l’ultime alliance entre Dieu et les hommes ne se situe pas dans le mystère de la Croix, mais de l’ultime manifestation de Dieu, dans sa gloire eschatologique, à tout l’univers, non seulement aux êtres humains.
Quel est le contenu de la parousie ? La fin du temps inaugurera l’ère de la doxologie. Les êtres humains louent Dieu le Père et Jésus-Christ. Cette louange se fait au cours de l’alliance finale. Mais, quelle est la place de l’Esprit-Saint au cours de cette fête doxologique/eucharistique ? Mieux, quels sont les rapports qui s’établissent entre les trois personnes divines dans la parousie ? La réponse est très brève, mais très significative : « Jésus reçoit de Dieu l’Esprit Saint ». Cette réponse est comme la réplique de la théophanie baptismale : le Père donne ; l’Esprit Saint est donné (il est le Don) enfin, Jésus reçoit[34]. C’est en cela que consiste l’Alliance finale, c’est-à-dire, dans la réception finale par Jésus glorifié du don de l’Esprit Saint de la part du Père. Deux questions qui se posent : - un tel Jésus eschatologique serait-il encore égal à Dieu ? Quelle idée ce groupe se fait-il du baptême de Jésus ?
Le Jésus eschatologique qui reçoit l’Esprit-Saint de la part de Dieu est dit « […] tout-puissant. Sa puissance, insiste-t-on, n’est pas moindre que celle de Satan, le prince des démons. Nous aussi, nous avons acquis la puissance pour le service de Jésus-Christ »[35]. Dire que Jésus est tout-puissant c’est professer qu’il est Dieu. C’est dire que d’après cette secte tant dans son humanité eschatologique que dans son être Dieu, la deuxième personne de la Trinité reçoit toujours de la part de son Père l’Esprit-Saint. Même si la secte le ne dit pas l’on peut constater du point de vue systématique que l’Alliance Finale qui provoque la louange des êtres humains dans la parousie concerne le don de l’Esprit-Saint par le Père dans l’humanité eschatologique de la seconde personne de la Trinité afin que cette dernière soit introduite, à titre d’unique et absolue exception, dans la vie de la Trinité ad intra.
A la question de savoir quelle est l’idée que cette secte se fait du baptême de Jésus, il n’est pas mieux que de reprendre la description et le bref commentaire de Mgr Joseph Ntedika lui-même : « Les adeptes [de l’Église de l’Alliance Finale] s’émerveillent devant le mystère de l’incarnation. Ils sont touchés du fait que le Fils de Dieu se soit fait enfant comme les autres enfants pour venir nous sauver. Vient ensuite une indication originale : un cantique chante ‘Jésus-Christ Fils de Dieu, Jésus-Christ venu comme l’oiseau, comme l’oiseau de l’Esprit Saint’’. Ici la manifestation de l’Esprit-Saint sous forme de colombe au baptême de Jésus est identifiée à celle de Jésus lui-même »[36].
Le commentaire de l’A. est ici à remarquer. Il parle de la venue de Jésus-Christ, Fils de Dieu, en forme de la colombe en terme d’une « indication originale ». Effectivement, la secte ne réinterprète les évangiles (Mt 3, 16 ; Mc 1, 9-10 ; Lc 3, 22). Au lieu de lier le symbole de l’oiseau exclusivement à l’Esprit-Saint, cette secte préfère parler plutôt de Jésus-Christ. C’est une indication exégétique importante dans la mesure où l’on montre que dans cette secte, il y a suffisamment de motifs culturels [que nous ignorons] qui font que l’on puisse rapporter le symbole de l’oiseau à Jésus-Christ plus qu’à l’Esprit.
A notre avis, plusieurs lectures sont possibles dans cette herméneutique de la théophanie baptismale. La première nous met, peut être, devant ce que l’on appelle la « christologie pneumatique » dont le fondement ne serait autre que « le Seigneur Jésus, devenu Christ par son baptême, est esprit ». La seconde lecture consisterait en ceci : si Jésus-Christ vient comme l’oiseau de l’Esprit-Saint dans la théophanie baptismale c’est parce qu’il est, d’une certaine manière, son fruit économique (Lc 1, 35). L’on met l’accent sur le fait que l’humanité de Jésus est à l’image de la personne de l’Esprit-Saint. Etant totalement porté par l’Esprit et demeurant en lui, il ne peut venir que comme et avec cet Esprit-Saint.
Une troisième lecture est possible. Elle se situerait aux antipodes de la deuxième. Elle mettrait en avant plan le fait qu’une telle christologie pourrait aussi être le signe manifeste de la difficulté que rencontre cette secte dans sa réception de l’originalité inouïe de la personne de l’Esprit-Saint comme une hypostase distincte du Fils de Dieu. Ou encore, pour la secte Jésus-Christ serait en réalité l’Esprit-Saint, vice versa. Nous serions ici devant un modalisme dynamique binaire : seul le Père et une autre personne divine existent réellement. Cette dernière se manifesterait à la fois comme Jésus qui reçoit son baptême dans le Jourdain, et en même temps l’oiseau qui descend du ciel pour inhabiter en ce Jésus.
Bref, l’étude Mgr Joseph Ntedika nous montre que l’originalité de cette secte est très problématique ou à tout le moins ambiguë. Si Jésus-Christ est la personne qui descend en forme de la colombe lors du baptême, alors quel type de lien existe-t-il entre le Fils de Dieu et l’homme que baptise Jean ? L’homme baptisé ne serait-il pas adopté, habité par le Fils de Dieu à partir de l’événement baptismal ? Ne sommes-nous pas devant deux personnes et deux sujets qui subsistent dans un seul et même être humain ? Si la manifestation de l’Esprit-Saint n’est qu’une forme de la manifestation de Jésus-Christ comment éviter le modalisme ou le docétisme ? Il est sans dire qu’il s’agit ici du problème de la réception de l’union hypostatique comme lieu normative de notre saisie de la Trinité des hypostases divines ad extra et ad intra.
Mgr Ntedika ne s’est pas posé ces questions. Une des raisons, croyons-nous, tient au fait qu’il constate que la christologie de la secte est purement fonctionnelle. Il n’y a pas de spéculation abstraite[37]. Un autre élément digne de mention dans cette christologie et sa théologie de la joie (gaudium Christi[38]) dont le fondement est l’amitié de l’être humain avec Dieu, avec Jésus-Christ et avec le prochain. La secte respecte l’initiative divine et dans l’amour pour l’être humain et dans la joie christique que l’être humain éprouve suite à ses relations verticales et horizontales[39].
La section concernant la description de la théologie de l’Esprit-Saint est très brève[40]. Les rapports entre les personnes divines sont celles que nous venons de voir dans la partie christologique : le Père donne, l’Esprit-Saint est donné, Jésus reçoit l’Esprit-Saint. Cependant, l’on ajoute d’autres relations : l’Esprit-Saint est avec Jésus[41] ; l’Esprit-Saint est envoyé par Jésus-Christ auprès des êtres humains[42]. Face à ces êtres humains, l’Esprit-Saint est l’Esprit de Jésus ; il le proclame. L’Esprit-Saint est celui qui fait que les êtres humains accomplissent les œuvres de Dieu. Il permet l’interprétation des symboles du monde sous les signes de Dieu. En tant que tel, il est l’Esprit de Dieu[43]. L’Esprit-Saint habite en nous. Ses œuvres sont aussi divines que celles du Père et de Jésus-Christ[44]. La vocation du prophète et la base biblique de sa mission dans l’œuvre du salut sont également l’œuvre de la personne de l’Esprit-Saint[45].
La deuxième partie de l’article est essentiellement comparative. L’A. situe l’Église de l’Alliance Finale dans le cadre de l’héritage chrétien et ancestral. Il n’ouvre aucune perspective trinitaire à partir de son étude. En effet, il pense que « Les enseignements et les expressions de foi de l’Église de Jésus/Alliance Finale, de Masina, n’ont rien de singulier par rapport à ceux des grandes Églises fondatrices, catholique et protestantes ; ni par rapport à ceux des Mouvements charismatiques et prophétiques de l’époque ancienne ou contemporaine. Théologie dogmatique et spiritualité demeurent identiques à celles mêmes qui se sont développés au cours de l’histoire des Églises chrétiennes. Ce propos se vérifiera tant pour la conception de la vocation et de la mission du prophète que pour la christologie et la pneumatologie […] »[46]. Effectivement, le commentaire que l’A. fait sur la christologie et la pneumatologie de la secte n’apporte rien de nouveau qui mériterait d’être signalé ici[47].
Son étude de 1997 sur « L’Église-Famille chez les Pères de l’Église[48] » est utile à analyser parce qu’elle parle des fondements de ladite Église et dans la culture africaine et dans la Trinité. Dès le troisième paragraphe de son introduction à cette étude l’A. affirme que « L’Église-famille dont traitent les Pères de l’Église évoque surtout l’Église domestique conçue sur le modèle de la petite famille nucléaire gréco-romaine, avec père, mère, enfants[49]. L’Église-famille du Synode africain signifie avant tout une Église conçue d’après le modèle de la grande famille clanique africaine. Les deux types de famille doivent être expurgés, réaménagés et ouverts plus largement aux autres, suivant les exigences de la foi, de la morale et de la spiritualité chrétienne »[50]. Tel est donc le fondement anthropologique de l’Église-Famille de Dieu en Afrique[51]. Le passage se fait de l’Église domestique entendue comme structure tripartite à l’Église dont la structure anthropologique est la famille élargie. Qu’en est-il du fondement théologal ? C’est dans sa description des enseignements du Synode africain qu’il trouve le fondement trinitaire de l’Église-Famille. C’est dans l’amour trinitaire de Dieu, qui est le principe et la fin de l’Église, que l’A. se réfère comme fondement théologal de l’ecclésiologie post-synodale africaine[52].
Conclusion
Tout compte fait, l’on retiendra que les recherches de Mgr Joseph Ntedika que nous avons analysées nous sont utiles dans la mesure où elles nous présentent la doctrine de Dieu de la RA. Elle nous parlent également de la plénitude de l’être humain telle qu’envisagée dans et par la RA. Concernant la doctrine de Dieu de la RA, les recherches dont l’A. fait écho nous mettent devant deux positions exclusives l’une de l’autre : existence et non-existence du culte vers Dieu ; l’acceptation et le manque de prise en compte de Dieu comme fin ultime de la vie spirituelle de l’être humain. Sur le plan des analogies parentales, l’A. nous a signalé que les spécialistes de la RA admettent que Dieu est à fois le Père et la Mère de l’humanité. En lui, il n’y a pas de séparation entre la paternité et la maternité.
Quant à la plénitude de l’être humain dans la vie-là, les métaphores que l’on utilise dans la RA rencontrent, affirme-t-il, leur plénitude dans les symboles eschatologiques qui traduisent l’identité même des personnes divines dans le christianisme. La secte chrétienne qu’il a analysée met un pont entre l’eschatologie clanique africaine et la doctrine de la Trinité chrétienne. Son étude sur l’apport du 1er Synode Africain montre que cet événement avait aussi assumé les valeurs anthropologiques et religieuses de famille clanique africaine comme fondement de son ecclésiologie. Ce même Synode, nous dit-il, avait aussi affirmé que c’est la Trinité qui est le fondement ontologique et exemplaire de l’Église-Famille. Ces intuitions et le matériel que le spécialiste en sciences historiques et patristiques à mis à notre disposition est un patrimoine que les systématiciens congolais a le devoir d’exploiter et de porter à la doxologie comme ultime instance de notre connaissance du mystère et de notre adhésion totale à la Trinité. Bref, l’apport de Mgr J. Ntedika consiste dans le fait de nous montrer que la recherche trinitaire en Afrique se nourrit des sources internes à l’Églises, de la RA et des synthèse des mouvements religieux afro-chrétiens. Ceci signifie que Dieu nous parle à travers tout notre contexte historique et religieux et que le systématicien ne peut se priver de la facticité historique pour aller plus loin que ça en faisant découvrir à l’Église-Famille du Père, Église-Fraternité du Fils et Église-Fécondité de l’Esprit-Saint, le surplus de sens dogmatique qui y déposé par Dieu lui-même en synergie avec la présence et l’action humaines.
[1] NTEDIKA Konde, Mgr, A la rencontre de Dieu. Considérations sur l’apport des Cahiers des Religions Africaines, dans AA.VV., Interpellations et croissance de la foi, p. 33-47. Cette étude a été reprise en grande partie, en 1993, dans ID., La mystique africaine traditionnelle, dans ZUAZUA, D., La mystique africaine, p. 65-95. Ma présentation est intentionnellement très limitée. Elle n’aborde pas les recherches patristiques et historiques de notre auteur. Du point de vue du temps, mon étude prend comme point de départ les années 1990. Ceci pour dire qu’il reste un énorme champ de recherche de la place de la doctrine de Dieu dans l’œuvre du prof. Joseph Ntedika Konde.
[2] Ibid., p. 33.
[3] Ibid., p. 34.
[4] Ibid., p. 34-35.
[5] Ibid., p. 35.
[6] Ibid., p. 37.
[7] Ibid., p. 37-38.
[8] Ibid., p. 38.
[9] Ibid., p. 39. Une partie de la p. 41 et celle de la p. 42, expose l’Eschatologie de la RA avec les mêmes affirmations de base : négation et affirmation de l’existence d’un face-à-face avec Dieu ; prédominance du culte des Ancêtres et des biens terrestres.
[10] NTEDIKA KONDE, J., Eschatologie Kongo : ‘‘Ku Masa’’. Étude cosmologique et anthropologique, dans AA.VV., Philosophie et vie. Actes des Premières Journées Philosophiques de Boma du 26 au 29 mai, Boma, Grand Séminaire ‘‘Abbé Ngidi’’ de Boma, 1994, 18-35.
[11] Ibid., p. 26-30.
[12] Cette citation est erronée. Voici ce que dit Ap. 22, 6 : « Puis il me dit : ‘‘Ces paroles sont certaines et vraies ; le Seigneur Dieu, qui inspire les prophètes, a envoyé son Ange pour montrer à ses serviteurs ce ce qui doit arriver bientôt... ».
[13] Ibid., p. 33.
[14] MAFUTA.
[15] KINKOLE.
[16] L’A. pouvait aussi faire une comparaison de la thématique, par exemple, avec le chuchotement d’eau (Esprit-Saint) qu’entendu s. Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, 7, 2.
[17] Détails, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., Trinité et eschatologie solidaire africaine, dans De Trinitatis mysterio et Maria. Acta Congressus Mariologici-Mariani Internationalis in Civitate Romae anno 2000 Celebrati. Sectio Africana et Asiatica, Vol. II, PAMI, Città del Vaticano, 2006, p. 45-138.
[18] NTEDIKA Konde, (Mgr), La christologie et la pneumatologie de la secte de l’Alliance finale, dans Sectes, cultures et Sociétés. Les enjeux spirituels du temps. Quatrième Colloque International du CERA en collaboration avec la Fédération Internationale des Universités Catholiques (FIUC), Kinshasa 14-21 novembre 1992, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, 129-145. Nous ne reprendrons pas textuellement les descriptions de l’A. En revanche, nous dégagerons souvent des éléments théologiques utiles à la théologie trinitaire inculturée.
[19] L’A. le dit expressément dans Ibid., p. 130, note 1 et donne une note bibliographique qui parle, entre autres, de la secte des Antoniens, des Kimbanguistes et d’autres mouvements de résistance kongo.
[20] Ibid., p. 130.
[21] Ibid., p. 130-131.
[22] Ibid., p. 131. C’est une donnée que l’on retrouve aussi dans l’eschatologie africaine. Les gens qui vivent dans le village des Ancêtres sont situés, chacun dans son clan. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Eschatologie Kongo, p. 24-26 et 32.
[23] Nous venons de voir que dans la vision du prophète Kimbangu Dieu lui-même parle une langue du Congo, le Kikongo. Sur le plan de la signification théologique des langues africaines dans le plan du salut, la vision kimbanguiste est donc plus avancée que celle de cette secte. En effet, une langue parlée par Dieu lui-même et une autre parlée par un groupe d’êtres humains dans leur condition eschatologique n’ont pas le même poids dans la révélation du mystère qui n’est autre que Dieu lui-même comme personne qui parle.
[24] Ibidem.
[25] Ibidem.
[26] Ibidem : « Il [Mungunzi] est le dernier envoyé de Dieu, du Seigneur Jésus-Christ et des esprits célestes (les Chefs du ciel), pour l’annonce de la promesse de Dieu, de la dernière Alliance et de la fin du monde. Par conséquent, le nom de Mungunzi Mundambu change ; il devient : ‘‘le-dernier-envoyé, l’apôtre-du-Zaïre-et-du-monde-entier, l’apôtre-del’Eglise-de-Jésus, de-l’Alliance-Finale et du Dessein-universel-du-Dieu-des-Ancêtres ». Ce qui est intéressant dans cette citation c’est l’insertion de toute la hiérarchie des êtres à l’africaine : Dieu, les Esprits, les Ancêtres et les vivants actuels sur terre (voir aussi, Ibid., p. 132 ; ID., A la rencontre, p. 37). En plus, la théologie du nom, celle de la gloire et de l’alliance font écho à la théologie du Judéo-Christianisme antique. Détails dans DANIÉLOU, J., Théologie du Judéo-Christianisme, Paris, Desclée/Cerf, 19912 ; SESBOÜÉ, B., Les premiers discours chrétiens et tradition de la foi, dans SESBOÜÉ, B. et WOLINSKI, J., Le Dieu du salut, Paris, Desclée, 1994, p. 21-67, p. 26-29.
[27] Ibid., p. 131.
[28] Ibidem.
[29] Ibid. p. 132.
[30] Ce commentaire est nôtre. Du même avis, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., En mémoire du professeur P. Kisimba, dans ID., (éd.), Trinité…, p. 6. De l’avis contraire, MATAND Bulembat, J.-B., ‘‘Le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis’’, dans AA.VV., L’Église-Famille et perspectives bibliques. Mélanges Paul Cardinal ZOUNGRANA. Actes du huitième congrès de l’Association Panafricaines des Exégètes Catholiques, Ouagadougou, Burkina Faso du 19-27 juillet 1997, s. éd. Kinshasa, 1997, p. 127-150, p. 145-148.
[31] Ibidem.
[32] Il y a sans doute ici l’insertion de la logique de la RA qui affirme que les biens proviennent de Dieu et des Ancêtres et même des esprits. Seulement qu’ici, l’on ne parle pas des Ancêtres. Cf. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), A la rencontre, p. 37-39.
[33] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), La christologie, p. 132.
[34] Ici également la logique de l’Eschatologie de la RA est assumée, c’est-à-dire, la projection de l’ici-bas dans l’au-delà. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Eschatologie, p. 30.
[35] ID., La christologie, p. 132. Le thème de la force (ngolu) est un des sujets centraux de la RA.
[36] Ibid. p. 133. Nous soulignons.
[37] Ibid. p. 132.
[38] Le commentaire de l’A. à cet effet voir, Ibid. p. 143 : « Notre joie imprescriptible ».
[39] Ibid. p. 133-135.
[40] Ibid. p. 136-137.
[41] En leur langage l’on dit que « l’Esprit-Saint respire du fils de Dieu ». Ibid., p. 136.
[42] Ibid. p. 136.
[43] Cette affirmation est d’une importance capitale, dans la mesure où l’Esprit de Dieu (Pneuma tou Theou) dans son Don économique par le Père. L’identité de l’Esprit-Saint comme « Esprit de Dieu » révèle son identité proexistentielle. Il ne s’agit pas de l’Esprit préexistant dans le monde avant l’incarnation du Fils et l’événement de la Pentecôte, comme le font certains théologiens catholiques.
[44] Ibid. p. 136.
[45] Ibid. p. 137.
[46] Ibid. p. 138.
[47] Ibid. p. 142-143.
[48] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), L’Église-Famille chez les Pères de l’Église, dans Église-Famille ; Église-Fraternité. Perspectives post-synodales. Actes de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1997, p. 223-237.
[49] Du même avis, GIORGIO, G., Simbolismo del ‘Padre’, dans ID. (éd.), Dio Padre Creatore. L’inizio della Fede, Bologna, EDB, 2002, p. 193-225; dans le même livre, DAL COVOLO, E. – MARITANO, M., Dio Padre e Creatore nella Patristica, p. 231-250, p. 242.
[50] Ibid. p. 223.
[51] La même idée est reprise dans Ibid. p. 224 et p. 235-237.
[52] Ibid., p. 224.

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