Par Flavien MUZUMANGA Ma-Mumbimbi
0. 0. Introduction. 3
I. 0. Analyse des sources. 4
I. 1. Rapport d’Introduction (RI) 4
I. 2. Les Interventions Personnelles (IP) 4
I. 2. A. L’IP de Mgr SANON. 4
I. 2. B. L’ IP de l’Abbé PENOUKOU. 4
I. 2. C. L’ IP de Mgr MONSENGWO. 4
I. 2. D. L’ IP de Mgr RAZAFINDRADANDRA. 4
I. 3. Rapport de Synthèse (RS) 4
I. 4. Rapports des Carrefours (RC) 4
I. 4. A. RC Français A. 4
I. 4. B. RC Français B. 4
I. 4. C. RC Français C. 4
I. 4. D. RC Français D. 4
I. 4. E. RC Français E. 4
I. 4. 1. RC Anglais A. 4
I. 4. 2. RC Anglais B. 4
I. 4. 3. RC Anglais C. 4
I. 4. 4. RC Anglais D. 4
I. 4. 5. RC Anglais E. 4
I. 4. 6. RC Italien. 4
I. 4. 7. RC Portugais et Espagnol 4
I. 5. Propositions du Synode Africain (PSA) 4
I. 6. Message du Synode Africain (MSA) 4
I. 7. Ecclesia in Africa (EIA) 4
II. 0. Images complémentaires. 4
II. 1. Église-Famille est la Maison de Dieu. 4
II. 2. Église-Famille est le Temple de Dieu. 4
II. 3. Église-Fraternité est le troupeau. 4
II. 4. Église-Fraternité est le Corps mystique du Christ 4
III. 0. Pneumatologie. 4
III. 1. Esprit – Fécondité. 4
III. 2. Esprit – Onction. 4
III. 3. Esprit-Saint, onction intratrinitaire ?. 4
IV. 0. La paternité de Dieu dans l’Église-Famille. 4
IV. 1. Paternité de Dieu et vie consacrée 4
IV. 2. Paternité de Dieu et efficacité sociale de l’Église-Famille. 4
V. 0. Conclusion. 4
0. 0. Introduction
Il fait peu, l’Église Catholique s’est souvenu de la promulgation, il y a 40 ans, de Lumen gentium (24 novembre 1964). Cette Constitution dogmatique du Concile Vatican II avait changé le paradigme de l’Église et dans son autocompréhension et dans son auto-réalisation à travers l’histoire. Comment l’Afrique s’est-elle appropriée du contenu de cette Constitution ? Pour répondre à cette question, il n’est pas mieux que de faire une analyse descriptive des enseignements du Synode Africain. Il est connu aussi que ce Synode totalise déjà plus de dix ans depuis l’ouverture de sa célébration à Rome (1994). Voici un motif en plus pour sonder l’actualité et la pertinence de la réception africaine de l’ecclésiologie du Concile Vatican II. Un autre motif qui pousse à la réalisation cette étude est le souvenir de Karl Rahner, un des meilleurs systématiciens de l’Église Catholique du siècle passé. Ce grand théologien a totalisé plus de cent ans de naissance (1904). L’importance de K. Rahner tient, entre autres, à sa théologie trinitaire et à ses études portant sur les rapports qui existent entre la théologie et l’anthropologie. Comment l’Afrique se positionne-t-elle face à l’héritage du savant jésuite ? Pour répondre à cette question, l’étude cherche à préciser les rapports qui existent entre l’ecclésiologie synodale africaine et le mystère de la Trinité. Elle également l’accent sur la base anthropologique utilisée par l’Afrique tant pour parler de l’Église que de la Trinité. Il n’est pas à redire que ce projet d’étude se situe dans le cadre de l’inculturation. Mais, l’inculturation c’est quoi ? Une théologie belliqueuse ? Est-elle promotrice d’un rapport exclusif entre les cultures ? La réponse à ces questions sera découverte dans l’analyse des documents du Synode Africain. Mais, quel plan suivre pour répondre à toutes ces questions ? Cette étude aura deux parties. La première sera descriptive. Elle portera essentiellement sur les affirmations et ou la confession que le Synode Africain avait faite sur les rapports qui existent entre le mystère de la Trinité et l’Église communion. Voici les documents synodaux qui seront analysés : le Rapport d’Introduction (RI), les Interventions Personnelles (IP) et le Rapport de Synthèse (RS) ; les douze Rapports des Carrefours ou Curculi Minores (RC) ; les Propositions du Synode Africain (PSA) ; le Message du Synode Africain (MSA), du 6 mai 1994[1] et l’Exhortation Apostolique Post-synodale Ecclesia in Africa (EIA) du 14 septembre 1995[2]. A ce niveau, il convient de signaler une limite volontaire de l’étude. L’étude n’aborde pas les documents préparatoires au Synode (Lineamenta [1990] et l’Instrumentum laboris [1993]). Elle se limite aux textes qui ont été produits par le Synode pendant le Synode et par le Pape après le Synode. La seconde partie de l’étude prolongera la première en prospectant les images ecclésiologiques complémentaires dont parle le Synode. Elle porte un grand accent à la pneumatologie africaine inculturée. La raison de ce choix est simple : l’Esprit-Saint est la Communion en Dieu. Comment concilier cette communion hypostatique et la communion ecclésiale africaine ? C’est une question qui sera en sourdine dans la section dédiée à la personne de l’Esprit-Saint comme Fécondité infinie de l’Amour de Dieu. La seconde partie relèvera, donc, de la triadologie africaine inculturée. Elle met également l’accent sur l’Esprit-Saint comme Onction économique du Fils incarné en rapport avec l’Église comprise comme Corps mystique du Christ. Cette perspective systématique parlera brièvement de l’importance de la Paternité de Dieu dans la vie ecclésiale africaine et son impact dans le changement de la situation dramatique africaine. En bref voici le plan : 1. description des documents synodaux ; 2. images complémentaires de l’Église synodale ; 3. pneumatologie ; 4. paternité/maternité de Dieu, vie en Église et efficacité dans la société. L’on sera peut-être surpris de l’inexistence d’un titre portant sur la christologie. Ce n’est pas une méprise. En effet, comme on le verra plus tard, les documents synodaux sont, dans leur majorité, christocentriques. Je ne pouvais plus alourdir le texte avec une réalité qui existe déjà de fait dans la partie descriptive. Ceci étant, je passe à l’exposé descriptif.
I. 0. Analyse des sources
La visée de cette partie de l’étude est de fournir au lecteur des extraits des textes ecclésiologiques, à mes yeux très significatifs, des différents documents de l’événement synodal africain. Ces extraits parlent explicitement ou indirectement des rapports qui existent entre la Trinité et l’Église. Mais, la différence des sources utilisées est à noter dès le début. En effet, en ne voir que la liste des différents textes à analyser (RI, IP, RS, RC, PSA, MSA et EIA) l’on se rend aussi compte de la hiérarchie de leur poids en tant que source théologique. Mais, cette différence qualitative des sources a l’avantage de montrer comment la proclamation du fondement trinitaire de l’Église communion qui se trouve dans le document officiel du Synode, en l’occurrence EIA, est un fleuve qui traîne des eaux de plusieurs ruisseaux. Déjà dans l’analyse de ces documents, il est à noter que le point de départ de l’ecclésiologie synodale est la « communion », fruit d’une convergence diachronique de beaucoup de sources qui traduisent l’unipluralité de la vie dans l’Église. Cette petite notre introductive suffit. Elle permet le passage à l’analyse des documents.
I. 1. Rapport d’Introduction (RI)
Pour montrer le contexte synodal des extraits que je cite, il n’est pas mieux que de reprendre ici l’introduction que l’édition de Mgr Ntedika, expert au Synode, fait au RI. « La première Congrégation Générale du 11 avril a culminé, affirme-t-il, par la Relatio ante disceptationem, le rapport d’introduction et d’orientation de Son Eminence le Card. H. Thiandoum, Archevêque de Dakar et Rapporteur Général du Synode. Cet exposé a en fait repris à l’Instrumentum Laboris et imposé définitivement le schéma et les sous-thèmes qui marqueront, jusqu’à la fin, les interventions successives et tout le déroulement du processus synodal : le contexte de l’évangélisation en Afrique, l’annonce de l’évangile, la justice et la paix, les communications sociales »[3]. Les premières phrases de cette Relatio ante disceptationem nous situe déjà dans la Trinité, mais en perspective doxologique. Il s’agit ici de la Trinité confessée. En effet, ces phrases affirment que : « Cette Assemblée Spéciale du Synode des Evêques pour l’Afrique est un événement de grâce providentiel, pour lequel nous devons rendre grâce au Père Tout-Puissant et miséricordieux par son Fils dans l’Esprit et le glorifier »[4]. Ce bref extrait montre que c’est la providence qui est la cause de l’événement synodal africain. La providence est grâce. La grâce est vie de Dieu lui-même en nous et pour nous. La grâce c’est l’autocommunication effective de la Trinité à la création. D’où, la louange et la gloire qui découlent de cet événement providentiel sont à rendre par l’Église au Père par la médiation de son Fils dans l’Esprit-Saint. L’ordre divin est ici respecté dans cette perspective doxologique de la Trinité.
Dans un autre paragraphe du RI, l’Archevêque de Dakar montre que c’est toute l’histoire de l’événement synodal, non seulement les réunions célébrées à Rome, qui est sous la lumière de l’Esprit-Saint. C’est aussi sous cette même lumière de l’Esprit-Saint que s’accomplira la période post-synodale.
Depuis l’annonce de la convocation du Synode par le Pape Jean Paul II le jour de l’Epiphanie 1989, l’Eglise en Afrique et dans la grande Ile a effectué un ‘‘chemin commun’’, un ‘‘syn–odos’’. Durant les quatre prochaines semaines, ce voyage en commun se poursuivra comme une période intensive de prière et de réflexion, de mise en commun, par échanges, de nos certitudes, interrogations et espoirs pour le devenir de l’Evangile en Afrique par l’Eglise. Durant ce Synode, rassemblée sous la lumière de l’Esprit-Saint, nous espérons récolter les fruits, écouter ce que l’Esprit nous dit et programmer la suite de notre trajet, ensemble et en union avec l’Eglise universelle[5].
Cette situation de « rassemblée sous la lumière de l’Esprit-Saint » contraste, selon le Cardinal Thiandoum avec le contexte social africain à évangéliser. Il y a contraste entre la Bonne Nouvelle à annoncer et l’Afrique dans sa situation sociale, politique et économique.
Mais qu’entendons-nous par évangélisation ? C’est avant tout la ‘‘Bonne Nouvelle’’, comme le suggère le mot lui-même. C’est l’annonce au monde de la bonne nouvelle et joyeuse nouvelle que Dieu, qui nous aime, sauve le monde par le Christ […] Dans un continent saturé de mauvaises nouvelles, comment le message chrétien est-il ‘‘Bonne Nouvelle’’ pour notre peuple ? Au milieu d’un désespoir qui envahit tout, où est l’espérance et l’optimisme qu’apporte l’Evangile ? L’évangélisation promeut nombre de ces valeurs essentielles qui font tellement défaut à notre continent : espérance, paix, joie, harmonie, amour et unité. L’Afrique a un besoin absolu du message évangélique, car par l’Evangile Dieu construit sa famille[6].
Dans cet extrait, l’archevêque de Dakar, au Sénégal, continue la distinction entre le Père et le Fils, mais qui agissent conjointement. Le Père est appelé Dieu. C’est lui qui aime et sauve par son Fils qui est le Christ. C’est cela la Bonne Nouvelle. Mais, le rapport entre le « Dieu et le Christ » dans l’annonce de l’Evangile est productrice des valeurs que sont espérance, paix, joie, harmonie, amour et unité. Au fond, la situation dramatique africaine traduit ici une grave déficience dans la construction de la famille humaine hors des valeurs évangéliques. D’après le texte cité, c’est Dieu lui-même qui est le vrai constructeur de la famille humaine par la médiation de l’Evangile. L’évangélisation implique l’adhésion à la Parole et la construction du Règne de Dieu en Afrique[7]. C’est au paragraphe trois du RI que se trouve établit le lien étroit entre l’ecclésiologie africaine à bâtir et l’ecclésiologie du Concile Vatican II. C’est par ce même biais que ressort l’importance théologique de l’Eglise communion en perspective africaine. Le texte est long, mais il sera repris dans sa totalité car il éclairera les autres positions synodales.
Une image particulièrement frappante et significative de ce qu’est l’évangélisation, dit le Cardinal Thiandoum, est de la considérer comme l’édification de la famille de Dieu sur terre. Ce concept, si souvent évoqué dans les réponses aux Lineamenta, a des racines profondes dans notre culture africaine. Cela exprime aussi les profondes valeurs chrétiennes et africaines de communion, de fraternité, de solidarité et de paix. En effet, dans une vraie famille africaine, les joies, les difficultés et les épreuves sont partagées dans un dialogue confiant. Puisque l’ensemble de l’humanité est d’une certaine manière la famille de Dieu, cette image élargit également l’évangélisation à ses dimensions universelles : accueillir tous les peuples et chaque personne au sein de cette grande famille, comme membre conscient ou mû par l’Esprit[8]. Pour résumer ce paragraphe, je dirai encore une fois que, par l’Evangile, Dieu construit sa famille, car l’Evangélisation invite l’humanité à participer à la vie de la Trinité, l’appelant à revenir au Père, dans l’Esprit et par le Fils, ‘‘afin que Dieu soit tout en tous’’ (1 Co 15, 28).
Bien sûr, ajoute l’archevêque de Dakar, l’image de l’Eglise comme Peuple de Dieu, selon les approches qu’en a données le Concile Vatican II[9], mérite d’être mise ici en relief. Dans le contexte particulier de l’Afrique, nous rappelons à ce propos notre sens aigu d’être un peuple et d’y appartenir et de devoir garder ensemble une solidarité mutuelle. Ceci parfois dégénère en des formes négatives de tribalisme et d’ethnicisme. Dans la conception de l’Eglise Peuple de Dieu qui traverse toutes les tribus, langues et nations et les unit, les valeurs africaines de ‘‘peuple’’ et de ‘‘tribu’’ trouvent une expression plus adéquate et plus ample[10].
De ce texte, il se dégage que l’Eglise Communion est reçue en Afrique par l’image théologique de l’Église-Famille de Dieu. Il est souligné ici que l’anthropologie et les valeurs de cette famille ecclésiale sont à puiser dans la vraie famille africaine qui se caractérise, entre autres, par un dialogue confiant. L’exigence de l’évangélisation partout et pour tous est dictée par l’universalité même de la famille de Dieu qui ne coïncide pas exactement avec l’Église. Toute l’humanité et l’Église partagent une réalité commune face à Dieu, celle d’être sa famille construite par lui-même Dieu. Il y a une vraie herméneutique du concept du « Peuple de Dieu ». Celui-ci n’est plus appliquée strictement à l’Église, parce que les Africain(e)s se considèrent déjà comme un tel peuple.
Dans cet extrait, il est également dit que l’adhésion à l’enseignement de l’Église qui évangélise est liée et à la conscience de la personne et à la puissance de l’Esprit-Saint. L’adhésion au contenu de la foi chrétienne est une invitation. Par là, l’on souligne la liberté humaine dans l’acte de foi. L’invitation chrétienne est un « revenir au Père ». L’on souligne ici l’universalité de la paternité de Dieu sur toute l’humanité, malgré l’éloignement peccamineux de l’être humain. Mais, le retour au Père se fait par la médiation de son Fils, dans l’Esprit-Saint.
Dit d’une manière succincte, la communion humaine avec Dieu est une participation à la vie de la Trinité. Cette affirmation implique une autre. La communion du Fils et de l’Esprit-Saint avec le Père, n’est pas une participation à la vie de la Trinité. En effet, leur communion mutuelle entre eux et avec le Père est fonction de leur identité de « Dieu par nature » et donc des personnes de la Trinité. Il y a ici deux niveaux qualitativement différents entre communion théologale déterminée par la consubstantialité numérique, l’égalité des personnes divines et la communion par participation de la créature à la vie divine qui n’est autre que trinitaire. A la question de savoir de quel peuple parle-t-on quand l’on aborde la question de l’Afrique, l’archevêque de Dakar, répond en insistant sur la diversité des situations tant pour l’Église que pour la société. Cette diversité fait que le Synode Africain puisse « donner de grandes orientations et des lignes générales », laissant à chaque Église locale le soin d’assumer la responsabilité de trouver des solutions concrètes aux problèmes qu’elle affronte[11]. Une autre question suit celle-ci.
De quelles ressources disposons-nous ? La plus importante, après la grâce du Christ, est celle du peuple, affirme le Cardinal Thiandoum. Le Peuple de Dieu -entendu au sens théologique de Lumen gentium, ce Peuple comprenant les membres du corps du Christ dans sa totalité- a reçu le mandat, qui est à la fois un honneur et un devoir, de proclamer le message évangélique. Avec l’expérience bien connue à présent des Communautés ecclésiales vivantes, c’est l’ensemble du Peuple de Dieu qui est mobilisé pour être Eglise et pour évangéliser. De cette expérience quelles leçons peuvent être tirées et partagées, pour un modèle d’Eglise locale évangélisatrice ? La Communauté ecclésiale vivante peut retirer un enrichissement théologique et une motivation missionnaire du concept de l’Eglise-‘‘Famille de Dieu’’ à laquelle tous sont appelés et destinés à appartenir. Le concept de ‘‘famille’’, très fort en Afrique, exprime par une image concrète la profonde notion ecclésiologique de communion des croyants, une communauté diversifiée en fonction et en personne[12].
La communion de l’Église-Famille, qui trouve son fondement et dans la participation à la vie divine et dans son origine anthropologique africaine, ne se limite pas à un concept ecclésial abstrait sans concrétude historique. En revanche, la réalité vitale de la communion se concrétise dans la Communauté ecclésiale vivante et concerne la communauté ecclésiale locale globale (Evêque, prêtres, les religieux et le laïcat)[13]. Il y a communion dans la totalité de la communauté qui reçoit le mandat du Christ et diversité dans l’exercice de cette même mission. La communion est toujours liée aux différences. On ne peut en douter. La réception synodale africaine de l’Église communion en terme de l’Église-Famille de Dieu est fonction de l’inculturation du message évangélique. Elle est fonction de l’effort dynamique africain de recevoir la foi chrétienne totalement enracinée dans la culture et la vie du continent noir. Mais, quel rapport existe-t-il entre l’inculturation et les personnes divines ?
L’inculturation est comprise « dans le cadre d’une théologie de l’incarnation »[14]. Cette affirmation est lourde, car elle nous met devant le mystère de la communion-communication des idiomes dans la personne de Jésus. D’une part, il y a le fondement du mystère de l’événement Jésus dans la personne et la nature divine du Verbe-Fils et de l’autre, il y a le fondement de ce même événement dans la personnalité et la nature humaine créées de l’homme Jésus. Il est évident que le fondement théologal, c’est-à-dire, la deuxième personne de la Trinité et sa nature numériquement consubstantielle au Père et à l’Esprit-Saint sont qualitativement différentes de la personnalité et de la nature humaines de Jésus. Dans l’union hypostatique, les relations entre Verbe-Fils et la personnalité humaine de Jésus ne se font pas entre deux personnes. Tous ces éléments montrent que l’inculturation qui suit la logique de l’incarnation opère avec des analogies qui voulant traduire la même finalité, gardent des énormes dissemblances. Dit d’une autre manière, la communion qui se dégage du mystère de l’Incarnation n’est pas à transposer telle quelle dans le mystère de l’Église communion reçue en Afrique en terme d’Église-Famille de Dieu. L’échange merveilleux qui se réalise dans l’Église-Famille entre la Trinité et les êtres humains, se fait en accomplissant une communion entre diverses personnes. Cependant, le concept de « personne » et de « communion » appliqués tant à Dieu qu’aux êtres humains qui forment l’Église sont qualitativement différents. Jésus-Christ devient pour l’Église-Famille de Dieu le paradigme, non réitératif, de la réalisation personnelle de cette communion entre l’humain et les personnes divines. Jésus-Christ peut l’être, parce qu’il est à la fois une personne divine, personnalité individuelle et la personnalité corporative absolue de laquelle l’Église prend sa racine ontologique, historique et eschatologique.
L’incarnation n’est pas à considérer ici dans un sens synchronique. Elle est à considérer dans tout son mouvement qui va du Verbe devant s’incarner, au Verbe incarné de fait dans le ventre de Marie et à travers toute la vie et les œuvres de Jésus de Nazareth vivant sa Pâques dans l’Esprit-Saint jusqu’à atteindre sa montée dans la gloire, pour être assis à la droite du Père. Tous ces mystères qui se sont déroulés dans l’histoire ne sont pourtant pas les conséquences du temps. L’inculturation qui est absolument un dialogue de salut, ne peut donc se réduire à une conséquence des séquences des événements historiques. Ceci est évident dans la pensée de l’archevêque de Dakar. C’est pour cette raison qu’il affirme que l’inculturation est « l’œuvre de l’Esprit-Saint guidant le croyant vers la pleine connaissance de la vérité »[15]. Cette affirmation est confirmée par une autre. « L’évangélisation est l’œuvre de l’Esprit qui en est le premier agent. Mais c’est aussi une mission que le Seigneur a confié à son Eglise, sous la conduite et la puissance de l’Esprit. Notre coopération par la prière fervente, une grande réflexion, des projets, la mobilisation des ressources et la collaboration, est nécessaire »[16]. Un seul commentaire à propos de ces affirmations pneumatologiques. De même que le Verbe-Fils ne devient Jésus que par la force de l’Esprit-Saint et le oui de Marie ; de même que Jésus ne devient Christ et n’est glorifié que par le don de l’Esprit-Saint, de la même façon, aucune inculturation n’est possible sans l’action personnelle de l’Esprit-Saint qui abouche à la vérité totale : la participation à la vie de la Trinité. L’inculturation n’est pas d’abord œuvre humaine. Elle est découverte de la communion entre les personnes divines et dans l’économie et dans leur vie ad intra. L’action de l’être humain dans cette œuvre relève de la coopération. En christianisme, il n’y a pas d’opposition entre « l’être et l’action de Dieu » et « l’être et l’action de la personne humaine » qui se situe sous la lumière de l’Esprit-Saint.
Pour conclure cette présentation du RI, il sied de dégager l’importance de la fonction personnelle de l’Esprit-Saint dans la communion de l’Église avec la Trinité et la communion de tous les membres de l’Église à l’œuvre du salut réalisée par Jésus-Christ, Fils du Père.
I. 2. Les Interventions Personnelles (IP)
Au cours de deux premières semaines de la célébration synodale à Rome, il y eut plus de deux cents interventions des membres du Synode[17]. Ces interventions avaient une durée maximale de huit minutes[18]. Cette double indication montre à elle seule, les limites de toute étude sur lesdites interventions. D’une part, il y a l’abondance. Les nombreuses informations que constituent ces interventions sont une banque de données capable d’être source de plusieurs études. Ceci implique déjà une limite à ma présentation. Le paragraphe de mon étude n’a aucune prétention d’être une étude monographique qui résumerait ou analyserait toutes ces interventions. D’autre part, il faut tenir compte de la brièveté temporelle des interventions. C’est une limite sérieuse dans l’approfondissement des thèmes théologiques complexes et difficiles comme celui de la Trinité. Ceci justifie peut-être le remarquable manque, me limitant bien sûr aux textes rassemblés par Maurice Cheza, d’un grand nombre d’interventions qui articuleraient les liens qui existent entre la Trinité et le mystère de l’Église-Famille. Cette limite du point de vue du nombre, me permet d’aborder la problématique de mon étude sans avoir peur de laisser de côté une pièce fondamentale relative à l’objet principal de la recherche.
Parmi ces IP, deux exposés sont spécialement notables parce qu’ils abordent explicitement la problématique du rapport entre la Trinité et l’ecclésiologie. Il s’agit de l’IP de Mgr Anselme Tatianma Sanon et celle de l’Abbé Efoé-Julien Penoukou. La reproduction de la totalité de leur intervention est donc une exigence interne aux contenus des exposés.
I. 2. A. L’IP de Mgr SANON
Voici comment Mgr Sanon s’exprime.
Depuis le Concile Vatican II, la tradition de l’Église-communion est revenue pleinement dans la vie de l’Église. L’Église du Burkina Faso et d’autres Églises en Afrique l’ont traduite selon leur expérience socio-religieuse sous les appellations : Église-famille, Église-fraternité[19]. C’est la même Église née du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Icône de la Trinité, l’Ecclesia, rassemblement des peuples, particulièrement en Afrique, qui est heureuse de se trouver ici à Rome, comme en un vaste mouvement de pèlerinage ad Petri cathedram : Rome, dont la vision d’horizon doit être l’univers, peut avoir ses fils qui viennent de loin et tenter de les porter dans ses bras et dans son cœur ; car nous sommes aussi vos frères et vos sœurs. Nous vivons la tradition de l’Église-communion, l’Église-famille, l’Église-fraternité, sous forme de :
- communauté ecclésiale de base [CEB] ;
- communauté ecclésiale vivante [CEV] ;
- communauté chrétienne de base [CCB] ;
- communauté familiale de base [CFB].
Ces conceptions tiennent aussi compte du fait que dans l’Église, chaque peuple, race et langue et nation, culture aussi, a sa place. Chaque membre a sa place et son rôle à jouer en vue de la communion de tout. La conception pastorale et théologique de l’Église-communion, de l’Église-famille des nations et de Dieu, l’Église-fraternité, a ses racines dans le passé de l’Église.
Pour nous, elle est un terrain où se traduit l’inculturation à partir des réalités positives de la famille africaine. Développer cette théologie inculturée sera un passage important pour l’Église de l’an 2000 en Afrique, une contribution à la théologie de toute l’Église.
Quelques réflexions et conséquences en découlent :
- la théologie trinitaire, une famille par analogie !
- le Christ, ancêtre fondateur de notre foi ;
- la Bible, parole d’alliance de la famille divine avec la famille humaine qu’elle crée et sauve ;
- le collège apostolique, constituant les aînés, témoins et garants de la tradition familiale ;
- la communion avec le successeur de Pierre, aîné des témoins ;
- la communion entre les Églises.
Dans cette tradition profonde, des acquis inaltérables qui sont aujourd’hui des points sensibles, ne seront pas perdus de vue :
- une catéchèse appropriée à partir du catéchisme de l’Église catholique ;
- des rites liturgiques adaptés ;
- un droit canonique qui tienne compte des aires socio-culturelles dans leurs diversités et dans l’Esprit d’unité : car nous confessons la même foi mais de manière différente[20].
Cet exposé est très riche en contenus. Il commence par confirmer la réception africaine de l’ecclésiologie de communion du Concile Vatican II. Cette réception s’est faite à partir de l’expérience socio-religieuse africaine. C’est-à-dire, qu’il y a eu un vrai travail herméneutique, de lecture scientifique rigoureuse. Cette lecture s’est faite à partir de l’organisation sociale africaine et de la religion qui est à la base de l’existence africaine. De cette réception africaine sont nées deux nouvelles figures ecclésiologiques : l’Église-Famille et l’Église-Fraternité. Cependant, ces nouvelles figures ecclésiologiques clairement différentes de l’ecclésiologie du Concile Vatican II, à cause du contexte socio-religieuse africaine, ne sont pas la naissance d’une autre Église. Elles demeurent deux figures de l’unique et la même Église. Cette unicité est fonction de la provenance trinitaire de l’Église communion, de l’Église-Famille et de l’Église-Fraternité. Les modes de la réalisation historique de l’Église trinitaire sont diversifiés en CEB, CEV, CCB et CFB.
Mgr Sanon insiste sur le fait que la pluralité est la condition théologique de l’Église icône de la Trinité. L’Église n’est donc pas seulement l’unique Peuple de Dieu. Elle est le rassemblement des nations. L’unité du Peuple de Dieu ne gomme pas la diversité des peuples, la singularité de chaque peuple et personnelle. Ces différences ne détruisent pas le pouvoir de Pierre, dont la vision doit être l’horizon du monde. Les diversités de figures ecclésiologiques africaines ne ruinent pas la fraternité entre les chrétiens d’ailleurs et ceux d’Afrique. Mgr Sanon affirme que ces nouvelles figures ecclésiologiques africaines trouvent leurs racines dans la Tradition[21]. Après l’argument de la Tradition, Mgr Sanon centre sa pensée sur l’inculturation de l’ecclésiologie comme assomption des réalités positives de la famille africaine. L’on retrouve là l’idée du Concile selon laquelle l’Église assume tout ce qui est vrai et bon dans les cultures. En plus de cela, Mgr Sanon utilise à la fois le principe de la connexion des mystères et celui de la hiérarchie des vérités. Cette utilisation est patente dans les développements théologiques espérés : une nouvelle triadologie africaine dont l’analogie de base sera la famille africaine, mais dans ses valeurs positives et ses vérités anthropologiques ; une christologie ancestrologique ; une théologie des Écritures qui puisse partir du génie des alliances africaines ; une théologie des ministères basée sur les initiations africaines à la vie[22] ; la communion des Églises est elle-même fonction de la manière dont l’Afrique entend la communion[23]. Le développement de la théologie inculturée qui va de l’ecclésiologie au mystère de la Trinité en appelle à des changements. Tous ces changements sont déterminés par le pluralisme. Tant dans la catéchèse, les rites que le droit canonique les diversités des aires culturelles des Églises doivent être manifestent, sans pourtant ruiner l’unité dans l’Esprit-Saint.
I. 2. B. L’ IP de l’Abbé PENOUKOU
L’IP de Penoukou aborde la même problématique, mais en analysant principalement les thèmes de la communion trinitaire et des distinctions personnelles en Dieu. Il ne met pas assez en exergue l’anthropologie africaine comme le fait Sanon[24]. Voici son texte :
Le mystère de Dieu Trinité est communion du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, communion dans laquelle la spécificité de chacun est aussi essentielle que l’unité. En effet, le Père n’est Dieu qu’en tant que Père, le Fils n’est Dieu qu’en tant que Fils, le Saint Esprit n’est Dieu qu’en tant qu’Esprit. Il y a ainsi en Dieu une relation de parfaite « communion des différences ». Le genre humain a été créé selon la diversité : Homme et femme, il les créa (Gn 1, 27). C’est là le fondement trinitaire de l’inculturation. Il fait de nos différences non pas un obstacle, mais une condition de vraie communion.
Ainsi le Verbe de Dieu s’est incarné dans la culture particulière juive, pour indiquer combien il ne peut être réellement accueilli par chaque peuple que de manière particulière : c’est Lui qui révèle et réalise dans sa personne cet amour trinitaire à travers l’histoire.
De cela, l’Église est signe et sacrement. Chaque Église locale devrait par conséquent promouvoir en Christ ce qui fait ses richesses culturelles propres, pour une expérience en profondeur de la foi. Voilà pourquoi, comme dit le Concile Vatican II, l’Église unique et catholique n’existe qu’à partir des Églises particulières.
De ce point de vue, nos Églises d’Afrique sont certes locales, mais pas encore particulières.
Pour y arriver, il leur faudra faire assumer par l’Évangile les vraies valeurs de leurs cultures, les angoisses et les espoirs des peuples en proie à de multiples drames de la vie. Elles pourront dès lors être réellement instruments de salut, et entrer en relation de communion enrichissante au sein de l’Église universelle.
Face aux interpellations et défis actuels, on attend de ce Synode plus que des exhortations et des recommandations. La création de commissions qui réfléchissent sur les conditions et les implications pratiques de l’identité des Églises d’Afrique serait la bienvenue.
Dans cette perspective, et pour s’en tenir à un exemple, la liturgie représente un lieu ecclésiologique, où la communauté célèbre et donc approfondit son expérience, sa compréhension de la foi, en rapport avec la Tradition apostolique. Aussi, l’émergence, dans les grands territoires socio-culturels (AG 22), de nouveaux rites, est non seulement un droit auquel on pourrait renoncer, mais davantage un devoir urgent à assumer avec responsabilité. « S’il y a unité de foi, écrivait saint Grégoire le Grand en avril 591 à l’évêque de Séville, une différence de rites ne nuit en rien à la sainte Église »[25].
Cette intervention se structure de cette manière : 1. Trinité ; 2. anthropologie biblique ; 3. principe de l’inculturation ; 4. application christologique ; 5. application ecclésiologique ; 6. évaluation de la situation des Églises d’Afrique ; 7. les six tâches avenirs. Concernant le mystère de la Trinité, Penoukou part de l’unité de Dieu Trine comme communion différentielle. Dans la Trinité, la communion des personnes ne vient pas avant les spécificités hypostatiques. Les personnes ne sont pas secondes ou secondaires à la communion. Les différences en Dieu sont aussi premières que la communion.
En Dieu, il y a une parfaite communion des différences. Au fond, Penoukou attache la communion à la nature divine et les différences aux trois hypostases. Mais, comme la nature divine se trouve toujours hypostasiée différentiellement par les personnes, Penoukou insistera sur les diversités comme condition de la communion trinitaire. Il montre la correspondance qui existe entre ce mystère de Dieu et l’anthropologie biblique. Il affirme que dans la création du genre humain, le principe se vérifie car la communion humaine est aussi primaire que la diversité des genres.
De cette triadologie et de cette anthropologie biblique, il dégage le principe de l’inculturation : les différences sont la condition de la vraie communion. Penoukou applique cette idée à l’Incarnation paradigme de l’inculturation. Il existe une relation de proportion directe entre la particularité de l’événement Jésus et son accueil. Ce dernier doit être toujours particulier. C’est cette particularité qui révèle la communion (amour) trinitaire. De là, Penoukou tire une autre conséquence. L’Église, signe et sacrement du Christ, trouve dans l’événement Jésus son exemplarité. L’exigence est pour chaque Église locale de promouvoir les richesses culturelles propres. Chaque Église locale devient ainsi une Église particulière. Quelle est la situation des Églises africaines ? Elles sont locales, mais elles ne sont pas encore arrivées à l’état des Églises particulières. Que faire pour y arriver ? Assumer les valeurs des cultures africaines ; assumer les angoisses et espoirs d’Afrique, devenant ainsi des instruments de salut. C’est à cette seule condition que ces Églises peuvent entrer en communion enrichissante avec l’Église universelle. Ces Églises doivent avoir leurs rites propres, ce qui leur permettra d’assumer leurs responsabilités historiques.
D’après l’IP de Penoukou, les Églises d’Afrique n’ont pas encore totalement reçu les enseignements du Concile Vatican II. Elles ne le seront que quand elles deviendront des Églises particulières, répondant ainsi au mystère de la Trinité dans lequel « le Père n’est Dieu qu’en tant que Père, le Fils n’est Dieu qu’en tant que Fils, le Saint Esprit n’est Dieu qu’en tant qu’Esprit ». C’est la relation de parfaite communion des différences en Dieu qui détermine l’identité des Églises africaines comme particulières.
Les deux interventions celle de Mgr Sanon et de l’Abbé Penoukou auront, comme nous le verrons plus tard, un remarquable impact dans tous les documents décisifs du Synode.
I. 2. C. L’ IP de Mgr MONSENGWO
Ce même rôle doit être reconnu à l’intervention de Mgr Monsengwo. Celui-ci aura aussi un notable retentissement. Il y a lieu de constater que cette conférence revient sur la problématique centrale du Synode : le fondement christologique de l’inculturation. Les débats et les options théologiques s’y convergeront et s’entrechoqueront, en sourdine. Comme on le verra, il y a des groupes des pères synodaux qui auront difficile à conjuguer à la fois et harmonieusement l’Ecclesia ex hominibus avec l’unique Ecclesia de Trinitate.
[…] 1. L’inculturation est au cœur du message révélé. Dans sa genèse comme dans sa constitution et sa maturation progressives, le message biblique baigne dans l’inculturation. Né dans une culture donnée, le message du salut a successivement emprunté aux diverses cultures, qui ont jalonné l’histoire sainte, de quoi s’exprimer pleinement et de quoi dire sa richesse qui dépasse tout entendement.
2. Ce faisant, la révélation intègre la culture, cependant qu’elle la dépasse et la transcende en lui donnant un sens nouveau, une portée nouvelle, des potentialités expressives nouvelles, une référence nouvelle : Jésus-Christ. La culture devient ainsi capable de révélation divine, c’est-à-dire, de Jésus-Christ, tandis que celui-ci accueille le peuple avec sa culture transformée et le fait entrer de plain-pied et de manière consciente dans l’histoire du salut. L’optique de la révélation biblique dans son ensemble présente la rencontre de Dieu avec les hommes comme une expérience de conversion innovatrice et créatrice de culture.
3. L’évangélisation implique l’inculturation. Évangéliser sans, à terme, inculturer, serait, d’une part, limiter la portée de la conversion du Christ, car la culture fait partie de l’identité du néophyte. D’autre part, une telle évangélisation ferait de notre Dieu et Père, un Dieu qui fait acception des personnes.
Au demeurant, l’Église n’a pas fait autre chose tout au long de son histoire : elle a inculturé. Il suffit de penser à l’inculturation du culte du Sol Invictus au IVe siècle, pour exprimer le mystère de Noël et de l’Épiphanie. La Relatio ante disceptionem a dès lors parfaitement raison de dire que l’inculturation, même en liturgie, est un droit et non une concession. En effet, dans l’Écriture Sainte comme dans la missiologie, dans la lex credenti comme dans la lex orandi, tout est inculturé. Tout doit donc être inculturé : la théologie, notamment la théologie sacramentaire, la liturgie, le droit ecclésiastique, les structures de vie ecclésiale. Les critères d’une telle inculturation sont connus, à savoir : outre l’analogie de l’Écriture, l’analogie de la Foi et la fidélité à la Tradition Apostolique, il faut signaler, avec le Concile Vatican II, tout ce qui sert à confesser la gloire du Créateur, à mettre en lumière la grâce du Sauveur et à mieux ordonner la vie chrétienne (cfr Décret Ad Gentes, nº22).
4. Il serait erroné de présenter l’inculturation en Afrique comme une quête ou une revendication pour la légitimité d’une « africanisation » à la place d’une « occidentalisation » du christianisme. Le risque serait grand de voir l’Africain – tout comme l’Occidental – s’ériger en référence pour la « vérification » et la « validation » de l’Évangile, d’une part, et, d’autre part, de figer l’une ou l’autre des deux approches dans le temps et dans l’espace. On perdrait ainsi toute la dynamique du dépassement culturel permanent qui caractérise le modèle biblique d’inculturation.
5. L’inculturation n’est pas une canonisation de la culture ni une installation dans la culture au risque de l’absolutiser. Elle est une irruption et une épiphanie du Seigneur qui provoque la déstabilisation, en vue d’un cheminement selon une référence nouvelle, qui est créatrice d’une culture porteuse de Bonne Nouvelle pour l’homme et sa dignité incomparable.
6. L’Instrumentum Laboris souligne, à juste titre, à la suite du Pape Jean Paul II, l’analogie entre l’incarnation et l’inculturation. De même que, par l’incarnation, le Verbe de Dieu s’est fait en tout semblable aux hommes, sauf dans le péché, ainsi l’Évangile assume toutes les valeurs humaines, mais refuse de prendre corps dans les structures de péché. C’est dire que plus le péché individuel et collectif abonde dans une communauté humaine et ecclésiale, moins il y a de place pour l’inculturation. L’inculturation réussit le mieux lorsqu’elle est l’expression de la sainteté d’un peuple vraiment converti au Christ. D’où l’urgence de créer des espaces humains et des sociétés qui remplissent des valeurs du Royaume – justice, paix, vérité et dignité humaine – et d’où soient bannies les antivaleurs entachés de péché. Autrement dit : plus une communauté chrétienne resplendit de sainteté et de valeurs évangéliques, plus elle a des chances de réussir l’inculturation du message, car la réexpression de la foi assimilée devient quasiment connaturelle. Bref, l’inculturation de la foi est un défi de sainteté.
7. On ne cherche donc pas à inculturer pour introduire un christianisme au rabais. Mais au contraire, l’inculturation permet de vérifier le degré de sainteté, le niveau de pénétration évangélique et de foi au Christ d’une communauté chrétienne. En effet, il existe une circularité entre l’annonce de l’Évangile et l’inculturation que nous pourrions exprimer comme suit : plus la parole de Dieu est annoncée – elle est efficace (Is. 55, 11) –, plus elle porte des fruits de sainteté ; plus elle porte ces fruits dans la communauté chrétienne, mieux l’inculturation du message peut se faire ; plus l’inculturation se réalise, mieux est annoncée la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Par conséquent, la tâche prioritaire de l’Église en Afrique est de promouvoir l’éclosion des valeurs du Royaume dans la société pour qu’elle porte les valeurs de sainteté. Cela implique tout naturellement l’évangélisation du monde politique.
8. Ainsi donc, ouvrons nos cœurs et nos esprits à l’inculturation, afin de relever le défi de sainteté à laquelle est appelée l’Église de Dieu qui est en Afrique[26].
L’IP de Mgr Monsengwo ne parle pas directement du rapport qui existe entre la Trinité et l’Église. Cependant, les thèmes abordés par l’archevêque de Kisangani implique ladite problématique. Déjà dans le premier paragraphe Mgr Monsengwo met l’accent sur la révélation. Celle-ci n’est autre que le déploiement historique du mystère de Dieu. Cette révélation est vue en rapport avec le message biblique qui est, tant dans sa constitution que dans sa maturation progressive, une inculturation. Dans ce paragraphe premier, la dynamique de l’inculturation est vue comme réalité qui va du particulier, mais qui s’enrichie à la fois du point de vue du temps que de l’espace aboutissant ainsi à la diversité culturelle. La révélation, par sa propre puissance interne, implique un message dont l’expression pleine de sa richesse porte au dépassement tant de l’entendement humain que des cultures.
Le second paragraphe montre justement les rapports qui existent entre la révélation et la culture. Il y a d’une part, l’intégration de la culture dans la révélation et le dépassement de la culture par la révélation. D’autre part, la transcendance de la révélation donne un sens nouveau, une portée nouvelle à la culture. Elle lui révèle ses nouvelles potentialités expressives et l’ouvre à la nouvelle référence : Jésus-Christ. C’est Jésus-Christ qui rend la culture capable de la révélation divine. Ce même paragraphe, montre que Jésus en retour accueille le peuple et sa culture transformée. Il le fait entrer de « plain-pied » et de manière « consciente » dans l’histoire du salut. Il convient d’observer ici que Mgr Monsengwo n’affirme pas qu’avant l’entrée de façon consciente et de « plain-pied » dans l’histoire du salut, le peuple et sa culture se situent en dehors de la révélation. Il y a une appartenance, mais qui n’est ni consciente ni totale à l’histoire du salut. L’entrée consciente fait que la rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ comporte une conversion innovatrice : la création d’une nouvelle culture à partir de celle qui existait avant la conversion.
Ceci fait qu’aucune vraie évangélisation ne peut se faire sans inculturation. En effet, une des finalités de l’évangélisation est d’engendrer une nouvelle culture conforme aux valeurs évangéliques. La culture est intrinsèquement constitutive de l’identité du néophyte à évangéliser. Elle ne lui est pas périphérique. Pour ce fait, ne pas inculturer le message évangélique c’est montrer que le Christ n’a pas d’impact réel et salvifique sur toute la structure constitutive de l’être humain. Pire, refuser l’inculturation c’est porter atteinte à l’universalité de la paternité de Dieu. En effet, Dieu ne serait plus Père de tous les êtres humains. Enfin, le troisième paragraphe montre que tout le développement historique de l’Église relève de l’inculturation et appelle à l’inculturation.
Cependant, il y a des façons erronées de comprendre l’inculturation. Il s’agit, affirme-t-il, de sa réduction à une théologie exclusive de l’occidentalisation par l’africanisation. Il s’agit aussi de sa considération comme une érection d’une approche anthropologique, culturelle, spatio-temporelle en la mesure, au principe de vérification et de validation de l’Évangile. Ce fixisme spatio-temporel et culturel brise le dynamisme de l’universalisme propre au message évangélique. L’inculturation n’est pas une théologie belliqueuse qui érigerait les peuples les uns contre les autres. Elle est une théologie de l’amour comme révélation de la paternité universelle de Dieu. Ces idées du quatrième paragraphe sont explicitées en affirmant que l’inculturation n’est pas la canonisation d’une culture, une érection d’une culture en un absolu. L’inculturation est, en revanche, épiphanie et irruption du Seigneur. Elle est référence nouvelle au Christ qui déstabilise en vue de la création d’une nouvelle culture qui fait montre des valeurs de la Bonne Nouvelle. L’inculturation porte à l’inédit. Elle renforce le respect de la dignité humaine dans la culture évangélisée. Tel est le contenu du cinquième paragraphe.
Le sixième paragraphe opère avec l’analogie de proportion directe qui existe entre l’incarnation et l’inculturation. Cette analogie est en fait triple. D’une part, il y a le mouvement d’assomption. Celle-ci se vérifie dans l’incarnation (le Verbe-Fils se fait homme) ; dans les Écritures elles-mêmes (Parole de Dieu assume les paroles humaines ; Dei Verbum, 13), dans l’Église qui a des propriétés visibles et invisibles (LG, 8) et dans l’inculturation (l’assomption des valeurs et vérités positives de la culture évangélisée). D’autre part, il y a l’exclusion. Elle se vérifie dans l’incarnation qui exclue tout péché. Dans l’inculturation, il y a rejet des antivaleurs, des péchés personnels et des structures du péché de la culture évangélisée. Enfin, il y a l’échange merveilleux. Tant dans l’incarnation que dans la relation entre l’Évangile et la culture évangélisée, il y a une vraie communication des propriétés distinctives. C’est dire que le message évangélique, tout comme l’Église s’enrichissent également de l’apport des cultures. Le refus du péché montre positivement l’option pour la théologie de la sainteté. L’inculturation devient ainsi une expression de la sainteté d’un peuple converti. Elle est une réexpression de la foi assimilée qui devient quasi connaturelle. L’inculturation vérifie le niveau de sainteté, de pénétration de l’Évangile. L’inculturation n’est pas une théologie de la confirmation dans le péché. Elle est espace d’éclosion des valeurs du Royaume. L’inculturation est une théologie du Royaume de Dieu dont l’exigence est de créer des espaces humains et des sociétés dans lesquels l’on vit la justice, la paix, la vérité et la dignité humaine.
Du point de vue de la systématique, il convient de signaler que Mgr Monsengwo maintient une nette distinction (pas une séparation), entre la Révélation divine (Trinité économique), Jésus-Christ, Père de tous et la sainteté (que l’on attribue, depuis Saint Augustin, de manière préférentielle à la personne et à l’action de l’Esprit-Saint). Il y a, à la fois, vue d’ensemble sur toute la Trinité et contemplation de chaque hypostase divine. En plus, Mgr Monsengwo n’identifie pas le Royaume de Dieu avec l’Église. De même, il marque une relation de dépassement de toute culture par l’Évangile. La problématique de la communion se réalise ici suite à l’unicité de la révélation, de l’événement Jésus, de l’unicité du Père de tous, de l’existence d’un message évangélique et d’un seul Royaume de Dieu. Mais, cette communion se vit toujours dans la diversité conformément aux mêmes principes en relation avec leur expression et la réalisation historique de leurs exigences.
I. 2. D. L’ IP de Mgr RAZAFINDRADANDRA
Une autre intervention d’importance qualitative pour déterminer la réception africaine et malgache du concept de l’Église inculturée vient de l’archevêque de la capitale du Madagascar, Mgr Armand Razafindradandra dont voici un extrait[27].
Parmi les coutumes, traditions et sagesse ancestrale malgaches encore bien vivantes, il y a une valeur fondamantale et vitale qui « peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur et ordonner, comme il le faut, la vie chrétienne » (AG n. 22). Cette valeur, c’est la Fihavana[28], lien vital qui unit l’homme malgache avec son prochain et par analogie, avec le cosmos et les éléments qui la composent.
- Le prototype est le lien vital qui unit l’enfant à ses parents.
- Le fondement en est la vie unique qui les unit, leur union vitale : « l’enfant est la parcelle de la vie » de ses parents[29].
- Unis vitalement, le Mpihavana (ceux qui sont unis par le Fihavana) vivent en communion : communion d’habitation, de travail, de substance, de biens, d’esprit et de cœur, dans le bonheur et dans le malheur.
- Unis vitalement le Mpihavana détestent la séparation : due à l’isolement et la solitude ; à une « ex-communication » (malédiction, refus de bénédiction)[30]. La séparation prive de toute force et enthousiasme, de tout soutien et amitié, de la force de l’union.
- Unis vitalement, les Mpihavana se respectent d’un respect exemplaire ; un respect de la personnalité de chacun ; respect en parole ; respect qui conduit à être tolérant, indulgent, calme ; respect qui pousse à la récitation en affection.
Dans la ligne de l’union vitale entre enfants et parents, prototype, le Fihavana s’étend aux époux, aux frères et sœurs ; aux membres plus ou moins proches de la famille : grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines, etc. ; aux membres de la société ; aux personnes en relations d’autorité, de subordination, de service, d’affaires, de voisinage, etc.
Ce ne sont pas seulement les humains qui sont régis par la Fihavanana[31] mais tout le cosmos avec tous les éléments qui la composent : les astres, le règne minéral, le règne végétal, le règne animal, le corps humain, etc., et qui nous donnent des exemples de Fihavanana en négatif ou en positif. D’innombrables proverbes expriment et illustrent ces affirmations.
A partir de cette valeur du Fihavanana, une réflexion théologique sur les données de la révélation chrétienne a été entreprise avec ajustements, purifications et dépassements nécessaires. C’est elle qui a servi de base au « Fonds commun de catéchèse[32] » intitulé : « Il (Dieu) nous a réconciliés avec Lui » et le sous-titre : « Données de la Foi catholique présentées aux chrétiens malgaches ».
L’IP de Mgr Armand Razafindradandra constitue comme une sorte de parénèse ou d’application pratique de tous les principes que l’on rencontre dans les IP précédentes. L’on montre exactement comment l’anthropologie clanique africaine, dans ses valeurs positives, devient capable de l’herméneutique chrétienne des mystères. Cette herméneutique est aussi capable d’un catéchisme particulier conforme au génie du langage et de la culture afro-malgache. Le personnalisme africain qui se dégage de cette théologie de la famille clanique brise les limites duales entre sujet et chose, en mettant en relief l’amour dans son unicité inclusive de parentalité-amitié, comme révélation de l’union vitale, grâce qui provient de Dieu, en son Fils, dans l’Esprit-Saint. L’IP de l’archevêque d’Antananarivo met en évidence, en fait, l’actualité et la pertinence de la théologie des premiers ecclésiologues africains dont Vincent Mulago et Rémy Ralibera.
I. 3. Rapport de Synthèse (RS)[33]
Ce rapport est du 22 avril 1994. Il a été fait par le Rapporteur Général du Synode, le Cardinal Thiandoum. « D’après le rapporteur lui-même, le but de cette Relatio post disceptationem était de dégager à la fois le consensus et les divergences des participants, afin de faciliter la réflexion ultérieure des Pères. Ce rapport de synthèse a suivi, à l’instar du rapport d’introduction, l’ordre thématique proposé dans l’‘‘Instrumentum Laboris’’ »[34]. Avant de commencer la description du contenu de ce RS, il convient de faire remarquer sa brièveté. Cette dernière marque également l’articulation ecclésiologique de ses contenus.
Dans le paragraphe concernant la proclamation, l’archevêque de Dakar affirme la centralité de Jésus-Christ et la nécessité de la diffusion de la Bible en toutes nos langues locales. « Parce que le monde a besoin de Jésus, qui est ‘‘le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6) ainsi que la Lumière, la Parole de Dieu est un aspect primordial de l’évangélisation. L’évangile est le pouvoir de Dieu pour le salut de l’humanité. La Bible devrait être traduite dans toutes les langues locales. Il faudrait en ouvrir la lecture et la méditation à tous les fidèles du Christ, ainsi qu’aux non-croyants pour qu’ils puissent y trouver la lumière »[35].
La perspective est sotériologique. Mais, cela n’empêche de noter la distinction des hypostases divines. L’identité de Jésus, besoin du monde, est présentée avec des concepts bibliques qui, tout en parlant de la fonction du Christ pour nous, n’occultent pas leur vérité théologale. C’est le cas, de l’identification de Jésus avec la Lumière (LG, 1). Par les Écritures (Jn 1, 1-5 ; 8, 12 ; 1 Jn 2, 8-10) et le credo, nous savons que cette identité de Jésus le situe par rapport au Père et à la communauté humaine. Elle nous parle de sa relation d’origine du Père et sa cause historique dans le royaume de Dieu.
Parlant de l’Eglise vue comme la famille de Dieu[36], voici ce qui est dit : « La solidarité familiale africaine est une base valable où fonder une ecclésiologie de l’Eglise vue comme la ‘‘Famille de Dieu’’ sur la Terre. Dans cette ecclésiologie, les petites communautés chrétiennes sont des cellules où l’amour de Dieu est inséparable de l’amour du prochain, et où les tendances à la désunion – égoïsme, tribalisme, etc. – font l’objet de discernement pour être dépassées »[37]. Il est à remarquer la constance de ce principe que nous avons déjà rencontré : dans l’Église-Famille, l’on ne peut séparer et ou opposer l’amour communionel des hypostases divines en Dieu de l’amour communionel et mutuel des personnes humaines.
Dans ce contexte, il n’est pas faux de soutenir que le concept théologique de « communion » est l’équivalent des valeurs et des vérités anthropologiques de la « famille » clanique africaine[38]. Les valeurs et les vérités de la famille africaine sont relationnelles. Elles traduisent la qualité de la relation ou des relations. Ceci est d’autant plus vrai que ces valeurs et vérités sont applicables même dans la relation que l’être humain a avec l’environnement écologique. Le RS l’affirme dans son paragraphe portant sur ‘‘La famille et l’évangélisation’’ : « Une évangélisation en profondeur de la famille devrait permettre d’éliminer la dichotomie qui existe entre la foi des gens et leur manière de vivre. A ce sujet, le concept malgache du Fihavanana – le lien vital qui unit les enfants à leurs parents, l’homme à la femme, l’individu à son environnement – pourrait ouvrir une perspective »[39]. L’archevêque de Dakar montre que cette réception ou l’inculturation « n’a rien à voir avec le fait de créer une chrétienté à peu de frais, elle s’attache essentiellement à créer une sainteté à la mode de l’Afrique »[40]. Deux choses sont à noter ici. D’abord, la distinction entre la sainteté et la modalité africaine de celle-ci. Ensuite, par la théologie augustinienne nous savons que la sainteté est à attribuer à l’Esprit-Saint comme notion propre[41]. Bref, dans ce RS se dessine également l’importance de la personne de l’Esprit-Saint et de sa fonction comme espace et cause de la communion entre les membres de l’Église-Famille, en même temps, entre l’Église et la Trinité des hypostases divines. Mais, comment les différents groupes linguistiques présents au Synode ont reçu cette théologie ?
I. 4. Rapports des Carrefours (RC)
L’exposé se centrera ici sur les interventions faites par les rapporteurs des Carrefours. D’après l’édition de Mgr Joseph Ntedika Konde, « Pour la compréhension de la succession des interventions ultérieures il est bon de rappeler, pour cette partie, le calendrier des travaux du Synode. – Le 22 avril, Relatio Post desceptationem du Card. H. Thiandoum, Rapporteur Général. – Du 23 au 27, les participants étaient reparties en 12 Carrefours (Circuli Minores) dont 5 en français, 5 en anglais, 1 en italien et 1 en portugais. Chacun de ces carrefours devait comprendre une vingtaine de membres, un modérateur et un rapporteur. Les discussions devaient porter sur le rapport du rapporteur Général, la Relatio post disceptationem. – Du 28 avril au 2 mai, les rapporteurs des Circuli Minores présentent le travail des Carrefours devant la Vingt-deuxième jusqu’à la Vingt-sixième Congrégation Générale »[42].
I. 4. A. RC Français A
Dans ce Carrefour dont le titre de l’intervention porte sur « Le devoir d’être nos propres missionnaires », un extrait du paragraphe portant sur l’inculturation montre la consonance ecclésiologique qui existe entre les deux premiers documents ici analysés et les travaux de cette équipe. En effet, l’on y affirme que « L’inculturation est un processus global complexe, continu, vital. Œuvre de l’Esprit, il est soumis à des critères et conditions, dont une vie de sainteté plus grande n’est pas le moindre signe de la maturité de l’Eglise locale, de sa force créatrice. Liberté et confiance sont également requises pour opérer un dépassement susceptible d’aider à jeter un pont entre la vie passée et une vie nouvelle de conversion, qui donne de ‘‘baigner en Dieu’’. C’est là en définitive la finalité suprême de l’inculturation »[43]. Cet extrait est de prédominance pneumatologique. C’est l’Esprit-Saint et les valeurs qu’il produit dans l’anthropologie qui assurent la maturité de l’Église locale. C’est aussi par l’action personnelle de l’Esprit-Saint que la conversion est possible et se réalise de fait. C’est enfin, par la présence et l’action de l’Esprit-Saint que la finalité humaine est atteinte, c’est-à-dire, l’inhabitation en Dieu. L’on peut déduire de ces affirmations que l’inculturation africaine de l’Église communion par le concept dogmatique de l’Église-Famille a pour finalité l’inhabitation en Dieu qui est Trinité. C’est l’Esprit-Saint qui configure et abouche à cette vie trinitaire.
I. 4. B. RC Français B
Ce Carrefour avait pour titre « Les Africains doivent se prendre en charge pour relever les défis »[44]. Centré sur la situation existentielle dramatique de l’Afrique, ce Carrefour ne met aucun accent particulier sur l’ecclésiologie en rapport avec son fondement trinitaire.
I. 4. C. RC Français C
Son objet est « La rencontre de l’Afrique avec le mystère pascal du Christ »[45]. Parlant de la proclamation de la Bonne Nouvelle, ce groupe met l’accent sur la rencontre et la découverte du Christ, de sa personnalité qui bouleverse. La vie à la suite de Jésus fait découvrir son identité de « Maître de vie ». Il est à noter ici l’entrée de la christologie initiatique africaine[46]. C’est l’identité de ce Christ qui est proclamée comme victoire sur la situation dramatique africaine[47]. A la christologie initiatique africaine correspond au niveau ecclésiologique l’image de l’Église-Famille. Cette dernière « rejoint profondément les réalités sociales et les valeurs culturelles de l’Afrique. Elle peut aider fructueusement à comprendre l’Eglise, à vivre en Eglise, à s’engager avec l’Eglise pour l’édification d’un monde nouveau »[48]. Le paragraphe portant sur l’inculturation apporte des indications théologiques supplémentaires sur le rapport qui existe entre l’Église et le Christ.
Les mystères de Noël et de Pâques et le miracle de la Pentecôte laissent entrevoir la nature, les exigences et les fruits de l’Inculturation du christianisme en Afrique et Madagascar :
- Incarnation : comme Jésus de Nazareth est pleinement Dieu et pleinement homme, l’Eglise en Afrique doit être pleinement elle-même et africaine.
- Mystère pascal : passage obligé de toute personne et de toute culture qui adhèrent au Christ. L’action de la foi sur la culture est de l’amener à mourir à elle-même pour renaître en Christ, venu non pas abolir, mais accomplir à travers des ruptures.
- Miracle de la Pentecôte : dès sa naissance, l’Eglise parle toutes les langues des hommes, pour leur apprendre à dire dans leur propre langue et à vivre dans leur propre culture le mystère du Christ dans sa plénitude libératrice du péché et constructrice de la grande famille de Dieu, la communion des Saints[49].
Dans cet extrait, l’action de la construction de la famille de Dieu qui est du Père, dans RI et RS, est également accordée à Jésus-Christ. L’on souligne par là leur égalité, l’unicité de leur action et donc la divinité du Fils. Avant de passer au résultat d’un autre carrefour il sied de signaler le fondement christologique du dialogue inter-religieux tel que donné ici. « Dieu fait homme, Dieu avec nous », Jésus-Christ est dialogue en lui-même : - dialogue entre Dieu et l’homme – avant d’entrer en dialogue avec nous ». Ici le concept de dialogue prend une configuration personnelle dans le sens de la communication des idiomes. Le dialogue n’est plus ici une méthode missionnaire ou évangélisatrice parmi d’autre. Le dialogue est le Christ sous entendu avec ses deux raisons, ses deux volontés, bref l’union de sa personnalité avec sa personne. Dialoguer avec une culture, c’est lui apporter et découvrir dans ladite culture l’identité théologale et anthropologique de Jésus qui est le Christ. Dans ce sens, l’inculturation en tant que dialogue entre les chrétiens avec leur culture est déjà un dialogue de salut, d’amour, de sainteté et de révélation de l’identité de Jésus-Christ et de son identification sociétaire.
I. 4. D. RC Français D
Ce groupe dont la présentation portait le titre de « La personne vivante de Jésus-Christ doit être au cœur de l’évangélisation »[50] nous donne un extrait assez intéressant du point de vue de son contenu théologique. Il est beau de constater que c’est aussi au cœur de ce carrefour que l’on assume le titre du Christ « Ancêtre fondateur » et « Frère Aîné »[51]. L’analogie de l’ancêtre fondateur utilisée pour exprimer l’identité historique et sotériologique de Jésus-Christ, implique une compréhension clanique de la famille. C’est cette dernière qui est prise comme fondement anthropologique de l’Église-Famille de Dieu. C’est aussi par les valeurs positives de la famille africaine que le mystère de la Trinité comme communion est envisagée[52]. Voici un extrait qui l’affirme nettement :
La famille, en Afrique, demeure la référence incontournable par tout ce qui touche l’individu et le groupe : il faut donc que l’Eglise ait toujours davantage le visage d’une famille. Les valeurs naturelles d’une famille africaine (appartenance au même sang, attention à tous, respect et désir de la vie…), une fois purifiées de ce qu’elles comportent de particularisme, sont aptes à être assumées par le Christ. Mais, c’est surtout la Sainte Trinité, mystère de communion, l’Incarnation, par laquelle Jésus devient notre frère, la Rédemption, dans laquelle il a versé son sang pour nous rassembler dans l’unité, l’exemple de la Sainte Famille ou l’Eglise des temps apostoliques, qui nous poussent à promouvoir une authentique Église-Famille.
Les Communautés Ecclésiales Vivantes précisément sont des lieux où vivre en Eglise dans un esprit de communion familiale. Leur création, et leur animation, n’est pas facile mais doit être encouragée[53].
Ce texte montre que l’application des valeurs de la famille africaine à l’Église communion dérive de leur capacité d’être appliquées aux mystères fondamentaux du christianisme. C’est aussi parce que ces valeurs se vérifient à travers l’histoire de l’Église dès sa naissance que la réception en Afrique du mystère de l’Église est possible en terme d’Église-Famille. Le texte montre qu’au lieu de mettre l’accent sur la hiérarchie des membres de l’Église, il faut centrer son regard théologique dans la communion ecclésiologique qui se vit à la base, mais sans pouvoir se dissocier de la structure globale de l’Église. Il se dégage également de cet extrait que l’herméneutique de l’union hypostatique et l’unité ecclésiale doivent se faire à partir des valeurs positives de la famille africaine. Ce groupe assume donc totalement, et avec réalisme, l’ecclésiologie, la christologie et la triadologie africaines inculturées.
I. 4. E. RC Français E
Le discours de ce du groupe portait sur « Une nouvelle culture à inculturer : les médias »[54]. Ce groupe insista sur la considération de « l’Eglise ‘‘Famille de Dieu’’ comme clef pour la création d’une communauté témoin du Christ et de son amour ». Cette tâche est attribuée d’abord aux Communautés de base qui sont « appelées à être la concrétisation et la contextualisation de l’Eglise ‘‘Famille de Dieu’’, lieu d’expression d’une fraternité qui ne se réfère plus aux liens claniques ou tribaux ». Et l’inculturation visera « tous les secteurs et sphères de la vie pour aider l’Evangile à traduire l’incarnation rédemptrice »[55].
Avec l’exposé de ce groupe nous terminons le bloc linguistique français. Il sied de remarquer que tous les groupes acceptent l’Église-Famille de Dieu comme la réception qualifiée de l’ecclésiologie du Peuple de Dieu et de l’Église communion, à la suite des enseignements du Concile Vatican II. Les rapports entre l’Église-Famille avec chacune des personnes divines et même de toute la Trinité sont signalés dans un contexte de confession de foi et narratif, plutôt que développés avec une argumentation technique fournie. Car, comme le disait le Cardinal Thiandoum dans son RI « Un forum comme le présent Synode ne peut que donner de grandes orientations et des lignes générales »[56]. Cela dit, que pensent les cinq Curculi minores anglophones ?
I. 4. 1. RC Anglais A
Centrant son discours sur « La proclamation de la Bonne Nouvelle [qui] nous engage à une vie de totale conversion », le groupe anglophone A se situe dans la perspective ecclésiologique, mais en insistant sur les sacrements du Baptême et de l’Eucharistie en correspondance avec les Communautés ecclésiales vivantes, lieu de la réalisation de la communion de l’Église. L’inculturation est aussi interprétée sur base de l’analogie de l’incarnation du Verbe. A la question du rapport à établir entre l’ecclésiologie de « Peuple de Dieu » et celle de « Famille de Dieu », ce groupe opte pour la complémentarité des deux images. Accepter la complémentarité c’est admettre les différences réelles dans les deux figures ecclésiologiques.
Le Baptême nous fait devenir membres du Peuple de Dieu et membres vivants de l’Eglise. Bien que nous soyons fort nombreux, nous formons une unique famille où il n’y a ‘‘ni Grec, ni Juif, ni Gentil’’. Ce concept de l’Église vue en tant que Peuple de Dieu et Famille est un concept connu des africains qui considèrent la famille au sens large. L’Eglise Peuple de Dieu et l’Eglise Famille de Dieu ne sont pas contradictoires, mais complémentaires[…]
Les Communautés [ecclésiales vivantes] apparaissent comme une bonne manière de réaliser la communion de l’Eglise. Il faut toutefois qu’elles restent toujours liées à leur paroisse, qu’elles aient de bons guides et qu’elles tirent leur force de la Sainte-Eucharistie[57].
Il est à constater que cet extrait n’est pas si enthousiaste que les textes antérieurs. Ceci se remarque d’abord avec la question concernant l’appartenance à l’Église. Le groupe la limite strictement à la réception des sacrements de l’Église, ne prenant pas en compte d’autres possibilités d’appartenance ou non à l’Ecclesia (LG 14). Les discours francophones, à la suite du RI du Rapporteur Général ne mettaient pas en discussion le fait que le concept de « famille de Dieu » ne coïncide pas exactement avec l’Église. Pour tous ces groupes, toute l’humanité est famille de Dieu. L’exigence de l’annonce universelle du message évangélique en dépendait.
Ce même groupe A du bloc anglophone accepte la réalité des Communautés ecclésiales vivantes (CEV). Cependant, il garde des distances par rapport au principe de leur autonomie qui implique des nouveaux ministères pour les laïcs. Ici, l’accent se recentre sur la paroisse et la célébration de la Sainte-Eucharistie par le ministre ordonné[58].
Le problème ecclésiologique de fond est celui du rapport entre la communion traduite par les CEV composées et dirigées par des laïcs (femmes et hommes) et la paroisse dirigé par un ministre ordonné. La question est donc celle des ministères, qui cependant reste ouverte dans ce cadre[59]. Elle n’a pas de réponse ici, même pas dans les descriptions des tâches de tous les membres qui forment l’Église-Famille telles que faites par le RI, nº 11-14. L’analyse de l’extrait portant sur la théologie de l’incarnation montrera aussi cette divergence de vue sur l’inculturation.
« Parce que ‘‘le Verbe s’est fait chair et (qu’) il a habité parmi nous’’, les valeurs évangéliques doivent pénétrer nos langues, nos symboles, nos mœurs et nos traditions africaines afin que le Christianisme cesse d’être une religion étrangère »[60]. On l’aura observé. Il n’y a pas ici une relation réciproque entre les valeurs de l’Evangile et celles de l’univers africain. La relation entre l’Evangile et l’Afrique a un caractère unidirectionnel. La pensée repose sur le fait que c’est le Verbe qui est venu. C’est lui seul qui a assumé l’humanité. Ce n’est pas l’humanité qui est allée à la rencontre du Verbe. Il y a ici, tendance à souligner la passivité de l’humanité, par conséquent celles des valeurs anthropologiques. L’on ne tient plus assez compte du fait que la sainte humanité de Jésus est libre. Jésus, entant que personnalité humaine qui avait une raison, une âme et une volonté humaines, était très actif dans la réalisation de la mission du Royaume de son Père. Les groupes francophones partaient du même mystère et soulignaient la communication des idiomes dans leur facticité dans Jésus-Christ et le développement historique de ce dernier jusqu’à atteindre sa plénitude dans la gloire. L’apport de la sainte humanité du Christ, prise par la puissance de l’Esprit-Saint et de Marie, était l’arrière-fond du fondement anthropologique des valeurs africaines qui entrent en commerce merveilleux avec les valeurs évangéliques. Ceci est aussi, me semble-t-il, l’option du groupe B du bloc anglophone.
I. 4. 2. RC Anglais B
Ce groupe avait parlé de « Mettre en pratique chaque jour notre engagement pour Jésus-Christ »[61]. Le paragraphe deux du discours de ce carrefour affirme ce qui suit : « Notre expérience de la famille africaine est qu’elle est basée sur l’amour, la chaleur, l’ordre et la direction. C’est un modèle pour l’Église. La solidarité, la simplicité, l’attention envers les faibles, l’ouverture d’esprit des chefs, la patience – ces qualités doivent se trouver dans l’Eglise. Par conséquent, le Synode doit répondre à la réalité du ‘‘tribalisme’’. Si l’Eglise ne prend pas d’initiative en cette matière, personne ne le fera »[62].
Il y a assomption des valeurs positives et exclusion des vices. Le tribalisme représente le problème majeur de la famille africaine. Dit d’une autre manière, l’inculturation se fait avec les valeurs et non avec les vices. L’inculturation implique un travail de discernement des valeurs et des vérités anthropologiques (LG 16-17). Cette vision se vérifie dans la proposition concernant les petites Communautés Chrétiennes. En effet, elles sont considérées comme « […] une voie très positive pour proclamer l’Evangile, promouvoir la solidarité, la confiance mutuelle et une Eglise attentive »[63].
I. 4. 3. RC Anglais C
Le titre de la communication de ce groupe est « L’évangile que nous proclamons est l’évangile de paix »[64]. La perspective de cette équipe est johannique (1 Jn 1, 1 ; 1, 1.14). Elle insiste sur l’incarnation du Verbe de vie. Et, ajoute-t-on, c’est ce Verbe qui est reçu par les communautés. Christ est vu comme « le principe qui élève, guide, purifie et transforme la culture, faisant d’elle une création nouvelle »[65].
I. 4. 4. RC Anglais D
Ce carrefour avait intitulé son discours en ces termes : « Aller à la rencontre de l’esprit religieux africain »[66]. Dans le paragraphe concernant la proclamation, le groupe se base sur l’obéissance de Jésus vis-à-vis de son Père. Jésus est « proclamé et présenté comme la voie que doit suivre l’esprit religieux africain »[67]. C’est à partir de cette base que l’image de la famille africaine est assumée. « Le concept d’une grande famille étendue, dans la culture africaine, peut servir de modèle d’Eglise et de famille. Il peut cependant être basé sur le modèle trinitaire »[68]. Quant à la concrétisation de cette Église-Famille dans les CEV ce Curiculus minor insiste sur la charge du ministre ordonné et demande que les chefs des CEV soient formés[69]. L’inculturation est vue dans un sens unidirectionnel. « Le but de l’inculturation, affirme le groupe, est d’apporter le Message de l’Evangile à nos cultures tout en les transformant et en les élevant vers le Christ, pour la plus grande gloire de Dieu. Cela est indispensable à la vie de l’Eglise »[70].
I. 4. 5. RC Anglais E
Le dernier carrefour anglais avait intitulé son intervention comme suit : « Les implications de l’annonce de l’évangile doivent tenir compte des traditions reçues et établies »[71]. Le problème théologique qu’il pose est celui de la centralité de notre foi en Jésus-Christ par rapport à la Trinité. « Faire du Christ le centre de notre foi et de notre religion signifie que nous devons pas nous perdre dans nos moyens de le connaître et de l’aimer, c’est-à-dire d’avoir une relation directe et personnelle avec Lui. On peut connaître la Bible, l’Evangile et être baptisé sans pour autant donner au Christ la première place. Cette centralité n’obscurcit en rien la Trinité »[72]. Effectivement, parler de Jésus-Christ, c’est se situer dans la perspective de la Trinité économique. Jésus-Christ n’étant jamais hors de la Trinité il ne peut, donc, s’y opposer.
Cependant, des questions se posent à cause de la séparation que ce groupe fait entre « nos moyens de la connaissance et d’amour » et Jésus. Les questions sont les suivantes. Peut-il y avoir des relations extrinsèques entre ces moyens et Dieu ? Ce que ce groupe considère comme nos ‘‘moyens’’ de connaissance et d’amour, ne sont-ils pas déjà un don de Dieu afin que nous fassions son expérience ? Comment peut-on avoir une expérience de Dieu sans connaissance et sans amour ? Bref, l’anthropologie trinitaire d’Augustin ne montre-t-elle pas que nos structures cognitives et volitives sont des images réelles de la Trinité ?
Il est à faire remarquer que la visée du groupe ne tient pas à s’opposer à nos moyens de connaissance et d’aimer. Il veut mettre tout simplement en avant plan les relations personnelles ou intersubjectives. Le groupe veut souligner le mystère de la rencontre. Il ne veut pas sombrer dans le légalisme et le conformisme intellectuel. Le savoir, théologique soit-il, ne devient vraiment chrétien quand elle est basée sur une expérience d’amour, dans la foi. L’amour, si puissant soit-il, pour qu’il corresponde à la volonté de « Dieu est Amour » doit se nier de croire facilement que « l’Amour est Dieu ». L’immanence de Dieu dans l’humain ne détruit pas sa transcendance, au contraire, elle la suppose et l’implique de fait. Du point de vue ecclésiologique, le groupe a des mêmes affirmations que les autres. Il affirme que « La manière africaine de concevoir la famille offre un bon modèle à l’Eglise, mais il faut qu’il devienne universel ». Le nouveau dans cette affirmation c’est la nécessité de rendre universelle l’ecclésiologie dont la base anthropologique est la famille clanique africaine.
En résumé, sur le fond des thèmes les groupes anglophones sont d’accord avec les carrefours français. Mais, il n’est pas inopportun de noter que dans ces groupes aucun titre de la christologie africaine inculturée n’est repris. A la différence des groupes francophones qui soulignent l’autonomie des CEV, la tendance des carrefours anglophones est plutôt de mettre en avant plan la théologie du Verbe en relation étroite avec l’administration des sacrements en paroisse, et par conséquent, la place des ministres ordonnés dans la direction des CEV. Les groupes anglophones évacuent ainsi l’idée des ministères des laïcs[73]. Cette réticence se répercutera dans d’autres documents du Synode[74].
Dans le bloc anglophone l’on confesse, comme dans les carrefours francophones, le fondement trinitaire de l’Eglise qui tire son modèle des valeurs de la grande famille africaine. Cependant, ici également l’on ne donne pas une explication systématique dudit fondement théologal. Pour terminer cette section consacrée aux carrefours, deux curculi minores sont à présenter. Le premier est de langue italienne et le second parlait l’espagnol et le portugais.
I. 4. 6. RC Italien
Ici l’on parlait de comment « Promouvoir l’évangélisation, la justice et la paix et le dialogue entre les peuples et les religions »[75]. La question du fondement de l’Église-Famille dans la Trinité est posée dans le paragraphe concernant la proclamation et l’évangélisation. Il est dit ce qui suit :
L’Eglise-famille de Dieu a une résonance positive dans les cultures africaines. Elle trouve toutefois son fondement dans la Trinité (Cf. LG 4), et non dans la famille humaine qui est cependant appelée à se modeler sur elle. On peut donc privilégier le modèle d’Église-Famille de Dieu sans l’y réduire.
L’image de l’Eglise-famille évoque des exigences évangéliques qu’il faut mettre en relief, comme la charité, l’entente, le dialogue, la prière commune. De son autorité-même, elle souligne le service, la paternité et la présence. Elle fait aussi exigence de la communion et de l’interdépendance entre communautés ecclésiales, Eglises locales, régionales et universelle[76].
Cet extrait est l’unique à affirmer clairement son opposition frontale à ce que l’Église-Famille trouve son fondement dans l’anthropologie familiale africaine. Pour ce groupe, c’est à l’Église-Famille que revient la tâche de modeler la famille humaine. Le vocabulaire utilisé accentue la distance de vue entre ce carrefour et les autres groupes linguistiques. L’on parle de « résonance positive » que rencontre l’Église-Famille dans les cultures africaines.
Le groupe qui oppose frontalement l’« Ecclesia ex hominibus » de l’« Ecclesia de Trinitate[77] », le fondement trinitaire du fondement anthropologique[78] de l’Église-Famille ne donne pas, curieusement, sa théologie de l’Incarnation comme base de l’inculturation. Vue sa position contraire aux RI, RS et aux discours des autres carrefours, ce groupe aurait pu donner brièvement sa théologie du Corps mystique du Christ auquel font membres les Africain(e)s. Il pouvait aussi s’expliquer en méditant sur la théologie de la création des familles africaines à l’image réelle de la Trinité ; sa théologie de l’inhabitation effective de la Trinité en elles et, pour faire bref, parler du rapport d’identité différentielle qui existe entre la Trinité économique et la Trinité immanente.
Le groupe ne contemple aucune possibilité pour une compénétration mutuelle, dans le sens d’un enrichissement mutuel, entre le christianisme et la culture africaine dans le processus de l’inculturation. En effet, parlant de l’inculturation, ce groupe pense que « Dans l’inculturation, il y a un double mouvement comme l’indique bien Redemptoris missio. Elle est à la fois enracinement [de la culture] dans l’Evangile et transformation de la culture »[79]. On l’aura remarqué. Le double mouvement dont il est question ici est exclusivement celui réalisé par la culture face à l’Evangile. Ce dernier avec son contenu qui n’est autre que la Trinité ne font pas un mouvement de dialogue et de présence qui récapitulerait les valeurs anthropologiques africaines.
Dans ce carrefour, l’importance des CEV est reconnue en ces termes : « Les petites communautés vivantes en Afrique sont un moyen efficace de vivre l’expérience d’Église-famille, d’assurer une évangélisation réciproque constante, de promouvoir l’irradiation missionnaire dans le territoire, de permettre l’inculturation et l’engagement social dans leur milieu propre (cf. RM 52) »[80].
I. 4. 7. RC Portugais et Espagnol
Il est intéressant de noter comment le titre du groupe luso-hispanophone[81] constitue comme une sorte de réponse aux questions posées par le carrefour précédent. En effet, ici l’on considère et affirme que « L’inculturation est un processus nuptial »[82]. Il n’est pas à redire qu’ici l’on parle de l’inculturation comme un dialogue d’amour. Il n’y a aucun doute que l’on interprète l’analogie de l’incarnation applicable à l’inculturation dans le sens « épousailles du Verbe avec l’humanité ». Ainsi, comme dans tout processus matrimonial, les signaux et les symboles à utilisés doivent être compréhensibles pour les deux partenaires, de même le dialogue entre l’Évangile et la culture doit porter un centre de référence herméneutique commun. De même que l’émetteur des signaux et des symboles utilise les ressources techniques et humaines de son temps, compréhensibles par le récepteur desdits signaux, de même il y a une nécessité de contextualisation du message évangélique et échange merveilleux entre l’Église et la culture à évangéliser. La nouvelle évangélisation est fonction de cette communication réciproque qui se vérifie dans le processus nuptial[83]. Il n’y a donc pas, même pour l’Evangile qui veut se faire comprendre et être vraiment reçu, de mouvement unidirectionnel.
« L’inculturation est un processus nuptial par lequel une certaine culture épouse les valeurs de l’Evangile, et l’Evangile reçoit les valeurs de cette culture au sein de l’Eglise. Accepter l’Evangile, c’est renoncer à tout ce qui s’oppose à lui. Du reste, l’inculturation doit imprégner toute la vie des chrétiens et de l’Eglise, afin de donner lieu à une culture dont le patrimoine est enrichi, à une Eglise dont la beauté est mieux ornée »[84]. Mais, existe-t-il une relation exclusive entre le fondement anthropologique et le fondement trinitaire dans l’Église-Famille ? Un essai de réponse se trouve dans les affirmations qui suivent. « Il est tout particulièrement important, en Afrique, de mettre l’accent sur la dimension ambivalente de l’évangélisation : à la fois horizontale et verticale, corporelle et spirituelle, temporelle et éternelle. Ignorer l’une de ces dimensions équivaudrait à ignorer l’évangélisation »[85].
En clair, l’Église-Famille qui enseigne l’union entre Dieu et l’être humain, le temporel avec l’éternel dans Dieu des hommes et homme de Dieu, parce que le Verbe est l’« un de la Trinité qui s’est fait vraiment homme », ne peut ne pas avoir cette articulation bipolaire qui ne confond pas le fondement premier avec la cause seconde. Cependant, il n’est pas à penser que la cause seconde ou le fondement anthropologique est secondaire. En effet, sans l’Ecclesia ex hominibus, il n’y aura pas tout simplement d’Église dont les êtres humains seraient membres. Une impossible inexistence de l’Église-Famille ex hominibus implique une impossibilité non seulement de la mariologie, mais aussi et surtout de la figure historique de Marie à la fois comme membre éminent et Mère de l’Église. Dit d’une autre manière, de même que Marie est membre et Mère de/ dans l’Église, de même la famille humaine devient membre actif et origine anthropologique de/dans l’Église-Famille de Dieu.
Concernant cette base anthropologique de la famille, le groupe luso-hispanophone affirme une similitude de conception entre la vision de l’Église et celle de la culture africaine « pour laquelle autrui est un véritable frère, avec lequel il faut vivre en amitié, il faut dialoguer et il faut partager »[86]. Quant à la question de l’autonomie des CEV, le groupe manifeste ses réserves en soulignant qu’elles doivent « se sentir partie intégrante de la communauté paroissiale et diocésaine ». Cela exige la nécessité de « bien centrer leur objectif ecclésial et a mettre à leur tête un responsable bien préparé, garant de sa communion avec l’Eglise »[87].
I. 5. Propositions du Synode Africain (PSA)
Après la présentation des débats des 12 carrefours linguistiques et leurs rapports à l’Assemblée synodale, l’analyse se focalise sur ce document qui est le résultat du consensus ou de la communion des membres du Synode. Les PSA à analyser étaient destinées au Saint-Père, pour rédaction d’une exhortation post-synodale. Chronologiquement, le travail de leur rédaction fut réalisé du 29 avril au 5 mai 1994. C’est le 6 mai, que ces propositions seront votées. Le résultat sera proclamé le jour suivant, c’est-à-dire, le 7 mai. « L’Assemblée a retenu et présenté au Saint-Siège […] 64 propositions dont 27 concernent la proclamation de l’évangile en contexte africain ; 10, l’inculturation ; 7, le dialogue ; 12, la justice et la paix ; et 8, les moyens de communication sociale »[88]. Après avoir rendu grâce à Dieu pour ses bénédictions et défini le contexte dramatique africaine, l’Assemblée synodale souligne la centralité du mystère pascal de Jésus-Christ, contenu de la proclamation et de l’évangélisation[89]. C’est dans la proposition 4 que l’on parle de trois personnes divines et de leurs fonctions dans la nouvelle évangélisation de l’Afrique.
La nouvelle évangélisation, dit-on, devrait être concentrée sur une rencontre rénovatrice avec la personne du Christ vivant. Dans l’évangélisation le rôle de l’Esprit Saint doit être souligné pour une Pentecôte continue, où Marie, comme à la première Pentecôte, aura sa place.
Pour l’homme africain la foi en Dieu Créateur découle de ses traditions de religion et de vie et donc il est aussi ouvert à la pleine et définitive révélation de Dieu en Jésus-Christ, l’Emmanuel, la Parole faite chair. Jésus, la Bonne Nouvelle, est Dieu qui sauve l’Africain, qui aime l’Africain, qui donne à l’Africain la pluie et la vie, les fils et la santé, la prospérité et qui le libère de l’oppression de l’esclavage[90].
Cet extrait montre que c’est la personne de l’Esprit-Saint qui porte à la rencontre rénovatrice et renouvelée avec le Christ. L’œuvre de l’évangélisation est par ce fait d’abord et avant tout œuvre des personnes divines, celle de la relation qui va de l’Esprit-Saint vers le Christ vivant. La Pentecôte continue est de ce fait l’emprise de l’Esprit-Saint comme personne qui conduit au Christ et au Père. Dans la proposition 4 du Synode Africain, la nouveauté du christianisme est soulignée mais dans un contexte d’inclusion sur base de la connaissance et de vie que l’Afrique avait du Dieu Créateur avant l’évangélisation.
Le Dieu Créateur auquel Jésus-Christ conduit, lui l’Emmanuel, est le même et l’unique Dieu connu et aimé par l’Afrique. Cependant, une question dogmatique reste sans être abordée ici. Ce Dieu Créateur est-il le Père ou la Trinité créatrice ? La réponse à cette question ne peut être exclusive. Cependant, elle ouvre à des perspectives qui permettent d’interpréter la culture africaine et sa religion à partir de la Trinité tant dans sa communion que ses différences hypostatiques.
Pour montrer que l’inculturation n’est pas une concession faite à la faiblesse humaine et qu’elle est la manifestation de la seule grâce de Dieu en son Fils incarné, la proposition 5 affirme que la sainteté est la finalité de l’évangélisation. Cette sainteté est attribuée à « notre configuration au Christ »[91]. Il n’est pas à oublier que ce rôle de configurer la personne humaine au Christ vivant est la mission de l’Esprit-Saint. Comme on le voit, la sainteté recouvre ici son sens dans la relation « Esprit-Saint – Christ et disciple de Jésus ». L’action de la sanctification ne concerne pas seulement l’action de l’Esprit-Saint dans le disciple du Christ. Elle ne concerne pas exclusivement l’action salvifique du Christ dans son disciple. Au contraire, elle porte d’abord sur l’onction de Jésus par l’Esprit-Saint qui fait de lui Christ. La perspective totalement trinitaire de la sainteté se découvre dans la suite de la proposition 5 qui affirme que « La participation au règne de Dieu exige un changement de mentalité et de comportement, un témoignage de vie en paroles et en actions, une vie nourrie de la réception des sacrements, en particulier de l’eucharistie dans l’Eglise sacrement du salut »[92].
L’Esprit-Saint qui configure à la sainteté du Christ est aussi celui qui fait participer l’être humain « au règne de Dieu ». Dans le christianisme, l’on ne peut parler du règne de Dieu sans penser au Père qui a envoyé son Fils pour instaurer ce règne avec l’effusion plénière de l’Esprit-Saint. La proposition 5 met un lien entre la foi en Dieu, la vie éthique et le témoignage existentiel de cette foi. Dit d’une autre manière, la sainteté humaine n’est pas seulement une adhésion mentale au contenu du credo chrétien.
La sainteté humaine comme participation au règne de Dieu est aussi et essentiellement morale, sociale et ecclésiale. Il y a un lien intime entre la sainteté et l’Église non seulement parce qu’elle est sacrement du salut, mais aussi parce que « La révélation de Jésus-Christ qui nous est donnée dans la Bible est confiée à l’Eglise qui en est l’interprète, soit le point de référence pour l’évangélisation et pour l’évangélisé »[93]. Mais quel est le fondement de cette Église ? La réponse à cette question est donnée dans la proposition synodale numéro huit. Il est intéressant à présent de voir le poids des groupes linguistiques dans ce passage décisif. L’extrait est long, mais il mérite d’être donné dans ses parties remarquables.
Le mystère de l’amour du Dieu trinitaire est l’origine, le modèle et la finalité de l’Eglise (LG, 4, Ad gentes, 2 ; GS, 40), un mystère qui trouve dans l’image de l’Eglise comme famille une expression adaptée à l’Afrique[94]. Cette image en effet souligne la préoccupation pour l’autre, la solidarité, la chaleur des rapports, l’accueil, le dialogue et la confiance. Elle montre en outre comment l’autorité est exercée comme service dans l’amour.
Le baptême donne l’accès à cette famille de Dieu[95] et appelle à une conversion qui dépasse les particularismes et tout ethnocentrisme excessif, même en concédant au fidèle de vivre ces différences dans la réconciliation et dans une vraie communion de frères et sœurs […]
On désire ardemment que les théologiens en Afrique élaborent la théologie de l’Eglise comme famille avec toutes les richesses contenues dans ce concept, en montrant la complémentarité avec d’autres images de l’Eglise (par ex. Peuple de Dieu). Entre-temps, nous encourageons le développement d’une Ecclésiologie africaine basée sur l’Église-Famille[96].
Il n’est pas à dire que ce numéro des PSA est un texte de concessions, de médiation, d’équilibrage des positions, mais en les hiérarchisant. Il y a une axiologie de fond qui a guidé la composition de ce numéro. Ceci signifie au clair que les idées de ce numéro, nous les avons déjà rencontrées. Cependant, elles subissent une nouvelle structuration. Ici, le fondement de l’Église-Famille en la Trinité n’est plus vue de manière globale comme ailleurs. En effet, ce fondement est explicité en terme d’« origine, modèle et finalité ». L’argument repose sur la distinction philosophique et théologique qui réside entre la cause efficiente (origine, sous-entendu Père), la cause instrumentale (modèle, Fils) et la cause finale (finalité, Esprit-Saint qui fait participer à la vie de la Trinité dans la visio Dei). Ça ressemble fort à l’argumentation augustinienne dans sa recherche du fondement théologal de la Cité de Dieu [De Civ. Dei, XI, 24-28].
Mais, malgré la pertinence de cet argument, il faut garder des réserves s’il devenait exclusif de l’humanité comme une origine, un modèle et une finalité, subordonnés mais réels de l’Église. Sans cette origine, ce modèle et cette finalité anthropologiques l’Église serait toute divine, ou pire, une personne théologale, sans nécessité de développement, de réforme, de conversion, etc. Bref, comme il a été dit à maintes reprises, il n’existe pas d’opposition entre le fondement trinitaire et le fondement humain parce que les deux ne sont pas de même ordre. Qui plus est, le fondement humain relève de la volonté positive de Dieu, par son Fils, Jésus-Christ, dans l’Esprit-Saint, Maître de l’histoire. Dieu ne peut se contredire, lui qui a établit des alliances libres entre lui et le monde humain. Dans la proposition 9, l’on note un accord unanime des tous les carrefours sur la nécessité de subdiviser l’Église comme famille en petites communautés en vue d’atteindre son potentiel maximal. Par le fait d’utiliser le groupe verbal « être subdivisée », l’on voit clairement que l’Église-Famille est envisagée ici en perspective sociologique dans laquelle se développeront d’étroites relations humaines[97].
La théologie de l’Esprit-Saint premier ouvrier de l’évangélisation qui donne vie à l’Église (DV, 4[98]), l’universalité de la mission évangélique dans toute la communauté chrétienne et l’exigence de la formation pour tous afin d’éviter l’improvisation dans la situation complexe actuelle sont reconnues par l’Assemblée[99]. Dans la section consacrée à l’inculturation, l’on note une recherche d’intégration du principe herméneutique de l’inculturation à partir de l’incarnation et du dogme de la Trinité. Tout cela se fait en fixant le regard sur « la communion dans la diversité ». Cependant, comme on le notera dans l’extrait qui suivra, c’est la voie unidirectionnelle qui sera suivie au détriment du merveilleux échange nuptial.
Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, crucifié et ressuscité dans la gloire, est le centre et le modèle de tout aspect de la vie chrétienne. L’incarnation du Fils de Dieu est le principe et le modèle de l’Inculturation. A la lumière de l’Incarnation, l’inculturation, comme projet de communion dans la diversité, est donc enraciné dans le mystère de la Trinité. Christ est ‘‘dans sa maison’’ (chez lui) dans nos cultures.
En outre l’Evangile lui-même devient le principe qui purifie, guide, anime et élève la culture, la transformant de manière à susciter une nouvelle création. Chaque culture a besoin d’être transformée par les valeurs de l’évangile à la lumière du mystère pascal[100].
L’on aura remarqué que l’ouverture de l’incarnation dans la Trinité tient au fait que Jésus est le Fils de Dieu. C’est un argument que nous avons rencontré, avec insistance, dans les groupes anglophones. L’on accepte que les cultures africaines sont la « maison du Christ », mais l’on ne souligne nulle part l’enrichissement de ce Christ par l’apport des cultures de l’Afrique. On parle du Christ en terme du centre et du modèle de toute la vie chrétienne. L’incarnation est aussi acceptée comme le principe et le modèle de l’inculturation. Mais, aucun éclaircissement n’est fait ici sur la relation qui existe entre tous ces concepts (centre, modèle et principe) avec les deux autres personnes divines. Les propositions 30 et 32 donnent un essai de réponse à ce propos.
L’inculturation est une exigence de l’évangélisation. C’est le fruit de l’écoute, de l’accueil, de la réflexion et de l’assimilation de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu (Mc 1, 1). L’inculturation est l’œuvre de l’Esprit Saint qui conduit l’Eglise à la pleine vérité (Jn 16, 13) et la lui confie pour exprimer dans toutes les cultures les merveilles de Dieu. Voilà pourquoi l’inculturation doit être réalisée à l’intérieur de l’Eglise.
Le Synode recommande que l’inculturation réunisse dans une collaboration confiante les Petites Communautés Chrétiennes et les spécialistes (savants) sous la responsabilité des évêques et des Conférences Episcopales[101].
L’inculturation est un mouvement vers l’évangélisation pleine. Elle cherche à préparer les personnes à recevoir Jésus Christ de manière intégrale. Elle les investit au niveau personnel, économique et politique, de sorte qu’elles puissent vivre une vie sainte en totale union avec Dieu Père, sous l’action de l’Esprit Saint[102].
L’importance de l’Esprit-Saint dans l’inculturation comme exigence de l’évangélisation est soulignée par son œuvre qui consiste à : conduire à l’adhésion au Christ ; conduire l’Église à la pleine vérité ; disposer le disciple du Christ à l’écoute, à l’accueil, à la réflexion et à l’assimilation de la Bonne Nouvelle ou à recevoir Jésus-Christ de manière intégrale. C’est aussi l’Esprit-Saint qui conduit à la vie sainte en totale union avec le Père. Quant à l’Église, il lui est assigné la tâche d’exprimer universellement les merveilles de Dieu. L’on peut dire qu’à l’Église l’expression (contenant), à l’Esprit-Saint le contenu à exprimer ; aux cultures la réception de l’expression ecclésiale et son contenu pneumatique. L’Esprit-Saint est celui qui unit à l’Église, au Christ et au Père. Le schéma de la théologie trinitaire de ce document synodal se base sur les missions divines comprises à partir des verbes ‘‘envoyer’’ et ‘‘donner’’. C’est dans la dernière proposition que se rencontre assurée cette position.
Ce Synode, affirme-t-on, conscient de ne pouvoir rien faire sans l’aide, l’assistance et l’appui de Dieu (cfr Jn 15, 5) sollicite la promotion de l’esprit de prière, individuelle et communautaire :
- le Seigneur Jésus que le Père a envoyé, sera de manière spéciale au milieu de nous en agissant par notre intermédiaire ;
- l’Esprit Saint que Jésus a donné à son Eglise nous conduira aux objectifs que nous avons préétablis ici[103].
Une des limites de cette manière de formuler la théologie des missions divines est celle de ne pas mettre en relief la périchorèse historique des personnes divines et donc, la mission de l’Esprit-Saint dans et pour la mission même de Jésus, Verbe-Fils incarné[104].
I. 6. Message du Synode Africain (MSA)
Si les PSA sont adressées au Pape, le Message du Synode lui veut, avant tout, annoncer au Peuple de Dieu qui est en Afrique les fruits des travaux réalisés à Rome. Chronologiquement, ce MSA a été présenté le 6 mai 1994 à la vingt-septième Congrégation Générale de l’Assemblée. D’après Mgr Ntedika, l’éditeur des textes que nous suivons, le MSA, qui assume les travaux intérieurs, a « ses insistances, ses omissions et ses nuances propres et significatives quelquefois. Dans ce document, le Synode fait éclater aussi ses sentiments de joie, de fraternité, de gratitude et d’espérance »[105].
Du point de vue du contenu théologique du MSA, il convient de souligner son point de départ christologique basé sur le mystère de la Résurrection du Christ, à la fois comme espace de l’intelligence du mystère de Dieu, de communion à sa vie, de l’intelligence et même de ressorts de solutions existentielles africaines. C’est ce Jésus-Christ ressuscité qui est l’Espérance. Ce même Christ, vient, rejoint les Africains et fait route avec eux, il leur commente les Ecritures dont il est le contenu parce qu’il est le Vivant (Ap. 1, 17-18). Il leur apporte réconfort et espérance dans leur situation particulièrement difficile[106]. Quant aux concepts fondamentaux de l’ecclésiologie du MSA, il est intéressant de noter comment le second numéro du MSA procède. Il commence par parler du « Peuple de Dieu », puis de la « Famille de Dieu » qui est en Afrique, enfin de la « Famille de Dieu en rassemblement de par le monde »[107]. L’intention théologique est évidente : montrer la complémentarité des concepts ecclésiologiques[108]. Dès le numéro suivant, le MSA va établir le fondement trinitaire de son ecclésiologie en passant par un détour christologique très notable par sa visée. Le Christ qui est l’Espérance du monde, n’est pas un étranger pour l’Afrique et en Afrique. Au contraire, il est Africain. Cette affirmation est attachée au temps après le concile Vatican II, pour souligner, l’on ne peut en douter, les liens entre les deux événements.
A cette heure de singulière bienveillance céleste pour la terre d’Afrique, que Paul VI au lendemain du Concile a prophétiquement appelée ‘‘nouvelle patrie du Christ’’, tout notre être n’est qu’un cri de joie et de reconnaissance au Dieu vivant pour le grand don du Synode :
Au Père dont nous sommes la Famille,
Au Fils dont nous sommes la Fraternité victorieuse de la haine fratricide,
A l’Esprit d’amour qui nous façonne à l’Image de la Trinité Sainte[109].
Cet extrait identifie le « Dieu vivant » auquel s’adresse le cri de joie et de reconnaissance qu’est tout l’être des Africain(e)s en Synode « au Père, au Fils et à l’Esprit d’amour ». L’ordre divin est respecté. L’identification stricte entre le « Dieu vivant » et les trois personnes divines souligne l’égalité des hypostases et leur unicité d’action. Cette égalité des personnes divines et cette unicité dans leur action font que les hypostases divines méritent la même adoration dans la joie et la reconnaissance. Cependant, cette unité et cette action commune n’obscurcissent nullement les distinctions en Dieu. Deux logiques sont subtilement unies dans cette citation : les relations que chaque personne divine a envers l’humanité ; les relations que chaque personne divine a envers les autres personnes divines. En ce qui concerne les relations que les personnes divines ont avec nous, c’est au Père qu’est liée notre identité familiale. Nous sommes la Famille du Père. Notre être de Famille traduit l’identité du Père dans la Trinité. Au Fils est liée notre Fraternité. C’est ici, sans doute aucun, l’assomption de la christologie du Christ Aîné qui se développe en Afrique[110]. L’on ne parle pas du Fils en terme du Verbe, mais du Frère en qui nous sommes une Fraternité. La théologie de la deuxième personne de la Trinité nous indique clairement que nous ne sommes pas seulement dans le domaine économique du mystère. En effet, l’on parle du Fils et non de Jésus-Christ ou du Fils incarné. N’envisageant pas les choses directement du point de vue de l’incarnation, l’on voudrait souligner que c’est la filiation éternelle du Verbe qui est la condition de possibilité de notre fraternité. C’est dire que par l’acte de la génération du Verbe (Monogène), ce dernier a été constitué par son Père comme Fils devant devenir notre Frère (Prototokos). L’engendrement éternel du Fils comme devant devenir notre Frère dans et par la kénose fait que toute fraternité humaine vraie ne relève pas simplement d’une pure volonté humaine. Notre fraternité relève de la volonté positive de Dieu dans l’engendrement de son Verbe comme Fils (Jn 1, 12-13)[111]. C’est ce fondement dans les processions divines, condition dogmatique des missions divines, qui assure l’efficacité de la sotériologie. Cette dernière est envisagée ici en terme de victoire sur la haine fratricide. C’est parce que Fils-Frère que Christ, par sa mort, apporte à notre fraternité et son accomplissement et son salut[112].
Quant à l’Esprit-Saint, il est vu comme une personne active par rapport aux êtres humains. Il est dit à son propos qu’il nous façonne. Ce verbe ‘‘façonner’’ fait penser à l’analogie de Saint Irénée de Lyon qui affirme que le « Fils et l’Esprit-Saint sont les deux mains du Père ». Il y a par ce fait contemplation du mystère ad intra comme Trinité créatrice. L’Esprit-Saint façonneur est l’Esprit Créateur et la troisième personne de la Trinité. Le raisonnement semble le suivant. C’est parce que l’Esprit-Saint est la troisième personne de la Trinité créatrice qu’il peut nous façonner réellement et efficacement à l’Image de la Trinité. Le verbe ‘‘façonner’’ attribué à l’Esprit-Saint devient le signe de sa divinité, condition obligatoire de notre iconologie trinitaire. Ce même verbe ‘‘façonner’’ nous met dans la perspective de l’Épître aux Eph. 4, 11-12 qui parle de l’édification du Corps du Christ par des dons divers qui correspondent à la diversité des ministères qui ne détruisent nullement la communion ecclésiale (Eph. 4, 7-16). Il y a une identité entre l’Esprit Créateur et l’Esprit-Saint principe de la communion différentielle dans l’Église, comme Corps mystique du Christ.
Les rapports entre les trois personnes divines suivent l’odre traditionnel : Père, Fils et Esprit d’amour. Les relations entre les hypostases divines sont clairement interprétées dans le cadre de la théologie classique (Saint Augustin, Richard de Saint Victor, pour ne citer que ceux-là) : Paternité – Filiation et Amour notionnel qu’est l’Esprit-Saint. Il y a cependant motif de croire que ces concepts dogmatiques sont remplis du contenu expérientiel africain de l’amour comme Famille, Fraternité et Fihavanana (amitié - solidarité) comme le suggérait le Rapport de Synthèse[113].
On l’aura remarqué, ce paragraphe du MSA constitue une vraie nouveauté par rapport à tous les documents ici analysés. Elle inaugure une différenciation des images de l’Église en correspondance avec chacune des hypostases divines. Par ce même fait, l’argument de l’origine (cause efficiente), du modèle (cause instrumentale) et de la finalité (cause finale) fondée dans la simplicité, l’unicité de la Trinité ne correspond plus directement à ce qui est affirmé par le MSA. En effet, c’est le Père dans ses notions distinctives qui est dans le MSA, l’origine, le modèle et la finalité de la Famille. Le Fils dans ce qui fait de lui la seconde personne de la Trinité est l’origine, le modèle et la finalité de la Fraternité. Enfin, c’est l’Esprit-Saint en tant que personne différente du Père et du Fils qui est l’origine, le modèle et la finalité de l’Eglise en tant que communion solidaire. L’argument de fond est le suivant. De même qu’il n’y a pas de paternité au ciel et sur terre qui ne vienne pas du Père, de même, il n’existe pas de fraternité au ciel et sur terre qui ne vienne pas du Fils, notre Frère Aîné. De la même façon aussi, comme il y a pas d’amour aux cieux qui ne soit pas l’Esprit-Saint, de même il n’existe pas de vrai amour ici sur terre qui ne soit pas la révélation de l’Esprit-Saint, principe théologal de communion familiale et fraternelle.
Cependant, à cause de la communion périchorétique des hypostases divines et de l’identité strictement numérique de leur nature, cette distinction basée sur les notions différentielles ne signifie absolument pas la séparation tant des personnes divines que des images ecclésiologiques. Dit d’une autre manière, de même qu’il n’existe qu’un seul Dieu vivant qui est la Trinité et un seul Père, un seul Fils, un seul Esprit-Saint qui sont l’unique Trinité strictement égale au Dieu vivant, de même il n’existe qu’une seule Église qui se réalise différentiellement en Famille, Fraternité et Communion dans la solidarité. C’est pour ces raisons essentiellement trinitaires que « L’universalité de l’Eglise, qui n’est pas uniformité mais communion des différences compatibles avec l’Evangile, a été vécue par tous les Evêques [… réunis en Assemblée synodale comme moment fort, en vue] d’expérimenter en Famille la fraternité, la collégialité, la communion ecclésiale »[114].
Tandis que dans les PSA, l’on parlait de l’inculturation ecclésiologique comme réalité à accomplir dans le futur, le MSA la considère comme une facticité en cours sur le contient. Cette inculturation ecclésiologique s’est traduite dans la célébration liturgique d’ouverture du Synode célébrée le 10 avril 1994 dans la Basilique Saint Pierre, sous la présidence du Saint-Père. L’importance de cette référence tient au fait que cet acte liturgique inculturé traduisait, par la symbolique africaine et son sens religieux, le mystère de la Pâques du Christ qui est le lieu de l’intelligence et de la Trinité, du corps mystique du Christ et de l’Afrique comme une terre aimée de Dieu[115].
Dans le MSA la théologie de l’évangélisation comme annonce est christocentrique. Cette centralité du Christ est coulée dans une christologie trinitaire. L’on parle de la « Bonne Nouvelle du salut qui se réalise en Jésus-Christ ». L’annonce doit être « centrée sur le Christ ». Ce Christ est le même et identique à travers l’histoire. Il est la « nouveauté permanente de la bienveillance de Dieu pour nous ». Comme on le voit, ici c’est le Père qui réalise son salut par Jésus-Christ. Le Christ, en tant que référé au Père, est notre bienveillance. Mais, en rapport avec l’Esprit-Saint la condition du Christ comme Médiateur pour nous ne change pas. Parce qu’il est affirmé qu’« En lui, l’Esprit nous est donné [par le Père] pour achever notre sanctification et pour transformer le monde »[116].
Le MSA creuse sa théologie de l’évangélisation en se servant de la catégorie de la rencontre d’amour, dans l’amour, qui implique toute la vie de la personne humaine bouleversée par sa communion existentielle avec le contenu personnel de l’évangélisation : le Christ. C’est à l’Esprit-Saint qu’est accordée la mission d’aboucher à Jésus-Christ et de témoigner de Lui, le contenu de l’évangélisation. C’est aussi l’Esprit-Saint qui conduit à la mission, « prépare l’humanité entière (pas seulement l’Église) pour cette rencontre avec le Christ ». L’on affirme, cependant, que c’est le Christ qui constitue son Église par sa Parole et ses sacrements, mais une Église réunie par l’Esprit-Saint[117].
Le MSA fait une distinction entre « Jésus » et le « Royaume de Dieu ». En effet, Jésus est appelé ‘‘la perle précieuse’’ du Royaume de Dieu. A cet endroit, il est remarquable que le MSA, n’utilise pas les noms « Jésus-Christ », « Fils de Dieu », « Verbe de Dieu » et « l’Emmanuel ». Ce qui est visée, c’est le réalisme et l’authenticité de l’humanité créée et pleine du Fils de Dieu incarné : Jésus. C’est comme pour dire que le chemin qui conduit à la découverte de l’hypostase de la deuxième personne de la Trinité, c’est son humanité. C’est la voie ascendante qui abouche au mystère du Fils, même dans son déploiement historique comme Christ et Emmanuel. La découverte de la pleine et authentique humanité du Christ conduit à la réception des sacrements d’initiation dans l’Église. Le MSA, prend résolument ici une voie, sûrement complémentaire, mais vraiment autre, par rapport aux carrefours et propositions synodales qui insistaient sur l’identité du Fils comme Verbe. Ceci ne signifie nullement que le MSA ignore l’unicité de l’hypostase du Verbe, Fils qui est devenu Jésus. De fait, cette unicité est la raison fondamentale du fait qu’ « Evangéliser, c’est faire vivre Jésus-Christ, l’Unique Rédempteur de l’homme »[118].
L’on peut affirmer, sans peur de se tromper, que la profondeur de la théologie de l’évangélisation et de la mission dans ce document synodal tient au fait qu’il fonde son ecclésiologie dans le christocentrisme[119]. Sa limite tient, en ce moment précis, dans le fait que ce christocentrisme n’est pas vraiment pneumatologique. Au contraire, sa théologie de l’Esprit-Saint a tendance à ne voir dans la troisième personne de la Trinité qu’un Agent du Christ, un ouvrier théologal soit-il. L’Esprit-Saint est appelé souvent « Esprit du Christ », sans aucune formule alternative pouvant ou voulant montrer l’emprise de l’Esprit-Saint sur Jésus, faisant de lui prophète, prêtre, témoin, missionnaire et Christ. Dit d’une autre manière, l’on ne montre pas assez comment l’Esprit-Saint agit en et pour Jésus afin qu’il devienne le contenu de l’évangélisation et donc l’unique Rédempteur de l’homme parce qu’Oint[120].
Après cette définition des fondements de l’Église-Famille, le MSA va relier l’existence actuelle de l’Église-Famille à l’œuvre missionnaire. Ce sont les missionnaires qui ont apporté à l’Afrique le Christ et qui ont posé pour nous les conditions de l’existence de notre Église et son ecclésiologie[121]. Il y a donc, un lien étroit entre annonce missionnaire et inculturation faite par l’Afrique. Et pourtant, affirme le MSA, le schéma ne peut être unidirectionnel : de l’annonce vers l’inculturation. L’exigence de l’inculturation est fonction du fait que l’évangélisation est « un dialogue d’Amour »[122]. Nous nous retrouvons ici devant la théologie de l’inculturation comprise comme processus nuptial. Dans un vrai processus nuptial, il y a réciprocité entre les deux partenaires qui veulent se lier en alliance. La théologie de l’inculturation est celle de l’alliance vitale entre le théologal et l’humain, vice versa. La différence entre la première annonce et l’évangélisation en profondeur montre à suffisance que l’inculturation se fait toujours par des personnes et des communautés qui, éclairées par l’Amour de Dieu en alliance, découvrent dans leur culture les merveilles de la Trinité en vue de l’enrichissement de leur Église. L’on comprend que tout processus nuptial est, par nature, personnalisé. Les symboles qui parlent remarquablement à telle communauté d’Amour, peuvent surprendre une autre, vice versa. Je crois que cette affirmation vaut également pour les images ecclésiologiques. Cette théologie fut utilisée par le carrefour hispano-lusophone. A ce processus nuptial, le MSA attache un autre thème cher au Synode, celui de la sainteté comme finalité de l’inculturation.
Ce dialogue d’amour avec le Dieu Saint entraîne une exigence incontournable que tous ont ressentie et que beaucoup ont énoncée avec insistance et profondeur théologique : la sainteté. Quand le Verbe assume notre nature, il la purifie du péché et la dote de son attribut fondamental et le plus beau, c’est-à-dire la sainteté. Quand il s’installe, il réveille toutes les énergies de la première création qu’exprime la culture et les investit de sa puissance de rédemption[123].
Ce extrait est complexe. Il parle d’abord du dialogue d’Amour qui se fait avec le « Dieu Saint » faisant penser à toute la Trinité parce que l’attribut de sainteté revient à toutes les personnes divines en tant qu’elles sont toutes un seul et unique Dieu. L’expression peut aussi faire penser à la Première personne de la Trinité, en tant qu’elle est l’Origine sans origine de toute sainteté en Dieu et dans les créatures. L’expression peut faire penser particulièrement à l’Esprit-Saint, dans la mesure où la tradition théologique identifie son hypostase à la sainteté en Dieu.
Mais, il faut se le dire aussi, l’extrait cité opte pour la sainteté comme attribut du Verbe. Il est à noter que l’on ne parle pas de la deuxième personne en terme du Fils, mais du Verbe c’est-à-dire, de sa personne en tant qu’elle est toujours immanente dans la personne du Père. C’est ce Verbe immanent qui assume notre nature humaine. Le problème théologique tient à « notre nature » assumée dans la mesure où l’humanité personnelle assumée par le Fils dans la kénose n’est pas pécheresse parce que son origine humaine est à la fois pneumatique et Immaculée. Donc, l’insistance du MSA ne tient pas à la spécificité de l’humanité de Jésus qui est dès sa conception sainte, mais à la consubstantialité avec nous ou à la solidarité de sa nature humaine avec la nôtre qui est tombée dans le péché. C’est par son lien de consubstantialité spécifique avec nous, que l’humanité du Verbe incarné nous apporte la sainteté comme notre réalisation esthétique. Il est important de relever ici que l’incarnation a une finalité humaine : celle d’apporter à notre nature son attribut le plus fondamental et le plus beau.
Le texte cité se situe dans la perspective descendante. Il n’envisage pas la Pâques et la glorification de Jésus-Christ, car sa conception de l’incarnation est statique. A cet endroit, il vraiment curieux de constater que la théologie du dialogue d’Amour cesse, car une personne ne peut se marier et/ou dialoguer avec une nature. Il n’y a plus de possibilité pour un merveilleux échange, car finit le régime du personnalisme au profit de l’assomption de la nature du reste endormie et donc passive. De fait, le rapport que le Verbe a envers le monde créé se focalise sur la « nature » humaine et les « énergies de la première création ». La mission de ce Verbe descendant est explicitée par « il s’installe, il réveille toutes les énergies de la première création ».
Il est curieux de voir aussi comment la présence de Dieu dans les cultures et les valeurs anthropologiques qui tissent lesdites cultures ne sont vues que comme des « énergies » qui relèvent seulement de la première création, au détriment et de la théologie de la création continue et du panenthéisme trinitaire. Le texte ne tient pas compte de l’objectivité des cultures qui est toujours à conjuguer harmonieusement avec la subjectivité. Les chrétiens qui inculturent le message chrétien sont à la fois dans et en face de leur culture. Ils sont aussi leur propre culture. Ils leur est difficile, sinon impossible de faire une séparation entre l’objectivité et la subjectivité de leur culture[124]. Pour terminer, le texte cité n’a pas suivi les pas de l’évolution de la théologie systématique chrétienne qui parle de l’autocommunication de Dieu tel qu’il est, c’est-à-dire, Trinité. C’est pour cette raison qu’il ne réserve le don du salut à l’humanité que dans le régime de l’incarnation du Verbe. En plus, après la résurrection et la glorification de Jésus il est, du point de vue réaliste et systématique, impossible de faire une théologie du Verbe sans Jésus. Il est vrai que le Verbe préexistait sans Jésus. Mais, après la post-existence de Jésus, il n’y a plus aucune possibilité pour la séparation entre le Verbe et Jésus, vice versa. L’omniprésence du Verbe implique le salut par la médiation de l’humanité de Jésus.
Le MSA envisage la sainteté humaine en rapport avec la fonction prophétique. Cette fonction est un don de l’Esprit-Saint, même si le texte ne le dit pas expressément. La sainteté et la prophétie sont nécessaires dans le contexte continentale « où notre identité est comme broyée dans l’étau d’une histoire impitoyable ». La prophétie dont le cœur est une vie de sainteté a pour référence, le Dieu de l’espérance et comme mission, la création d’une identité africaine nouvelle[125].
L’analogie entre l’incarnation et l’inculturation est reprise au numéro 16, avec des contenus théologiques qui surprennent si l’on a en tête les affirmations du numéro 14 du MSA. Voici le texte : « A l’instar de l’Incarnation, l’inculturation arrive à son sommet dans le mystère pascal où le Christ témoigne de la Vérité jusqu’au prix de son sang et récapitule en Croix tout ce qu’il y a de vrai et de saint dans les cultures pour en faire le lieu de la manifestation de la Trinité Sainte. C’est lui le Premier Témoin [le Christ] »[126].
Il vient d’être dit dans le numéro 14 que le Verbe dans et par son incarnation « réveille toutes les énergies de la première création ». Il a aussi été dit que les cultures relevait de cette économie du premier Adam. Dans le numéro 16, l’on ne parle plus d’énergies. L’on parle plutôt de la vérité et de la sainteté présentes dans les cultures. Cependant, il est à observer que les formules utilisées ne se situent pas encore dans le plein personnalisme. L’on parle de « tout ce qu’il y a de vrai et de saint[127] », avec le danger certain de considérer et la vérité et la sainteté comme des choses plutôt qu’une présence amoureuse de Dieu. Quoique la perspective théologique demeure celle qui accepte la distinction entre la présence de Dieu par sa « causalité efficiente », une présence vide d’inhabitation personnelle, la présence de Dieu par grâce qui implique une relation d’amitié et donc une vraie inhabitation, et la présence de Dieu dans la gloire qui implique la vision eschatologique et la pleine inhabitation, la reconnaissance du vrai et du saint (pas seulement du bon) dans les cultures abouche à des questions dogmatiques.
Comment ces cultures qui sont dépendantes de la première création ont-elles obtenu la vérité et le sainteté ? Les PSA, le RI, RS et les différents Carrefours synodaux n’affirmaient-elles pas que la sainteté et la vérité sont la manifestation de la présence personnelle de l’Esprit de Jésus-Christ ? Le MSA, nº 14 ne dit-il pas que la sainteté est l’effet de l’incarnation du Verbe ? Dit d’une autre manière, comment les fruits de l’économie du Nouvel Adam se retrouvent-ils dans l’économie de l’Ancien Adam ? Faut-il établir une pleine identité entre les énergies de la première création et « tout ce qu’il y a de vrai et de saint » dans les cultures qui relèvent d’Adam ? Dans une perspective systématique qui considère toutes les formes de la présence de Dieu comme autocommunication personnelle de la Trinité telle qu’elle est, existe-t-il une possibilité (même théorique) pour que le Verbe réveille l’inhabitation trinitaire (énergies) de la première création ?
Dans le numéro 16 du MSA, l’on affirme aussi que le vrai et le saint culturel ne sont pas identique à la Vérité et à la Sainteté de la Trinité. En effet, même configurée dans le sommet du mystère économique du Christ, « toute ce qu’il y a de vrai et de saint » dans les cultures demeurera un lieu anthropologique de la manifestation de la Trinité Sainte. Cette affirmation montre que ce lieu anthropologique est éthique et psychologique. La sainteté et la vérité humaines, lieu de la manifestation de la Trinité par la Pâques du Christ, ne sont pas les hypostases divines présentes dans l’ontologie humaine. La sainteté et la vérité ne sont pas ici des qualités de la Trinité économique effectivement et efficacement présente dans l’être humain et qui fait que cette personne humaine et sa culture soient saints et vrais.
Paradoxalement nous sommes loin de ce qu’affirme le MSA dans son numéro 17. « Le baptisé qui reçoit du Christ ressuscité le mandat d’aller jusqu’au bout de l’évangélisation et qui y répond devient à sa suite témoin. Il évangélise les racines culturelles de sa personne comme de sa communauté et relève les défis socio-économiques et politiques pour pouvoir reprendre le message dans ses propres mots et dans une dynamique nouvelle de vie qui change la culture et la société »[128]. Ce qui est dit du baptisé seul, peut aussi s’appliquer à des personnalités corporatives, à des associations chrétiennes, à des universités et instituts chrétiens[129]. L’inverse est aussi possible, car, une société vraiment évangélisée c’est-à-dire celle qui reçoit le mandat de Jésus et qui y répond devient témoin et évangélise les racines personnelles de la culture de ses membres.
C’est dans cette coulée que se situe la mission de l’Église dans sa visibilité sociologique. Et pourtant, le MSA ne réduit pas l’Église-Famille à une corporation sociologique dont l’initiative serait purement humaine. « L’Église-Famille, dit le MSA, a sa source dans la Sainte Trinité, au sein de laquelle l’Esprit-Saint est la Relation de Communion. Elle [l’Église-Famille] sait que la qualité de relation que permet une communauté est l’expression de sa valeur intrinsèque »[130].
Cet extrait est une reprise du premier paragraphe des PSA, nº8 : « Le mystère de l’amour du Dieu trinitaire est l’origine, le modèle et la finalité de l’Eglise (LG, 4 ; Ad gentes, 2 ; GS, 40), un mystère qui trouve dans l’image de l’Eglise comme famille une expression adaptée à l’Afrique. Cette image en effet souligne la préoccupation pour l’autre, la solidarité, la chaleur des rapports, l’accueil, le dialogue et la confiance […] »[131].
Cependant, les différences entre le MSA, nº 20 et le numéro 8 des PSA ne sont pas à cacher parce qu’évidentes. Le MSA ne parle plus de « l’Église comme famille ». Il opte pour l’expression « l’Église-Famille ». Dans sa détermination des rapports que l’Église-Famille a envers la Trinité, le MSA ne parle plus d’origine, du modèle et de finalité. Il ne parle que de la relation d’origine, mais en ajoutant une nuance très importante liée à la préposition « dans ». Il est dit que « L’Église-Famille a sa source dans la Trinité ». Les PSA affirment que c’est le mystère de l’amour de Dieu trinitaire qui est la cause efficiente, la cause instrumentale et finale de l’Eglise comme Famille. Le MSA ne parle plus de manière générique. L’Église-Famille, sous-entendue en tant qu’elle est communion, a sa source dans l’hypostase de l’Esprit-Saint dans la mesure où ce dernier est la « Relation de Communion » du Père et du Fils, vice versa. Dit d’une autre manière, c’est parce que l’Esprit-Saint est l’Hypostase de Communion[132] du Père et du Fils, vice versa que l’Église-Famille qui a son origine dans la ‘‘Trinité qui est Communion’’.
Cette option pneumatologique du fondement intratrinitaire de la communion ecclésiale est inclusive de la « qualité de relation que permet une communauté » comme « expression de sa valeur intrinsèque ». En clair, ceci signifie que les valeurs de la communauté africaine qu’est la famille élargie - exprimées dans le PSA, nº 8 en terme de préoccupation pour l’autre, la solidarité, la chaleur des rapports, l’accueil, le dialogue et la confiance, l’exercice de l’autorité dans l’amour - sont compatibles avec l’Église-Famille dont la source dans la Trinité est la « Relation de Communion ». Mieux, les valeurs qui traduisent la relation de communion dans la communauté familiale africaine sont aussi l’épiphanie de la Relation de Communion dans la Trinité. Il n’y a donc plus de possibilité pour une relation exclusive entre les valeurs de la famille africaine et l’Église qui a sa source dans la Trinité, son modèle et sa finalité en ce même et unique Dieu.
L’amour africain qui se vit dans la famille clanique se situe du côté du ‘vrai et du saint’’. En tant que tel, récapitulé par le Christ, il fait partie de son Corps mystique. En revanche, le tribalisme africain est un mal. Il fait partie du mauvais, soumis au pouvoir du Mauvais. Il est par ce fait inconciliable avec Jésus-Christ. Mieux encore, l’anthropologie africaine dans sa facticité créaturelle est une réalité constitutive de la Révélation de Dieu comme Trinité. En retour, pour savoir qui est l’Africain(e), il faut, du point de vue chrétien, absolument se situer dans la Révélation de Dieu comme Trinité. Sans ce mystère, l’on se situera toujours en dessous du vécu et de l’intelligence de l’Africain. Sans la prise en compte factuelle de l’existence africaine comme révélation positive de la fécondité du Dieu Trinité, il est impossible de rencontrer la Trinité comme le Dieu vivant pour l’Afrique et ses peuples.
L’on comprend alors que la sainteté et la vérité qui se trouvent dans la ‘‘qualité de relation qu’est la famille africaine’’ sont des dons personnels de l’Esprit-Saint. Ceci signifie également qu’il existe, dans l’ontologie même de l’Église, une réalité vivante partagée par toute l’humanité. C’est cette réalité théologale qui permet l’intelligibilité et la réception de son message et de son contenu. C’est aussi cette réalité théologale qui permet le dialogue universel. Effectivement, la PSA, nº 4 disait que « Pour l’homme africain la foi[133] en Dieu Créateur découle de ses traditions de religion et de vie et donc ouvert à la pleine et définitive révélation de Dieu en Jésus-Christ […] »[134].
C’est à base de cette même foi en Dieu Créateur et Père que l’exigence du dialogue que l’Église-Famille doit avoir avec l’islam est articulée. « Le Dieu vivant[135], Créateur du Ciel et de la Terre et Maître de l’histoire, est le Père de la Grande Famille humaine que nous formons [avec les musulmans]. Comme serviteurs de Sa Vie dans le cœur des hommes et dans les communautés humaines, nous sommes [chrétiens et musulmans] tenus de communiquer les uns aux autres le meilleur de notre foi en Dieu, notre Père commun »[136].
De ce qui précède l’on comprend que l’Église-Famille de Dieu tire sa source et son modèle de la Famille humaine non seulement parce qu’elle est « Famille », mais aussi parce qu’elle est du Dieu vivant, Père commun des chrétiens avec les fidèles de la RA, les musulmans et avec toute l’humanité. Il n’y a pas de famille humaine sans fondement et exemplarité dans le Dieu vivant, notre Père commun. Ici le concept théologique de la famille n’est pas exclusif d’un seul peuple, élu soit-il. Il est inclusif de toute l’humanité. Cette théologie se précisera davantage dans les numéros 24 et 25 du MSA. Ces deux numéros sont d’une vision théologique remarquable. Ils sont comme un des grands sommets du contenu théologique de ce document synodal.
Eglises d’Afrique, Peuple de Dieu en rassemblement de par le monde, c’est à vous d’abord que nous annonçons Jésus-Christ (cf. 1 Co 1, 23), c’est de vous que nous voulons recevoir en écho qu’il a été mis à mort mais qu’il est vivant[137], qu’il donne la Vie au monde et la donne en surabondance. Le Synode a mis en lumière que vous êtes de la Famille de Dieu. L’Église-Famille est dont le Père a pris l’initiative en créant Adam, celle que le Christ, Nouvel Adam et Héritier des nations[138], a fondée par le don de son corps et de son sang, et celle que manifeste à la face du monde l’Esprit que le Fils a remis au Père pour qu’il soit la Communion entre tous. Jésus-Christ, Fils unique et bien-aimé, est venu pour sauver chaque peuple et en son sein chaque homme. Il est venu rejoindre chacun sur le chemin culturel où l’ont laissé ses ancêtres. Il fait route avec lui pour lui commenter ses traditions et coutumes[139] et lui révéler qu’elles sont des préfigurations lointaines mais certaines de lui, le Nouvel Adam, l’Aîné de la multitude des frères que nous sommes[140].
Dans ce numéro 24 du MSA, il y a une reprise du fondement trinitaire de l’Église-Famille tel qu’il a été exprimé dans le numéro 3 du même document. Mais, il y a plus. Ici, l’on ne parle plus de l’Église-Famille du Père, Église-Fraternité du Fils et Église façonnée par l’Esprit d’amour. De la perspective différentielle (nº3), l’on passe à l’optique de l’unicité de l’Église marquée par des actions économiques différentes. Dans le numéro 3, l’on contemplait la diversité des images ecclésiologiques à partir des propriétés singulières du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Dans le numéro 24, l’on envisage l’unicité de l’Église-Famille mais différenciée par les actions singulières des personnes divines comme conséquences de la singularité de leurs propriétés incommunicables.
De ce fait, l’initiative de l’existence de l’Église-Famille qui coïncide avec la première création, il faut le noter, est réservée au Père parce qu’il est la source de tout en Dieu et dans la création. L’Église commence avec la création d’Adam. L’Église est un mystère lié à l’acte créateur de Dieu. Cependant, il y a une nette différence entre le Père de qui vient l’initiative de créer et Adam qui représente la création. Mais, le fait de fonder l’ecclésiologie dans la création d’Adam a une portée universelle évidente. L’on comprend alors pour quel motif aucun peuple du monde n’est hors de la Grande Famille de Dieu qui ne coïncide pas avec l’Église sociologique[141].
La relation que cette même et unique Église-Famille a envers la seconde personne de la Trinité, en tant que Christ, porte des changements notables. Il y a, maintenant, une identité stricte entre le Christ et le Nouvel Adam. Cette identité n’est pas applicable au Père dans son initiative de créer l’Église-Famille en donnant la vie à Adam. Christ n’est pas seulement identifié au Nouvel Adam, mais également à l’Héritier des Nations dans un double sens. D’abord, il hérite les nations de son Père. Mais, ensuite et même temps, il est l’héritier des valeurs et des vérités que sont et qui sont dans les cultures du monde. Il y a ici un véritable merveilleux échange dans la mesure où le Christ reçoit des nations avant de leur apporter leur fondation qui est son humanité : le don de son corps et de son sang. Il est à signaler l’importance qu’acquiert ici la sainte humanité du Christ comme cause du salut des nations. L’on n’envisage plus ici le mystère de la seconde personne de la Trinité dans son ontologie du Verbe-Fils, mais dans son économie humaine comme corps et sang. L’invocation du corps et du sang n’est pas gratuite ici, car c’est en cela que se trouve le principe anthropologique et la symbolique de la famille clanique africaine.
Quant à la relation que l’unique et même Église-Famille a envers l’Esprit-Saint, elle est maintenue dans la perspective communionnelle. Cette fois-ci, l’Esprit-Saint, communion de et dans l’Église-Famille est présenté dans la perspective pascale. C’est le thème de « l’Esprit du Christ » qui est mis en avant plan. La dépendance de l’Esprit-Saint au Christ est liée au fait que c’est lui, le Christ, qui « l’a remis au Père ». L’Esprit du Christ qui constitue le principe communionel de l’Église-Famille est celui qui vient de l’intérieur de l’humanité de Jésus. Cette intériorité n’est autre que sa personnalité. Cependant, cet Esprit-Saint n’est communion de l’Église-Famille qu’en se recentrant dans le Père. L’Église-Famille ne reçoit pas directement l’Esprit immanent à l’intérieur de la sainte humanité de Jésus. L’Esprit du Christ n’est communion de l’Église-Famille qu’en tant qu’il est « l’Esprit du Père et qui vient de lui ». Bref, la communion dans l’Église-Famille est un mystère dérivé qui manifeste les relations entre les personnes divines.
La christologie africaine du Christ Aîné et Ancêtre ou Nouvel Adam est assumée comme fondement de la diversité des chemins culturels laissés par une pluralité d’ancêtres et de peuples. Ici également, le fondement dans la seconde personne divine ne s’oppose pas au fondement anthropologique parce que les cultures révèlent, dans l’obscurité mais certainement, le mystère de l’Ancêtre fondateur de la nouvelle humanité.
Le numéro 25 du MSA[142] prolonge cette théologie, mais en appliquant, cette fois, le concept de famille non seulement à l’identité de l’Église, mais aussi et surtout à l’être du Dieu vivant qui est Trinité. Qu’il me soit autorisé de dire que j’ai déjà consacré une étude monographique à ce numéro du MSA[143]. Ceci fait que l’analyse actuelle de l’extrait soit, une fois de plus, synthétique. Le plus important à noter pour cette nouvelle étude, c’est le fait qu’après avoir assumé la qualité de la relation intrinsèque à la communauté africaine, le MSA souligne ses défauts dans sa réalisation actuelle. De même que les vertus de la communauté africaine étaient intégrées dans la Famille humaine globale, de la même façon ses maux sont mis en rapport avec l’unique Famille humaine. Nous sommes ici dans une perspective inclusive qui n’ignore pas la responsabilité personnelle de l’Afrique.
Au fond, le paradigme épistémologique utilisé est augustinien. D’une part, il y a la « Famille humaine » qui fait penser à la « Cité humaine » et de l’autre il y a la « Famille de Dieu » qui évoque la « Cité de Dieu ». Enfin, de même que la Cité de Dieu a pour constructeur le Dieu trinitaire, de la même façon, la « Famille de Dieu » est identique à la « Famille trinitaire ». On va plus loin. L’on utilise aussi l’argument augustinien de la Trinité créatrice et donc de l’insinuation trinitaire dans la Famille humaine, comme principe d’intelligence du rapport entre la Trinité et sa création. Cela est exprimé en disant que « la Famille humaine » est à « l’image de la Famille trinitaire »[144].
La sotériologie est saisie et située dans ce contexte. Mais, elle est vue comme une restauration d’un monde déjà unifié par la première création. Le monde sauvé par le Christ est un. Il est la Famille humaine dans sa totalité. Le salut consiste dans la restauration de l’image de la Famille trinitaire dans la Famille humaine. Cette restauration se manifeste dans le fait de considérer l’autre comme frère/sœur. La restauration, c’est la victoire du sang pascal du Christ sur le meurtre du frère. La théologie du sang du Christ comme principe de l’unité de la Famille humaine est reprise dans le cadre de l’anthropologie africaine[145].
La pneumatologie devient plus riche ici. L’on ne parle plus de « l’Esprit du Christ et du Père » comme principe de notre communion. L’Esprit-Saint n’est pas seulement le fruit de l’amour du Père et du Fils, vice versa. Il est « Amour qui nous aime ». Il a l’initiative, au-delà du Verbe, dans l’acte de nous aimer. Son unicité comme Personne qui nous aime assure l’unité de notre Famille humaine. Cependant, la singularité qui fait de l’Esprit-Saint, l’« Esprit qui nous aime » ne détruit pas son identité de « Fécondité infinie de l’amour divin », c’est-à-dire, de l’Amour réciproque et indissoluble qui unit consubstantiellement le Père au Fils. L’Esprit-Saint qui façonne est le même et unique qui est la Fécondité infinie de l’Amour du Père pour son Fils, vice versa. Une question demeure. D’où provient l’analogie de la famille appliquée à la Trinité ? Proviendrait-elle de la famille nucléaire ou de la famille africaine élargie ? Le MSA répond en conformité avec les autres documents synodaux en optant pour la famille élargie. Mais, la famille nucléaire, comparée à la Sainte Famille, est présentée comme un sujet actif dans et par son témoignage qui transforme la famille élargie. La famille nucléaire est constructrice de la Cité.
[…] la vitalité de l’Église-Famille telle que le Synode vient de la mettre en lumière ne pourra être effective que lorsque toutes nos familles chrétiennes deviendront d’authentiques ‘‘Eglises domestiques’’. C’est là, en effet que père, mère et enfants, vivent, à l’image de la Sainte Famille, la richesse de l’amour qui est en Dieu. Là ils apprennent à partager et à grandir dans l’amour de Dieu et des hommes. La grande famille africaine est le lieu sacré où convergent toutes les richesses de notre tradition. Il revient donc à la famille chrétienne de porter au cœur de cette grande famille un témoignage qui transforme de l’intérieur notre vision du monde, à partir de l’esprit des Béatitudes, sans oublier toutes les tâches qui [la] concernent dans la cité[146].
Dans ce texte l’on note une nette distinction entre la famille chrétienne tripartite (père/mère/enfants) et la famille africaine qui est clanique ou élargie. Dans cette distinction, le principe de l’exemplarité est aussi différentiellement appliqué. A la famille nucléaire tripartite est attribuée l’iconologie de la Sainte Famille. L’on affirme nulle part que cette famille est l’image de la Famille trinitaire, même s’il est clairement dit qu’en elle se vit la richesse de l’amour qui est dans le cœur de Dieu. L’on ne précise pas non plus ici à qui est attribué cet amour. Cet amour qui est dans le cœur de Dieu, est-il son amour pour le monde créé ou l’amour de Dieu pour Dieu en Dieu ? Comme il est connu, en Dieu l’amour n’est pas une réalité univoque quoiqu’il ne soit pas ambiguë. En effet, il y a l’amour du Père pour lui-même, l’amour du Père pour son Fils et l’amour du Père pour l’Esprit-Saint. D’autre part, il existe l’amour du Fils pour lui-même, l’amour du Fils pour son Père et l’amour du Fils pour l’Esprit-Saint. Il y a également l’amour du Père pour le Fils, vice versa. L’on doit aussi parler de l’amour de l’Esprit-Saint pour lui-même, de l’amour de l’Esprit-Saint pour le Père, de l’amour de l’Esprit-Saint pour le Fils ; de l’amour de l’Esprit-Saint pour le Père, vice versa et de l’amour de Esprit-Saint pour le Fils, vice versa. Enfin, il existe bien l’amour du « Père, Fils et de l’Esprit-Saint, vice versa ». Toute cette richesse relationnelle ne permet pas de dire que tout amour en Dieu est hypostatique.
Dans le MSA nº27, l’on parle certes de la mission de la famille chrétienne envers la famille africaine. Cependant, la famille africaine est présentée comme une réalité religieuse, un lieu sacré, c’est-à-dire, espace anthropologique consacré par Dieu et réservé à Dieu par Dieu lui-même, pour son adoration et sa révélation aux personnes humaines. Ce sont les valeurs positives de cette famille africaine qui seront utilisées comme analogies trinitaires. Mais, pour quelle raison fait-on cette distinction entre la famille tripartite et la famille africaine ? La raison réside, entre autres, dans le fait que certains peuples d’Afrique et Madagascar n’ont même pas de nom pour parler de la famille nucléaire[147].
Pour finir, il est à noter qu’ici se dessine clairement la finalité de l’Église dans la cité humaine. Ce thème sera développé aussi plus loin. Dans le MSA, le ministère du prêtre diocésain est aussi compris à partir de l’amour africain pour la famille et la vénération de la figure du père dans ladite famille. C’est un ministère saisi à partir du « Christ, Chef, Pasteur et Epoux de son Eglise ». L’on aura constaté. Le titre du « Christ Chef » est un des thèmes que la christologie africaine a plus développés. Le MSA ne se limite pas à des titres économiques du Christ pour fonder le ministère sacerdotal. Il parle de la « parfaite filiation » du Christ qui l’unit au Père. Les prêtres sont appelés à reproduire cette filiation parfaite du Christ pour son Père en eux mêmes et être témoin de l’amour du Père pour sa création[148]. Rien n’est dit explicitement du fondement pneumatologique de leur ministère qui n’est vu que dans la perspective de la mission du Fils qui doit accomplir l’œuvre de son Père[149].
Les communautés ecclésiales vivantes (CEV) sont considérées comme le lieu de la réalisation, à taille humaine, de l’Église-Famille. Elles en sont les cellules. Les CEV sont également le lieu où l’on assume et vit les valeurs positives de l’anthropologie familiale africaine[150]. En plus, dans et par les CEV, les personnes humaines construisent l’Église-Famille et transforment la Cité[151]. Ceci signifie que l’Église-Famille n’est pas exclusivement construite par Dieu. L’Église-Famille a une finalité spatio-temporelle : la construction de la Cité[152]. L’Église-Famille n’a pas seulement une finalité trinitaire. Elle est au service de la Cité par mandat personnel du Rédempteur qui nous donne son Esprit-Saint, affirme explicitement le MSA, numéro 31[153]. L’identité du Sauveur comme justice et paix dans le Royaume de Dieu est également saisie dans ce même sens[154]. Cette finalité terrestre de l’Église se manifeste dans la politique, car celle-ci est charité, la plus haute forme de charité (Pie X)[155]. Comme les autres documents synodaux analysés, le MSA affirme que l’ecclésiologie de l’Église-Famille est le fruit de la réception africaine du Concile Vatican II (LG, 6)[156]. Une Église-Famille ouverte aux autres Églises. « L’Église-Famille est celle de la libre et généreuse circulation des biens et des personnes ». A ce titre, elle admet l’aide économique d’autres Églises et Organisations non gouvernementales comme « expression de la communion »[157]. Il faut le redire. L’Église-Famille a une finalité sociale, celle de la construire. C’est en cela que les trois fonctions du Christ sont réalisées par le fidèle laïc comme sa vocation chrétienne.
L’Église-Famille est orientée vers la construction de la Cité qu’elle cherche à animer par l’esprit des Béatitudes. La tâche du fidèle laïc, qui par son baptême et sa configuration participe aux trois grandes fonctions du Christ Prêtre, Prophète et Roi, est d’être le sel de la terre et la lumière dans le quotidien de la vie et non particulier partout où il est seul à pouvoir pénétrer. Une certaine conception de l’Église a eu pour résultat un type de laïc trop passif. L’Église-Famille est une Église de la communion. Tous les pasteurs sont invités à développer une pastorale où le laïc retrouve toute sa place et son importance.
Quant à vous, chers fils et chères filles, centrez-vous résolument sur la grâce de votre baptême et de votre confirmation et déployer toute initiative que l’Esprit vous soufflera pour que notre Eglise soit à la hauteur de sa mission[158].
Une seule observation. La vie du laïc dans l’Église et dans la cité est référée au Fils exclusivement dans ses fonctions économiques. L’on ne parle nulle part de sa filiation éternelle, comme c’était le cas pour le prêtre. Plus que dans le ministère du prêtre diocésain, il y ici relation intime entre initiative du fidèle laïc et fonction personnelle de l’Esprit-Saint qui souffle là où il veut en vue de l’accomplissement responsable par l’Église de sa mission[159]. Mais, il ne faut pas se le cacher, tant pour le prêtre que pour le laïc, le MSA n’est pas arrivé à une articulation vraiment trinitaire. Pour la mission du laïc, l’on ne parle nullement ici de l’implication de la première personne de la Trinité. L’on doit aussi se demander si la référence au Concile Vatican II et à son ecclésiologie communionnelle permettent de considérer l’action sociale comme zone réservée aux laïcs et laïques. Cette ecclésiologie permet-elle d’envisager l’identité du laïc/de la laïque en relation d’opposition avec celle du prêtre, vice versa ?
Quant aux femmes, il leur est demandé de « préserver dans leur sainte vocation et à assumer joyeusement la grâce de la maternité spirituelle que le Christ leur offre dans l’Eglise, conscients [les pères synodaux] que tant vaudra la femme, consacrée ou mère de famille, tant vaudra l’Église-Famille »[160]. Cette relation entre la femme et l’Église-Famille trouve en Marie sa « Figure personnelle »[161]. De fait, c’est dans l’hymne adressé à Marie que les relations entre l’Église-Famille et les trois personnes divines seront pour la dernière fois examinées[162]. Ayant déjà consacré écrit un livre portant sur l’analyse théologique de ce numéro 71 du MSA[163], et puisque le texte reviens dans l’Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa, à présent je ne peux que souligner quelques aspects de ce cantique marial du Synode Africain.
Après l’affirmation de l’identité entre Marie et l’Église, parce que Marie est appelée la Figure personnelle de l’Église, le MSA parle d’elle en terme de « Mère de Dieu » et « Mère de l’Église ». C’est parce que Mère de Dieu qu’elle est Mère de l’Église et pas le contraire. Cette affirmation se trouve explicitée par et dans le lien que le MSA pose entre la maternité ecclésiale de Marie et le mystère de l’Annonciation. L’Annonciation a pour contenu la Bonne Nouvelle de l’incarnation. Cette Bonne Nouvelle atteint toutes les cultures dès l’annonciation, et cela est très important du point de vue dogmatique. Les cultures n’attendent pas l’annonce missionnaire et l’inculturation qui en suit pour se réjouir et se savoir capable d’Evangile. La pneumatologie ne manque pas dans ce cantique. L’on parle de la Pentecôte nouvelle pour les Églises d’Afrique, de Madagascar et des îles. Une Pentecôte dont le contenu est l’effusion de l’Esprit Saint sur les cultures africaines. Comme dans les passages précédents la fonction de l’Esprit-Saint est la même, c’est-à-dire, assurer la communion dans les différences. C’est le même Esprit-Saint qui fait des Africain(e)s « l’Eglise Famille du Père, Fraternité du Fils, Image de la Trinité ». Cette même Église trinitaire est différenciée du Règne de Dieu qu’elle anticipe. L’Église est également coopératrice avec toutes les personnes de ce Règne de Dieu. L’Église est anticipatrice et coopératrice du Règne de Dieu dans la Cité qui a Dieu pour bâtisseur, Cité dont le Christ est la justice et la paix[164]. Pour terminer, il est à retenir que l’expression augustinienne « la Cité qui a Dieu pour bâtisseur » ou la Cité de Dieu, est utilisée dans un contexte apologétique. D’abord, elle est utilisée contre ceux et celles qui ont pour dieu leur ethnie. L’ethnie, qui est devenue pour beaucoup le principe de la construction de la Cité et cause des guerres fratricides, est une vraie idolâtrie[165] parce qu’élevée au rang d’une divinité. Le tribalisme et l’ethnocentrisme exclusif sont une vraie idolâtrie parce qu’elles font adorer une créature au lieu de contempler le Principe constructeur de toute vie sociale humaine : la Trinité créatrice.
La « Cité qui a Dieu pour bâtisseur » redouble de sa valeur apologétique vis-à-vis de ceux et celles qui humilient l’Afrique rendant ses peuples « ridicules et insignifiants » ou la risée du monde. Ces gens et l’inégalité structurelle qu’ils ont instauré dans le monde ont provoqué dans les nations africaines « une conscience malheureuse d’incapables et d’assistés » engendrant dans ses peuples le « sentiment de culpabilité »[166]. Ici, l’on vise l’économie mondiale actuelle à laquelle l’on accorde la place de Dieu. C’est face à cela que le Dieu trinitaire bâtisseur de la Cité est professé. Mais, ce Dieu n’est pas exclusif de la coopération humaine. En effet, « La sanctification du temporel est la caractéristique propre de la vocation séculière du laïc (cf. LG, 31) »[167]. En guise de conclusion, le MSA est un document synodal dont le contenu théologique est intense. Sa richesse, je crois, est fonction du fait qu’il constitue la synthèse de tous les autres documents qui le précèdent. Mais, cette richesse dépend également de son équipe de rédaction qui avait à affronter des positions théologiques qui étaient parfois basées sur des paradigmes herméneutiques exclusifs entre eux.
I. 7. Ecclesia in Africa (EIA)
L’Exhortation Apostolique post-synodal Ecclesia in Africa fut donné, par le pape Jean Paul II à Yaoundé, au Cameroun, le 14 septembre 1995[168]. L’EIA est le texte le plus long du Synode, avec ses 144 numéros. L’on se souviendra que l’Assemblée avait produit 64 Propositions, le MSA ne compte que 71 numéros, le RS porte 11 sous-titres[169] et enfin, le RI a 34 numéros. L’EIA est le document synodal qui a le plus d’autorité, car tous ses précédents ont valeur préparatoire, consultatif et surtout à cause du pouvoir de l’autorité ecclésial qui l’a promulguée : le Pape. Et pourtant, il est à garder l’esprit que l’EIA est dépendante du point de vue de ses contenus théologiques des sources synodales qui la précèdent. Elle est dépendante du Concile Vatican II et des Encycliques des papes[170]. Les informations relatives à la forme de l’EIA nous indiquent qu’il est difficile d’y découvrir des éléments théologiques vraiment originaux par rapport à l’analyse déjà faite. Ceci justifie aussi le fait que sa description soit par brève rapport à son extension.
Dès le début de l’EIA, le pape affirme que le Synode Africain est « un événement décisif[171] », un « événement de grâce[172] » et « providentiel[173] » tant pour l’Église en Afrique que pour l’Église universelle. L’événement est également mis en rapport direct avec le Concile Vatican II comme sa condition de possibilité. Cette dépendance n’est pas seulement historique et doctrinale. Elle l’est aussi au niveau expérientiel. Les deux événements expriment « la communion affective et effective de l’épiscopat mondial »[174]. Ladite communion épiscopale n’élimine pas les différences[175]. C’est dans ce double contexte d’Église en communion et dépendante du Concile Vatican II que l’EIA parle de « l’Église, Famille de Dieu (LG, 6) », peuple des croyants, qui s’est rassemblée autour de la tombe de Pierre. Elle l’a fait, dans la diversité de ses rites et l’expression inculturée de sa foi[176].
L’EIA reprend le thème de l’Afrique « nouvelle patrie du Christ » et réaffirme qu’elle est « une terre aimée du Père Éternel »[177]. C’est une allusion indirecte à l’opinion séculaire qui identifiait l’Afrique à la « terre des ténèbres, terre maudite par le Père Éternel parce que patrie de Cham et de ses descendants ».
Les temps ont changé. Le Synode fait entrer dans un temps nouveau, celui de la maturité toujours plus grande des Églises locales africaines. Ce changement de temps, est un événement ecclésial historique qui mérite de rendre grâce au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint[178]. C’est la première fois qu’entre le thème de la Trinité en rapport avec l’Église africaine. Certes c’est une reprise de RI, nº1, mais elle souligne avec plus de force la maturité de l’Église, l’amour de Dieu pour l’Afrique en tant que terre et peuple. Le thème de la Trinité recouvre encore plus de poids par et dans la profession de foi du Synode. Jusque là, les textes analysés partaient de la résurrection du Christ comme principe qui déterminaient l’identité chrétienne. L’EIA, suivant la même démarche économique, débouche cependant à la profession de foi solennelle mettant l’accent sur la Trinité ad intra.
Les évêques d’Afrique, en qui l’Église catholique s’exprimait d’une manière particulière auprès du tombeau de Pierre, redirent qu’ils croyaient fermement que la toute-puissance et la miséricorde du Dieu unique se sont manifestées avant tout par l’Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu, le Fils qui est consubstantiel au Père dans l’unité de l’Esprit Saint et qui, dans cette unité trinitaire, reçoit en plénitude gloire et honneur[179].
L’extrait va de l’unicité de Dieu et de ses attributs vers le mystère de l’économie du Fils dans l’incarnation. L’incarné et rédempteur est le Fils de Dieu. Il n’est pas Dieu par participation. Il est Dieu par nature, de la même et unique nature que le Père et l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint est aussi Dieu que le Père et le Fils. Il reçoit avec eux et comme eux la même gloire et le même honneur dans la plénitude. L’intention explicite de l’EIA est de montrer que la communion des Églises locales africaines entre elles et avec les autres Églises se fonde sur le mystère de la Trinité. Ce n’est pas tout. Le credo doit être la règle de l’intelligence non seulement ce que dit l’EIA, mais également de la nouvelle ecclésiologie africaine et de la communion à laquelle elle conduira. Cette même communion repose sur et se reporte également à l’article de foi qui concerne le mystère de l’Église qui est, l’unique Église du Christ. Celle-ci est « une, sainte, catholique et apostolique »[180]. La communion va jusque dans l’admission de la primauté papale et de toute la hiérarchie de l’Église universelle. Cette communion avec la hiérarchie est inébranlable à cause de son fondement dans la mission de l’Esprit-Saint[181]. Avec ces affirmations de l’EIA, il devient inopportune de lier d’une part la présence et la vie des fidèles laïcs dans l’Église à la mission de l’Esprit-Saint et de l’autre celle des ministres ordonnés à la mission de Jésus-Christ.
Comme dans les autres documents, le Synode est surtout vu comme le Synode de la Résurrection du Christ (Lc 24, 21.26) et de l’espérance pour l’Afrique. Cette espérance est fonction du fait que notre histoire n’est pas close sur elle-même. Au contraire, elle est ouverte au Règne de Dieu[182]. Le mystère de la Pâques du Christ est également compris comme le lieu de l’intelligence de l’apostolicité ecclésiale[183]. Il est la raison même de l’exigence d’un message pertinent et crédible pour l’Afrique dans sa complexité et conflictuelle situation. Evidemment surgit, en sourdine, l’épineuse question de la finalité anthropologique de l’évangélisation et de l’identité ontologique de l’Église. Pour y répondre l’EIA commence par rappeler l’enseignement sur l’évangélisation. Elle affirme que c’est l’Esprit-Saint qui est l’agent principal de l’évangélisation.
Qui plus est, cette évangélisation est l’œuvre de Jésus qui confie à son Église, sous la conduite de l’Esprit, la mission de l’évangélisation. C’est « l’Esprit du Christ » et « l’Église du Christ » qui sont les évangélisateurs[184]. L’Esprit du Christ n’est, certes, pas à mettre sur le même niveau que l’Église. Car l’action de cette dernière est une coopération. C’est dans cette coopération que le témoignage est exigé en vue de la crédibilité et de la pertinence du message. Le témoignage n’est pas seulement moral, mais il implique des œuvres historiques comme signes du temps. La finalité sociale du message de l’Église est une vraie mesure pour la pertinence et la crédibilité de l’identité dogmatique de celle-ci[185].
L’EIA recourt à la théologie trinitaire biblique pour montrer que Dieu désire sauver l’Afrique. Le raisonnement va de l’universel au particulier. Le salut universel voulu par Dieu, en son Fils notre médiateur (1 Tm 2, 4-6), implique le particulier qu’est l’Africain. Ce Salut de Dieu en son Fils est donné au particulier africain, d’une manière mystérieuse, par l’Esprit-Saint (GS, 22)[186]. De fait, l’EIA fonde dans le mystère de la descente de l’Esprit-Saint sur le Centurion Corneille (Ac 10, 45-46) le salut africain et la raison de la présence africaine dans l’Église[187]. Il est affirmé explicitement que le dessein positif de Dieu pour le salut de l’Afrique est la raison de l’Église en Afrique. Dit d’une autre manière, ce n’est pas parce que l’Église est en Afrique que Dieu a un dessein de salut sur l’Afrique[188].
Cette affirmation devrait être explicitée en montrant qu’il n’existe pas de dessein de Dieu vide de présence trinitaire de l’unique Dieu, par le ministère inconnu des êtres humains, mais exercé personnellement par l’Esprit-Saint (LG, 22). Cohérente avec elle-même, l’EIA affirme cette Pentecôte de l’Esprit-Saint sur les premiers chrétiens noirs[189]. En retour, les premiers missionnaires qui ont propagé la foi chrétienne en Afrique sont intégrés dans le système de la famille clanique africaine en leur conférant le titre très remarqué des « ancêtres dans la foi »[190]. Il n’y a pas de présence de l’Esprit-Saint sans le don de la sainteté anthropologique. La communion des saints est un chapitre de l’ecclésiologie, d’une Église joyeuse parce que fidèle. Les saint(e)s africain(e)s sont innombrables. Dans sa partie noire, l’Afrique a donné aussi à l’Église des martyrs[191]. On se le dira. L’on est bien loin du temps où dans le grand Royaume Kongo, surgit le débat sur la sainteté et la présence des noirs dans les cieux. Ce dernier opposait les missionnaires capucins aux antoniens.
La mission de l’Esprit-Saint dans l’évangélisation de l’Afrique ne rencontre pas une culture sans valeurs positives. Au contraire, celles-ci sont des préparations providentielles à la transmission de l’Évangile. Ces valeurs vont du sens religieux et de l’existence de Dieu Créateur, à l’importance de la famille élargie[192]. Ceci fait que les peuples d’Afrique soient des assoiffés de Dieu. D’où la nécessité, pour l’Église d’approfondir ladite foi afin de ne pas causer de déception auprès du peuple[193]. Dans ce domaine, l’Afrique doit regarder en elle-même, en ses richesses et en la foi chrétienne, affirme le pape Jean Paul II[194].
L’Église est née pour évangéliser, affirme avec netteté l’EIA[195]. Cette évangélisation est comprise comme œuvre de transformation de l’intérieur en vue d’une humanité neuve[196]. C’est ici que, de manière plutôt narrative que l’on parle de l’implication de la Trinité dans ce renouvellement de toutes les relations humaines. « Dans le Fils unique et par lui, seront renouvelées les relations des hommes avec Dieu, des hommes avec la création tout entière. C’est pourquoi l’annonce de l’Évangile peut contribuer à la transformation intérieure de tous les hommes de bonne volonté dont le cœur est ouvert à l’action de l’Esprit »[197]. Ici l’action de la Trinité dans le renouvellement de toutes les relations humaines ne concernent plus les croyants, mais « tous les hommes de bonne volonté ».
Parlant de l’annonce, l’EIA répète des thèmes déjà exposés : fondement de la foi dans l’événement de la Pâques ; le Synode Africain est celui de la résurrection ; la foi de l’Africain dans le Dieu créateur et son ouverture à la plénitude de la révélation en Jésus-Christ[198] ; l’évangélisation concerne l’homme et sa société et l’implication personnelle de l’Esprit-Saint comme premier agent de l’évangélisation[199].
La théologie de l’inculturation recouvre ici sa double démarche : l’impact positif des valeurs culturelles intégrées dans le christianisme sur leurs propres cultures d’origine et l’enracinement du christianisme dans les cultures[200]. Ce n’est plus seulement le christianisme qui donne aux cultures le meilleur de lui-même, les cultures aussi. En effet, il y a un merveilleux échange qui s’accomplit. L’apport des cultures n’est pas périphériques car elle dévoile l’être de l’Église à la fois comme épouse et belle[201]. C’est dans cette double articulation que l’EIA aborde la question des fondements de l’inculturation. Comme les documents précédents, l’EIA considère l’incarnation comme le premier fondement de l’inculturation.
Mais quand vint la plénitude du temps » (Ga 4, 4), le Verbe, deuxième Personne de la Sainte Trinité, Fils unique de Dieu, ‘‘par l’Esprit Saint a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme [cite Symbole de Nicée-Constantinople, dans DS, 150[202]]. C’est le sublime mystère de l’Incarnation du Verbe, qui a eu lieu dans l’histoire : dans des circonstances de temps et de lieu définies, au milieu d’un peuple avec ses culture, peuple que Dieu avait élu et accompagné tout au long de l’histoire du salut, afin de montrer par lui ce qu’Il entendait faire pour tout le genre humain[203].
Ici, la christologie qui fonde la théologie de l’inculturation est celle de la voie descendante marquée par une forte théologie du Verbe de Dieu. Nous sommes dans un contexte de relation entre le Verbe et le Père. Du point de vue de la dogmatique, ce Verbe, comme il est connu, c’est la seconde personne de la Trinité en tant qu’hypostase immanente, toujours et sans trêve, à l’intérieur du Père. Le texte cité montre aussi que le Verbe immanent au Père est distinct de lui, car il est son Fils monogène[204]. L’intervention de la troisième personne de la Trinité est située dans l’engendrement historique du Fils. L’action de l’Esprit-Saint, fondement théologal de l’humanité du Fils incarné, est liée à la prise de chair par le Fils de Dieu de la Vierge Marie. Toute l’importance de l’affirmation tient et à l’action vraiment inouïe de l’Esprit-Saint pour le Verbe-Fils de Dieu et à l’origine humaine de Jésus. Ce fondement anthropologique ne se limite pas à la personne individuelle de la mère du Fils de Dieu dans la chair.
En revanche, l’EIA montre que cette origine anthropologique se réalise dans l’histoire et elle est histoire au sens plein du mot. Elle l’est avec toutes ses conditions transcendantales précises : « temps et espaces déterminées » d’une part, « peuple et culture bien définis », de l’autre[205]. Mais cette particularité dans sa concrétude historique est aussi ouverture à l’universel humain. Cette particularité historique a une finalité qui dépasse sa contingence historique parce que visant « tout le genre humain ». Il y a une proexistence universelle qui marque la finalité anthropologique de l’incarnation. Ceci est d’autant plus vrai que le Verbe incarné, qui est Jésus-Christ, est la « preuve de l’amour de Dieu pour les hommes (Rm 5, 8) »[206]. L’EIA voit l’incarnation d’une manière dynamique[207], c’est-à-dire, qu’elle ne se limite pas à la formule métaphysique de la communication des idiomes au moment précis de la conception dans le sein de Marie. L’EIA prend aussi tout le ministère de Jésus prédicateur, mort et ressuscité pour l’interpréter comme « la rémission de nos péchés et notre réconciliation avec Dieu, son Père et – grâce à lui – notre Père »[208].
Mais, il y a observer que la paternité de Dieu envers ses créatures n’est pas abolie avec l’incarnation de son Fils unique. La paternité de Dieu dans la création est un acte d’amour qui implique le Fils devant s’incarner. Mais mieux qu’avant, l’on sait que la paternité de Dieu dans la création est continue. Même dans le régime de l’incarnation du Fils et de sa montée dans la gloire à la droite du Père, ce dernier n’a cessé d’être le Père créateur. L’EIA ne souligne pas, ici, ce mystère de la Paternité comme décisif dans la théologie de l’inculturation. Les êtres humains ne sont pas seulement fils de Dieu grâce à Jésus-Christ, ils le sont aussi dans le Verbe-Fils Médiateur avant l’événement Jésus-Christ[209].
Deux analogies de proportion directe guide la pensée de l’EIA. De même que l’incarnation s’est faite dans des conditions historiques et culturelles très circonscrites, de la même façon, l’inculturation doit assumer concrètement les circonstances temporelles, spatiales et culturelles bien définies[210]. En revanche, « Comme le Verbe de Dieu est devenu en tout semblable à nous, sauf dans le péché, ainsi l’inculturation de la Bonne Nouvelle intègre toutes les dimensions humaines authentiques en les purifiant du péché et en leur rendant la plénitude de leur sens »[211].
L’EIA fonde également sa théologie de l’inculturation dans la pneumatologie. Elle affirme que « Grâce à l’effusion et à l’action de l’Esprit, qui unifie les dons et les talents, tous les peuples de la terre, en entrant dans l’Église, vivent une nouvelle Pentecôte, professant en leur langue l’unique foi en Jésus Christ et proclament les merveilles que le Seigneur a faites pour eux »[212]. Remarquez que c’est « entrant dans l’Église » que se réalise la nouvelle Pentecôte. La question est de savoir si en dehors de l’Église, il n’y a pas de présence personnelle de l’Esprit-Saint contenu objectif de la Pentecôte.
L’EIA répond à la question en montrant que l’universalité de l’Esprit-Saint porte deux niveaux de communication qualitativement distinct. « L’Esprit, qui est sur le plan naturel [création] source de la sagesse des peuples, conduit l’Église [plan de la grâce], par sa lumière surnaturelle, dans la connaissance de la Vérité tout entière »[213]. L’on veut dire que sur le plan de la nature, l’Esprit-Saint donne des vertus vides de sa personne, en occurrence la sagesse des cultures. Il donne mais ne se donne pas hypostatiquement. De fait, les cultures humaines sont, dans l’EIA, considérées comme « l’expression vivante de l’âme de larges portions de la population »[214]. Les cultures relèvent de ce qui fait de l’être humain qu’il soit tel. Elle ne dépendent pas de ce qui fait que cet être humain soit ouvert à Dieu et abouché à lui.
L’on comprend alors que ce n’est que dans l’Église que l’Esprit-Saint donne en se donnant vraiment portant ainsi la communauté chrétienne à la Vérité théologale. L’accès à la plénitude de la Vérité théologale est le propre de l’Église seulement, suite à l’action spécifique de l’Esprit-Saint dans l’ordre surnaturel.
Comme on le voit, la dépendance de l’ecclésiologie de l’EIA à la théologie conciliaire (Lumen gentium [1964] et Ad Gentes [1965]) et de l’ecclésiologie du magistère post-conciliaire (Evangelii nutiandi [1975]) implique également son héritage positif et négatif. C’est pour cette raison la limite du Synode se découvre facilement dans la conjugaison à faire entre la théorie de « l’accomplissement des cultures et leur caducité avec l’événement Jésus » d’une part, et de l’autre, celle de la « présence mystérieuse de Dieu dans les cultures »[215].
Il est curieux de noter que l’EIA ne fait pas appel, sur ce point précis de la présence de l’Esprit-Saint dans le monde, à la pneumatologie des Lettres Encycliques de Jean Paul II[216]. Cette pneumatologie est plus avancée que la théologie de l’Esprit-Saint enseignée par l’EIA. Car, elle parle de la présence universelle et personnelle de l’Esprit-Saint dans les personnes, les peuples, leurs cultures, leurs rites et leurs religions. L’on n’y parle pas seulement de l’Esprit du Christ, mais également de « l’Esprit qui a agi dans l’Incarnation, dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus et dans l’Église ». Bref, l’unicité de cet Esprit est évidente même dans son actuation hors de l’Église. La distinction dans l’action n’implique ni la séparation ou la division de l’agent théologal qui pose son action à la fois universelle et particulière[217].
Après avoir déterminé les deux critères de l’inculturation, c’est-à-dire, la compatibilité avec le message évangélique et la communion avec l’Église universelle[218], l’EIA expose l’idée maîtresse de l’ecclésiologie synodale.
Non seulement le Synode a parlé de l’Inculturation, mais il l’a appliqué en prenant, pour l’évangélisation de l’Afrique, l’idée-force de l’Église Famille de Dieu[219]. Les Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Église pour l’Afrique. L’image, en effet, met l’accent sur l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance (cite PSA, nº 8). La nouvelle évangélisation visera donc à édifier l’Église Famille, en excluant tout ethnocentrisme et tout particularisme excessif, en prônant la réconciliation et une vraie communion entre les différentes ethnies, en favorisant la solidarité et le partage en ce qui concerne le personnel et les ressources entre Églises particulières, sans considérations indues d’ordre ethnique (cite PSA, nº 8). ‘‘Il est vivement souhaité que les théologiens élaborent la théologie de l’Église Famille avec toute la richesse de son concept, en dégageant sa complémentarité avec d’autres images de l’Église (cite PSA, nº 8)’’[220].
L’ecclésiologie de l’EIA est née fortement limitée. Avant même que les théologiens n’en mettent en lumière la portée dogmatique, l’on parle de sa complémentarité avec d’autres images conformément aux réserves de ceux qui pensaient que l’Eglise ne pouvait avoir que de fondement trinitaire, d’exemplarité trinitaire et de finalité trinitaire. L’exigence de la complémentarité de l’Église Famille de Dieu avec d’autres images de l’Église est liée au fait que ses valeurs culturelles et anthropologiques proviennent de la famille clanique africaine. Mais quelles sont les images complémentaires de l’Église Famille de Dieu ? Voici la réponse de l’EIA.
Ce texte admirable [Lumen gentium] expose la doctrine sur l’Église en recourant comme Corps mystique, Peuple de Dieu, temple de l’Esprit, troupeau et bercail, maison où Dieu demeure avec les hommes. Selon le Concile [Vatican II], l’Église est l’épouse du Christ et notre mère, cité sainte et prémices du Royaume à venir. Il conviendra de tenir compte de ces images suggestives pour développer, selon les propositions du Synode, une ecclésiologie centrée sur le concept d’Église Famille de Dieu (cite PSA, nº 8). On pourra apprécier alors, dans toute sa richesse et toute sa densité, l’affirmation qui est le point de départ de la Constitution conciliaire : ‘‘L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain’’[221].
A mon avis, la réponse de l’EIA est une partie remise dans la mesure où les réalités « du corps, du peuple, du temple, du troupeau et de bercail, de maison, d’épouse, de mère, de la cité sainte », etc., sont vécues en Afrique d’une manière très différente et certainement avec un sens religieux vraiment distinct de la signification de Lumen gentium. Ce qui est évident, c’est le fait que les réalités ci-haut mentionnées sont toujours et en tout moment relative aux Ancêtres et à la famille clanique[222]. Il est notable que dans le rapport que l’EIA pose entre la Trinité et la famille nucléaire tripartite, l’accent porte sur l’amour, la communion et non sur le caractère trinaire de la famille humaine. Puis, c’est au Fils, Jésus-Christ, que sont attribuées les qualités de l’époux.
Les relations entre l’époux et l’épouse sont ici le symbole de l’Amour du Christ (Eph 5, 32-33) pour l’Église. Et pourtant, Jésus n’est pas dit « Père » des fils de l’Église son épouse[223]. Ceci montre clairement que l’analogie de la famille appliquée tant à la Trinité comme à l’Église n’est pas celle de la famille nucléaire. « Le synode a mis en évidence les valeurs chrétiennes et culturelles africaines, susceptibles de donner un souffle nouveau à la mission de l’Eglise confronté à un monde ‘‘sécularisé’’, envahi par les antivaleurs. L’amour de la vie, le sens du mystère et du contact avec la nature, le sens de la famille qui englobe jusqu’aux morts (‘‘ancêtres’’), sont autant de valeurs aujourd’hui foulées aux pieds, mais dont l’Afrique vit encore et pourrait aider le monde à revivre »[224]. Dans l’EIA, la sainteté de l’Église Famille de Dieu et de ses membres est soulignée comme conséquence de la configuration au Christ[225]. Par conséquent, l’inculturation elle-même est vue comme voie vers la sainteté[226].
En ce qui concerne les structures et les ministères de et dans l’Église Famille de Dieu, l’EIA a une vision relativement différente du MSA. En effet, l’Exhortation Apostolique insiste sur la centralité de la paroisse[227] plus que celle de la CEV[228]. L’EIA ne parle pas des ministères des laïcs. C’est une faiblesse évidente par rapport au développement théologique africain dans ce domaine. L’EIA parle des laïcs comme des personnes actives dans la construction de la cité. Des personnes à aider pour prendre conscience de leur rôle dans l’Église. Les laïcs sont à former dans des écoles ou des centres de formation biblique et pastorale. L’on ne parle pas du laïcat et de l’exercice de son ministère théologique[229]. Contrairement au MSA qui faisait une distinction entre la famille africaine et la famille chrétienne, l’EIA parle de la « famille chrétienne africaine ». L’ordre des mots compte ici. D’abord l’identité chrétienne de la famille, puis sa concrétisation anthropologique[230]. En réalité ce qui se vérifie in situ et qui est la visée de l’inculturation c’est la réalisation des « familles africaines chrétiennes », parce qu’il n’existe nulle part de famille sans identité anthropologique. Le contraire se vérifie. Il y existe des familles qui ne sont pas chrétienne. L’anthropologique précède, historiquement, le chrétien.
Il faut attendre l’hymne marial, ou la conclusion de l’EIA, pour trouver des liens explicites entre chaque personne divine et l’image de l’ecclésiologie du Synode Africain. Cet hymne est, en gros, le même que celui du MSA, nº 71.
Ô Marie, Mère de Dieu et[231] Mère de l’Église,[232]
Grâce à Toi, le jour de l’Annonciation[233],
à l’aube des temps nouveau[234],
tout le genre humain avec ses cultures[235]
s’est réjoui de se savoir capable de l’Évangile[236].
En cette veille d’une Pentecôte nouvelle pour l’Église en Afrique, à Madagascar
et dans les îles adjacentes[237],
le peuple de Dieu uni à ses pasteurs[238]
Se tourne vers Toi et élève avec Toi sa prière[239] :
que l’effusion de l’Esprit Saint
fasse des cultures africaines
des lieux de communion dans la diversité,
renouvelle les habitants de ce grand continent[240]
pour qu’ils deviennent des fils généreux de l’Église[241]
qui est[242] Famille du Père
Fraternité du Fils,
Image de la Trinité,
germe et commencement sur la terre[243]
du royaume éternel[244]
qui atteindra sa plénitude[245]
dans la Cité qui a Dieu pour bâtisseur :
Cité de justice, d’amour et paix[246].
Comme déjà dit, l’on trouvera l’analyse complète de l’hymne dans mon étude de 1999 totalement consacrée à ce cantique. Il me suffit de dire ici que dans l’EIA, l’on ne reprend plus l’identification de l’Église avec Marie. L’Exhortation insiste sur la maternité divine de Marie qui est la raison de sa maternité ecclésiale. Le principe est simple : de même que Marie est la Mère de Jésus, Fils de Dieu, de même elle l’est de son corps mystique qui est l’Église. La conjonction de coordination que l’EIA met entre la maternité divine et la maternité ecclésiale souligne que l’une et l’autre ne sont pas parallèles. La maternité divine et la maternité ecclésiale, tout en étant deux réalités très différentes, ne sont pourtant pas séparées ou apposées, sans communion intime dans la personne même du Fils et de Marie[247].
Dans cet hymne la relation entre « le jour de l’Incarnation » et « l’unité du genre humain dans sa diversité culturelle » est fonction de la personne de Marie, entant que cette dernière est Mère de Dieu et Mère de l’Église. Ici, le Oui de Marie n’est pas saisi dans le sens individualiste. Il est compris comme ouverture à Dieu, présence mariale dans l’origine de l’Église et intimité de la situation mariale avec tout le genre humain qui se réalise toujours dans sa diversité culturelle. Marie est une personnalité corporative. C’est évident. Mais, les cultures ne sont pas moins présentes, par et dans leur altérité constitutive et normative de l’authenticité du genre humain, bien au-delà de la personnalité corporative de Marie. Ceci se remarque dans l’hymne par le fait que « tout le genre humain avec ses cultures s’est réjoui de se savoir capable de l’Évangile ». La réjouissance personnelle de Marie ne se confond pas avec celle de tout le genre humain dans sa diversité culturelle factuelle.
Ceci veut dire en termes christologiques que dès l’incarnation, l’événement Jésus-Christ rejoint tout le genre humain dans sa diversité culturelle. Il n’est pas question des personnes individuelles prises hors de leurs cultures. Au contraire, l’événement atteint les cultures au sein desquelles se trouvent les personnes et chaque personne. La pneumatologie de l’hymne montre que Marie n’est pas une personne divine. Car, la communauté ecclésiale qui se tourne vers Marie, élève avec elle sa prière envers les personnes divines. Elle montre également que l’Esprit-Saint ne donne pas sa communion de manière exclusive à l’Église. Ici, la communion fruit de l’effusion de l’Esprit-Saint, est demandée par l’Église en communion avec Marie, pour les cultures africaines. La finalité ecclésiale du don de l’Esprit-Saint aux peuples d’Afrique se trouve dans son acte de renouvellement. En ce qui concerne le fondement trinitaire de l’Église, l’hymne de l’EIA n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport au MSA, nº 3 et 71. Au Père sont attribuées l’origine et l’image de l’Église Famille ; au Fils, l’origine et l’image de l’Église Fraternité et à l’Esprit-Saint est attribuée la configuration à l’image de la Trinité dans sa totalité.
Dans l’EIA, il y a une identification progressive de l’Église avec le Royaume de Dieu[248]. En effet, l’hymne marial affirme que l’Église qui a pour fondement la Trinité est, le « germe et commencement sur la terre du Royaume éternel ». Dans la phase eschatologique, celle du futur plénier de l’Église, affirme l’EIA, se réalisera la plénitude de l’Église comme Royaume éternel. Evidement il y a ici, comme un certain débordement ecclésiologique actuellement et dans la Cité de Dieu. L’Église qui porte le germe du Royaume éternel qu’elle annonce, n’est pas à identifier au Royaume éternel. L’Église avec ses fondements trinitaires participe, comme créature, au Royaume éternel. Elle est actuellement différente de ce Royaume[249]. Et donc, elle ne pourra jamais s’identifier à ce Royaume éternel. Le Royaume éternel de Dieu, c’est Dieu lui-même. « Etre Dieu par participation (Église) » et « l’être Dieu par nature (Royaume éternel ou Royauté essentielle) », ce n’est pas la même chose. Qui plus est, pour un Grégoire de Nysse par exemple, l’Esprit-Saint est la Royauté en la Trinité[250].
Il y a une nécessité théologique de faire une distinction entre le « Règne du Christ », c’est-à-dire, le Royaume de Dieu en tant que dépendante de l’humanité de Jésus oint historiquement par l’Esprit-Saint, humanité qui a sa plénitude dans la Trinité ad intra, du Royaume éternel comme le fait, ailleurs le pape Jean Paul II : « Il est donc vrai que la réalité commencé du Royaume peut se trouver également au-delà des limites de l’Église, dans l’humanité entière dans la mesure où celle-ci vit ‘‘les valeurs évangéliques’’ et s’ouvre à l’action de l’Esprit qui souffle où il veut (cf. Jn 3, 8) ; mais il faut ajouter aussitôt que cette dimension temporelle du Royaume est incomplète si elle ne s’articule pas avec le Règne du Christ présent dans l’Église et destinée à la plénitude eschatologique »[251].
A mon avis, l’ecclésiologie trinitaire qui se dégage de l’hymne marial de l’EIA est porteuse de deux théologies opposées. La première accepte la présence amoureuse réelle des hypostases de la Trinité dans les cultures africaines. La seconde est celle qui identifie l’Église avec le Royaume éternel. Cette dernière est opposée à la première car, elle insiste sur le fait que l’Église a seulement pour origine, modèle et finalité la Trinité. Elle distingue, au point même de les séparer, le niveau de la nature au niveau du surnaturel. Le poids du second groupe réduit remarquablement l’avancée et l’enthousiasme de la théologie de l’évangélisation de l’Église-Famille en Afrique. Le Synode Africain garde, comme lors du Concile Vatican II, les deux théories dominantes portant sur la mission de l’Église ad gentes : « l’accomplissement et la présence mystérieuse ». Malgré ce manque de dépassement de ces théories, la contribution la plus remarquable du Synode Africain se trouve dans le fait d’avoir assumé l’anthropologie africaine et surtout d’avoir appliqué l’analogie de la famille élargie africaine et aux hypostases divines et au mystère de l’Église.
II. 0. Images complémentaires
Dans cette deuxième partie de l’étude, l’attention sera centrée sur les images complémentaires de l’Église-Famille[252]. Mais, la partie descriptive a fait montre d’une déficience pneumatologique. Pour répondre à cette demande interne aux textes, un essai de pneumatologie sera présenté dans la suite. Comment concilier la paternité universelle de Dieu et la vie dans l’Église ? Cette question sera abordée en mettant l’accent sur la vie religieuse et sacerdotale. La dernière question qui sera envisagée dans cette partie, est celle liée l’efficacité sociale du modèle de l’Église-Famille. La faiblesse de l’Église-Famille ne tient elle pas à « cette tendance naturelle à vouloir faire sentir que nous aimons les autres et à vouloir sentir que nous sommes aimés » ? Cette tendance n’est-elle pas « une source de faiblesse et d’inefficacité au siècle des concurrences internationales » ? Ces questions posées par Rémy Ralibera demeurent très actuelles et pertinentes[253].
L’analyse des documents montre que l’ecclésiologie synodale africaine est née sur le fond d’un débat portant sur ses limites à corriger en les complétant par d’autres images. Mais qu’en est-il des images complémentaires dont parlaient certains pères synodaux ? Dit d’une autre manière, l’Église vue comme maison de Dieu, temple de l’Esprit, et corps mystique du Christ apporte plus de lumière à l’Église-Famille ? Ces trois images comportent-elles aussi leur part de difficultés dans leur réception africaine ? Voici un essai très bref d’exploration de la problématique liée à ces images ecclésiologiques.
II. 1. Église-Famille est la Maison de Dieu
Le Synode avait demandé de trouver la complémentarité entre l’image de l’Église-Famille de Dieu et celle de l’Église, maison de Dieu. Dans les deux analogies, il y a une partie commune, celle relative au génitif « de Dieu ». Qu’elle soit famille ou maison, l’Église a sa détermination ultime en Dieu. Ceci signifie par le même biais que les points de différentiation se trouvent dans la famille et maison. Parlant de cette dernière analogie, c’est-à-dire, celle de la maison de Dieu, il me semble opportun de dire que son point de départ est la réalité même de la demeure humaine construite intentionnellement pour la vie permanente ou ponctuelle de la maisonnée. Ici, maisonnée et maison ne se confondent pas. L’analogie porte sur la maison[254] comme lieu de la demeure de la maisonnée. A mon avis, présenter en Afrique l’Église comme la maison de Dieu n’est pas un discours qui montrerait les limites, à compléter, de l’image de l’Église-Famille. Au contraire, celle-ci se subordonne totalement à l’image personnaliste de l’Église identifiée à la famille. Je m’explique. En Afrique des ethnies nomades qui peuplent nos déserts et nos forêts équatoriales, utiliser l’analogie de la maison implique nécessairement l’inculturation et la focalisation de l’Église sur la communauté familiale des nomades. Dans ce contexte, l’Église ne peut-être attachée à aucun matériel de construction. En effet, elle sera bâtit à partir du matériel que l’on rencontre à l’endroit où l’on pose temporairement le campement. Utiliser l’analogie de la maison, signifie dans ce milieu des nomades, que l’Église est une réalité soumise à un perpétuel renouvellement à travers le long cheminent de la famille humaine en continuelle migration.
Les pygmées de nos forêts de l’Afrique centrale construisent leur maison d’une manière très différentes de leurs voisins les bantu. Ils le font, chaque fois, avec du matériel très différents conformément à l’endroit de leur séjour et à la période de l’année. Cette variation tant dans la modalité, espace, temps que dans le matériel de construction est une contextualisation. Dans les milieux de nos peuples de nomades, une Église maison de Dieu doit absolument être inculturée et laisser la place à la créativité humaine. C’est cette dernière qui déborde les limites des contextes. En effet, c’est l’être humain au sein de sa communauté qui trouve toujours du matériel et la manière la plus adéquate pour construire la demeure temporaire de la maisonnée. En nos pays de nomades, une Église maison de Dieu doit absolument s’habituer à la délocalisation en faveur de sa centralisation familiale comme sujet actif, créatif de l’histoire face aux intempéries historiques.
En Afrique vivent aussi des ethnies semi-sédentaires. Celles-ci, à la différence des nomades, se stabilisent pour une période plus ou moins longue à un endroit. La vieillesse du site, le manque de nourriture, le facteur d’une forte mortalité ou de conflits peuvent constituer des causes du déplacement de toute la communauté villageoise ou d’une de partie de ses membres. Dans leur déplacement certains gens immigrent avec leur ancienne demeure faite en matériel léger. Que signifie dans ce contexte la prédication d’une Église maison de Dieu ? C’est l’Église à taille humaine capable de voyager avec l’homme. C’est une Église dynamique qui ne demeure pas liée au poids de ses structures. C’est une Église qui voyage avec l’être humain à travers son histoire et qui est à la mesure de la force de sa communauté. De même que les maisons des semi-sédentaires sont transportées d’un endroit à l’autre mais en suivant la migration communautaire, de même l’Église ne peut être transposée d’une communauté à une autre. En effet, le transport se fait par et en communauté. C’est la communion de la communauté locale qui assure la transmutation. Ici l’accent porte sur la communauté comme sujet actif qui fait l’élection du nouvel endroit, le consolide en recourant à la bénédiction des Ancêtres.
Les semi-sédentaires ne procèdent pas à une simple transplantation des structures déjà construites d’un endroit à un autre lieu. Au contraire, ils procèdent d’abord par la sacralisation nouvelle du nouvel endroit en plantant des arbres sacrés qui lient ce monde-ci à l’Aude-là. Certains de ces arbres ont même le même nom que Dieu (Nvidi chez les Baluba de la RDC). C’est la communion ancestrologique et théologale qui donnent un sens nouveau et inédit à des anciennes structures. Au cœur de cette nouvelle communauté, les maisons sont construites en des quartiers qui indiquent les affinités familiales. Il n’est pas besoin de le redire, ici également une Église maison de Dieu ne peut-être que celle qui met l’accent sur la famille comme sujet actif, créatif et pivot central de l’anthropologie des villages africains.
Dans une ecclésiologie réaliste qui prend au sérieux la situation actuelle de l’Afrique des villages, l’image l’Église maison de Dieu dans les milieux sédentaires sera aussi très contextuelle. Il suffit de voir comment sont construites les villages des nos peuples Dogons, Bantu, et autres pour constater que même la symbolique du village varie d’un endroit à un autre. La tracée des voies d’accès au village obéissent à une symbolique religieuse qui n’est pas toujours la même à travers toute l’Afrique noire. La célébration des fêtes, l’irruptions des masques, la symbolique de la maison dans le processus matrimonial et des initiations à la vie dépendent également du lieu et du temps. En Afrique des ethnies sédentaires, la maison ne représente pas toujours cet espace où l’être humain passe la grande partie de sa vie ; le lieu où il accueille et partage sa vie. Même quand on accueille un grand personnage dans sa maison et qu’on lui offre un repas, la maison ne représente pas ce lieu de communion où la nourriture est partagée ensemble. On laisse l’étranger seul, avec sa suite, pour qu’il mange tranquillement, loin des regards de celui ou de celle qui le reçoit. Le visiteur est le « maître, seul, de la maison » en ce moment là. La communion tient aussi à cela. Ne pas être soumis à la pression du regard qui juge, parce que « maître de la maison ». Etre chez soi chez l’autre, dans la liberté d’être et dans le mode d’agir, est une manière de vivre que l’on découvre dans l’accueil africain.
En Afrique noire, beaucoup de fonctions que jouent la maison en Occident se réalisent bien souvent sous l’ombre des arbres ou sur une place publique. La construction de la maison en tant que structure matérielle répond également à notre vision cosmologique. Par exemple, le lit doit suivre toujours la position contraire des eaux de la rivière, celle-ci étant considérée comme le siège des Ancêtres. L’on ne dort pas avec sa tête située en aval d’une rivière. Le vivant doit avoir toujours sa tête tournée vers la source de l’eau, symbole de la vie. Curieux encore, pour beaucoup de nos tribus du Congo le Nord du monde se trouve vers l’Afrique du Sud. En effet, leur géographie est dépendante des mouvements des eaux de nos fleuves. Cette orientation à la fois géographique et religieuse détermine puissamment, dans nos villages, la construction de nos maisons et tombeaux. Il y a raison de croire que cette cosmologie religieuse est un élément irréductible qui résiste à l’évangélisation. Ceci n’implique-t-il pas qu’une Église maison de Dieu assume cette orientation vers la source théologale plutôt que de poser sa tête en aval ? Il y a sans doute aucun, nécessité d’inculturation basée sur le peuple pris comme sujet actif et créatif parce que c’est ce dernier qui est la famille charismatique.
L’image de l’Église maison de Dieu concerne également nos villes et nos immigrés. Prêcher dans nos communautés de déplacés de guerres africaines la réalité de l’Église comme maison peut même être très négatif. Les immigrés et les déplacés de guerres se demanderaient comment Dieu peut-il avoir une maison au moment où sa famille ne l’a pas encore ? On ne peut s’en douter. Ça serait contre la révélation du Dieu biblique qui n’aura de demeure qu’après avoir donné à son peuple et à chaque famille terre et maison. Cette situation n’est pas étrangère aux villes africaines où la précarité de l’habitat est une des causes de la perte des valeurs éthiques. Bref, de même que l’image de l’Église-Famille de Dieu implique la construction de la cité, de même celle de la maison de Dieu doit affronter de manière positive et constructrice la cité africaine en situation de précarité dans le domaine de l’habitat. A tout ceci il nous faut ajouter que les personnes qui vivent en Afrique noire la réalité et la symbolique de la maison à la manière occidentale méritent une pastorale particulière. Vue la vie actuelle en Afrique, cette minorité numérique, ne peut constituer le majorité en pouvoir pour déterminer l’option fondamentale de l’ecclésiologie d’un contient dont la majorité numérique de la population est, aujourd’hui, villageoise.
II. 2. Église-Famille est le Temple de Dieu
La théologie du temple est au fond celle des différentes formes de présence de Dieu dans cette histoire[255]. Cette théologie fait découvrir le rapport qu’il y a entre les formes sociales de la vie du peuple élu par Dieu et l’inhabitation de Dieu dans ce peuple. La théologie du temple répond avec efficacité au contexte de crise sociale et de division au cœur de l’Église. Dans notre cas africain, la théologie du temple incite donc, à une nouvelle intelligence tant de la société que de l’Église comme communauté, une communauté en situation de division tribale, économique et qui plus est de difficile articulation entre institution fondée par le Christ venue avec la mission et les charismes de l’Esprit qui naissent dans le terroir. Pour qu’une théologie du temple soit chrétienne, elle doit répondre à toutes ces questions en combattant tout dualisme entre Dieu et l’être humain, la foi et l’histoire, la grâce et la nature, le Christ et l’Esprit-Saint, l’institution et le charisme, la transcendance et l’immanence, le profane et le sacré, etc. En effet, la primauté du théologal et surnaturel n’annule pas la dimension humaine et historique de la foi. Le mystère du temple doit montrer la relation intime qui existe entre Jésus-Christ et le rôle déterminant et sans cesse de l’Esprit-Saint tant sur Jésus, son Corps mystique que sur l’histoire elle-même faisant d’elle le lieu de la découverte des signes du salut. Il ne s’agit donc pas de gommer les deux pôles de la révélation : l’être humain dans son contexte culturel et Dieu dans son identité trinitaire.
Après des longues et laboureuses recherches théologiques sur le mystère de la présence de Dieu, il est devenu vraiment difficile de défendre avec crédibilité et pertinence les distinctions classiques de la présence de Dieu. Il est devenu difficile de croire à la présence de Dieu par immanence, c’est-à-dire, Dieu serait présent au monde par sa seule nature. Une présence qui donnerait accès seulement aux attributs de Dieu par une gnoséologie qui ne donne pas vraiment Dieu. L’on ne peut s’imaginer que cet ordre dépendrait, par appropriation, au Logos ou à ses semences. Aujourd’hui, après l’immense recherche théologique de Karl Rahner sur l’autocommunication de Dieu tel qu’il est, il est devenu peu crédible de penser que l’Ancienne disposition est un régime d’apparition, d’intervention de Dieu sans inhabitation de Dieu dans son peuple et en son sein dans chaque membre. Il est devenu hasardeux de penser que dans cette Ancienne Disposition Dieu appellerait à l’intériorité de son peuple, sans qu’il n’en soit le centre le plus profond et l’ultime axe. Il est vraiment douteux de croire à la caducité du régime de la création et de l’ancienne disposition avec l’économie du Fils dans l’Esprit-Saint faisant de lui le Temple dont l’hypostase est le Verbe même du Père.
La théologie de l’autocommunication de Dieu tel qu’il est, implique que la Trinité se donne telle qu’elle est dans toutes les dispositions : création, Ancienne Alliance et la Nouvelle. Il y a donc, une réformulation de la notion même du temple qui fait sortir la créature de son naufrage dans la nature sans Dieu unitrinitaire. Ceci veut dire qu’il est impossible de s’assurer la moitié du suffrage dans une assemblée de systématiciens chrétiens en voulant prouver la pertinence et la crédibilité de la proposition selon laquelle « le don de Dieu se réalise d’abord comme nature, puis comme une personne, enfin comme Trinité ». En effet, en Dieu il n’existe que de nature hypostasiée. Puis, parler de la personne c’est ouvrir le cœur même des relations intratrinitaires refusant par là, toute idée d’une hypostase exclusive en Dieu.
Dans le christianisme l’histoire est révélation. Elle n’existe pas au dépend de Dieu, contre lui, une réalité qui proviendrait des mauvaises puissances et de leur prince comme le soutenaient Mani et ses disciples. Création de Dieu et par lui seul, l’histoire est à la fois le lieu objectif de rencontre entre Dieu et l’être humain, vice versa. Comme deuxième niveau d’élaboration théologique et symbolique, c’est Dieu qui est l’histoire. Il l’est en tant qu’autocommunication diachronique et diatopique. C’est cette intimité diachronique et diatopique qui exige l’inculturation. L’on est appelé à trouver ici la réponse à la question que se posent les chercheurs sur l’existence ou non des temples en Afrique. Il s’agit des temples qui ont un ministère bien organisé et dont le culte s’adresse directement à Dieu. Je sais que c’est une question très discutée. D’aucuns soutiennent l’inexistence de tels temples. D’autres en revanche, affirment le contraire. La réformulation dogmatique de la problématique porte sur le fait de savoir si en Afrique il y existe cette conscience vive de l’inhabitation de Dieu et dans l’histoire et dans la personne humaine. La réponse à cette question est obvie : l’Afrique Noire arbore la théorie de l’inhabitation tant de Dieu que des Ancêtres.
L’on connaît cette expression Bambara, l’homme est un monde en miniature c’est-à-dire, un espace d’inhabitation. L’on connaît également l’anthropologie africaine de l’homme intérieur qui est le vrai être humain. En Afrique noire, les sens somatiques sont considérés comme des portes d’accès à une intériorité toujours plus profonde qui conduit jusqu’au monde de Dieu. Pour l’Afrique, c’est l’être humain tant dans sa singularité corporelle que dans son extase communautaire et eschatologique qui est le temple. Ceci signifie qu’en Afrique noire, parler de l’Église temple signifie voir l’être humain dans son ontologie de la toile d’araignée. L’être humain est toujours et en tout moment fils de Dieu et fils du village des êtres humains. Ici comme ailleurs, parler de l’Église implique cette double articulation humaine et divine constitutive, par la volonté positive de Dieu, de sa révélation.
L’intimité iconologique entre la maison de Dieu et le temple de ce même Dieu me pousse à faire une observation d’ordre christologique. L’unité du Synode tient, nous l’avons vu, dans l’interprétation de l’incarnation comme le premier fondement théologique de l’inculturation ecclésiologique. S’il est absolument vrai de dire que l’Église est la maison de Dieu, son temple, il ne l’est pas, à strictement parler du mystère du Fils dans son incarnation. Le Fils de Dieu n’habite pas seulement dans le corps de Jésus comme dans sa maison et dans son temple. Jésus est le Fils de Dieu, et par conséquent, il est le temple de l’Esprit-Saint. La relation entre Jésus et le Verbe-Fils ne répond pas à la simple relation d’inhabitation c’est-à-dire, celle de la sanctification par la grâce ou même de la glorification en vue de la divinisation. Les concepts ecclésiologiques du temple et de la maison mettent en évidence cette différence abyssale qui existe entre Jésus, sa cause et l’Église qui annonce à la fois Jésus-Christ et sa cause.
Pour finir, de même que l’Église-Famille de Dieu cherche à juguler les divisions, les séparations, l’exercice dictatorial du pouvoir civil et ecclésiastique, le mystère du temple a la même visée. Il combat tout système exclusif basé sur une vision prétrinitaire, christomoniste et pneumatomaque du mystère. Le mystère du temple n’accepte pas de prendre l’image de la paternité comme réalité absolue qui se pose en soi sans aucune relation vraiment réelle avec les autres personnes. Au fond, l’ecclésiologie africaine post-synodale dans sa simplicité conceptuelle nous abouche à la théologie de la grâce qui a toujours une finalité communautaire et communionnelle. Quand Dieu dans sa Trinité des hypostases se donne à une personne, il ne le fait qu’en tant que cet être humain est « pars pro toto », une personnalité qui implique les autres et dont la finalité ne peut se comprendre en dehors de la totalité qui forme la famille de Dieu. C’est cela le mystère du temple.
II. 3. Église-Fraternité est le troupeau
Dans une Afrique des dictatures politiques et économiques prêcher une ecclésiologie basée sur le troupeau n’est pas sans danger. Elle peut servir d’idéologie de soumission. Les mouvements ecclésiaux sensibles à la libération de la personne et engagés dans la sensibilisation des gens dans la prise de conscience afin qu’ils ne se considèrent pas comme une masse, mais des sujets actifs et acteurs de leur histoire garderont des sérieuses réserves vis-à-vis de cette image pourtant biblique. En plus, parler du troupeau en Afrique de certains de nos villages ne signifie pas utiliser un langage univoque. En effet, certaines de nos ethnies connaissent plus des troupeaux d’animaux sauvages, sans maître que des troupeaux domestiques. Ces troupeaux vont là où le souffle du temps les porte. Une ecclésiologie du troupeau qui tomberait sur ce schème mental aurait difficile à conjuguer charisme et ministère, Esprit-Saint et Jésus-Christ. En effet, habitués aux migrations millénaires des troupeaux sans maître, ces ethnies peuvent se dire que l’important ne tient pas dans « le maître qui se donne pour son troupeau », en effet, cette figure n’existe pas de fait dans leur expérience. Au contraire, ils focaliseront leur axiologie sur la communauté comme seule capable de survivre aux épreuves du temps malgré la mort des membres qui forment la collectivité. Pris dans ce sens, le concept de troupeau s’oppose à la réalité africaine de la fraternité qui est toujours porteuse à la fois d’une hiérarchie et de communion vitale comme espace charismatique de la famille.
L’Afrique connaît aussi le second sens du troupeau, celui gouverné par un ou plusieurs maîtres. Ici se dégage souvent la sacralité du troupeau qui devient la pièce centrale des rites de passage, des cérémonies matrimoniales, du culte des morts et des Ancêtres. Ici la relation maître – troupeau, vice versa, est subordonnée à la communauté comme maîtresse des cérémonies. Le pasteur agit par délégation du pouvoir communautaire en tant que celle-ci est maîtresse des cérémonies. Il n’est pas dit que celui qui dirige le troupeau soit également celui qui a les capacités pour guider le peuple. Au contraire, c’est au sage incapable de guider les animaux que revient la tâche de guider la communauté humaine. En effet, la direction de l’être humain n’obéit pas aux mêmes critères que ceux des animaux, domestiques soient-ils. L’être humain se révèle comme être sage dans son obéissance à l’Eschaton. C’est dans les cérémonies sapientielles et à travers elles que s’accomplissent les traditions et la loi des Ancêtres creuset de la sagesse. C’est en communauté et par la communauté que la vision et la communication de ce monde-ci avec l’Au-delà se réalise. En somme, en Afrique noire, il n’y a pas de moindre mesure de comparaison entre la figure de l’Ancêtre et celle du pasteur. En effet, parler de l’Ancêtre c’est voir non seulement l’origine, l’exemplarité et la finalité humaine de la famille, mais également parler de celui qui guide le pasteur dans son métier afin qu’il puisse agir avec sagesse. Les vertus du pasteur reflètent son niveau d’intériorisation de la sagesse des Ancêtres. Pour preuve, il suffit de voir comment sont habillés nos peuples de pasteurs. Leur manière même d’envisager et de vivre leur corps de pasteur reflète la sagesse ancestrale.
II. 4. Église-Fraternité est le Corps mystique du Christ
L’ecclésiologie de l’Église Corps mystique du Christ, comme l’a bien vu Jean Paul II, implique pour les communautés africaines leur vie dans sa concrétude africaine[256]. Pour les Africains, comme d’ailleurs pour tous les peuples du monde, il n’y a pas d’autre point de départ pour comprendre l’analogie du Corps mystique du Christ que leur propre corps personnel et le vécu de leur société comme une unité organique ou corps. Les études anthropologiques ont montré et montrent encore que nous les Négro-Africain(e)s ne vivons pas notre corps et notre corporéité de la même façon que les autres peuples du monde.
Chez nous le corps n’est pas une donnée purement naturelle. Il est le fruit d’une élaboration sapientielle, patiente et progressive qui acquiert sa plénitude de signification par et dans des rites initiatiques. Pour toute l’étendue de l’Afrique noire, le corps dans son extension visible est une intériorité. Son intériorité est liée au fait et de sa provenance du monde des Ancêtres et de sa ritualisation. En Afrique noire, les rites et les massages néonatologiques sont une vraie école ; une initiation mystique qui prépare l’être humain à sa communion sociétaire et eschatologique. L’on connaît, à travers toute l’Afrique noire la théorie du double. Un corps mystique parce qu’énergétique qui permet à l’être humain, dans sa concrétude historique, de vivre l’ubiquité et même d’inhabiter dans le bois, les pierres, dans les animaux, etc. sans pourtant se confondrent avec eux ou faire exploser son ontologie humaine ou perdre son autonomie du sujet humain. Beaucoup de sectes n’utilisent-elles pas cette théorie du périsprit pour parler des voyages mystiques de leurs pasteurs en vue de détecter les mauvais ?
Il faut se le dire. L’image de l’Eglise Corps mystique du Christ a toujours été prêchée. Tous nous l’avons acquise dès notre enfance. Mais, ce que l’on a jamais vérifié c’est la résonance de cette image dans nos villages où l’on croit fermement à l’existence d’un double. Une telle étude qui chercherait à distinguer le Corps du Christ dans sa matérialité biologique, de son corps eucharistique et enfin du corps mystique pourrait nous réserver des surprises. Dans ces milieux, l’on peut même arriver à penser que l’Église est le Corps mystique du Christ en tant qu’elle est son périsprit. Que faire si la théorie africaine du double s’insérait dans la compréhension du Corps mystique du Christ ? Il n’est donc pas évident en Afrique noire que l’image de l’Église Corps mystique du Christ soit plus facile à recevoir et exempte des problèmes par rapport à l’image de l’Église-Famille.
Dans toutes ses variétés de formes et de significations la notion du corps, en Afrique noire, implique à la fois l’origine humaine, son exemplarité et sa finalité. Par la ritualisation religieuse comme réponse à l’initiative de l’irruption inconditionnelle et inconditionnée de l’Au-delà, le corps est toujours une réalité religieuse ou mieux le pivot de la sacralité anthropologique. C’est parce que créé par Dieu et orienté vers lui que le corps, mis sous tension par la parole sapientielle ancestrologique, devient vraiment ce pivot de la sacralité ancestrologique.
En Afrique, l’idée d’une Église qui ne proviendrait que de la Trinité et qui ne prendrait pas effectivement en compte son origine humaine ne sera pas reçue. Cela avec raison. Dans la mesure où, l’être humain qui donne origine à l’Église n’est pas extérieur à Dieu. Il est toujours situé dans le Dieu participable ici sur terre (Trinité ad extra) et dans la vie de Dieu ad intra. Tout être humain ne trouve son être et son mouvement actuel qu’en Dieu. Les êtres humains participent tous, sans exception aucune, à la périchorèse divine. Une impossible existence de l’être humain en dehors de la Trinité économique signifierait son annihilation. Etant donné qu’il n’existe pas de vie humaine sans la Trinité, l’on ne peut opposer, pour le dire en termes classiques, la cause première aux causes secondes qui ne sont pourtant pas secondaires. La relation intime entre les deux causalités est inextricable parce que l’Esprit-Saint est justement leur point de jonction. D’où la nécessité d’une pneumatologie. Dit d’une autre manière, tout ce qui est dit sur la double origine de l’Église n’est possible que parce que c’est l’Esprit-Saint, point d’insertion de la Trinité dans l’histoire et de l’histoire dans la périchorèse participable de Dieu, qui nous façonne à l’image de la Trinité. C’est lui qui est la Fécondité infinie de l’Amour de Dieu.
III. 0. Pneumatologie
Cette troisième partie pneumatologique est nécessaire dans la mesure où il s’est dégagé clairement dans les documents analysés que c’est parce que l’Esprit-Saint est Communion en la Trinité que l’Église est communion. La communion en la Trinité n’est pas seulement fonction de la consubstantialité numérique et de la périchorèse des hypostases. Elle l’est également parce qu’une personne de la Trinité est la communion hypostatique : l’Esprit-Saint. Par rapport aux créatures, cette communion hypostatique est fécondité et onction. Mais, peut-on aussi dire qu’en la Trinité ad intra, l’Esprit-Saint est onction ? Avant de répondre à cette question, il sied de commencer par une brève esquisse des idées qui pourront constituer un point de départ pour une compréhension africaine de la fécondité applicable à l’Esprit-Saint.
III. 1. Esprit – Fécondité
La fécondité n’est pas une finalité en elle-même. Au contraire, elle manifeste et vise l’expansion de la vie. C’est la vie qui est la finalité de la famille africaine[257] et du genre humain dans sa globalité. C’est pour cette raison qu’il nous faut donc voir comment la famille se réalise et puiser en elle les actions qui la caractérise comme espace de recherche de l’accomplissement de la vie. Beaucoup de gens limitent ce désire africain de la vie à la reproduction des enfants. D’aucuns ont même parlé, précipitamment à mon sens, de « l’Afrique assoiffée de fécondité » biologique. La multiplication des laboratoires et des techniques de reproduction humaine à travers tout l’univers, ont finit par montrer que ce ne sont pas seulement les parents africains qui désirent avoir ardemment des enfants. Qu’à cela ne tienne.
L’Afrique pense que face à la crise morale que provoque la mondialisation, il faut recourir à la famille promotrice de la vie comme antidote de la désarticulation morale[258]. Cependant, il est à redire que la promotion intégrale de la vie dans la famille africaine ne peut se réduire à génération biologique de la descendance[259]. Au contraire, il faut voir la complexité et la richesse de la fécondité africaine qui est inclusive de toutes les dimensions humaines. Aucune structure n’élimine l’autre. Car il est question ici du régime d’intégralité, de tension dialectique, de totalité, de pluralité, d’inclusion et de continuité.
La définition de la fécondité doit être donc très intense et riche. En effet, elle doit être conçue d’abord comme « un lien vérificatif de notre appartenance à la vie, à l’être, aux êtres, et à Dieu. L’homme de bien, de justice et de vérité est considéré comme homme pleinement homme, celui-là même qui fait naître quelqu’un à sa sociabilité à partir de sa relation spirituelle au bien et au vrai en encourageant une pédagogie de la solidarité qui soit attentive aux relations individuelles et à tout ce qui menace de faire oublier l’humanité dans l’homme »[260].
La fécondité est essentiellement lien, mieux, un ensemble de relations. C’est en liant qu’elle vérifie et se vérifie comme authenticité. L’objet de la vérification c’est l’appartenance à la vie, à l’être, aux êtres et à Dieu. La vie est l’espace de l’être un et de la pluralité des êtres. La vraie ontologie se cueille dans la vie. C’est à partir de cette ontologie dont le lieu d’émergence et d’instance est la vie que Dieu se donne à voir comme l’ultimité de la fécondité. L’authenticité de la personne humaine va de son agir moral à sa vérité d’être. L’être vrai de l’homme conditionne son vrai être. La question de la vérité de l’être humain, fondée sur son être vrai comme actant juste porte à l’engendrement sociétaire comme son acte d’être qui découle de sa trame relationnelle spirituelle au bien et vrai. Ces catégories transcendantales ne sont pas des principes abstraits. Ils sont des démarches par étape avec objectifs précis afin de changer l’être en formation, l’encourager, le protéger et l’ouvrir au vrai solide qui est l’humanité dans l’homme.
Voici quelques exemples africains qui assurent la crédibilité de cette interprétation[261]. Il y a d’une part l’être humain appelé, « celui du vide » (mhutu wa mwam[262]). C’est l’être humain sans socle personnel. Il est l’être sans consistance ontologique. Il est le sans hypostase. Un tel être humain n’est pas seulement celui dont l’être n’a pas de consistance, un être qui n’est pas fondé sur le vrai, mais c’est aussi celui qui n’est pas fécond parce qu’il n’est pas abouché au monde du Souffle, le village des Ancêtres.
En Afrique l’on parle aussi de l’être humain dont l’hypostase est décédée et dont la putréfaction provoque la nausée (mutu wa bola[263]). A la différence de « l’être humain, celui du vide », le « mutu wa bola » a une consistance. Il est posé sur un socle. Mais, le problème c’est l’état de ce qui est son socle ontologique. La vérité de son être n’étant plus soignée, le « mutu wa bola » n’est plus un être humain vrai. C’est dans le lien entre être « vrai/e homme/femme » et « homme/femme vrai/e » que se vérifie la fécondité de la personne humaine.
L’Afrique pense aussi qu’il existe une autre forme de vie humaine qui n’est pas féconde. C’est celle de l’être humain dont l’hypostase est gaspillée (amena gugu)[264]. Il s’agit ici de l’être humain riche, c’est-à-dire, doués de grandes capacités. Cependant, cette personne consciente de ses dons les utilise pour des finalités inappropriées. La fécondité est aussi question d’adéquation et correspondance entre dons et finalités. Seul l’être humain fécond est capable de trouver l’équilibre entre richesse hypostatique et finalités correspondantes à cette richesse.
Pour terminer, en Afrique, l’on pense également que la véracité et l’authenticité humaines sont déterminées par le rapport à la vérité qui fait passer du simple fait d’être homme, à l’être participant à l’identité de Dieu (Nzambi) dans une communauté eschatologique (banzambi)[265]. La fécondité humaine arrive à son sommet dans la participation communionnelle et communautaire de l’être humain à l’être de Dieu. En Afrique centrale Dieu est appelé par beaucoup de nos ethnies Nzambi Pungu Kalunga. Ce qui est remarquable dans cette nomination de Dieu, c’est sa correspondance anthropologique. Je veux dire qu’en Afrique centrale l’on pense que Nzambi Pungu Kalunga est participable par l’être humain, mais toujours en communion communautaire. Dieu est participable dans toutes les composantes de son nom.
Au nom Nzambi correspond la communion humaine des divinisés ou les « banzambi ». L’être humain participe à la divinité de Nzambi, mais toujours et quand il est situé dans la communion des divinisés. Aucun être humain ne peut donc être Nzambi, ni fait Nzambi, car sa divinisation a pour condition a priori la pluralité qualitativement spécifique. Nzambi est le nom absolu de Dieu en tant qu’être qui n’a pas sa plénitude à cause d’une divinisation eschatologique ou même protologique. Dieu est Dieu, affirme-t-on en Afrique.
Au nom de Pungu correspond également une participation communautaire humaine. Il s’agit ici de deux thèmes qui en RA sont étroitement reliés. En effet, le nom Pungu, par sa racine sémantique –UNG – appartient aux groupes des noms africains qui désignent à la fois la création alliante et les alliances matrimoniales. Dès par son être de créature, tout l’univers est en communion. La création n’est pas en Afrique, un ‘‘jeter hors de Dieu’’ mais, un tissage de liens d’alliance entre le Créateur et sa créature. Ces liens sont tellement forts que le monde lui-même en porte l’iconologie. Le monde créé a la forme de vases communicants ou de la toile d’araignée affirme toute l’Afrique noire.
Cette théologie de la création comme acte alliant, non pas des éléments qui préexisteraient à leur création par Dieu, mais la proclamation de l’amour du Père/Mère pour sa famille est vérifiable dans la théologie des alliances nuptiales telle que conçue par la RA[266]. Ici également, l’on trouvera que l’être humain est en communion de plénitude avec Dieu en tant qu’être allié. Dans ce sens l’individu, obstiné à défendre son incommunicabilité de façon monadique, n’est pas fécond parce qu’incapable de participer à l’identité de Dieu comme l’hypostase alliante, affirme la RA.
Enfin, il y a la participation communautaire mais eschatologique de l’être humain à l’identité de Dieu comme Kalunga. Cette affirmation est obvie parce que tout le monde sait que le village des Ancêtres porte le même nom que Dieu : Kalunga. Il y a deux Kalunga (Tulunga = pluriel de Kalunga). Le premier c’est Dieu qui est son propre village. Il ne construit pas avec l’être humain et ne vit pas dans la cité construite pour l’être humain. Dieu se suffit à lui-même et en lui-même. Dieu est complétude en soi[267]. Le premier Kalunga marque la transcendance infinie de Nzambi Pungu. Le second Kalunga est la demeure eschatologique des Ancêtres. Une demeure qui par son bonheur, sa paix et sa pérennité ressemble à l’identité de Dieu.
Le village des Ancêtres et le reflet de l’identité mystérieuse de Dieu. Le village de Dieu, c’est sa propre identité mystérieuse. Ce n’est pas le cas pour les Ancêtres. Car, il n’y a pas de Kalunga humain sans communion et pluralité humaine. Il n’y a aucune identité d’un/e seul/e Ancêtre qui puisse coïncider exactement avec le village eschatologique. Le village des Ancêtres ne coïncide même pas avec le nombre de ses habitants actuels, car il est ouverture sur les terrestres. En effet, il existent une catégorie de personnes qui sont Ancêtres en devenir.
Quelle pneumatologie pour une telle anthropologie de la fécondité ? L’Esprit – Fécondité est, en sa personne comme en ses actions, celui qui réalise cette anthropologie de la plénitude de la fécondité humaine. Il est celui qui donne à l’être humain sa consistance hypostatique. Il lui assure à la fois son vrai être et son être vrai. Il lui donne d’établir l’unité et la correspondance entre dons, richesses et finalités. C’est l’Esprit – Fécondité qui assure à tous les êtres qui sont déjà par lui et en lui de vivre l’intensité et la profondeur de leur être créaturelle en relation de proportion directe avec leur conscience d’être aimés par et alliés avec Dieu. C’est l’Esprit – Fécondité qui leur permet d’établir des alliances sociétaires qui conduisent à leur configuration à l’Alliance du Christ. C’est l’Esprit – Fécondité infinie de l’amour de Dieu qui fait que de tels êtres humains puissent se réaliser comme des banzambi vivants dans une communauté eschatologique qui n’est autre que la communion à la vie de Dieu participable.
Il est sans dire que l’Esprit – Fécondité n’est pas une fonction du Christ et du Père. L’Esprit – Fécondité est hypostase et agit de l’intérieur pour conférer au monde créé son authenticité. L’extraordinaire richesse et vitalité de l’événement Jésus se comprend alors à partir de cette identité personnelle de l’Esprit-Saint. Ce dernier assure non seulement que le Fils incarné soit un vrai homme, mais également un homme vrai. C’est dire que l’Esprit – Fécondité accorde à l’humanité de Jésus sa consistance anthropologique : sa personnalité dans toute sa complexité. C’est aussi ce même Esprit – Fécondité qui, dans le régime de la kénose qui n’est pas celui de la vision béatifique, permet au Christ de vivre avec une profondeur insondable son être créaturel en rapport de proportion directe avec sa liberté humaine. Jésus a vécu le merveilleux échange qu’il était dans la joie que lui procurait l’Esprit-Saint. Il y a inhabitation fluide et communionnelle de l’Esprit – Fécondité entre la personnalité et la personne de Jésus. C’est cet Esprit-Saint qui aide la personnalité de Jésus de trouver une correspondance parfaite entre ses talents anthropologiques et les finalités du Royaume de Dieu qui sont perceptibles par sa personne.
Que l’Esprit-Saint, Fécondité, soit troisième dans la Trinité ne signifie nullement la passivité. En effet, en sa personne les personnes divines réalisent leur pleine mesure de Dieu. En lui, Dieu est Fécondité, c’est-à-dire, plénitude de vie vis-à-vis de soi et de ses créatures. Par le fait d’être troisième, l’Esprit-Saint rend possible et effectivement réelles l’existence, l’identité différentielle et la correspondance entre la vie ad extra et la vie ad intra de la Trinité. C’est dans ce rapport entre la Trinité ad extra et la Trinité ad intra que se comprend le mystère de l’Église.
Ainsi compris l’Esprit – Fécondité ouvre l’ecclésiologie africaine à la communion eschatologique des saints et à la divinisation communautaire. Cette ouverture doit se vivre d’abord dans le présent, mais ceci avec une très grande capacité d’harmoniser les dons reçus avec les finalités tant anthropologiques que théologales. L’inculturation consiste en cela : examiner les dons reçus de l’Esprit-Saint et les finaliser en vue du Royaume annoncé par Jésus, lui l’Oint de l’Esprit-Saint.
III. 2. Esprit – Onction
En contexte africain, le thème de la fécondité fait appel directement à celui de l’onction. Cette dernière évoque à son tour la symbolique des couleurs. Voici comment les choses se présentent. Dans la plupart de nos rites, la fécondité humaine intégrale occupe une fonction très importante. Cette fécondité est soulignée par un ample registre décoratif. La profusion du décor, qui allie le beau à l’utile pour aboutir au surfécond, s’articule toujours avec l’onction. Pour oindre, l’Afrique se sert très souvent du kaolin blanc et rouge. A cette matière de provenance minérale, il faut ajouter des matières d’origine végétale (latex blanc, huile), animale (lait, sang) et humaine (lait maternel, semence paternelle, la salive, le sang, etc.). Tous ces registres ne s’interposent pas. Ils ne sont pas parallèles. Ils convergent vers le sens anthropologique. Il y a un enchevêtrement qui fait que tous les niveaux du sens se donnent dans une anthropologie essentiellement eschatologique.
Ainsi par exemple, l’onction d’un latex blanc sur le front ou au milieu de la poitrine jusqu’au nombril, ou encore du nombril jusqu’au sacrum de quelqu’un peut signifier l’onction maternelle avec le lait de la femme ou l’onction paternelle avec la semence de l’homme[268]. Cette symbolique de la reproduction humaine est, par sa couleur blanche ou son aspect éclatant le symbole de la sagesse, de la toute puissance et du bon ordre. Il est aussi le symbole qui sert à rythmer la vie et la mort[269]. Pour parler de la totalité de la vie, l’on oint la personne du blanc-rouge-noire[270].
En Afrique noire, l’onction est un acte très dynamique comme l’est son boucle indissociable, c’est-à-dire, la fécondité. Dans certaines tribus, l’enfant est oint du lait quelques jours après sa naissance[271]. De même, pour renforcer son être et donc le protéger contre les puissances mauvaises, ce même bébé sera oint et du kaolin blanc et du kaolin rouge. Durant les périodes de crises et les moments décisifs de sa vie, l’enfant sera oint de ce kaolin blanc et rouge. Lors des cérémonies du mariage, certains peuples de pasteurs utilisent le lait de vache pour oindre la fiancée[272]. Aucune cérémonie d’initiation ou d’intronisation ne se fait sans onction. Les grandes cérémonies sacrificielles se font toujours avec l’onction du kaolin blanc et rouge, mais aussi avec du sang animal substitut de celui de l’être humain. L’utilisation du kaolin blanc et rouge, implique aussi l’onction de l’huile végétale. Cette dernière sert de première couche pour asseoir l’onction minérale.
Chez les Basuku, lors de la cérémonie de la bénédiction qui ‘‘délient’’ le mort de sa famille, l’on oint les descendants dudit défunt avec de la terre trempée du vin de palme. Cette onction donne aux descendants l’autorisation de la part de leur père ou de leur mère de recommencer leur vie antérieure sans risque d’accidents. Il y a aussi d’autres onctions qui ont une valeur très ambiguë, car elles sont à la fois thérapeutiques et destructrices. Il s’agit notamment des cas où l’on cherche l’acquittement d’une malédiction ou même de provoquer la mort de quelqu’un. Dans ces cas, l’on sert des potions répugnantes à voir comme matière d’onction[273].
Il existe aussi dans l’ordre des initiations sélectives ce que l’on peut appeler une onction d’adoption filiale ou onction spermatique[274]. Je viens d’en parler avec le symbole du latex blanc qui symbolise et le lait maternel et la semence paternelle. Dans le symbole du latex blanc, l’onction se fait dans la relation parents (géniteur et génitrice) et leur enfant. C’est une onction publique. La raison du caractère public est simple : ici l’humain est symbolisé par le végétal. Au contraire dans le cas de l’onction d’adoption filiale ou spermatique, il est question du réel humain, c’est-à-dire de la semence de l’homme qui est prise comme matière de l’onction.
Le contexte et la relation changent également. Dans ce cas, il est question d’un maître d’initiation avec la communauté de ses néophytes. C’est le maître qui oint ses disciples avec sa propre semence. L’onction spermatique devient le lieu de l’adoption filiale des disciples par leur maître. On ne peut en douter. L’onction d’adoption filiale n’est pas une réalité purement juridique. En revanche, elle est le symbole parlant de la naissance[275] communautaire des disciples d’un père/maître. Ici père ne signifie pas géniteur, mais maître. La paternité est ici collective. Elle n’est jamais individuelle exclusive. Au fond, le maître/père n’est jamais seul. Il agit par délégation de la communauté des initiateurs présents lors de la cérémonie d’initiation. Ces pères initiateurs sont, eux-mêmes, les représentants autorisés de la communauté des Ancêtres. C’est la communauté qui est la mère qui engendre vraiment.
En Afrique, l’onction est toujours liée à la bénédiction[276]. Elle est un acte de renforcement des identités profondes des personnes engagées dans cette onction. En plus, elle est le lieu où explose l’anthropologie verbite. En effet, l’oignant/e et l’oint/e sont reliés par des gestes et des cérémonies qui mettent une très grande prépondérance sur le Verbe ancestrologique. C’est cette promesse ancestrologique contenue dans l’onction comme bénédiction qui éclate en joie. A l’onction est liée une existence heureuse et pleine d’allégresse. Le motif de la joie est l’assurance de la victoire de l’onction sur la précarité.
La symbolique de l’onction renforce et met en relief la symbolique du corps. Dans nos villages et dans nos villes, tout le monde sait qu’il n’y aucune possibilité d’onction sans corps. En plus, l’on sait que par l’onction, le corps comme étendue devient un mystère profond et inabordable[277]. L’onction dévoile la beauté du corps comme mystère. Ici l’anthropologie de la beauté qui découle de l’onction débouche sur l’expérience d’inhabitation de l’Au-delà ancestrologique. C’est pour cette raison que le consacré et la consacrée de la RA sont toujours oints. L’onction détermine non seulement leur mode d’être à la crête entre l’ici-bas et l’Au-delà, mais surtout leur identité d’êtres inhabités de manière permanente. Le consacré et la consacrée de la RA, par le fait qu’ils vivent toujours oints, deviennent le symbole vivant de la victoire sur le désespoir. Ils sont le sacrement de l’Espérance. Les consacrés de la RA montrent à nos communautés que le corps humain dans son étendue comme peau visible possède une mémoire. La mémoire de la conservation des faits, des gestes, des massages, des paroles de bénédictions, la tendresse du contact de peau à peau. Cette mémoire est un des signes de la vocation du corps à la vie et non au néant. L’onction africaine dans sa multiplicité de formes porte à l’Espérance parce qu’elle situe puissamment dans la profusion de la vie. Une profusion de la vie qui s’allie à l’être vrai comme authentification du vrai être. L’articulation harmonieuse entre le vrai être et l’être vrai, vice versa, est toujours en fonction de l’accueil de la sagesse comme espace de la réalisation d’une existence joyeuse. Quelle assomption chrétienne pour cette anthropologie ?
Enseigner en Afrique, l’Esprit - Fécondité, implique la corrélation entre cette Fécondité de l’amour de Dieu avec l’onction. Le thème de l’onction est si riche en Afrique qu’elle embrasse des sujets qui mettent un lien d’identité entre l’Esprit-Saint et la sagesse, la splendeur (la lumière) et la toute puissance. C’est l’Esprit-Saint comme Onction qui rythme la vie et la mort. En partant de la symbolique africaine de l’onction, il est impossible d’identifier l’Esprit – Onction avec un genre humain. Car comme je viens de le dire par le même et unique symbole végétale et ou humain, c’est la totalité de l’univers qui est vigoureusement prise en considération.
L’on ne se fatiguera pas d’affirmer que c’est l’Esprit-Saint comme Onction qui est, en Afrique, le principe de l’intelligence du corps humain. C’est en lui et par lui que le corps humain se déploie comme mystère d’une profondeur incommensurable. Le lien entre l’onction et le corps montre que ce titre de l’Esprit-Saint est lié à l’économie de la Trinité. Ceci signifie que même pour la relation entre les hypostases divines, l’onction du Fils par l’Esprit-Saint est un chapitre des missions divines. Elle n’est pas liée aux processions. Mais, à la question de savoir quand Jésus devient Christ, l’Église d’Afrique n’est pas obligée de suivre l’orientation baptismale synchronique, vue la perspective très dynamique de la RA qu’elle est appelée à évangéliser en profondeur.
Dans la perspective de la christologie initiatique, l’on peut même dire que Jésus a été oint avec le lait maternel. Le lait maternel constitue ici la matière de l’onction et non le contenu sacramentel. Cette onction le consolide dans son être d’homme. C’est l’Esprit-Saint qui est le contenu de cette onction parce qu’il est celui qui assure l’harmonie entre le vrai être et l’être vrai de tout être humain. L’onction de Jésus avec le lait maternel n’est pas un symbole exclusif, car par la couleur blanche de ce lait c’est tout le genre humain et tout l’univers qui sont impliqués, comme réalité qui provient de la lumière sapientielle. Cette onction authentifie la vérité du fait que tout corps humain est une puissance obédientielle à cause de l’éternelle visée de l’union du corps au Verbe-Fils éternel. Toujours dans cette perspective de la christologie initiatique, l’on peut dire qu’à l’occasion de la présentation de Jésus au Temple (Lc 2, 22s), il y eut onction de l’Esprit-Saint sur Jésus pour lui concéder la profondeur du mystère de la beauté du corps qui deviendra son Temple. Cette onction a pour finalité de montrer le caractère transcendantal de Jésus comme corps. Elle affirme que la vocation du corps de Jésus n’est pas le néant, mais la vie de la résurrection et dans la glorification.
L’épisode du Temple dans lequel, à douze ans Jésus fait preuve d’une grande sagesse, correspond l’onction d’entrée dans les initiations à la vie. Comme dans nos initiations tribales, ici l’Esprit-Saint oint le visage de Jésus comme espace de la manifestation de la sagesse eschatologique (Lc 2, 41s). Au baptême, ce même et unique Esprit-Saint oint Jésus de sa sortie de la période de réclusion. Mais, de même que dans la RA les consacrés sont toujours oints en vue de l’annonce du message eschatologique, de même l’onction devient l’état permanent de Jésus afin qu’il puisse porter le message du salut aux pauvres (Lc 4, 18). Les diverses onctions que Jésus avait reçues de la part des diverses femmes[278] authentifient le rapport qui existe entre sa vie pré-pascale et son existence post-pascale.
Sur la croix, Jésus reçoit l’onction de l’Esprit-Saint en vue de montrer que son humanité est surféconde. Dans le cadre de l’inculturation africaine, pour représenter cette onction sur la croix, l’on se servira du kaolin blanc. La ligne de l’onction ira du centre de la poitrine jusqu’au nombril du Christ, comme le font certaines tribus de chez nous.
Dans la tombe Christ reçoit une autre onction de l’Esprit-Saint par l’action que pose les femmes sur son corps cadavre. La visée de cette onction est la consommation totale du corps du Christ par le feu de l’Esprit-Saint (Héb 9, 14) et la restitution de toute la valence anthropologique et théologique du corps du Christ mise à l’épreuve par l’arbre de la mort/vie[279]. C’est l’Esprit comme onction, et parce que Communion, qui assure le lien entre le cadavre de Jésus et la personne immortelle du Fils.
Le caractère dynamique de l’onction ou la pluralité d’actes d’oindre n’implique pas une pluralité d’Onction car celle-ci est hypostatiquement une : l’Esprit-Saint. Cependant, dans le cas du Christ les choses changent. D’une part, il est à dire que ce même caractère dynamique m’implique nullement une pluralité d’Oint, parce que Christ est une personnalité et une seule hypostase. Mais, ce Christ n’a pas qu’un seul et même corps, c’est-à-dire celui qui est en union hypostatique avec le Verbe-Fils incarné. Le Christ a aussi son Corps mystique. Comme dans le cas de son corps biologique, le Corps mystique du Christ reçoit également et dynamiquement l’Onction hypostatique. C’est l’onction qui concerne les disciples et leur confère la bénédiction de leur Frère Aîné. Par cette onction, le Corps mystique découvre sa beauté du corps dont la mémoire conserve et actualise l’événement Jésus.
C’est par son identité d’Oint que Jésus donne à la communauté de baptisés et d’oints son exemplarité. Il leur fait voir qu’ils sont le sacrement très vivant de l’inhabitation historique de l’Esprit-Saint. Il leur donne de vivre vigoureusement à la fois comme vrai être et être vrai, conformément à son ontologie du Fils incarné. C’est aussi par son identité d’Oint que le Christ, de même que les consacrés de la RA, dévoile à son Corps mystique que ses membres sont, dans leur diversité et leur extension géographique, comme la peau humaine. Ils possèdent une mémoire, le mémorial de sa passion et de sa résurrection. Ce mémorial est celui de la conservation et d’actualisation des faits, des gestes, des messages et des paroles de bénédiction.
Ce mémorial est la tendresse de Dieu qui passe de la peau de Jésus, son Fils unique, qui est toujours, dans et par l’eucharistique, en contact de peau à peau avec toute l’humanité. Il y a une forte expérience somatique de la rencontre eucharistique avec le Christ qui provoque la joie semblable à celle qu’un bébé ressent avec l’onction par laquelle ses parents lui donnent les massages néonatologiques. Il y a une tendresse eucharistique à contempler pareille à celle du frottement et de l’attendrissement d’un/e nouveau-né/e sur la poitrine de sa mère et ou de son père[280].
Le mémorial du corps, en tant que réalité couverte de la peau ointe par la puissance de l’Esprit-Saint qui inhabite la profondeur de l’hypostase humaine mais sans la faire imploser et ou exploser, est celle qui s’intègre une seule fois à l’entrée et à la sortie des initiations à la vie qui, au cours de toute la vie, mobilisent toutes les énergies personnelles en vue du témoignage historique à rendre au credo appris dans l’intimité de la catéchèse initiatique. De même que l’onction donne aux néophytes de nos initiations tribales une nouvelle image corporelle, personnelles et communautaire, de même l’onction chrétienne confère aux membres du Corps du Christ de se voir toujours oints, consacrés et partageant la vie de ceux et celles qui confessent le même et unique credo. Les oints évaluent leur vrai être et leur être vrai en fonction du credo.
III. 3. Esprit-Saint, onction intratrinitaire ?
Le thème de l’Esprit comme Onction du Verbe dans l’éternité est à la fois très complexe et difficile. Personne ne peut prétendre l’aborder et surtout apporter des solutions innovatrices dans une section d’une petite étude comme la mienne. La problématique commence avec les recherches patristiques dont il faut tenir compte, surtout avec et après le remarquable apport du père A. Orbe[281]. Cette situation du départ détermine évidemment les limites de ma présentation qui ne se centrera pas sur la théologie de l’onction du Verbe chez les Pères de l’Église. Cependant, à en croire un autre jésuite, B. Pottier qui a étudié la théologie de l’onction du Verbe chez Grégoire de Nysse, ce Père de l’Église avait recouru à cette théologie pour prouver la consubstantialité numérique entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Sa volonté était donc de prouver la divinité de l’Esprit-Saint. La théologie de l’onction lui servira ainsi d’argument pour prouver la pertinence de la royauté essentielle[282].
Se basant aussi sur Grégoire de Nysse, R. Cantalamessa optera pour une autre voie[283]. Il cherche à prouver l’identité et la correspondance qui existent entre la mission active de l’Esprit-Saint (Onction de Jésus) et son hypostase dans l’éternité comme onction du Verbe. Cantalamessa cherche à montrer que l’Esprit-Saint n’est pas passif dans les processions intratrinitaires. Pour cette raison, l’auteur affirmera que le Père est l’Oignant, l’Esprit-Saint est l’Onction et le Verbe est l’Oint. Pour R. Cantalamessa cette Onction du Verbe coïncide avec son engendrement éternel. Mais, quelle serait alors la finalité de cette onction éternelle ? Il répond en disant, la médiation du Verbe dans la création.
L.F. Ladaria s’oppose à la position de Cantalamessa qui, selon lui, outre de bouleverser l’ordre divin, ne fait pas assez de distinction entre « l’Esprit du Père » entendu comme la nature du Père et « l’Esprit-Saint » qui est la troisième hypostase en Dieu. Luis Fernando Ladaria affirme que dans l’engendrement, le Père donne à son Fils sa nature divine qui est Esprit. D’après Ladaria, la théologie de l’Esprit-Saint comme Onction éternelle du Verbe est une confusion qui fait participer l’Esprit-Saint à l’acte de l’engendrement éternel du Fils par le Père seul. De même va-t-il continuer d’affirmer qu’il ne faut même pas porter de confusion entre l’engendrement économique du Verbe et l’onction de son humanité dans le Jourdain. L’onction du Fils par l’Esprit-Saint implique objectivement l’incarnation du Verbe[284].
Derrière ces affirmations de Ladaria il y a une nette volonté de maintenir la distance qui existe entre la Trinité ad extra et la Trinité ad intra. L’Esprit-Saint est exclusivement l’Onction pour le Fils dans le mystère de l’économie de la Trinité. L’onction de l’humanité de Jésus par l’Esprit-Saint ne préexiste pas à sa création et donc à l’engendrement du Fils par Marie couverte par la puissance de l’Esprit-Saint. C’est à cette thèse que j’adhère. En effet, la théologie de l’onction du Verbe dans l’éternité apporte plus de problèmes que n’en résout. Pour moi, les impasses de cette théologie se font voir clairement quand l’on pense à la ‘‘matière’’ qui sert de l’onction du Fils dans l’engendrement l’éternel. Au cas où cette ‘‘matière’’ était « l’Esprit du Père » compris comme la substance du Père, l’on ne voit pas comment articuler ladite onction avec la consubstantialité numérique des trois personnes. Admettre à tout prix cette onction du Fils avec la substance du Père impliquerait que le Fils soit Dieu par participation.
Ceci signifie que le Verbe oint participerait par sa consubstantialité spécifique à la nature spécifique du Père, étrangère à celle du Fils. Une telle vision conduirait à la perte évidente de l’égalité des personnes divines. Si par une hypothèse impossible, le don de la substance numériquement une du Père à son Verbe était une onction, l’on ne voit pas pour quelle raison, ce même don de la même et unique nature consubstantielle à l’Esprit-Saint par le Père principaliter, ne serait pas une onction de l’Esprit-Saint par le Père avec la nature du Verbe-Fils. Une telle impossible onction de l’Esprit-Saint par le Père aurait la même finalité que la prétendue onction du Verbe préexistant : la fonction de l’Esprit-Saint dans la création. Comme on le voit, l’argument qui fait coïncider l’engendrement éternel avec l’onction éternelle ne suffit pas ici, pour deux raisons. Le bouleversement l’ordre divin et en même temps, le fracas tant de la théologie classique occidentale qu’orientale des processions intradivines.
Outre cela, la théologie de l’onction éternelle du Verbe porte le danger de dissoudre les propriétés distinctives tant du Père que de l’Esprit-Saint. En effet, étant donnée l’impossibilité de faire l’onction du Verbe avec « l’Esprit du Père » à cause de la consubstantialité numérique des hypostases, l’on pourrait aussi penser que le Père oint son Fils, non pas avec son Esprit (nature) mais avec ses propriétés distinctives qui font qu’il soit une personne différente et de son Verbe et de l’Esprit-Saint. Dit d’une autre façon, l’on comprendrait ici le génitif « Esprit du Père » comme étant absolument identique au « Père est Esprit ». Une telle interprétation disloquerait totalement les relations intratrinitaires, annulant à la fois l’existence réelle de la paternité et de la filiation en Dieu. Un impossible don des propriétés distinctives de la première personne de la Trinité à son Verbe, comme onction éternelle, ferait du Fils l’absolument identique au Père, et du Père le strictement identique à son Fils. Surgirait alors avec victoire la célèbre expression de Sabelius « Uiopator », mais cette fois transposée dans la vie ad intra. Père et Fils seraient deux modes d’être éternel d’un seul et même individu. L’onction du Fils avec des propriétés notionnelles du Père élimine tout le réalisme de la théologie des relations et donc tout personnalisme intratrinitaire.
L’identification absolue de « l’Esprit du Père » avec l’hypostase de la troisième personne de la Trinité en tant que celle-ci est spirée du Père conduit également à la dissolution des propriétés différentielles de l’Esprit-Saint. Le raisonnement est le même. Le Père oignant ne peut se servir de la nature divine hypostasiée par l’Esprit-Saint pour oindre son Fils parce que cette nature est consubstantiellement numérique aux trois. Pour que le Père puisse oindre son Fils avec une réalité qui provienne de l’Esprit-Saint et que ce Verbe ne possède pas, il faut que le Père prenne les propriétés incommunicables du Pneuma. Mais ceci est impossible pour deux raisons. D’abord, à cause de la dissolution de la personne de l’Esprit-Saint et de l’identité trinitaire de Dieu. Puis, à cause de la périchorèse trinitaire. Une onction de l’hypostase du Fils avec la personne de l’Esprit-Saint dissoudrait non seulement l’être personnel de l’Esprit-Saint parce que ses propriétés incommunicables sont concédées au Verbe dans l’éternité, mais également son identité d’union d’amour du Père et du Fils, vice versa. La dissolution de l’Esprit-Saint par une impossible onction éternelle du Verbe conduit à l’incommunicabilité de Dieu avec le monde car l’Esprit-Saint est l’extase de la Trinité, il est le point d’insertion de la Trinité dans l’histoire.
La question est donc de savoir pour quelle raison faut-il recourir à la théologie de l’onction éternelle du Verbe avec l’hypostase de l’Esprit-Saint si la périchorèse divine assure l’inhabitation mutuelle et sans trêve des personnes divines ? Qu’est-ce qui manque à cette inhabitation éternelle qu’ajouterait l’onction éternelle ? L’identité du Verbe comme Fils n’est-elle pas suffisante pour assurer le fondement dogmatique de sa fonction médiatique dans la création ? Mon choix se range donc du côté des théologiens qui défendent l’onction économique de Jésus (pas celle du Verbe éternel avant son incarnation).
Il est erroné d’affirmer que l’union hypostatique est postérieure à la création de l’homme Jésus. Mais, il n’est pas faux de dire que le Verbe-Fils a été fait Christ après avoir été constitué comme vrai homme, Jésus. A mon humble avis, c’est seule dans la post-existence terrestre du Verbe incarné que le Fils vit désormais dans la Trinité ad intra comme Christ et l’Esprit-Saint comme l’Onction de Jésus dans son humanité glorifiée. En effet, de même que la grâce de l’union hypostatique n’a pas été annulée par Dieu parce que les dons et les vocations de Dieu sont irrévocables[285], de même l’onction corporelle de Jésus par l’Esprit-Saint n’a pas été éliminée avec sa glorification. Ce corps qui entre dans la Trinité ad intra, après la glorification de l’homme Jésus, est celui que le Verbe-Fils a reçu différentiellement de Marie.
Ce corps qui vient de Marie et de l’Esprit-Saint, a été oint et par l’Esprit-Saint et, curieusement, par plusieurs femmes. Les différentes onctions que Jésus reçoit des femmes sont, elles aussi, récapitulées dans le glorifié parce qu’elles sont des moyens par lesquels le Fils de Marie recevaient l’Esprit-Saint. Ce corps oint par les femmes et par l’Esprit-Saint est, après la glorification non seulement notre salut et la révélation de la Trinité, mais aussi l’espace de la spiration de l’Esprit-Saint du Père. Le corps spécifique de Jésus glorifié sert ainsi non seulement à la cause historique du Verbe-Fils, mais aussi à la différentiation hypostatique des personnes divines ad intra. L’onction du Fils est un événement exclusivement économique qui, pourtant, avec la glorification de Jésus concerne aussi la Trinité ad intra[286].
Mais, comme je viens de le redire, les Ecritures ne nous parlent pas seulement de l’onction du Verbe incarné par l’Esprit-Saint dans et par le baptême de Jésus. C’est pour cette raison qu’il me semble impossible la théorie de l’identification stricte entre l’Esprit-Saint et l’onction du Fils glorifié ad intra. En effet, Jésus glorifié récapitule toutes les onctions reçues par lui-même et par son Corps mystique au cours de cette vie terrestre. Ceci signifie que les onctions que les différentes femmes ont faites sur Jésus ont une valeur non seulement anthropologique pour le Fils de Marie puisqu’elles creusent en lui sa vocation messianique, prophétique et royale. Ces onctions nous dévoilent l’identité de Jésus et creusent dans la conscience du messie sa propre identité au-delà de son identification sociétaire.
Comme Africain, à cause de mon contexte de provenance et de l’exercice de ma mission dans ce contexte culturel africain, je partage le caractère diachronique et dynamique de ladite onction. Je ne vois pas pour quelle raison, l’onction de l’humanité de Jésus peut se limiter à l’événement synchronique du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain. En revanche, je crois fermement qu’en notre contexte initiatique, l’onction de Jésus est en relation de proportion directe avec les événements décisifs de sa vie. Avant d’exposer cette option, il convient de donner ici les finalités christologiques, pneumatologiques et sotériologiques de l’onction de Jésus.
L’onction de l’Esprit-Saint dans la personnalité, mieux l’humanité complète de Jésus n’a pas seulement une visée proexistentielle. Elle ne concerne pas uniquement le « pour nous » de Jésus. En revanche, elle concerne le fait créaturel de l’humanité de Jésus appelé à sa plénitude anthropologique et à sa glorification post-pascale. L’Esprit-Saint agit en Jésus pour Jésus, afin que son humanité dans son corps vraiment historique découvre sa vocation unique et non réitératif : celle d’être l’humanité propre et spécifique du Verbe-Fils incarné. L’onction de l’Esprit-Saint permet à l’humanité de Jésus de demeurer dans l’union hypostatique, consciente progressivement, de la distance abyssale qui existe entre le créé et le médiateur dans la Création.
De même que chez nous en Afrique l’on pense que l’onction dévoile au corps humain sa profondeur transcendantale, sa vocation à la Vie dans la félicité sans fin au-delà de l’événement incontournable de la mort, de même l’onction de l’Esprit-Saint dans l’humanité de Jésus, en tant que celle-ci est créature, lui fait découvrir sa vocation à la résurrection et à la glorification. L’onction de l’Esprit-Saint sur Jésus manifeste progressivement à la conscience du Fils de Marie, la profondeur incommensurable de son corps comme salut. L’onction de l’Esprit met en relief l’importance cardinale du corps de Jésus dans le merveilleux échange qui existe entre la Trinité et l’humanité et même, entre la Personne et la personnalité de Jésus.
L’onction de Jésus donne à son humanité de dévoiler l’identité de l’Esprit-Saint comme personne – union. De même qu’en Afrique, l’onction est le lieu où la symbolique embrasse et embrase la totalité du réel en la portant au sommet du personnalisme (Dieu Père), de même l’Oint de l’Esprit-Saint nous dévoile l’union de tout l’univers dans la forme de la toile d’araignée et surtout, il nous abouche au sommet du personnalisme chrétien : le dévoilement du visage du Père. Le dévoilement de l’Esprit-Saint à travers l’humanité du Verbe-Fils comme communion universelle, porte un message remarquable : la vocation du monde matériel n’est pas le néant, mais le Père consubstantiel au Fils et à l’Esprit-Saint.
Comme conséquence, le message sotériologique recouvre ici son importance totale. D’abord, du fait que l’onction soit exclusivement un mystère économique dévoile la pertinence et la nouveauté même de l’histoire du salut. De fait, si le Verbe-Fils était Christ sans l’incarnation alors son devenir comme Jésus et le devenir de ce même Jésus comme Oint seraient un mensonge. L’être éternellement Christ du Verbe devant s’incarner annule l’authenticité du Verbe incarné dans son devenir Christ. L’être éternellement Christ du Verbe devant s’incarner annule par le même fait la correspondance, l’identité et la dissemblance entre l’ontologique et l’économique dans la mesure où l’éternel se dilue dans une identité strictement égale au temporel.
La description anthropologique de la pratique de l’onction en Afrique a fait montre d’une ignorance totale, chez nous, d’une onction qui coïnciderait avec l’acte d’engendrement. Dans le cas de l’onction du latex blanc avec sa double symbolique féminine et masculine ou celui de l’onction matériellement spermatique, l’onction se distingue toujours de l’engendrement. L’onction matériellement spermatique place dans le cadre de la relation « maître – disciple ». Nous sommes également dans l’ordre d’adoption filiale. Il s’agit d’une modalité d’être qui implique une pluralité de pères/mères dans la communion d’autres frères/sœurs d’égale dignité. Appliquer une telle onction à la personne de Jésus, c’est le considérer comme un homme qui a été fait Fils de Dieu. Cet adoptianisme n’étant pas digne de la filiation du monogène, alors l’on aboutirait à l’existence de deux personnes en Jésus. C’est évidemment là une énorme impasse.
Les questions concernant le mystère de l’onction dans son déploiement historique comme dans sa possible existence ad intra porte l’interrogation sur l’identité même de Dieu. Or, il est généralement admis aujourd’hui qu’une telle interrogation est à la fois et en même temps une interrogation sur le sujet questionnant, mais un sujet toujours déjà situé dans son contexte culturel objectif. Ceci me permet de conclure que la question portant sur l’identité de Dieu, en occurrence celle de la coïncidence entre l’onction et l’engendrement, devrait appartenir nécessairement à l’existence humaine et qu’elle devrait être contenue implicitement, au moins, dans chaque culture des sociétés humaines. Ceci ne se vérifie pas en Afrique.
Toutes les questions et propositions dogmatiques supposent que chaque culture humaine (et en son sein chaque personne) soit un vrai pôle constitutif de la Révélation positive en Jésus. Sans cela, la réception du message évangélique serait tout simplement un subir, un pâtir basé sur le caractère absolument extrinsèque du contenu de la foi. A cause de la doctrine de la création comme acte toujours actuel de Dieu dans ses créatures, l’être humain est, dans sa matérialité objective et contingente, toujours déjà une révélation. Tout être humain est, dans son objectivité historique et donc culturelle, la révélation de l’amour de Dieu dont il est le reflet. Si la Trinité est la correspondance absolue de la transcendantalité de tout être humain situé objectivement et subjectivement dans sa culture, l’on ne voit pas pour quel motif Dieu priverait à l’humanité cette indication d’une coïncidence absolue entre engendrement et onction.
Pour finir, il est à noter le lien qui existe entre l’identité de l’Esprit-Saint comme onction et le mystère de l’Église. D’abord, il faut dire que l’Église comme Corps mystique du Christ découvre par l’onction de l’Esprit-Saint son identité d’épouse. De même que dans nos rites la beauté du corps de la femme qui va en mariage est oint, à maintes reprises conformément à la dynamique du processus du mariage, de même l’Église ointe par l’Esprit-Saint, accueillant les valeurs de notre culture africaine, devient la ‘‘sponsa ornata monilibus suis’’, l’épouse qui se pare de ses bijoux (cf. Is 61, 10)[287]. Par l’onction, l’Église découvre par son être de corps mystique non seulement la cohésion organique, mais surtout la profondeur de son être total comme réponse à une vocation transcendantale. C’est pour cette raison que le charisme de l’Esprit-Saint comme onction faite à l’Église prévaut sur la structuration sociale des ministères.
Mais, la beauté de l’Église ointe consiste à lutter existentiellement et farouchement pour la vie en abondance. Je suis convaincu que la théologie de l’Esprit-Saint comme onction est un excellent lieu de rencontre interreligieux entre le christianisme et la culture africaine. En mettant l’accent sur l’être de l’Église comme Corps mystique, l’on ne pourra oublier la centralité du corps dans la sagesse africaine[288]. L’identité de l’Église comme mère, tirera profit de cette centralité dans la mesure où c’est dans la relation materno-filiale que la sagesse africaine pose le sommet du sens anthropologique du corps[289]. Pour l’Afrique le corps est, par son être tel, ouverture au Transcendant absolu[290].
IV. 0. La paternité de Dieu dans l’Église-Famille
La théologie trinitaire n’a de plénitude que dans la contemplation de la personne de la première personne de la Trinité. La paternité/maternité en Dieu[291] est l’origine et la fin de toute la vie intradivine et de la vie de tous les êtres créés. C’est pour ce motif qu’il est impensable que cette paternité soit seulement reflétée dans l’Église par une seule catégorie des fidèles quelque soit leur état de vie ou leur fonction ministérielle. C’est là où peut-être aussi les images ecclésiologiques africaines peuvent apporter quelque chose en partant de la manière dont toute la population africaine chrétienne ou nom utilise les concepts de la paternité et de la maternité.
En effet chez nous, nous nous appelons les uns les autres, y compris les occidentaux qui vivent en Afrique, pères et mères sans que nous soyons nécessairement des géniteurs et génitrices. Nous le savons tous, ce n’est pas une nouveauté. Du nouveau-né à la personne humaine très âgée qui attend le passage de cette vie-ci à l’autre, tous sommes pères et mères. Chez nous, la paternité et la maternité ne sont donc pas des fonctions qui découlent uniquement de la vie dans le mariage. Cette anthropologie est assumée aujourd’hui par les chrétiens de tous les états canoniques et ministères. C’est dans et par cette anthropologie que nous, chrétiens, vivons notre amour agapétique.
Il est évident que cette paternité et cette maternité universelles situent dans la grande famille humaine. Mais, qui plus est, elles mettent les personnes ainsi nommées en rapport avec la sagesse qui débouche dans l’actuation pratique responsable. Il y a un lien étroit entre l’être paternel / maternel et la bonté, la justice et le bien être communautaire. La paternité et la maternité sont directement opposées à l’enfance. Cette dernière est aussi interprétée comme une déficience coupable face à sa responsabilité sapientielle, sociale, économique, politique, scientifique et religieuse. L’enfant est celui ou celle qui ne répond pas positivement, avec pertinence et efficacité, en se comportant en rapport de proportion égale aux attentes sociétaires. L’enfant est cette personne, même ayant beaucoup d’années, est incapable d’initier un mouvement capable de faire passer les désespoirs sociaux en espoirs, mieux en Espérance.
On comprend dès lors pour quelle raison, même très jeune, toute personne est à la fois et au même moment papa/maman. En effet, son identité est vue en fonction des espoirs ou mieux de l’Espérance. L’être humain est vu en fonction de ses possibilités inassouvies capables d’apporter la transcendance nécessaire au bien être intégral de la société. En appelant tout être humain père/mère, les sociétés africaines perçoivent en lui une condition a priori de l’Espérance actuelle et future de sa société. Dit d’une autre manière, dans nos sociétés africaines la question de l’Espérance implique intrinsèquement celle de l’être humain en tant que celui-ci est un être sapientiel. La puissance obédientielle de l’être humain n’est pas d’abord sa pure subjectivité, mais son être capable de sagesse. C’est elle seule qui est capable de victoire sur les désespoirs. C’est la sapience qui est seule capable de l’accueil de l’Espérance. Mais, être sage c’est réaliser sa vie comme père et mère. C’est pour cette raison que chez nous quand l’on parle de Dieu comme Père et Mère, l’on voit d’abord sa sagesse. Cette affirmation est d’autant évidente que certains noms africains de Dieu expriment à la fois sa paternité, sa sagesse et sa création. Cette évidence se vérifie dans les noms de Dieu dont les racines sémantiques sont -HANG- [Nyamu-hang-a], -GANG- [Ngang-i], et -TANG- [Saka-tang-].
IV. 1. Paternité de Dieu et vie consacrée
La paternité et la maternité anthropologiques universelles qui, inclusives des bébés et des morts devenus Ancêtres, sont aujourd’hui appliquées et à la vie religieuse et à la vie sacerdotale. Parfois, toutes les appellations que l’on accorde à ces derniers semblent à première vue incohérentes. En effet, le prêtre diocésain est appelé « papa-abbé ». Le prêtre religieux est « papa mupe[292] » ; le religieux laïc « papa – frère » ; enfin, la religieuse est appelée « maman-sœur ». Dans tous ces exemples, l’on suit la logique de la nomination traditionnelle africaine que l’on trouve dans les noms comme tante paternelle « tata-mwasi (papa-femme) ». Dans tous ces noms, il y a aussi une constance : la paternité ou la maternité de la personne précède son état religieux. La mission religieuse (abbé, père, sœur) vient après les attentes sociales (papa et maman). L’identité sacerdotale et religieuse chrétiennes sont vues en rapport avec la société qui attend du consacré et de la consacrée qu’ils soient des personnes abouchées à la sagesse, responsables socialement, conformément à l’anthropologie religieuse africaine du « papa » et de la « maman ».
Du point de vue de cette anthropologie populaire, la mission sociale précède et détermine la valeur de l’engagement religieux. Autrement dit, l’unique chemin qui porte à l’identité religieuse d’un chrétien, c’est sa manière d’être et d’agir dans la société conformément à l’anthropologie et aux aspirations fondamentales de sa société. C’est la manière d’habiter le monde et la société, comme sage africain et responsable, qui est le critère de base qui authentifie le fait que cet homme et cette femme concrets sont en alliance avec Dieu, le Père de Jésus-Christ et notre Père. Par et dans le consacré il devrait y avoir une vraie assomption de la sagesse et de la pratique africaines comme espace de l’intelligence du mystère de la paternité/maternité du Dieu des chrétiens.
Les nominations populaires des personnes consacrées semblent sans une grande importance. Mais, au fond, elles vérifient le principe fondamental de notre foi en Jésus et en la Trinité. Pour arriver à l’identité de Jésus comme Verbe-Fils éternel de Dieu, il faut passer absolument par l’enfant de Marie et de Joseph (par adoption), par le charpentier de Nazareth, par l’ami, le prédicateur des hommes et des femmes, le thaumaturge, etc. De même pour la Trinité. Nous n’accédons au mystère éternel que par ce que sont et font les personnes divines pour nous.
Quand en Afrique, les consacrés sont appelés papas et mamans, l’on veut affirmer par là que leur état canonique et leur identité charismatique, pour donner de leur pleine mesure chrétienne, doivent répondre avec pertinence et crédibilité à la question africaine de la sagesse dont le point focal est Dieu lui-même. Il y a ici une nette compénétration entre le théologal comme référence ultime et exigence historique pour la solidarité, la transformation et le don de la vie dans cette histoire.
Le projet populaire de l’inculturation de la vie consacrée dans l’Église-Famille se réfère d’abord au Père, mais aussi à la société dans son actualité quotidienne. C’est pour cette raison que les religieux doivent, pour découvrir la présence intime de la Trinité, descendre non seulement dans leur intelligence, dans leur mémoire et dans leur volonté tant personnelle que celle de leur congrégation, mais également dans l’intelligence, la mémoire et la volonté historique de leur peuple. Au lieu de se définir d’abord en fonction des livres (Constitutions, Directoires, Chapitres, etc.) et les biens matériels acquis au cours de l’histoire, dans l’Église-Famille du Père, les consacrés doivent se positionner en premier lieu face à l’humanité qui est la Famille du Père. C’est en cette famille que se découvre vitalement la sagesse du Père[293]. Mais, de même que le Père est la source et la fin de et dans la communion intratrinitaire, de même la paternité et la maternité dans la vie consacrée devrait et doit conduire à la communion communautaire. Cette communion communautaire dans la vie consacrée n’est pas à opposer à la communion diocésaine, ecclésiale et mondiale, car son principe historique est l’unique : l’Esprit-Saint (2 Cor 13, 13).
IV. 2. Paternité de Dieu et efficacité sociale de l’Église-Famille
L’anthropologie africaine de la mère et du père montre que la tendance naturelle à faire sentir et de se sentir aimé n’est pas ignorante de la responsabilité sociale de la transformation du désespoir en espoir. Il est évident que l’amour franc est une grande source de faiblesse dans notre monde actuel dans lequel la gratuité est refusée. Située au siècle de concurrence, l’Afrique a la responsabilité de s’imprégner des nouvelles vertus de son temps. Les concurrences internationales ne sont pas toutes mauvaises. Il existe des concurrences loyales nécessaires à l’évolution des conditions sociales des nos nations.
Dans ce domaine, il ne nous suffit plus de conscientiser les gens. Il nous faut, au contraire, agir d’une manière remarquable mais en commençant avec des micro-projets d’autosuffisance alimentaire et sanitaire. Nous, les chrétiens d’Afrique, avons la responsabilité de créer des structures innovatrices capables de soulager notre misère sans pouvoir ruiner la chaleur de l’amour qui caractérise encore nos villages et nos petites cités. Pour ce faire, nous devons reformuler nos universités et nos écoles qui ne fonctionnent pas encore. Elles ne le sont pas parce qu’idéalistes et ne focalisent pas suffisamment leur regard sur la pratique technologique et l’expérimentation scientifique. L’Église-Famille ne sera capable de vaincre sa faiblesse que quand elle sera capable de promouvoir des universités, des instituts supérieurs et des écoles focalisés essentiellement sur la résolution planifiée des nécessités réelles des peuples. L’université de l’Église-Famille doit être elle aussi inculturée, c’est-à-dire axée dans la résolution des problèmes pratiques de sa communauté[294].
V. 0. Conclusion
Que peut-on retenir après cette introduction sommaire à quelques questions de l’ecclésiologie et de la triadologie du Synode Africain ? D’abord, une responsabilité historique de continuer la labeur initiée par l’Esprit-Saint qui parle aux Églises d’Afrique. C’est une responsabilité basée sur le sens de l’Église (sensus Ecclesiae) africaine. Ce sens de l’Église africaine est le fruit d’une communion très profonde avec la Parole de Dieu et aux inspirations ineffables du Paraclet[295]. La responsabilité qui découle de cette communion avec Jésus-Christ et l’Esprit-Saint tient à la création continue d’une Tradition africaine chrétienne comme réponse digne et adéquate à la vocation trinitaire du peuple africain. Obstruer le développement de l’Église africaine signifie, dans ce cadre, perdre le « sentire cum Ecclesia » et donc ne pas contempler avec émerveillement le Corps Mystique du Christ tel qu’il se déploie en ses frères/sœurs les Africain(e)s. La fraternité du Christ avec les Africain(e)s les situent dans une même et unique famille qu’est le Père/Mère de tout. Ceci signifie en pratique qu’il revient aux spécialistes en théologie trinitaire africaine et aux ecclésiologues africains/africanistes d’apporter aux contenus théologiques du Synode Africain plus d’architecture et de substance dogmatiques. L’enrichissement des contenus théologiques est notre meilleur chemin pour aboutir à la célébration dans l’avenir du Concile Africain tant désiré, des conciles particuliers, nationaux et régionaux en vue d’une évangélisation en profondeur[296]. C’est aussi au développement remarquable des contenus dogmatiques qu’il faut attacher le désir africain d’avoir à Rome un « Pontificum Institutum Africanum »[297], d’augmenter considérablement le nombre d’Experts africains travaillant en permanence à Rome dans les organismes centraux de l’Église[298]. Le souhait d’avoir une Congrégation romaine pour l’Église d’Afrique et ou un Dicastère Romain pour l’Afrique dépendent également du poids de notre ecclésiologie et de son fondement trinitaire[299]. L’analyse et les réflexions ici réalisées montrent que l’Afrique a dépassé le stade du « combat pour un Christianisme Africain ». Elle est entrée dans une nouvelle phase, celle de l’inculturation entendue comme dialogue de salut, de sainteté, de justice et de paix et d’amour qui nous configure à l’identité même de Dieu est notre Sauveur, notre Justice et Paix. Dieu est Amour. L’ecclésiologie de l’Église-Famille du Père, Église-Fraternité du Fils et Église-Fécondité de l’Esprit-Saint est strictement liée à la théologie de l’amour comme espace du déploiement salvifique de l’identité de Dieu pour nous et de notre réponse à l’autorévélation de Dieu. L’amour africain qui se vit dans nos familles claniques traduit, par la seule grâce de Dieu, ce qu’est Dieu en lui-même. Cet amour et son milieu d’émergence constituent pour nous notre anthropologie transcendantale condition a priori de notre réception du mystère sublime qu’est la Trinité[300]. Cette anthropologie est l’espace de notre herméneutique de l’incarnation en partant de nos paradigmes tant épistémologiques que praxiologiques en vue du développement de notre Église et de notre société continentale[301].
L’Afrique a reçu l’Église Communion du Concile Vatican II avec son fondement dans le mystère de la Trinité. Mais, elle ne la considère pas seulement dans les rapports qui existent, au sein de la communauté chrétienne, entre le ministre ordonné et le laïc/la laïque. Elle ne l’envisage pas seulement dans le sens de la communion des personnes divines entre elles et de la Trinité avec l’Église. L’Afrique ne se limite pas à la compréhension de la communion dans le sens des liens qui doivent exister entre l’Église universelle et les Églises particulières, vice versa. L’Afrique assume toutes ces formes de communion, admettant comme acquis inébranlable la communion eucharistique ou de manière plus générale la communion sacramentelle. Cependant, cette réception a pour condition a priori l’anthropologie et le contexte social africain[302]. L’Afrique puise dans sa tradition familiale l’expérience d’amour comme communion réalisée existentiellement. Elle l’applique à l’Église et la propose comme solution à la crise qui conduit les nations africaines à leur fragmentation. Cette démarche choque. Mais, elle n’est pas une institution d’une culture comme espace autorisée d’authentification et de vérification de la révélation. Au contraire, elle est un processus de vérification du merveilleux échange qui s’est réalisé entre le christianisme et la culture africaine (Ad Gentes, 22). Le processus d’inculturation est salvifique. Il sauve la communauté et la personne qui inculturent le message évangélique. C’est le Sauveur, lumière et sagesse du monde qui agit sur toute la ligne du processus de l’inculturation. L’action humaine est une réponse qui se manifeste par la divinisation. C’est l’Esprit-Saint en personne qui, par son inhabitation et son onction, fait de l’inculturation un chemin de sanctification ou de divinisation. Les sanctifiés rejettent l’injustice et construisent un monde de paix. La paix est la forme sublime de l’amour, nous disent nos Ancêtres. Ces derniers nous disent également que cette paix se totalise en Dieu (Kalunga) et dans son Royaume (Kalunga : village eschatologique). C’est dans la corrélation entre Dieu et son Royaume que l’Afrique puise le principe inclusif qui rejette tout rapport exclusif entre l’Ecclesia ex hominibus et l’Ecclesia de Trinitate. L’Afrique qui arbore la théologie de l’inhabitation met avant plan l’indissoluble relation qui existe entre la provenance africaine de l’Église dont le modèle se puise, entre autres, dans les valeurs et les vérités de la famille clanique et la provenance trinitaire de cette même et unique sainte, catholique et Église apostolique. Le principe de cette double provenance, qui répond à la hiérarchie des vérités et à leur connexion mutuelle, n’est pas seulement fonction de son fondement et exemplarité dans l’incarnation. Il l’est également et surtout par l’identité et la correspondance qui existent entre l’économie de Dieu et son apophatique ontologie. Le Père/Mère, notre Famille, qui se révèle tel qu’il est par son Fils, notre Frère, à travers toute l’économie de la création, le fait aujourd’hui, après la glorification du Fils incarné par l’unique médiation de la sainte humanité de Jésus. Il le fait partout où souffle l’Esprit-Saint, lui qui y apporte sa féconde et rénovatrice onction, source de toute vie prophétique. L’Église d’Afrique est témoin, signe et annonciatrice de cette joie trinitaire qui découle de la féconde onction pneumatique dans les hypostases corporelles des chrétien(ne)s et de toute la famille humaine. C’est cette joie trinitaire qui dévoile à l’Afrique qu’elle est une terre connue et aimée, depuis toute éternité, par le Père par son Fils et dans l’Esprit-Saint. Les nouvelles figures ecclésiologiques africaines (Église-Famille du Père, Église-Fraternité du Fils et Église-Fécondité de l’Esprit-Saint) sont un message d’Espérance parce qu’elles sont dépendantes de la seule grâce du Dieu unitrinitaire, créateur de l’Africain(e) à son image et sa ressemblance. Pour tout dire, la Trinité est l’ultime raison d’être de l’Africain(e), de son Église et de son ecclésiologie.
Il convient de le redire, même si cela semble réitératif. Cette étude a montré qu’un des grands apports du Synode Africain réside dans sa manière de comprendre l’inculturation. En effet, le Synode n’envisage plus seulement l’inculturation comme un effort humain qui, par son discernement progressif et processuel, arrive à déterminer les valeurs culturelles à intégrer dans le christianisme et les vices à rejeter. L’inculturation ne recherche pas à trouver, par une voie comparative, les situations d’identité, d’opposition, d’analogie et de nouveauté entre le christianisme et la culture religieuse africaine. Cette démarche, pourtant très importante, ne convient que pour certains éléments culturels. Elle est incapable de rendre compte de la vie dans sa globalité. L’inculturation n’est plus vue par le Synode comme une tendance théologique qui, pour donner de sa pleine mesure, doit être complémentée par la théologie de la libération[303]. Il est absolument vrai que dans la pratique les documents officiels du Synode continuent à subdiviser leur matière en cinq chapitres (1. proclamation, 2. inculturation, 3. dialogue, 4. justice et paix, 5. moyens de communication). Cependant, cette organisation logique des thèmes implique une liaison intime et une hiérarchie évidente des vérités à enseigner. C’est pour cette raison, à y voir de près et en analysant les textes comme il vient d’être fait ici, l’on se rend vite compte du fait que l’inculturation est comprise par le Synode comme théologie du dialogue. Ce dernier est fonction d’un « sentire cum » son peuple et son Église, vice versa. Le dialogue est également fonction du sens de son peuple et de son Église, et réciproquement. En tant que dialogue l’inculturation est aussi, et cela essentiellement, prospective dans la mesure où son regard est focalisé sur l’avenir des peuples comme Église et de l’Église comme famille des nations. Le « sens de » et le « sentire avec et dans » exigent à la fois un dialogue pragmatique et une praxiologique. C’est dire que pour le Synode Africain l’inculturation implique nécessairement une action qualifiée et qualitative. L’inculturation est une théologie de l’action non seulement pastorale, évangélisatrice, théologique, etc. mais aussi sociale et politique. Eclairée par la dimension prospective, l’action qui découle de l’inculturation se base également sur une axiologie soigneusement déterminée. C’est par cette axiologie que l’on découvre l’inculturation comme dialogue porteuse d’une théorie de l’agir. L’union entre le praxiologique et le pragmatique est en fait la démonstration du fait que l’amour génère non seulement des théories sur les techniques en vue du dépassement des situations difficiles et d’arriver à la perfection chrétienne, mais également il met à la disposition de l’actant la technologie nécessaire à la réalisation des visées contenues dans l’acte de son amour dans sa double articulation horizontale et verticale. L’inculturation en tant que démarche théologique implique, pour cette raison, un espace et un moment de vérification. L’inculturation est un dialogue qui contrôle, rigoureusement et sans complaisance, la réalisation des objectifs visés par le processus de l’évangélisation en profondeur. Pour cette vérification, outre les sources strictement théologiques, ecclésiales et religieuses, il y a certes une nécessité d’une médiation des sciences humaines et positives. Cependant, cette nécessité de médiation scientifique ne peut jamais devenir l’unique et l’ultime instance de ce dialogue vérificatif. En effet, ce dialogue est inclusif de l’irruption indomptable de l’Esprit-Saint comme conducteur de l’histoire. C’est dire que l’effort humain dans le processus de l’inculturation est incontournable. En effet, c’est l’être humain qui a le sens de son peuple et de l’Église. C’est lui qui sent avec l’Église et son peuple. Mais, ce sens et ce sentire sont déjà un dialogue de salut. Il y a irruption de l’Esprit-Saint qui fait découvrir le Sauveur. Ce dernier appelle le monde à la conversion et à la libération. La communauté qui inculturent le message évangélique est sauvée par et dans le processus dialogal de l’inculturation. L’inculturation est une théologie du salut qui vient du Christ. Elle est une sotériologie conformément à son fondement dans l’incarnation et la pâques du Seigneur. Comme il vient d’être dit, certains documents du Synode Africain identifient Jésus avec le dialogue. Par cette identification/identité stricte le dialogue devient lui-même égal au salut. La logique poursuit son chemin, car le MSA, pour sa part, identifie le Sauveur avec la justice et la paix[304]. Par ce détour, il y a convertibilité entre dialogue, salut, justice et paix en la personne de Jésus. C’est parce que la justice et la paix sont l’épiphanie du Royaume de Dieu dont le Sauveur est le trésor que l’engagement social pour la justice et la paix devient le Signe du Royaume. Par conséquent, l’inculturation implique nécessairement la libération sociale. L’inculturation est un dialogue de libération. Pour le Synode Africain, c’est au cœur de l’inculturation entendue comme dialogue de salut que la libération se comprend. La libération ne complète pas l’inculturation parce qu’en fait cette dernière la porte en se déployant comme théologie du dialogue sotériologique. Une des très fortes convictions du Synode est sans doute l’affirmation selon laquelle l’inculturation est un dialogue de sainteté[305]. Cette sainteté est diversement comprise : comme effet de la grâce du Verbe dans l’être humain ; comme reproduction de la filiation du Verbe en l’être humain ; comme don et inhabitation de l’Esprit-Saint dans l’être humain, sa société et sa culture ; comme référence absolue au Père ; enfin, comme participation à la vie de toute la Trinité. Cette sainteté a aussi son exemplarité dans l’Église[306] et la Sainte Famille. La pluralité de significations que possède le thème de l’inculturation a pour visée de montrer que la vérité de l’inculturation est Dieu lui-même.
Pour cette raison, l’inculturation est théologie et ne relève que de celle-ci. L’inculturation n’est pas une action athée ni laïque. Elle est œuvre de Dieu dans cette histoire. L’inculturation est la réponse qualifiée et qualitative de l’être humain situé dans sa communauté à l’œuvre de Dieu qui transforme cette histoire en sa cité céleste. Par l’inculturation, l’être humain collabore et participe à la sainteté des hypostases divines. L’action de l’être humain dans l’inculturation est toujours déjà une réponse à l’initiative du Dieu saint. L’inculturation est la manifestation historique de la présence continuelle à la fois commune et différentielle des hypostases divines. L’inculturation devient ici l’espace ecclésial d’écoute de la Trinité économique qui sanctifie toute sa création. C’est à base de cette contemplation de l’action de Dieu dans son Royaume que le Synode est arrivé à affirmer que l’inculturation est un dialogue d’amour.
Le Synode veut sans doute nous dire que « Dieu est Amour ». C’est biblique. En plus, il veut dire que la tâche principale de la théologie et de la pastorale africaines consiste désormais dans le fait de dévoiler ce Dieu est Amour dans la fragilité de la famille clanique africaine. L’inculturation est une herméneutique chrétienne de l’amour familial africain sous la lumière de « Dieu est Amour ». Cette herméneutique est prophétique parce qu’évite de faire croire que tout « amour est Dieu ». En tant que dialogue d’amour, l’inculturation a pour paradigme herméneutique le « merveilleux échange »[307], non seulement avec Dieu, mais aussi avec toute l’humanité. C’est par un tel échange, vraiment merveilleux, que l’inculturation est un dialogue doxologique, d’une doxologie trinitaire. Le Synode exprime cette vérité de cette manière : « A cette heure de singulière bienveillance céleste pour la terre d’Afrique […], tout notre être n’est qu’un cri de joie et de reconnaissance au Dieu vivant […] : Au Père dont nous sommes la Famille ; Au Fils dont nous sommes la fraternité victorieuse de la haine fratricide ; A l’Esprit d’amour qui nous façonne à l’Image de la Trinité Sainte » (MSA, 3). L’inculturation est un dialogue d’action de grâce qui exige une épistémologie spécifique parce que son ‘‘objet’’ est la Trinité identique au Dieu vivant. Pour dire tout, l’inculturation est la contemplation pratique de la Trinité comme le Dieu vivant.
[1] Ces différents documents sont cités d’après l’édition de NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Le Synode Africain (1994). Un appel à la Conversion et à l’Espérance, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1995.
[2] Libreria Editrice Vaticana, Cité du Vatican, 1995.
[3] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 69, RI ; nº 1.
[4] Ibidem.
[5] Ibid., p. 70 ; RI, nº 1.
[6] Ibid., p. 71 ; RI, nº 2. Voir aussi Ibid., p. 73-74 ; RI, 4 : « L’Eglise fait partie de cette société en détresse. Dans ces conditions tragiques, elle doit accomplir sa mission qui consiste à offrir à nos peuples la Bonne Nouvelle de la Rédemption du Christ, et être le sacrement, le signe et l’instrument du Royaume de Dieu dans notre continent ». Souligné dans le texte ; Ibid., p. 88-90 ; RI, nº 26-28 et RI, nº 29 : « Il y a aussi la tragédie des guerres fratricides et des conflits en des nombreux endroits de notre continent ».
[7] Ibidem.
[8] Cette affirmation est très importante car, elle corrige une des limites de l’ecclésiologie du « Peuple de Dieu » défendue par le Concile Vatican II. Lire, DUPUIS, J., La teologia nel contesto del pluralismo regioso. Metodo, problemi e prospettive, dans AMATO, A. (a cura di), Trinità in contesto, Roma, Las, 1994, p. 127-150, p. 149 : « Il est connu que l’introduction, dans Lumen Gentium, d’un chapitre intitulé “Le Peuple de Dieu” a transformé l’ecclésiologie du Concile, substituant le modèle pyramidale de l’Église avec le modèle circulaire ou concentrique selon lequel, nonobstant la diversité des fonctions et des responsabilités, tous les membres constituent, ensemble, le corps ecclésial dans son unité de base. Tout en reconnaissant les mérites de ce concept et du rôle qu’il a joué dans l’évolution de l’ecclésiologie postconciliaire, nous devons aussi admettre qu’il ne cesse de poser des problèmes dans le cadre d’une théologie ‘‘inter-religieux’’. Si l’Église s’identifie avec le Peuple de Dieu – ou même, comme nous l’avons dit précédemment, avec le ‘‘nouveau Peuple de Dieu’’ par rapport à l’antique que fut Israël – qu’en sera-t-il des autres peuples ? L’Église doit, peut-il revendiquer pour elle seule le privilège, exclusif, de l’élection divine ? L’ecclésiologie du Peuple de Dieu ne risque-t-elle pas peut-être de particulariser l’élection divine au moment où le mouvement qu’il portait en lui le Nouveau Testament était porté vers l’universalisme ? Nous devrions peut-être parler ‘‘des peuples élus (W. Bühlmann), ou encore, au singulier, du Peuple de Dieu formé par toute l’humanité, sachant qu’il existe beaucoup de modes d’être incorporés, soit à l’intérieur de l’Église, soit à l’extérieur de celle-ci ».
[9] Cite CONCILE OECUMENIQUE VATICAN II, Lumen Gentium, 18. Lire aussi, CHEZA, M., Le Synode Africain et Vatican II, dans Revue Africaine de Théologie 14, 27-28 (1990), p. 243-300. Cette étude prévoit des points du Concile qui constitueraient les sources possibles pour le futur Synode.
[10] Ibid. ,p. 72 ; RI, nº 3.
[11] Ibid., p. 73 ; RI, nº 4.
[12] Ibid., p. 77-78 ; RI, nº 8.
[13] Ibid., p. 78-81 ; RI, nº 8-15.
[14] Ibid., p. 82 ; RI, nº 16.
[15] Ibidem.
[16] Ibid., p. 93 ; RI, nº 34.
[17] Pour la présentation des IP des Pères synodaux qui mettent un lien essentiel entre la Trinité et l’ecclésiologie, je suis les documents rassemblés par CHEZA, M. (éd.), Le Synode Africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996, p. 52-177.
[18] Ibid., p. 51.
[19] Comp. RALIBERA, R., Théologien-prêtre africain et développement de la culture négro-africaine, dans Présence Africaine 2, 27-28 (1959), p. 154-187, p. 168 : « Dieu lui-même est la source du Fihavanana [famille – amitié], il établit entre lui et nous un Fihavanana dans le sens le plus strict, celui dans lequel il est notre Rayamandreny [père et mère] et nous ses Zanaka (fils et filles) : ceci est le dogme chrétien fondamental de notre filiation divine. Dieu est donc notre Rayamandreny ayant pour nous l’affection d’une mère et la sollicitude d’un père (Rayamandreny exprime ce que pour un Juif évoque Abba, Pater). Dieu est lui-même Fihavanana (Dieu le Père – Jésus son Fils – le Saint-Esprit, le Fihavanana du Père et du Fils, relation subsistante, troisième personne de la Trinité). Jésus est notre Zoky (notre frère aîné). L’Église que le Christ est venu fonder est ce Fianakaviana [famille clanique] de tous les Fils de Dieu. On comprend qu’elle ne peut-être divisée ; on ne divise pas une famille. Toute la loi chrétienne se réusme dans la pratique intégrale de la Fihavanana dont les dimensions sont élargies de façon inouïe : Fihavanana avec Dieu, Fihavanana avec tous les hommes (ceux du passé, ceux des autres pays, ceux de l’avenir) : cette notion de Fihavanana-Fianakaviana utilisée ici peut ouvrir de très vastes perspectives pour la compréhension du dogme du Corps mystique, de la solidarité humaine dans le bien et dans le mal et jusqu’au culte des saints. Le bonheur du paradis est conçu principalement comme la réalisation parfaite du Fiavanana, ou comme la perfection du Fianakaviana (famille), donc continuation et perfection du Fihavanana et du Fianakaviana commecés ici-bas, etc. ». Cependant, des telles idées ont aussi été défendues par Mulago depuis 1956 dans Annali Lateranensi, 20 (1956), p. 61-263. Son étude sur Un visage africain du christianisme. L’unité vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale, Paris, Présence Africaine, 1965 se sert justement des valeurs positives des clans et des organisations sociales africaines qu’il met en relation de corrélation avec le mystère de l’Église. Voici ce qu’il affirme à la page 194 de ce livre : « Le Christ, comme Chef de l’humanité régénéré, comme Fondateur et Chef du ‘Clan’ ecclésial, du Corps mystique, n’est complet qu’avec ses membres, tout comme analogiquement, un fondateur du clan, un père de famille, un mwami [roi], ne peuvent se concevoir séparés de leur clan, de leur famille, de leur royaume ». C’est la même théologie qui revient dans La solidarité Africaine et coresponsabilité chrétienne à la lumière de Vatican II, dans AAVV., Foi Chrétienne et langage humain, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, 1978, p. 86-154, où l’A. applique explicitement l’analogie de la famille africaine (Jamaa) à la Trinité (p. 127) et à l’Église (wajamaa), Corps mystique du Christ (p. 128).
[20] Ibid., p. 136-138. Cette intervention porte ce titre « Église-famille ».
[21] DUJARIER, M., Église-Fraternité, I, Paris, Cerf, 1991 ; ID., L’Église-Fraternité chez les Pères de l’Église, dans AA.VV., Église-Famille ; Église-Fraternité. Perspectives Post-synodales, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1997, p. 213-221 ; dans le même livre, NTEDIKA Konde, J. (Mgr), L’Église-Famille chez les Pères de l’Église, p. 223-237. Lire aussi, YANAGO, B., Église-Famille au Burkina Faso, Institut Catholique de l’Afrique l’Ouest, 1991 (thèse de doctorat) ; AGOSSOU Medewale, J., Christianisme africain : une fraternité au-delà de l’ethnie, Paris, 1987 ; KABASELE Lumbala, F., Ressorts et perspectives d’une ‘‘Église-famille’’ en Afrique, dans Revue Africaine des Sciences de Mission 2 (1995), p. 19-28.
[22] Voir, SANON TITIANMA, A. et LUNEAU, R., Enraciner l’évangile. Initiations africaines et pédagogies de la foi, Paris, Cerf, 1982 ; SANON TITIANMA, A., Religion et spiritualité africaine. La quête spirituelle de l’humanité africaine, dans CRA 24, 47 (1990), p. 37-54 ; ID., Christ, Maître d’initiation, dans KABASELE, F., DORE, J. et LUNEAU, R., Chemins de la christologie africaine, Paris, Desclée, 20012, p. 145-165.
[23] Plus d’explications dans DE HAES, R., L’Église comme communion selon Vatican II, dans AA.VV., Église-Famille…, p. 255-264.
[24] Comp. avec son article, Christologie au village, dans KABASELE, F., DORE, J., LUNEAU, R., o.c., p. 79-111.
[25] Cette intervention s’intitule « Églises particulières ». CHEZA, M., Le Synode Africain, p. 138-139. Lire aussi, NDONGALA, I.M.M., Pour des Églises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999.
[26] Ibid., p. 93-95. Titre de l’intervention « Inculturation, défi de la sainteté ».
[27] RAZAFINDRADANDRA, A. (Mgr), Réflexion théologique sur une coutume malgache, dans CHEZA, M. (éd.), o.c., p. 110-111.
[28] Comme je viens de le dire, ce concept malgache (Fihavanana) avait servi à l’élaboration d’un des premiers essais négro-africains de la théologie trinitaire. Il l’a été aussi dans la recherche systématique d’une catéchèse en malgache. Lire, RALIBERA, R., a.c. A la p. 156, le jésuite malgache donne le contenu anthropologique de Fihavanana en terme de la « parenté-amitié ». A la page 166, il ajoute un autre élément « Fihavanana est parenté, amitié et bonne relation ». Cette notion est, enfin, strictement identifiée à la personne de l’Esprit-Saint aux pages 168, 174-175, 183-184.
[29] Comp. RALIBERA, R., a. c., p. 167 : « Les notions corrélatives à la Fihavanana : Fianakaviana (famille), Rayamandreny (père et mère), Zoky (frère aîné), Zandry (frère cadet) sont aussi chargées de vie, car elles expriment des réalités vécues et qui ont marqué la psychologie de tout Malgache. Le mot Fianakaviana signifie famille au sens large : non seulement la société formée par le père, la mère et les enfants (cette société, il est intéressant de le noter, n’a pas de dénomination spéciale en malgache), mais s’étend jusqu’aux parents les plus éloignés par alliance. Les mots cousins, cousines, sont traduits dans le langage courant par ‘‘frères’’, ‘‘sœurs’’. Il faut d’autres explications pour distinguer les frères des cousins, des sœurs et des cousines, les oncles et les tantes des cousines et des cousines du père et de la mère… L’ami le plus chair mérite qu’on le compare à Havana (parent). Le mot Rayamandreny (père et mère) est attribué à quiconque vous aime et s’occupe de vous avec amour. Ce terme évoque à la fois l’affection tendre de la mère et la sollicitude efficace du père ; on attribue ainsi à la seule personne la somme d’affection du père et de la mère. Un ami plein d’affection se voit aussi comparé au Zoky ou au Zandry, termes qui expriment à la fois le lien de sang et l’affection la plus grande entre deux frères ou deux sœurs ». Je souligne.
[30] Ces affirmations ont été déjà faites par MULAGO, V., Un visage africain du christianisme, p. 159.
[31] A partir d’ici l’A. n’écrit plus Fihavana, mais Fihavanana.
[32] Ce travail a été initié par RALIBERA, R., a.c., p. 177-187 sous le titre de « Quelques points de la doctrine chrétienne expliquée à des Malgaches selon des catégories familières aux Malgaches ». CONFERENCE EPISCOPALE DU CONGO, Nouvelle Evangélisation et Catéchèse dans la perspective de l’Église Famille de Dieu en Afrique, Éd. Secrétariat Général de la CENC, Kinshasa, 2000.
[33] Ce texte est, aux dires de CHEZA, M., o.c., p. 179-180, problématique. En effet, il a des versions qui ne coïncident pas exactement entre eux (Documentation Catholique, 2095, 5 juin 1994, p. 523-525) et Renaître 3, 12-13, 30 juin 1994, p. 15-26). La version que j’analyse, c’est-à-dire, celle donnée par Mgr. Ntedika, n’est pas en tout identique à celle de Renaître, reprise par Maurice Cheza. Dans la version de Renaître, il y a ce paragraphe à signaler : « Ce qui paraît clairement dans les interventions des pères synodaux, c’est le souci d’une évangélisation inculturée pour que naisse une Église inculturée. Et le modèle de cette Église est celui d’une Église-Communion, admirablement exprimé, en contexte africain, comme Église-Famille de Dieu. C’est autour de cette idée centrale que la proclamation de l’Évangile, en Afrique et à Madagascar, est vécue et va se structurer. Cette conception de l’Église-Famille de Dieu plonge ses racines dans les Saintes Écritures, mais elle a aussi ses racines anthropologiques dans les cultures africaines et malgaches. Tous les chrétiens sont nés d’en haut et forment une famille où Dieu est Père et le grand Ancêtre. Ainsi Dieu devient le point de référence absolue et dernière pour le chrétien africain et non plus sa tribu ou son ethnie » (paragraphe 3, p. 182). Voir aussi, CHEZA, M., o.c., p. 189 : « Il faut présenter l’Église comme la famille de Dieu. Trois arguments sont avancés : - tous les baptisés forment désormais une famille nouvelle dont Dieu est le père et l’Ancêtre suprême ; - tous sont liés par la même solidarité dans le destin ; - le lieu privilégié d’où doit surgir le sens de coresponsabilité. Il faut prévoir un ministère de la médiation, de l’arbitrage et de la réconciliation dans l’esprit d’une famille de Dieu ». Cette identification de Dieu, le Père avec l’Ancêtre est une reprise de la triadologie de Charles Nyamiti. Lire par exemple, NYAMITI, Ch., The Trinity from an African Ancestral Perspective, dans African Christian Studies (1996) 12, 4, p. 38-74.
[34] NTEDIKA Konde, J., o. c., p. 95.
[35] Ibid., p. 95-96.
[36] Dans la version de CHEZA, paragraphe 5 (p. 184), il est dit : « La famille africaine est la cellule vitale d’où émergent les modèles des expériences ecclésiales vécues en Afrique. Lieu de reproduction, de transmission et de protection de la vie, lieu d’apprentissage et d’intériorisation des valeurs culturelles, lieu de communion, de solidarité, d’entraide, de partage et d’accueil fraternels, lieu du vivre ensemble, la famille est la base existentielle de l’homme en société. Elle est le lieu d’une humanité, dans la solution à apporter aux problèmes des orphelins, des personnes âgées ou seules. Cet esprit familial, élargi à la communauté ecclésiale, est une base solide pour vivre concrètement la communion de l’Église-Famille de Dieu, peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint ».
[37] Ibid., p. 96.
[38] Comp., PARRAT, J., Reinventing Christianity. African Theology Today, Trenton, New Jersey, Africa Work Press, 1995, p. 92-98. La présentation de la théologie de la participation vitale de Mulago par cet auteur consolide l’idée selon laquelle, en réalité, le Synode Africain assume l’ecclésiologie du premier théologien congolais.
[39] Ibid., p. 97. Reprise évidente de RAZAFINDRADANDRA, A. (Mgr), art. cit. Chez CHEZA, M., o.c., p. 189.
[40] NTEDIKA Konde, J., o.c., p. 98. Reprise évidente de l’IP de Mgr Monsengwo.
[41] AUGUSTIN, De Civ. Dei, XI, 24.
[42] NTEDIKA Konde, J., o.c., p. 103. Dans l’éd. de Maurice CHEZA, ces informations sont données au début de son livre sous le titre de « Repères chronologiques (p. 21-24) ». En ce qui concerne les informations sur les interventions en carrefours, voir page 23.
[43] Ibid., p. 104; RCFA, nº 2. C’est dans ce groupe que se trouvaient J.M. Cisse, B. Gantin, E.-J., Penoukou, A.T., Sanon. La reprise du thème de la sainteté (Monsengwo) est donc à noter. Le développement pneumatologique du thème devient ainsi une explicitation de l’IP de l’archevêque de Kisangani.
[44] Ibid., p. 106.
[45] Ibid., p. 107. L. Monsengwo Pasinya, F. Ngabu, P. Poupard, Th. Saar, H. Thiandoum et J. Zoa appartiennent à ce groupe. L’IP de Mgr Jean Zoa « Le Synode doit ‘ausculter’ l’Afrique » [dans CHEZA, M., o.c, p. 54-55] aura une forte répercussion dans l’Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa (EIA, 41), dans son utilisation de l’analogie entre l’Afrique et l’infortuné aidé par le Bon Samaritain (Lc 10, 29-37). Pour une étude détaillée de cette analogie et son impact systématique lire, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., La doctrine du salut au Synode Africain. Sotériologie du Message du Synode Africain et d’Ecclesia In Africa, dans RASM 13 (2000), p. 25-58, p. 49-51.
[46] Remarquer que la christologie initiatique est un des éléments essentiels de l’IP de Mgr Sanon.
[47] Ce thème a été développé par Mgr. NGABU, F., Évangéliser dans un contexte conflictuel, dans CHEZA, M., o.c., p. 70-72, p. 72 : « L’évangélisation est une initiation à l’école de la vie par le Maître, Jésus-Christ ; les envoyés de Jésus doivent être à leur tour des « maîtres », témoins crédibles et convaincants par leur propre référence existentielle et vécue ». Je souligne.
[48] Ibidem ; RCFC, nº 1.
[49] Ibid., p. 107-108; RCFC, nº 2. Il est curieux que ce groupe ne parle pas dans le miracle de la Pentecôte de la personne de l’Esprit-Saint et de son action. Au contraire, l’événement est interprété en termes strictement christologiques, sotériologiques et ecclésiologiques. Il y a ici, sans moindre doute, un vide pneumatologique.
[50] Ibid., p. 110. Etaient membres du groupe, entre autres, J. Ratzinger, P. Zoungrana et C. Wiygan Tumi.
[51] Ibidem : “La personne vivante de Jésus-Christ doit être au cœur de l’évangélisation en Afrique d’aujourd’hui. Il faut montrer à tous la dimension historique du salut accomplit dans le Christ et il faut aider les chrétiens à découvrir en lui comme l’ancêtre fondateur du peuple qu’ils constituent ». Lire à propos du « Christ Ancêtre » fondateur et « Frère-Aîné », KABASELE, F., Christ comme Ancêtre et Aîné, dans KABASELE, F., DORE, J. et LUNEAU, R., o.c., p. 131-143 ; NYAMITI, Ch., The Church as Organ of Christ’s Ancestral Mediation, dans RAT 15, 30 (1991), 195-212.
[52] Comp. MAGESA, L., Ecclesiologia, dans FABELLA, V. – SUGIRTHARAJAH, R.S. (édd.), Dizionario delle teologie del Terzo Mondo, Brescia, Queriniana, 2004, p. 144-145, p. 145 : « En 1994, le Synode Africain des évêques catholiques, qui s’est tenu à Rome, a proposé comme modèle la famille, définissant l’Église la “famille de Dieu”. Le Synode a, de fait, synthétisé et adopté la vision des théologiens catholiques africains qui, pour définir l’Église africaine, adoptent les symboles et les analogies comme ‘‘clan’’, parenté, ‘‘descendance’’, ‘‘relation’’ ou solidarité et communion. La Sainte Trinité, entendue comme vie de communion et de communauté, est analogique à la vie de communion et de communauté qui existe en Afrique traditionnelle entre les vivants, les personnes récemment décédées et les Ancêtres. Pour les ecclésiologues catholiques africains cette conception de la Trinité est un paradigme de la conception de la nature de l’Église. La participation à la vie des vivants, des personnes qui viennent de mourir, des Ancêtres et de ceux qui naîtront devient ainsi un élément fondamental de l’ecclésiologie catholique ».
[53] Ibidem. Je souligne.
[54] Ibid., p. 112.
[55] Ibidem; RCFE, nº 1 et 2.
[56] Ibid., p. 73; RI, nº 4.
[57] Ibid., p. 114. Pour comprendre l’importance de ces affirmations, il convient de les comparer avec le RS. Ibid., p. 96 : « Ces petites communautés chrétiennes ont à faire face à certains problèmes particuliers, comme par exemple le fait que les gens aient à passer par trois célébrations du mariage [ancestrale, civile et chrétienne], que des situations familiales particulières excluent certains fidèles des sacrements (comme du Baptême ou de l’Eucharistie par exemple), qu’il est nécessaire de créer de nouveaux ministères pour les laïcs. Il faut également que ces communautés puissent se propager de façon autonome, tout en restant dans la communion et la solidarité de leur Eglise ». Je souligne.
[58] L’histoire de l’évangélisation de la R D Congo montre comment depuis 1961, lors du VIe Assemblée Plénière de l’Episcopat, le concept de CEV prend beaucoup de significations. D’abord, la CEV est considérée comme l’équivalent de l’Église locale (diocèse). La CEV se réalise aussi dans la paroisse. Ce n’est qu’en 1969 (IXe Assemblée Plénière) que les CEV prennent la dimension des petites communautés à taille humaine. En 1977, lors de la XIIIe Assemblée plénière « Les CEV deviennent petit à petit le lieu ordinaire de la vie quotidienne des chrétiens et la paroisse se présente comme la communion des CEV ». Lire, CONFERENCE EPISCOPALE DU ZAÏRE, Les Évêques du Zaïre en visite ‘‘ad limina’’ 18-30 avril 1988. Problèmes pastoraux et échange de Discours, Kinshasa, Secrétariat Général de la CEZ, 1988, p. 13-17. En plus, en Rép. Dém. du Congo, les CEV sont expressément appelées ‘‘communion, alliance positive’’ (omulungano) au Bukavu et ‘‘ensemble d’amour ou communauté d’amour’’ (kinvuka ya lutondo). Lire, MULAGO gwa Cikala, M., Solidarité africaine et corresponsabilité chrétienne à la lumière de Vatican II, dans AA.VV., Foi chrétienne et langage humain, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1981, p. 86-134, p. 129-132 ; MAMESA, P., La mission dans une communauté ecclésiale vivante cas du diocèse d’Idiofa, dans RASM 8 (1998), p. 58-73, p. 59.
[59] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 20. Compléter avec AA.VV., Ministères et services, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1979 ; KISIMBA Nyembo, L’Église-Famille et ministères, dans AA.VV., Église-Famille ; Église-Fraternité. Perspectives post-synodales, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1997, p. 265-283 ; MALOLO Massamba, F. (éd.), Diversité et unité. Des ministères dans l’Église famille de Dieu, Kinshasa, Signes des Temps, 2000.
[60] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 115.
[61] Ibid., p. 118.
[62] Ibidem; RCAB, nº 2. Je souligne.
[63] Ibidem; RCAB, nº 3.
[64] Ibid., p. 120.
[65] Ibidem.
[66] Ibid., p. 122.
[67] Ibidem.
[68] Ibid., p. 123. Je souligne.
[69] Ibidem.
[70] Ibidem.
[71] Ibid., p. 124.
[72] Ibidem.
[73] MALOLO Massamba, F., Les nouveaux ministères selon Ecclesia in Africa. De l’Instrumentum laboris à l’Exhortation Post-Synodale, dans MALOLO Massamba, F. (éd.), Diversité et unité, p. 59-71, p. 66-71 ; SANTEDI, L., (éd.), L’avenir des ministres laïcs. Enjeux ecclésiologiques et perspectives pastorales, Kinshasa, Ed. Signes de Temps, 1997 ; DE HAES, R., Des ministères pour une église locale, dans AA.VV., Quelle Église pour l’Afrique du troisième millénaire ? Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1991, p. 213-222 ; ID., Église locale et ministères laïcs, dans Revue Africaine de Théologie (RAT) 12, 23-24 (1988), p. 109-120. ID., Images, promesses et défis de l’Église de Kinshasa à la lumière du synode diocésain, dans RAT 11, 22 (1987), p. 165-177 ; de SAINT MOULIN, L., Qu’ont apporté les ministères laïcs à l’Église de Kinshasa ?, dans RAT 17, 33 (1993), p. 99-116.
[74] Par exemple, les PSA, 48 parlent des ministères pour femmes, en revanche, l’EIA, 121 n’en parlera plus. Lire aussi, CHEZA, M., Le Synode africain et l’exhortation Ecclesia in Africa, dans Revue Théologique de Louvain 27 (1996), p. 200-214, p. 211-212.
[75] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 127.
[76] Ibid., p. 127-128; RCI, nº 1. Je souligne.
[77] Comp. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., La Trinité immanente et la Trinité économique dans d’Yves Congar, Rome, PUG, 1998, p. 285-307 (chap. VII : L’Église). Chez Yves Congar, cette question du lien entre l’Église de Trinitate et l’Église ex hominibus, trouve également son équilibre dans l’analogie de l’incarnation. Donc, dans la pensée de Congar, il est absolument impossible qu’il existe une opposition entre l’Ecclesia de Trinitate et l’Ecclesia ex hominibus, de même que l’on ne peut opposer les natures divines et humaines dans le mystère de l’Incarnation. Cette théologie d’Yves Congar a été assumée par le Concile Vatican II tant dans ce qui concerne le fondement trinitaire de l’Église (LG 2-4, 9 ; Ad Gentes, 2-4 ; UR, 2) que dans son analogie avec l’Incarnation (LG 7-8 ; 13, 16-17 ; Ad Gentes, 7) ; Plus de détails, SEMARARO, M., Yves Congar e il rinnovamento della ecclesiologia, dans Communio 142 (1995), p. 28-38. Lire surtout, p. 29-30 : « L’Église dont parle Congar est, prioritairement, Ecclesia de Trinitate, liée, pour ce motif, à l’initiative divine et expression de la pure grâce du Dieu Trine. Ayant, cependant, dans l’histoire une forme humaine, de l’Église l’on parlera aussi qu’elle est Ecclesia ex hominibus, c’est-à-dire résultat de la réponse humaine, une réponse qui est, en quelque sorte, connaturelle à l’assomption d’une forme sociétaire, étant donné que l’homme est toujours un vivant qui demeure dans une polis. L’Église décrite par Congar est, donc, formée d’en haut et d’en bas, c’est-à-dire, du don de Dieu et des actions des hommes ». Voir aussi DE HAES, R., L’Église est-elle une démocratie ?, dans AA.VV., Églises et démocratisation en Afrique, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p. 241-252, p. 246 : « Toutefois, tout en étant mystère, communion et icône de la Trinité, l’Église est aussi une réalité sociale présente dans le monde et s’exprimant selon des expériences situées et inculturées avec les structures et les déterminismes qu’elles impliquent. La révélation de salut de Dieu en Jésus-Christ qui nous est offerte dans et par l’expérience chrétienne ecclésiale est certes une grâce, un don gratuit de Dieu, mais ce don est médiatisé par et dans les structures d’expériences historiques relatives et provisoires. Séparer ces deux éléments et dissoudre leur tension dialectique c’est scinder le mystère de l’Église sur un mode gnostique ou dualiste en une Église ‘‘céleste’’, désincarnée, à l’écart de toute approche sociologique, et en une Église ‘‘terrestre’’ dont la critique des sciences humaines auraient le droit de s’occuper. Vatican II s’est radicalement opposé à un tel dualisme quand il déclare : ‘‘l’Église de la terre et l’Église si riche de biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux réalités (LG, 8) ». Il n’est donc pas erroné de parler d’un processus d’élaboration d’Église ex hominibus, car celui-ci est le résultat d’une rencontre d’amour entre Dieu et l’humanité. Voir, KABASELE Lumbala, F., Processus d’élaboration d’Église au Zaïre. Chances réciproques d’une rencontre, dans Concilium 251 (1994), p. 73-82. La raison de manque d’opposition entre l’Ecclesia ex hominibus et l’Ecclesia de Trinitate est le manque d’opposition nécessaire entre Dieu, sa grâce et son initiative gratuite d’une part et de l’autre, l’être humain, sa société et sa réponse à Dieu. En effet, le fait d’être une personne humaine, de vivre dans une société et de répondre à partir de là à l’appel de Dieu constituent aussi une grâce divine. L’Église est une seule réalité complexe (LG 8) dans laquelle il nous est difficile de faire une nette séparation entre le ius divinum et le ius humanum. En effet, dans la loi humaine il y a inspiration de l’Esprit-Saint. Refuser l’Ecclesia ex hominibus, c’est en fait rejeter le caractère sociétaire, institutionnel, historique et donc rejeter son appel à la rénovation permanente dans l’Esprit-Saint. Lire, PIÉ-NINOT, S., Introduzione alla Ecclesiologia, Casale Monferrato, 1994, p. 38-42 ; 49. Refuser l’Ecclesia ex hominibus, c’est mettre l’Église au dessus des Écritures qui elles admettent à la fois l’inspiration divine et l’élément humain (DV, 13). C’est en fait rejeter l’enseignement du Concile Vatican II (LG, 9). Celui-ci admet le caractère processuel de l’Église comme institution (LG 2-5). Lire aussi, PIÉ-NINOT, S., o.c., p. 56-58.
[78] Une autre affirmation christologique est à faire ici pour montrer qu’il y a un fondement et une origine anthropologiques. Il faut prendre pour point de départ, l’image de la naissance de l’Église du côte du Crucifié, en analogie avec la provenance d’Eve du côte d’Adam (AMBROISE, In Psal. 36, 37, dans PL 14, 986 ; Epist. 76, 3 s, dans PL 16, 1260 ; AUGUSTIN, In Ioh. Tract, IX 2, 10 ; XV 4, 8 ; CXX 19, 2, dans PL 35, 1463, 1513, 1959 ; Concile de Vienne de 1312, DS 901). L’importance de cette analogie tient au fait que l’Église a son origine et son fondement de l’humanité de Jésus, de même qu’Eve l’avait d’Adam. Ici l’on ne vise pas directement le Logos, qui en tant que Verbe immanent et même spermatique, n’a pas de côte.
[79] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 129; RCI, nº 2.
[80] Ibid., p. 128; RCI, nº 1.
[81] CHEZA, M., o.c., p. 24.
[82] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 132.
[83] Ibidem.
[84] Ibid., p. 133. Je souligne. Il est à noter la raison esthétique de l’ecclésiologie dans et par l’inculturation. Ce motif n’est pas folklorique dans la mesure où, pour ce groupe, Dieu lui-même est saisi dans la même perspective. « Pour une âme africaine, Dieu est une fête. L’évangélisation doit lui être présentée comme une cérémonie joyeuse, remplie d’allégresse ». Souligné par moi.
[85] Ibidem.
[86] Ibidem.
[87] Ibidem. Le danger majeur que l’on veut éviter, c’est la dérive des CEV en sectes. Lire à cet effet, AA.VV., Sectes, cultures et sociétés. Enjeux spirituals du temps présent, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994.
[88] Ibid., p. 139. Le texte de CHEZA, M., o.c., p. 241-268, diffère de celui de l’éd. de Mgr Ntedika.
[89] Ibid., p. 140-141 ; PSA, nº 2 et 3.
[90] Ibid., p. 141; PSA, nº 4.
[91] Ibidem. ; PSA, nº 5.
[92] Ibidem.
[93] Ibid., p. 142 ; PSA, nº 7.
[94] Position défendue par le Carrefour Italien (Ibid., p. 127-128). Pour les membres du groupe Ibid., p. 261-262.
[95] C’est l’argument du Carrefour Anglais A (Ibid., p. 114) dont le rapporteur était S. Exc. Mgr. Gabriel Gonsum GANAKA, archevêque de Jos au Nigeria.
[96] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 143 ; PSA, nº 8. Il faut observer ici le vocabulaire théologique. Désormais, en des moments stratégiques du discours l’on insiste sur l’Église comme famille. Il n’y a plus de trait d’union entre l’Église et la famille. Ce n’est qu’à la fin de la proposition qu’on laisse un espace à l’ecclésiologie du trait d’union. Dit d’une autre manière, ce qui est accepté comme doctrine c’est celle représentée par l’expression « Eglise comme famille ». En revanche, l’Église-Famille » n’est admise que comme matière de recherche future.
[97] Ibid., p. 143-144 ; PSA, nº 9.
[98] Il est à noter que Dei Verbum 4, ne parle pas de « l’Esprit-Saint ouvrier ». Le Concile parle plutôt de l’envoi de l’Esprit de vérité par Jésus ressuscité en vue d’achever et de compléter la révélation, la confirmer en montrant que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher des péchés.
[99] Ibid., p. 145 ; PSA, nº 11.
[100] Ibid., p. 154-155 ; PSA, nº 28.
[101] Ibid., p. 155 ; PSA, nº 30.
[102] Ibid., p. 156 ; PSA, nº 32.
[103] Ibid., p. 172 ; PSA, nº 64.
[104] CONGAR, Y., La Parole et le Souffle, Paris, Desclée, 1984.
[105] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 173. Tandis que Mgr Ntedika suit, dans sa présentation des PSA (5 mai) et du MSA (6 mai), l’évolution chronologique des faits, Maurice CHEZA, voudrait donner au lecteur l’opportunité de comparer les PSA avec Ecclesia in Africa. Pour cette raison, il place les PSA (p. 239-268) après le MSA (p. 217-237). Voici le jugement de l’A. sur le MSA : « Ce texte laisse une impression assez mélangée. On aimerait connaître les circonstances pratiques de sa rédaction. La clarté de son plan n’apparaît pas immédiatement. Il semble bien que les anglophones auraient souhaité un texte court, enlevé, prophétique. Celui qui a été voté traite de beaucoup de choses, les unes de manière forte, les autres de manière plutôt banale. Le thème de l’Église-Famille y occupe une place centrale. Ce concept théologique est riche et traditionnel : l’Église est le peuple des enfants de Dieu. En insistant sur ce thème, le Synode veut souligner que le tribalisme et les luttes ethniques doivent s’estomper devant l’appartenance à la famille divine. Mais, à quelle image de la famille se réfère-t-on ? A propos de ce thème, n’est-il pas difficile de distinguer ce qui est ‘‘naturel’’ et ce qui est ‘‘culturel’’ ? ». CHEZA, M., Le Synode africain et l’exhortation, p. 208.
[106] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 173-174; MSA, nº 1-2.
[107] Ibid., p. 174; MSA, nº 2.
[108] Voir aussi Ibidem.; MSA, nº 5 : « Et toi, Peuple de Dieu qui es en Afrique, à Madagascar, et dans les îles […] ».
[109] Ibid., p. 175; MSA, nº 3. Souligné dans le texte.
[110] Ibid., p. 192; MSA, nº 56 : “Vous [théologiens africains] avez déjà commencé à proposer des lectures africaines du mystère du Christ. les concepts d’Église-Famille et d’Église-Fraternité sont aussi des fruits de votre labeur au contact de l’expérience chrétienne du peuple de Dieu en Afrique ».
[111] DIOUF, J.-N. (Mgr), La nouvelle naissance dans le Prologue de Saint Jean (Jn 1, 11-13), dans AA.VV., L’Église-Famille et perspectives bibliques. Mélanges Paul Cardinal Zoungrana, Kinshasa, s.éd., 1999, 99-112.
[112] MONSENGWO Pasinya, L. (Mgr), L’ayant droit dans l’Écriture, dans AA.VV., L’Église-Famille et perspectives bibliques, p. 73-87.
[113] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 96-97. Il est à redire que c’est l’assomption de la théologie africaines des années 60. Comme nous venons de le voir, le Père Jésuite Malgache RALIBERA, R., a. c. avait suivi exactement le même schéma trinitaire. Le théologien congolais Mulago, père de la théologie africaine du XXe siècle, avait formulé ses essais de théologie trinitaire en partant de la Famille (Jamaa). Lire à titre d’exemple, MULAGO Gua Cikala, M., Un visage africain du christianisme. L’union vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale, Paris, Présence Africaine, 1965 ; ID., Le Problème d’une Théologie Africaine revu à la Lumière de Vatican II, dans RCA 24, 3-4 (1969), p. 277-314 ; ID., Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu, dans AA.VV., Des Prêtres noirs s’interrogent, Paris, Cerf, 1956, p. 19-40. L’Afrique anglophone part également de la Famille élargie (Ujamaa) pour élaborer sa triadologie. Lire, VÄHÄKANGS, M., African Approaches to the Trinity, dans Africa Theological Journal, 23, 2 (2000), p. 33-50, p. 39-41. L’on notera dans cette dernière étude, comment la triadologie africaine anglophone avait tenté de concilier l’utilisation socio-politique de la Famille avec la communion trinitaire.
[114] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 175; MSA, nº 7.
[115] Ibid., p. 174-175; MSA, nº 6.
[116] Ibid., p. 175; MSA, nº 9. Je souligne.
[117] Ibid., p. 176; MSA, nº 9.
[118] Ibidem.
[119] Ibidem : « L’Eglise d’Afrique […] doit plus que jamais se centrer sur le Christ et se remettre sous la mouvance de son Esprit qui achève en chacun et dans l’Eglise déjà constituée l’œuvre du Christ. Cet Esprit [du Christ] pousse [l’Église et ses membres] vers l’annonce à tous les peuples. Le recentrement sur l’expérience fondatrice [résurrection de Jésus] est la première raison de ce Synode ». Je souligne.
[120] Cette lacune se retrouvait déjà, comme je l’ai souligné, dans le Rapport du Carrefour Français C dans lequel la Pentecôte n’était saisie que comme un événement christologique, sotériologique et ecclésiologique. Ibid., p. 108; RCFC, nº 2.
[121] Ibid., p. 176-177; MSA, nº 10.
[122] Ibid., p. 178; MSA, nº 13.
[123] Ibidem; MSA, nº 14. Souligné dans le texte.
[124] Cf. Ibidem; MSA, nº 17 et Ibid., p. 156, PSA, nº 32 : « L’inculturation est un mouvement vers une évangélisation pleine. Elle cherche à préparer les personnes (pas la nature) à recevoir Jésus Christ de manière intégrale. Elle (l’inculturation) les investit au niveau personnel, culturel, économique et politique, de telle sorte qu’elles (les personnes) puissent vivre une vie sainte en totale union avec Dieu le Père, sous l’action de l’Esprit-Saint ». Je souligne. Cette proposition synodale est personnaliste. La sainteté de la personne humaine, sainteté qui l’unit avec le Père, est fonction de la personne et du dont de l’Esprit-Saint. Dans cette proposition, on parle de Jésus-Christ et non du Verbe. La christologie de cette proposition est ascendante.
[125] Ibid. p. 178; MSA, nº 15.
[126] Ibidem; MSA, nº 16. Je souligne.
[127] C’est la théologie de LG 16-17 ; AG 9, 11, 15.
[128] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 178; MSA, nº 17. Je souligne.
[129] Ibid., p. 191; MSA, nº 53-55.
[130] Ibid., p. 179; MSA, nº 20.
[131] Ibid., p. 143; PSA, nº 8.
[132] GALOT, J., L’Esprit Saint, personne de communion, Saint-Maur, Parole et Silence, 1997.
[133] Il est à noter que le texte parle de la foi au sens technique et non d’une conception ou d’une croyance, comme on le fait souvent dans les études religieuses et théologiques parlant de l’expérience africaine de Dieu.
[134] Ibid., p. 140; PSA, nº 4.
[135] Identifié avec la Trinité dans Ibid., p. 174; MSA, nº 4.
[136] Ibid., p. 180; MSA, nº 23.
[137] C’est une reprise évidente du début du document. Ibid., p. 173-174; MSA, nº 1-2.
[138] Lire aussi MONSENGWO Pasinya, L. (Mgr), L’ayant droit dans l’Écriture, p. 80-87.
[139] Se base sur l’expérience des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-35) évoquée au numéro 1 du MSA.
[140] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 181; MSA, nº 24. Souligné dans le texte. Etant donné que j’ai déjà analysé ce paragraphe à maintes reprises, dans cette étude, je ne peux qu’être bref. Voir, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., La doctrine du salut au Synode Africain. Sotériologie du Message du Synode et d’Ecclesia in Africa, dans RASM 13 (2000), p. 25-58, p. 28 ; ID., La Santísima Trinidad y el Matrimonio Afro-cristiano, Salamanca, Secretariado Trinitario, 2004, p. 66-75.
[141] C’est une reprise évidente du débat portant sur l’appartenance et le fondement anthropologique de l’Église-Famille. Que l’on se souvienne que le RI, nº3 (NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 72, ), le RS (Ibid., p. 96), le RCFD (Ibid., p. 110) défendaient la même idée que le MSA, nº 24. L’idée n’était pas admise par le RCI, nº 1 (Ibid., p. 127-128), le RCAA (Ibid., p. 113-114) et les PSA, nº 8 (Ibid., p. 143).
[142] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 181; MSA, nº 25.
[143] Voir, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Famille trinitaire et la guerre en Afrique. Méditation sur le numéro 25§ 1 du Message du Synode Africain, dans RASM 8 (1999), p. 30-53.
[144] Détails dans LIBAMBU, M.W., Création et Trinité chez Saint Augustin. Recherches sur les sources du De Civitate Dei XI. Rome, PUL. Institutum Patristicum Augustinianum, 2003.
[145] Comp. MULAGO, V., Le problème d’une théologie africaine, p. 305 : « Les Africains croient fermement qu’il a communion vitale ou lien de vie qui rend solidaires les membres d’une famille, d’un même clan. Le fait de naître dans une famille, un clan, une tribu nous plonge dans un courant vital spécifique, nous y ‘‘incorpore’’, nous façonne à la manière de cette communauté, modifie ontologiquement tout notre être et l’oriente à vivre et à se comporter à la façon de cette communauté. Ainsi, la famille, le clan, la tribu est un tout dont chaque membre n’est qu’une partie. Le même sang, la même vie participée par tous et reçue du premier ancêtre, fondateur du clan, circule dans toutes les veines. […] Chez les Bantu, pas plus qu’ailleurs, la communauté n’est pas l’effet d’une alliance ». Je souligne.
[146] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 182-183; MSA, nº 27. Je souligne.
[147] Il convient de relire cet extrait déjà cité de RALIBERA, R., a. c., p. 167 : « Le mot Fianakaviana signifie famille au sens le plus large: non seulement la société formée par le père, la mère et les enfants (cette société, il est intéressant de le noter, n’a pas une dénomination spéciale en malgache), mais s’étendent jusqu’aux parents les plus éloignés par alliance ». Je souligne.
[148] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o. c., p. 182; MSA, nº 26. En réalité, aucun être créé ne peut reproduire ni en lui-même ni pour et dans autrui la parfaite filiation du Christ pour son Père. Parce qu’il s’agit de la relation qui constitue le Père comme tel et le Fils comme Fils. La parfaite filiation du Christ est sa personne en tant qu’elle est Monogène. La reproduire, dans la création, serait faire d’une créature Dieu. Ceci me permet de dire que le langage employé ici relève plus de la spiritualité que de la dogmatique. Il veut exprimer la configuration humaine à l’ontologie divine.
[149] Ibidem.
[150] Comp. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Les Communautés Ecclésiales de Base et les valeurs africaines traditionnelles. Le propos d’une inculturation d’après les Actes du Synode diocésain de Kinshasa (1986-188), Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1995 ; ID., Valeurs africaines traditionnelles dans les C.E.B. d’après les actes du synode diocésain de Kinshasa (1988). Assomption ou rejet ?, dans CRA 24, 48 (1991), p. 19-34 ; de SAINT MOULAIN, L., Les CEB au Zaïre. Résultats d’une enquête, dans RAT 16, 32 (1992), p. 209-235.
[151] Voir aussi KISIMBA Nyembo, Communautés ecclésiales de Base et culture démocratique, dans AA.VV., Églises et démocratisation en Afrique, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p. 265-280.
[152] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Le Synode Africain, p. 183; MSA, nº 28.
[153] Ibid., p. 184; MSA, nº 31 : « Le Synode s’est largement penché sur les graves problèmes culturels, sociaux, économiques et politiques du continent, en ces années charnières et cruciales traversées d’incertitudes et de chaos, de convulsions et des soubresauts. Il voudrait redire à tous les fils et filles d’Afrique qu’au cœur de toutes ces tourmentes, l’espérance pour nous d’en sortir réside dans le Rédempteur de l’Homme qui nous donne son Esprit pour que nous nous prenions résolument en main ». Souligné dans le texte.
[154] Ibid., p. 184; MSA, nº 32.
[155] Ibid., p. 185; MSA, nº 35.
[156] Ibid., p. 183; MSA, nº 29.
[157] Ibid., p. 188-189; MSA, nº 44.
[158] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Le Synode Africain, p. 192; MSA, nº 57.
[159] Cette manière d’envisager la vocation du prêtre (Jésus-Christ) et du laïc/de la laïque (Esprit-Saint) est évidemment fonction de la théologie de beaucoup de documents du Synode qui parlent de l’Esprit-Saint en termes d’Agent, d’ouvrier du Christ dans l’évangélisation. C’est une manière d’interpréter la dépendance de la mission de l’Esprit-Saint à celle de Jésus-Christ dont les conséquences ecclésiologiques font de l’Église une société pyramidale, obstruant par là, l’éclosion factuelle et expérientielle de l’Église Communion. Cette théologie est pré-conciliaire. Elle se retrouve par exemple, chez CONGAR, Y., Vraie et Fausse réforme, Paris, Cerf, 1950, p. 474-475 ; Mystère du temple ou l’économie de la présence de Dieu à sa créature, de la Genèse à l’Apocalypse, Paris, Cerf, 1954, p. 137 ; La Pentecôte, Paris, Cerf, 1956, p. 104-106. Ce grand ecclésiologue du Concile Vatican II, considérait en ces années, l’Esprit-Saint comme « agent du Christ », son « moyen » et son « quasi-vicaire ». Détails dans MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Trinité immanente…, p. 350-352.
[160] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Le Synode Africain, p. 195; MSA, nº 68. Souligné dans le MSA. Lire aussi, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Le rôle de la femme dans l’Église-Famille, dans RASM 7 (1997), p. 42-54 ; MAGESA, L., Ecclesiologia, p. 145 : « En Afrique la théologie féministe n’a pas de difficulté, en principe, pour admettre le modèle de l’Église comme famille, mais avec une importante réserve : la conception de la famille en Afrique doit être purifiée des fortes connotations théoriques et structurelles traditionnellement patriarcales et hiérarchiques si l’on veut qu’elle soit le symbole adéquat d’une Église juste et non sexiste. La théologie féministe souligne que le concept de l’Église famille en Afrique doit reconnaître et intégrer en lui les droits humains, la dignité des femmes et des enfants » ; VUADI Vibila, Femmes et réflexion théologique. Vers une pratique ecclésiale émancipatrice (cas du Zaïre), Ammersbek bei Hamburg, Verlag an der Lottbek, 1997. L’A. force quelques fois la traduction pour prouver ses opinions dans la perspective de la théologie de lutte des genres. C’est le cas de la page 159 où l’A. traduit « Linzanza ebonga na langi, muasi abonga na mobali » par « une boîte est bien utilisée quand elle contient de la couleur, la femme l’est aussi quand elle a un homme) au lieu de « une boîte est belle quand elle est teinte d’une couleur, la femme l’est avec un homme ». Il n’y a rien d’utilitaire dans ce proverbe. L’on parle du motif esthétique qui relève plus, d’ailleurs, de la convenance que de la causalité. Pour prouver sa thèse, l’A. n’avait pas besoin de mal traduire le proverbe. Elle pouvait affirmer la beauté de la femme indépendamment de son lien avec l’homme. Vuadi Vibila traduit également « Lokumu ya muasi makuele [=makuela] » par « La valeur d’une femme, c’est le mariage » au lieu de « l’honneur/la bonne réputation de la femme, c’est le mariage » sous entendu pas la débauche (p. 159). L’A. traduit de manière très biaisée « lokumu/honneur ou la bonne réputation » par « la valeur ». Ici également, Vuadi n’avait pas besoin de traduire faussement le proverbe pour étayer sa thèse. Comp. NGALULA Tshianda, J., Le Christ allié de l’épanouissement humain. Foi des femmes africaines engagées dans la lutte pour la vie, dans KABASELE, F., DORE, J. et LUNEAU, R., o.c., p. 323-333 ; KABASELE Lumbala, F., Rencontre Nord-Sud, une graine d’Évangile, Kinshasa, Baobab, 1996, p. 76-87 ; KAYIBA, P. et MUZUMANGA, F., Femme blessée, femme libératrice dans l’Église-Famille, Kinshasa, Baobab, 1995 ; MBUYI Banza, Cl., Et la femme sauvera l’homme, Kinshasa, Baobab, 1994.
[161] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 196, MSA, nº 70
[162] Ibid., p. 196; MSA, nº 71.
[163] MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Marie et l’Église-Famille. Cantique marial du Synode et défis africains actuels, Kinshasa, Ed. Epervier, 1999.
[164] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), o.c., p. 196; MSA, nº 71.
[165] Ibid., p. 186; MSA, nº 36 : « Le Synode dénonce et condamne énergiquement toutes les volontés de puissance et toutes sortes d’intérêts ainsi que l’idolâtrie de l’ethnie qui conduisent à ces guerres fratricides : elles valent à l’Afrique la honte d’être le continent où se trouve le plus grand nombre de réfugiés et de déplacés ». Souligné dans le texte.
[166] Ibid., p. 184; MSA, nº 32.
[167] Ibid., p. 185; MSA, nº 33 et aussi nº 34 : « Le laïc engagé dans les luttes démocratiques selon l’esprit de l’Evangile, est le signe d’une Eglise qui se veut présente à la construction d’un Etat de droit, partout en Afrique ». Souligné dans le texte.
[168] Libreria Editrice Vaticana, Cité du Vatican, 1995. Lire aussi, NTEDIKA Konde, J. (Mgr), L’exhortation ‘‘Ecclesia in Africa à la lumière de l’enseignement du Synode Africain, dans RASM 7 (1997), p. 73-89 ; ID., On attendait un concile, un synode est venu ! Le Synode africain (10 avril – 8 mai 1994), Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1995.
[169] Les paragraphes du RS ne sont pas numérotés.
[170] Selon le relevé des citations établit par CHEZA, M., Le Synode Africain et l’exhortation, p. 214 : « Sur 297 références non bibliques, 133 renvoient à un document du Synode : 87 aux Propositions et 20 au Message final. L’apport spécifique du Synode est enchâssé dans une synthèse un peu triomphaliste qui reprend des textes doctrinaux antérieurs : le pape cite 78 de ses propres textes, 36 extraits de Vatican II et 34 de Paul VI. La Bible n’est pas oubliée, elle est citée 96 fois ».
[171] EIA, nº 1.
[172] Ibid., nº 6.
[173] Ibid., nº 9.
[174] Ibid., nº 2.
[175] Ibid., nº 15-20.
[176] Ibid., nº 6.
[177] Ibidem.
[178] Ibid., nº 9 et nº 38 : « Tout cela manifeste la maturité atteinte l’Église en Afrique, ce qui a rendu possible la célébration de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques ».
[179] Ibid., nº 10.
[180] Ibid., nº 11.
[181] Ibidem. Cite LG, 8; Catéchisme de l’Église Catholique, nº 811-812.
[182] Ibid., nº 14.
[183] Ibid., nº 12-13. L’on reprend MSA, nº 1-2.
[184] Ibid., nº 21.
[185] Surtout dans Ibid., nº 53-55 où l’on montre clairement que l’Église a la mission de construire la Cité ; Aux numéros 68-70, l’on affirme que le plan de la Création ne peut pas être dissocié du plan de la Rédemption. Le lien se trouve dans la charité et la vie même de Jésus investit de l’Esprit-Saint (Lc 4, 18-19).
[186] Ibid., nº 27.
[187] Ibid., nº 28.
[188] Ibid., nº 29.
[189] Ibid., nº 32.
[190] Ibid., nº 35.
[191] Ibid., nº 33.
[192] Ibid., nº 42-43. Du point de vue de la théologie chrétienne des religions, du fait de considérer les valeurs de la RA comme des « préparations » signifie qu’elles ne sont pas prises en elles-mêmes. Par ce même fait, la RA ne peut être vue comme, de droit, une voie de salut.
[193] Ibid., nº 47.
[194] Ibid., nº 48.
[195] Ibid., nº 55.
[196] Ibidem.
[197] Ibidem.
[198] Voir aussi Ibid., nº 67 où malheureusement ces valeurs sont considérées comme relevant uniquement de « précieuses semences du Verbe » et non de l’hypostase de Jésus-Christ comme on le fait au nº 69, suivant GS, nº 22 : « par son Incarnation, le Fils de Dieu lui-même s’est en quelque sorte uni à tout homme ». Je souligne. Mais, ce qui est dit pour une personne peut l’être, et l’est de fait, pour les cultures. Lire, EIA, nº 144 : « Grâce à Toi [Marie], le jour de l’Annonciation, à l’aube des temps nouveaux, tout le genre humain avec ses cultures s’est réjoui de se savoir capable de l’Evangile ».
[199] Ibid., nº 57.
[200] Ibid., nº 59.
[201] Ibid., nº 61 : « À son tour, l’Église, accueillant les valeurs des différentes cultures, devient la ‘‘sponsa ornata monilibus suis’’, l’épouse qui se pare de ses bijoux (cf. Is 61, 10) ».
[202] Pour une étude congolaise, non inculturée, sur ce Symbole voir, BANYINGELA Kasonga, La christologie du symbole de Nicée-Constantinople, dans RAT 24, 47-48 (2000), p. 19-45.
[203] Ibid., nº 60.
[204] Lire à cet effet, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., ¿Qué Iglesia para una África de las tribus?, dans Misiones Extranjeras 171 (1999), p. 159-175, p. 160-161.
[205] Il est absolument remarquable de voir que la théologie de l’inculturation telle que défendue par l’Église du Zaïre (dans les années 1990) soit celle de l’EIA. Une étude comparative de la brochure de Mgr Monsengwo, montre comment, même dans les sources citées ou laissées par elle, l’EIA en est fortement dépendante. MONSENGWO Pasinya, L., L’Église Catholique au Zaïre. Ses tâches, ses défis, ses options, Kinshasa, éd. St. Paul Afrique, 1991, p. 13-15, par exemple.
[206] Ibid., nº 60.
[207] Ibid., nº 61 : “L’Incarnation du Verbe, en effet, n’est pas un moment isolé, mais elle tend vers ‘‘l’Heure’’ de Jésus et le mystère pascal : ‘‘Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte de fruit’’ (Jn 12, 24). ‘‘Et moi – dit Jésus – une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi’’ (Jn 12, 32). Cet abaissement de soi, cette kénose nécessaire à l’exaltation, chemin de Jésus et de chacun de ses disciples (cf. Ph 2, 6-9), est éclairante pour la rencontre des cultures avec le Christ et son Évangile ».
[208] Ibid., p. 60.
[209] Lire surtout GEFFRE, Cl., Chances et risques du dialogue interreligieux, dans RASM 16 (2002), p. 42-68, p. 55-58.
[210] Ibidem.
[211] Ibid., nº 61. Mais, il demeure un grand problème qui, aujourd’hui, fait émerger une nouvelle opinion théologique : l’irréductibilité de certains éléments culturels. Sur cette question, GEFFRE, C., a. c., p. 65 : « […] une tradition religieuse peut être porteuse d’un irréductible dans l’ordre religieux qui ne sera pas nécessairement aboli mais métamorphosé par l’esprit du Christ. Il est donc très difficile d’établir une distinction nette entre des éléments culturels qui pourraient être conservés et des éléments religieux qu’il faudrait rejeter ». Je souligne.
[212] Ibid., nº 61. Les habitués des travaux des exégètes congolais ne seront nullement surpris de cette affirmation. A titre d’exemple, lire, ATAL, Le problème de la foi et de la langue des chrétiens hellénistes et hébreux dans l’Eglise naissante (AA. 6, 1-6), dans AA.VV., Foi chrétienne et langage humain, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, Kinshasa, p. 6-30 ; MONSENGWO Pasinya, L., (Mgr), L’inculturation dans le livre des Actes, dans AA.VV., Les Actes des Apôtres et les jeunes Eglises, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1990, p. 120-133. A noter que le texte est de 1984, lors du deuxième Congrès des Biblistes Africains tenu à Ibadan du 31 juillet au 3 août 1984.
[213] Ibid., nº 61.
[214] Ibid., nº 47. Reprend Evangelii Nutiandi, 15.
[215] Pour une évaluation de cette théologie, DUPUIS, J., Vers une théologie chrétienne de la théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, 1997 (chap. 6). J’utilise l’éd. italienne (Brescia, Queriniana, 1995, p. 213-240). Jacques Dupuis (p. 232, note 56 et 57) affirme que Evangelii Nutiandi a une vision négative des religions du monde.
[216] JEAN PAUL II, Dominum et vivificantem, nº 35 et 53 ; ID., Redemptoris missio, nº 28-29.
[217] Redemptoris missio., nº 29 : « L’action universelle de l’Esprit n’est pas à séparer de l’action particulière qu’il mène dans le corps du Christ qu’est l’Eglise ».
[218] Ibid., nº 62.
[219] L’EIA n’utilise nulle part l’expression “Église-Famille de Dieu”. Elle se sert de « l’Eglise Famille de Dieu » comme dans ce numéro et dans la suite ou encore de « l’Église, Famille de Dieu », comme au nº 6.
[220] Ibid., nº 63. Souligné dans le texte. Cite LG, nº 6.
[221] Ibidem. Cite LG, nº 1.
[222] Au fond, si l’on prend avec rigueur le nº 128 de l’EIA où l’on parle du Christ qui est, lui-même, africain dans les membres de son Corps, l’on ne voit pas comment l’on peut se passer l’anthropologique clanique desdits membres du Christ étant donné les liens constitutifs qui existent entre la personne et sa culture.
[223] Ibid., nº 83.
[224] Voir, NGABU, Message des Évêques Zaïrois membres du Synode Africain, dans NTEDIKA Konde (Mgr), o. c., p. 210-214, p. 212. Je souligne.
[225] EIA, nº 87.
[226] Comp. MONSENGWO Pasinya, L., L’Église Catholique au Zaïre, p. 16-17.
[227] EIA, nº 100.
[228] Ibid., nº 89.
[229] Ibid., nº 90.
[230] Ibid., nº 92.
[231] Dans le MSA,71, strophe 1, il n’y a pas de conjonction de coordination « et ».
[232] Le MSA,71, strophe 1, opère avec le point virgule au lieu d’une virgule.
[233] Le MSA,71, strophe 2, parle « du matin de l’Annonciation ».
[234] Cette strophe n’existe pas dans le MSA,71.
[235] Le MSA,71, strophe 3 : « toute la race humaine avec ses cultures ».
[236] Ibidem, strophe 3 : « s’était réjouie de se savoir capable d’Évangile ».
[237] Ibidem, strophe 3 : « En cette veille d’une Pentecôte nouvelle pour les Églises d’Afrique, de Madagascar et des îles ».
[238] Ibidem, strophe 5 : « Ensemble avec le peuple qui nous est confié. En communion avec le Saint-Père [= n’existe pas dans l’EIA] ».
[239] Ibidem, strophe 6 : « Nous sommes unis à Toi pour que l’effusion de l’Esprit Saint fasse de nos cultures des liux de communion dans la diversité, et de nous, l’Église-Famille du Père, Fraternité du Fils, Image de la Trinité, l’Anticipatrice et la Coopératrice avec tous du Règne de Dieu ».
[240] N’existe pas dans le MSA.
[241] N’existe pas dans le MSA.
[242] Le « qui est » n’est pas dans le MSA.
[243] N’existe pas dans le MSA.
[244] N’existe pas dans le MSA.
[245] N’existe pas dans le MSA.
[246] EIA, nº 144. Dans le MSA « Cité de Justice et de Paix. Amen ! ».
[247] Pour la mariologie africaine dans son lien avec l’Église-Famille, lire, SIEME Lasoul, J.-P., Marie, Mère de l’Église Famille et l’inculturation dans la réflexion théologique en Afrique, dans MUZUMANGA, Fl. (éd.), MASINI, J.-B., SIEME, J.-P., o. c., p. 89-126, p. 90-94; p. 103; p. 107s.
[248] Ce thème est présent dans LG, d’après DUPUIS, J., La teologia nel contesto del pluralismo religioso. Metodo, problemi e prospettive, dans AMATO, A., (a cura di), Trinità in contesto, Roma, Las, 1994, p. 127-150, p. 148-149.
[249] DUPUIS, J., La rencontre du christianisme et des religions, Paris, Cerf, 2002, p. 301-332.
[250] Lire la thèse du jésuite né au Burundi, en Afrique, POTTIER, B., Dieu et le Christ selon Grégoire de Nysse. Etude systématique du ‘Contre Eunome’ avec traduction inédite des extraits d’Eunome, Namur, Culture et Vérité, 1994, p. 334-335.
[251] Redemptoris missio, nº 20. Je souligne.
[252] A comp. avec MUZUMANGA, Fl. (éd.), MASINI, J.-B., SIEME, J.-P., Trinité. Marie, Mère de Dieu ; Église-Famille et Enfants des Rues, Rome, Brain Edizioni, 2003.
[253] a.c., p. 167.
[254] La symbolique de la maison tout comme celle du corps porte l’accent sur des significations d’orientation cultuelles. Cependant, cela n’empêche de voir que dans leur ‘‘utilisation’’ quotidienne, ces significations cèdent la place à la tolérance pragmatique. Cette dernière permet la flexibilité ou mieux une vie au-delà de la discipline propre aux huttes et aux personnes consacrées spécialement au culte des Ancêtres.
[255] Détails dans Muzumanga Ma-Mumbimbi, Fl., La Trinité immanente…, p. 9-72.
[256] EIA, nº127 : « Ainsi, non seulement le Christ lui-même, dans les membres de son Corps, est africain ». Déjà lors des Interventions Personnes, le Cardinal Roger ETCHEGARAY, dans son « J’ai fait un rêve » (CHEZA, M., o.c., p. 52-54) disait : « Le soir, je me suis approché d’un puits, comme la Samaritaine. Un jeune Africain m’y attendait, j’ai cru y reconnaître le Christ lui-même : plus il me parlait et plus je rougissait au-delà de mon habit cardinalice ». Le langage narratif, propre d’un rêve, ne cache pas l’idée de l’identité du Christ Noir. Un Christ très critique avec l’organisation mondiale actuelle, cause de la crise mondiale. Ce ‘‘rêve’’ du Cardinal, président des Conseils pontificaux Justice et Paix et Cor unum, nous rappelle, curieusement, les visions et prophéties de Béatrice Kimpa Vita.
[257] AKENDA Kapumba, J.C., Inculturation comme orthopraxis chrétienne. Prolégomènes à une philosophie et une théologie de la culture, dans RAT 22 (1998), p. 181-214, p. 197.
[258] KABASELE Lumbala, F., Rencontre Nord-Sud, p. 75.
[259] AKENDA Kapumba, J.C., Inculturation, p. 198.
[260] Ibid., p. 198-199.
[261] Ibid., p. 199, note 34 cite KAHANG, D., Les états et la violence au regard d’une éthique de la parenté, dans AA. VV., Conflits et identités, Kinshasa, Éd. Loyola, 1997, p. 121-122.
[262] Notre interprétation est fonction du fait qu’en kisuku il existe une formule similaire « mutu wa mwasi ou mutue mwasi ou encore mutu’a mpamba ». En kikongo l’on dit « muntu ya mpamba », en lingala « moto ya pamba ».
[263] Le verbe kubola, en Kipende signifie pourrir.
[264] Ibid., p. 199. Cette expression est du Togo.
[265] Ibid., p. 200.
[266] Lire, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., La Santísima Trinidad y el matrimonio afro-cristiano, Salamanca, Secretariado Trinitario, 2004.
[267] En kisuku, le verbe « kulunga » d’où vient le substantif « kalunga » peut signifier : - le fait de réaliser avec plénitude la mesure attendue ; accomplir ; remplir ; - accueillir avec le maximum d’attention. Le premier sens est celui qui s’applique à Dieu qui est plénitude par soi et en soi. Le second sens s’applique au village des Ancêtres qui atteignent leur plénitude par l’accueil maximal qu’ils ont fait des autres et de Dieu.
[268] KABASELE Lumbala, Symbolique bantu, p. 16.
[269] Ibid., p. 16-17.
[270] Ibid., p. 18.
[271] GRAVRAND, H., Rites et symbole sereer face au sacré, dans CRA 20-21 39-42 (1986-1987), p. 125-143, p. 141.
[272] MULAGO, Mariage traditionnel africain et mariage chrétien, Kinshasa, Saint Paul Afrique, 1981, p. 44.
[273] DEVISCH, R., La sorcellerie et le mal intersubjectif, dans RASM 16 (2002), p. 69-99.
[274] KABASELE LUMBALA, Symbolique Bantu, p. 16 ; THOMAS, L.V., Corps et société : le cas négro-africain, dans CRA 24, 47 (1990), p. 204.
[275] Il est à redire que cette naissance n’est pas une génération, mais une actuation de la génération préexistante et non réitérative pareille à celle qui se réalise, en Jésus, lors de son baptême.
[276] NGUEMA-OBAM, P., Aspects de la religion Fang. Essai d’interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala, 1987.
[277] En kisuku le verbe oindre se traduit par « kushita ». L’onction, c’est le « mushita ». Le mushita ne s’applique cependant pas seulement sur la peau. En effet, il existe des formes d’onction qui se font par une ingestion de la potion qui en sert de matière. L’onction couvre ainsi toute la personne. La symbolique va toujours à sens unique. De l’extérieur vers l’onction intérieure.
[278] Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 3-9 ; Lc 7, 36-49 ; 23, 55-56 ; Jn 11, 1-2 ; 12, 1-3.
[279] Comp. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de Marie. Essai de lecture systématique africaine, dans Annali di Studi Religiosi 4 (2003), p. 145-174, p. 155-157 (§ 9. De la connaissance) et p. 170-172 (§ 9. Maman dans la résurrection).
[280] J’ai écrit ce texte quatre mois après la naissance de mes jumeaux Ana et Miguel Muzumanga Núñez.
[281] ORBE, A., La unción del Verbo, Roma, 1961.
[282] POTTIER, B., Dieu et le Christ selon Grégoire de Nysse. Etude systématique du ‘Contre Eunome’ avec traduction inédite des extraits d’Eunome, Namur, Culture et Vérité, 1994, p. 119-123 et 334-335.
[283] CANTALAMESSA, R., Utriusque Spiritus. L’attuale dibattito teologico sullo Spirito Santo alla luce del Veni creator, dans Rassegna di teologia 38 (1997), p. 465-484, p. 479-480, cite GREGOIRE DE NYSSE, Adv. Appol. 52 (PG 45, 1449-1252); ID., Il canto dello Spirito, Roma, 1998, p. 412; ID., L’Esprit Saint dans la vie de Jésus: le mystère de l’onction, Paris, Mame, 1987.
[284] ID, La Trinidad, misterio de comunión, Salamanca, Secretariado Trinitario, 2002, p. 216-219.
[285] Rom 11, 28-29 ; LG, 16 ; S. THOMAS, S.Th. III, q. 50, a. 2.
[286] L’onction du Fils incarné par l’Esprit-Saint se justifie par le fait que dans l’économie le Pneuma est dans le Fils de deux manières très différentes entre elles. D’abord, l’Esprit-Saint est dans le Fils incarné conformément à leur consubstantialité numérique et à leur périchorèse intradivine. L’Esprit-Saint est au Fils dans une relation strictement applicable aux deux personnes en tant qu’unique et vrai Dieu. Ensuite, l’Esprit-Saint dans le Fils incarné en rapport de proportion directe avec son être créaturel : Jésus. Cette seconde manière d’être relève du régime de l’inhabitation de l’Esprit-Saint dans la créature. L’union hypostatique ne s’étant pas réalisée dans la personne de l’Esprit-Saint, il n’y a aucune possibilité pour une identité du sujet entre la personnalité de Jésus et la personne de l’Esprit-Saint, comme cela se réalise dans le Verbe-Fils. Le manque d’unicité subjective entre Jésus et l’Esprit-Saint permet à l’Esprit-Saint comme personne de se donner comme onction dans la personnalité du Fils incarné.
[287] EIA., nº 61.
[288] THOMAS, L.V., Corps et société, p. 197 : « Vivre, pour le Négro-africain, c’est vivre son corps dans toute la gamme des sensations qu’il peut offrir tant au niveau sensoriel qu’au point de vue moteur, tant que le corps apparaît comme un révélateur d’une très grande finesse ».
[289] Ibid., p. 199 : « C’est surtout dans la relation mère-enfant que le dialogue des corps atteint une extrême densité […] D’ailleurs, toute l’éducation est en grande partie axée sur le corps qui est au centre de la sagesse africaine. Sentir son corps, habiter son corps, maîtriser son corps, tel est le précepte du vieux sage. Mais il ne s’agit pas en le faisant de le taire par l’ascèse c’est-à-dire la mort de sens. Au contraire, il s’agit de l’ouvrir au monde par l’éveil et le développement des sens autrement dit de contrôler l’épanouissement de la sensibilité ».
[290] HAMPATE BÂ, A., Aspects de la civilisation africaine (personne, culture, religion), Paris, Présence Africaine, 1972, p. 14-16.
[291] C’est un trait à noter ici par rapport à la théologie des genres. En Afrique et Madagascar, Dieu est connu par des noms qui impliquent à la fois sa paternité et sa maternité, même si nos langues ne fonctionnent pas avec des distinctions des genres comme celles d’Occident. Ainsi, au Madagascar, Dieu est appelé « Rayamandreny » et en RD Congo « Nyamuhanga ». Il est encore à observer que l’attribution de la paternité et de la maternité à une seule personne n’est pas le propre de Dieu. En effet, toute personne qui nous fait du bien, indépendamment de son genre sexuel, est appelé au Madagascar « Rayamandreny ». Lire, RALIBERA, R., a. c., p. 167 ; WASWANDI Kakule, Nyamuhanga : la conception de Dieu chez les Nande du Zaïre, dans CRA 19, 38 (1985), p. 249-268. Ceci signifie que faire la théologie des noms de Dieu, en Afrique noire, à partir des genres masculin et féminin n’a pas d’importance. D’abord, parce que les genres n’existent pas et puis, parce que non seulement Dieu est déjà connu comme un être englobant les réalités féminines et masculines, mais aussi parce que tout être humain indépendamment de son genre, et en fonction de son amour et de son appartenance familiale, peut être dit père/mère vice versa.
[292] Mupe vient de « mon père ».
[293] Comp. Gaudium et Spes, 15 § 3.
[294] Au fond, c’est déjà chez Saint Augustin que nous rencontrons l’inextricable relation entre la philosophie (physique, logique, éthique), l’art (nature, doctrine et usage), l’anthropologie (être, âme, mémoire ; connaître et aimer ) et la théologie trinitaire (Père, Fils et Esprit). Le maître africain a mis en évidence la nécessité d’une théorie de la connaissance à vocation pluridisciplinaire par sa théorie des vestiges de la Trinité. C’est cela que l’Afrique doit redécouvrir. Voir, De Civ. Dei, XI, 25-28. Je m’inspire de LIBAMBU, M., o.c., p. 104-107. Comp. CHEZA, M., Le Synode africain et l’exhortation, p. 214 : « Comment éviter le narcissisme ecclésiastique et promouvoir une attitude prophétique au cœur de la société ? Deux secteurs semblent revêtir une particulière importance : la formation et les institutions. Formation : à côté de la théologie et du droit canonique, ne faudrait-il pas pousser aussi les études permettant une meilleure connaissance des réalités : sociologie, anthropologie, gestion, sciences exactes ? Quant aux institutions, il faudrait pouvoir créer peut-être des espaces de dialogue, de débat et de participation en s’inspirant peut-être du fonctionnement de la palabre africaine ? ».
[295] Comp. PAUL VI., Ecclesiam Suam, 36.
[296] TSHIBANGU Tshishiku, Th. (Mgr)., Contribution en vue d’une profonde implantation et d’une structuration institutionnelle solide et ferme de l’Église d’Afrique, dans RASM 16 (2002), p. 23-29, p. 25.
[297] Ibidem.
[298] Ibid., p. 26-27 ; ID., La théologie africaine. Manifeste et Programme pour le développement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Ed. Saint-Paul, 1987, p. 78.
[299] Ibid., p. 28. Ces idées se trouvent déjà dans TSHIBANGU, T., Vœux africains pour le concile, dans Revue Nouvelle 36 (1962), p. 327-337.
[300] Lire MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., ¿Qué Iglesia ...?, a. c.
[301] Détails dans mon étude, à publier, « Incarnation du Fils et l’Immaculée Conception. Essai de réception africaine ».
[302] BUJO, B., Teologia africana nel suo contesto sociale, Brescia, Queriniana, 1988.
[303] KANGUDI Kabwatila, Inculturation et libération en théologie africaine, dans AA.VV., Théologie africaine. Bilan et perspective, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1989, p. 199-209, p. 209 : « L’inculturation et la libération dans le champs de la théologie africaine ne doivent pas s’entrechoquer, mais s’appeler mutuellement. La conjonction entre les deux tendances – qui ne sont certes pas définitives ni exhaustives – n’est pas une synthèse accommodante, encore moins une pure et simple juxtaposition de complaisance, mais une unité dialectique ».
[304] MSA, 32 : “Le Sauveur nous a apporté ces deux grands présents du Royaume de Dieu qu’il est en personne : la Justice et la Paix ».
[305] Lire aussi, NTEDIKA Konde, J. (Mgr.), L’exhortation ‘‘Ecclesia in Africa’’ à la lumière…, p. 75 : « Le Message final [du Synode] établit étroitement le lien et même l’identité entre évangélisation, l’inculturation, la sainteté. Toute l’Eglise, toute la famille de Dieu doit se vouer au triomphe de l’évangile et de la promotion des valeurs de la cité ». Cite (à la p. 76, note 5), MSA, 31-34. Il pouvait aussi citer le début du n. 35 : « La plénitude de charité (Eph 3, 15-19) qu’est la sainteté doit être recherchée même en politique que Pie XI a définie comme la ‘‘plus haute forme de charité’’ ».
[306] C’est au moins l’interprétation de TSHIBANGU Tshishiku, Th. (Mgr.), Contribution en vue d’une profonde implantation …, p. 75 : « L’essentiel, pour que l’Eglise d’Afrique soit assurée de persévérance et de progrès, c’est que les ouvriers apostoliques, - les missionnaires -, et tous les chrétiens d’Afrique saisissent l’occasion pour tendre avec plus d’ardeur et plus de vérité à réaliser en eux-mêmes et dans toute la vie sociale la Sainteté de l’Église ».
[307] Lire les Lineamenta du Synode, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1990, nº 27, cite Ad Gentes, 22.