mercredi 29 juillet 2009

Godefroid MUKENGE et l’herméneutique de la Trinité comme Rencontre.

Lecture paradigmatique et spirituelle du Mystère absolu en rapport avec le sacrement du mariage.
Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi
C’est dans un article publié dans la Revue du Clergé Africain que l’A. envisage l’exposition du mystère de la Trinité mais dans un triple contexte théologique : la spiritualité ; le mariage et la famille ; en Afrique Centrale[1]. L’article ne vise pas l’interprétation de la Trinité en tant que telle. Mais, parlant de la spiritualité du mariage en Afrique l’A. est conduit à parler du mystère qui la fonde.
Godefroid Mukenge est conscient de l’urgence de la tâche chrétienne d’avoir une spiritualité du mariage et de la famille en Afrique. De l’Afrique l’on attend aussi, dit-il, l’édification et la promotion d’une telle spiritualité. D’après l’A. cette spiritualité doit se démarquer d’une physionomie monolithique qui la caractérise en Afrique centrale, contrairement à la spiritualité multiforme vécue par les clercs et les religieux[2]. Pour fonder une telle spiritualité, l’A. se réfère au mouvement Jamaa dont le Père Tempels a été le fondateur et animateur[3]. Pour justifier son point de départ théologique, l’A. fait siens les enseignements du Concile Vatican II en suivant clairement la démarche christologique. L’extrait de son texte que nous citons est paradigmatique parce qu’il porte des éléments qui se retrouveront dans des affirmations du Synode Africain dans son Message final du 6 mai 1994.
Nous savons en effet, que chaque peuple et chaque époque a sa manière propre d’accueillir le Christ. Le Christ, de son côté, en prenant la route des hommes, veut rencontrer chaque peuple et chaque génération dans la vérité de ses sensibilités propres et dans l’originalité de son génie spécifique. Il veut transfigurer ce peuple en pénétrant dans les profondeurs de sa richesse traditionnelle telle qu’elle se manifeste dans sa culture propre. L’éclairant, le purifiant et le vivifiant, le Christ veut assumer tout ce qu’il y a de valablement humain de son cœur et de son âme, de sa culture, ses traditions et sa sagesse (cite dans la note 3, LG. 17 ; Ad. Gent. 9).
Il y a une rencontre de l’originalité du Christ avec l’originalité du peuple. Par cette rencontre, le Christ veut-être « Dieu avec eux », leur « Emmanuel », Dieu au milieu d’eux, afin qu’ils soient son Peuple, « ceux-qui-sont-avec-Lui »[4].
Comme chez Tempels, ici également c’est la catégorie de la rencontre qui est mise en relief comme terme-clé de la théologie qui s’élabore en Afrique. La rencontre se fait entre deux originalités : celle du Christ et celle du peuple qui sera désormais le sien. La rencontre est, dans ce contexte, quelque chose de très spécifique et non réitératif. Aucun peuple ne peut rencontrer le Christ pour un autre. Dans la rencontre entre le Christ et chaque peuple, il n’y a aucune possibilité pour une substitution. C’est dans ce contexte d’une double originalité que l’A. envisage le mariage et la famille africains dans ce qu’ils ont d’original, espace spécifique de rencontre avec le Christ dans son originalité. Mais qu’est-ce que la mariage en Afrique ?
Le mariage en Afrique noire n’est pas seulement une réalité coutumière traditionnelle et sociale, une réalité religieuse dispensée par le Père Dispensateur de vie, il est devenu aujourd’hui, depuis l’épiphanie du Christ, un bien chrétien commun dispensé par le Christ aux Africains comme à tous les peuples. Il est un sacrement qui introduit dans la dimension du Christ en qui il devient un ‘‘grand mystère’’[5].
Cet extrait montre les divers degré que couvre la réalité du mariage en Afrique : 1º. il est un fait coutumier hérité des ancêtres ; 2º. un fait social ; 3º. une réalité dont l’origine se fonde dans le mystère de Dieu en tant qu’il est le Père dispensateur de la vie. Cet élément montre clairement que le mariage en Afrique n’est pas purement et simplement un fait humain ; 4º. par l’irruption de l’événement Jésus, le mariage africain n’est plus seulement un bien pour les africains. Il est un bien qui concerne tous les peuples. Dit d’une autre manière, la rencontre entre le Christ dans son originalité et la particularité originale du mariage africain ne se renferme pas dans une dualité d’autocomplaisance. En revanche, cette rencontre doublement originale débouche et abouche à l’universalité. Cette universalité est fonction du Christ le seul qui fait du mariage religieux africain un ‘‘grand mystère’’.
Peut-on penser que l’événement Jésus rend caduc le caractère religieux du mariage africain ? La réponse est négative. En effet, Godefroid Mukenge part de la manière dont les Africain(e)s envisagent l’origine divine de l’être humain, en passant par l’intermédiaire des Ancêtres. Ainsi le credo des Africain(e)s, « consiste à confesser que tout vient de Dieu, tout être, toute vie, toute fécondité, tout bien. Dieu Source de tout reçoit par conséquent le nom vital de Tatu (Père). Cette idée, ajoute l’A., est fondamentale chez les Noirs »[6]. La logique poursuivant son chemin, le couple humain étant un bien, il vient également de Dieu.
L’union entre l’homme et la femme est voulue depuis toute éternité par Dieu pour devenir un seul être conjugal qui est non seulement homme-être-masculin (zakar) et femme-être-féminin (neqebah), mais également époux-épouse (Ish-ishah). Cette union fait de leur être conjugal fort, fécond dans l’unité de l’amour indissoluble. Dieu est ce bon Père qui a conçu l’époux et l’épouse pour la communion mutuelle heureuse ; il a tout préparé pour qu’un jour le jeune homme et la jeune fille se rencontrent ; il avait depuis longtemps mis dans le cœur de l’autre, de sorte que chacun portait l’autre en soi, attendant sa parousie (au sens premier du mot c’est-à-dire une manifestation) possible, si bien que l’un préexistait dans l’autre avant d’être rencontré et reconnu. Leur rencontre ne fut jamais fortuite, mais plutôt une œuvre préparée par le cœur de Dieu[7].
Cette vision est très profonde pour celui/celle qui fait une relecture chrétienne des choix humains. Mais, les nombreux divorces qui secouent le monde chrétien actuel nous appellent à la prudence et donc à la mise en exergue de la liberté humaine dans les choix matrimoniaux. Il est vrai, pour le dire avec des concepts classiques, que Dieu est le principe premier de tout mariage chrétien. Mais sa causalité première et ultime n’abroge et ne substitue pas les causes secondes qui ne sont pas secondaires. L’étude de l’amour humain dans son déploiement bio-psychologique fait que l’on tiennent compte du réalisme de l’acte d’aimer.
C’est ce réalisme historique qui donne un grand poids théologique à ces affirmations de l’A : « Les époux doivent se recevoir mutuellement dans les mains du Père, comme don de Dieu, un don gracieux et précieux. Ils sont chacun/e et les deux un don d’amour, donné à lui-même et donné à l’autre par Dieu lui-même »[8]. Il est utile de noter que d’après l’A. Dieu est le premier pédagogue, le premier conseiller matrimonial. Dans cette fonction, Dieu est à la foi père et mère comme les deux parents africains dans l’éducation d’un jeune couple[9].
L’indissolubilité du mariage est aussi fonction de la doctrine de Dieu, de son dessein sur le couple. L’indissolubilité du mariage reflète, par l’unité de la dyade qui forme un seul être conjugal, l’unité divine[10]. La conclusion à cette affirmation est digne d’être signalée. « Il y a ainsi, dit l’A., un Troisième au sein du couple humain : le Père du ciel qui invite les époux à se renouveler toujours selon son plan merveilleux du mariage »[11]. Cette citation se démarque de l’opinion qui cherche à trouver le nombre trois en la famille en partant des ces pôles : père-mère et enfant. Pour Godefroid Mukenge, il existe bien une structure ternaire dans le mariage africain, mais celle-ci est faite de « Dieu, de deux époux ».
Dieu n’étant pas hors du mariage, l’on comprend que toutes les qualités et les actes fondamentaux qui caractérisent le mariage ont une dépendance directe avec la proexistence de Dieu pour le couple. Une de ces réalités fondamentales qui définissent le mariage et la fécondité. Mais, qu’est la fécondité ? Voici la réponse de l’A. : « Pour les chrétiens bantu, le mariage est le sacrement d’amour ; et l’amour, pour eux, est fécondité ; il permet d’abord aux conjoints de s’engendrer mutuellement dans une vie intense »[12]. Nous avons déjà rencontré cette idée tant dans son expression de « co-engendrement et interengendrement mutuel des époux »[13] que dans celle de la « vie intense ». Nous sommes là au cœur de la spiritualité du mouvement Jamaa que de la philosophie bantoue du Père Tempels. Ces idées montrent bien que la fécondité dont il est question ici n’est pas à réduire à la génération de la progéniture. La fécondité du mariage commence avec la réalisation plénière du couple comme « époux/épouse ; père/mère et fils/fille »[14].
C’est dans cette même ligne de pensée qu’il est à situer ce que l’A. affirme sur la configuration de l’amour et de l’humanité de l’être conjugal des mariés dans le Christ.
Leur amour mutuel [des époux] et leur ‘‘bumuntu [humanité]’’ sont saisis par le Christ, leur amour est transfiguré et configuré à celui du Christ pour son Église, car le Christ s’incorpore l’amour du couple et désormais les époux vivent existentiellement l’amour fécond et indissoluble du Christ avec son Église[15].
Dans cette citation il y a double intervention que jusque là l’A. n’a pas faite : 1º. l’intervention de la deuxième personne divine dans l’amour du couple humain et dans leur humanité ; 2º. cette intervention du Christ dans le couple est l’insertion de l’amour du Fils de Dieu incarné pour son Église dans le mariage. Il est sans doute ici question de la théologie de la famille comme Église domestique qui vit de l’amour fécond et indissolubilité du Christ, époux de son Église. Mais, remarque l’A., l’amour du Christ pour l’Église, vice versa, comme fondement existentiel de l’amour du mariage et de la famille n’est pas la fin ultime des relations sponsales. En revanche, c’est dans la Trinité qu’il faut trouver le fondement ultime du mariage africain chrétien.
L’amour conjugal tel que nous venons de l’expliquer chez les chrétiens bantu est conçu sur le modèle de la Sainte Trinité, en laquelle ils trouvent le modèle et la source, car en elle la vie divine est intense et se déploie en paternité, filiation et amour. C’est parce que, la Trinité est pour eux le modèle suprême et le principe de toute union de la communauté créée [cite dans la note 15 GS, 24 § 3], l’archétype divin et l’icône de la communauté conjugale. A l’image de la Trinité, les époux chrétiens s’initient à la vie du don de soi et de l’accueil réciproque, libre et total, dans l’inondation mutuelle et la transparence continuelle pour autant que l’opacité humaine le permet[16].
Le principe d’exemplarité est à la base de cet extrait. La Trinité est l’origine et le modèle de l’amour conjugal. Quant au couple humain, il imite l’exemple divin. L’imitation du modèle et source se trouve dans la paternité, la filiation et l’amour. L’A. ne met pas l’accent sur le nombre trois, mais sur la qualité des relations : don de soi, accueil réciproque libre et total, transparence. Mais, l’on voit déjà la perspective trinitaire qui le mobilise : celle qui identifie l’Esprit-Saint avec l’amour notionnel en la Trinité ad intra. L’application pratique de cet exemplarité se fait sur base de deux réalités fondamentales, c’est-à-dire, celle de la théologie de l’image et celle de la communion. Voici comment l’A. s’exprime concernant la théologie de l’image.
[…] la Trinité est la RENCONTRE par excellence à l’image de laquelle s’accomplit toute rencontre sur cette terre. Elle est la Rencontre des Trois Personnes divines vivantes.
Parfaitement égales en divinité ;
Ouvertes dans la totale communication entre elles et dans la transparence mutuelle ;
Communicant ensemble dans l’unité de la divinité et de l’amour, qui les fait vivre dans la présence l’une de l’autre, dans l’inhabitation mutuelle de l’une dans l’autre, toujours inséparablement mais sans confusion ;
Dans la fécondité intra-substantielle en Père – Fils et Esprit : le Père étant le Don et recevant du Fils d’être Don du fait que le Fils l’accueille ; le Fils étant l’Accueil par rapport au Père et avec Lui Don par rapport à l’Esprit ; et l’Esprit étant la Réception éternelle et pure, et Unité du Père et du Fils ; vivant dans l’éternel présent[17].
Comme on le remarque Godefroid Mukenge ne cherche pas non plus l’image de Dieu dans l’être humain dans ses structures psychologiques. Pour lui, c’est la catégorie de la rencontre, prise de Tempels il ne faut pas l’oublier, qui est l’espace où l’être humain réalise l’image de Dieu ad intra. Sa formulation de la rencontre trinitaire ne souffre d’aucune remarque parce qu’elle respecte l’unicité numérique de la substance divine et la vraie distinction des hypostases. Il n’est pas à oublier que pour les personnes humaines, la rencontre est toujours un événement (espace et temps) ; un événement postérieur à l’existence autonome des êtres humains qui communient dans un tel événement. En Dieu cela n’est pas le cas et l’A. en est bien conscient en parlant de la vie des hypostases divines dans « l’éternel présent ». La communion en Dieu n’est pas seconde et postérieure par rapport l’unité de l’essence divine. Comment l’être humain vit-il cette exemplarité ?
[…] l’idéal de la Rencontre des Personnes divines n’est pas vécu extérieurement aux Personnes de la Trinité ; car celle-ci est aussi la Source de toute fécondité créée, de toute filiation et de tout amour, parce que tout cela a sa plénitude en Dieu. C’est parce que les époux offrent leur vie d’union et d’amour à l’action puissance et fécondante de Dieu –Père – Fils – et – Esprit, présent au foyer. Pour les époux, la Trinité n’est pas étrangère au sein du foyer. En effet, insérés et communicant à la vie trinitaire de par leur baptême et leur foi, consacrés par le sacrement du mariage à la fécondité de l’Église et à la fécondité de l’amour du Christ pour son Église, les époux recherchent le véritable esprit de paternité l’un vers l’autre, non seulement en regardant leur modèle céleste, le Père du ciel, mais en recevant et communiant aux sentiments de son attitude paternelle (Eph. 3, 15). Ils recherchent aussi le véritable esprit filial l’un vers l’autre, non seulement en regardant comme loin le Fils, mais aussi en communiant aux sentiments propres à son attitude (Phil. 2, 5). Ils s’initient enfin au véritable esprit d’amour d’union l’un avec l’autre en regardant l’Esprit Saint, mais surtout en s’ouvrant à Lui pour recevoir sa vigueur afin de pouvoir agir en Lui (Jn 17, 26)[18].
Le texte indique clairement que la communion avec la Trinité se fait selon les particularité de chaque hypostase. Les époux sont en communion avec le Père d’une manière qui n’est pas égale à la façon ce même couple s’adresse au Fils et à l’Esprit-Saint. Au Père, la paternité/maternité mutuelle entre les époux ; au Fils, la filiation mutuelle entre les époux ; à l’Esprit-Saint, l’amour réciproque entre les époux. L’amour des époux se situe dans le plan global de Dieu. Par ce fait les époux sont dans la communion avec le Christ donné par sa son Père céleste et sa Mère, la Vierge Marie. Dans ce plan de Dieu, le Christ est le Sauveur tandis que la Vierge est sa Mère servante (p. 162).
Dans cet article l’on trouve déjà clairement exprimée la christologie ancestrologique, car le Christ dans sa proexistence est reconnue comme l’Ancêtre de la nouvelle humanité (Mt. 5, 21. 27. 31. 33. 38). Quant à Marie, la Mère de Jésus, l’A. affirme ce qui suit : « La Vierge Marie, est parmi les créatures, la première et la parfaite correspondante et vit dans la communion intense et féconde avec la Trinité et avec son Fils homme Dieu, celle qui connaît une extraordinaire fécondité spirituelle de par sa rencontre avec l’Esprit-Saint et avec son Fils sauveur » (p. 164).
Dans cette citation manque le rapport de Marie avec la première personne de la Trinité. Que l’on s’en souvienne, l’A. venait de parler de cette relation dans le don du Christ par le Père et sa Mère. Mais, il y a plus. D’où tire l’A. la réalité de communion qui structure sa pensée ? Voici la réponse de Godefroid Mukenge lui-même. « Le sens profond bantu de la communion a fait tourner les époux vers la Trinité afin d’y puiser leur propre communion mutuelle dans l’entente mutuelle, l’entraide réciproque et l’unité de l’amour. Leur sens aigu de l’intermédiaire[19] les fait rechercher avec empressement la communion avec ceux qui partagent au plus haut point la vie que l’on recherche » (p. 163). Il n’est pas à le redire. C’est la communion entendue dans le sens africain qui est le chemin de la rencontre entre le couple africain et même de l’intelligence que celui-ci a de la totalité du mystère.
En guise de conclusion, il est à dire de nouveau qu’au Congo, le mouvement chrétien Jamaa est un puissant espace de l’interprétation existentielle de la Trinité. L’importance du mouvement dans l’histoire pastorale de l’Église de notre pays justifie l’importance de la Trinité et exige l’inculturation du mystère de la Trinité en partant des réalités vitales de notre contexte. En regardant l’histoire globale de notre évangélisation, l’on sera conduit à constater deux faits. D’une part, il y a les Antoniens de Béatrice Kimpa Vita qui s’opposèrent au mariage chrétien. Ils disaient que celui-ci était une institution sans intériorité ; institution qui ne se réduisait qu’à un rite ecclésial imposé de l’extérieur. D’autre part, il y a la Jamaa qui est un mouvement qui opte pour le mariage chrétien dont l’intériorité est trouvée dans le mystère de la Trinité. La vie intime de Dieu est fécondité. Cette dernière se manifeste dans le mariage chrétien institution dont la mission première est la fécondité globale.
[1] MUKENGE, G., Une spiritualité africaine du mariage chrétien chez les Bantu de l’Afrique Centrale : la Jamaa, dans RCA, 25 (mars 1970), p. 151-172.
[2] Ibid., p. 152.
[3] Ibid., p. 151.
[4] Ibid., p. 152. Comp. MSA, nº 24.
[5] Ibidem.
[6] Ibid., p. 153, note 4.
[7] Ibid., p. 153.
[8] Ibid., p. 154.
[9] Ibidem. Cite dans la note 7, TEMPELS, P., Notre rencontre, p. 56-60.
[10] Ibid., p. 154.
[11] Ibid., p. 155.
[12] Ibidem. Je souligne.
[13] Ibid., p. 156.
[14] Ibid. p. 157-159.
[15] Ibid., p. 156.
[16] Ibid., p. 160.
[17] Ibidem. Cite dans la note 17, JEAN-DAMASCENE, De Fide orthodoxa, Liv. I + III, Paris, 1880, coll. Sanctorum Patrum Opuscula selecta, XLI, Paris; RICHARD De Saint Victor, La Trinité, Col. SC, nº63, Paris, 1959.
[18] Ibid., p. 161-162.
[19] Cette idée sera exploitée dans l’article en montrant la ressemblance qui existe entre la famille africaine et la Sainte Famille de Nazareth. De même, l’union qui existe entre le sacerdoce et le mariage chrétien africain sera fondée sur cette idée de la médiation. Voir, Ibid., p. 166.

lundi 27 juillet 2009

La doctrine de la Trinité au Congo entre 1992 et 1997.

Apport de Mgr Joseph NTEDIKA Konde (+ 26.05.2009)

Par F. MUZUMANGA Ma-Mumbimbi

En 1992, Mgr Joseph Ntedika Konde avait publié un article synthèse fort intéressant portant sur la doctrine de Dieu dans la Religion Africaine (RA) telle qu’elle se dégageait dans la revue Cahiers des Religions Africaines[1]. Son point de départ est anthropologique, c’est-à-dire « la recherche, la quête inlassable de Dieu et finalement la rencontre avec lui en ce monde, par la connaissance et l’amour, et les retrouvailles avec lui dans l’autre vie, dans un face-à-face inénarrable […] »[2]. Dit d’une autre manière, dans cette étude l’A. n’envisage que l’effort de l’être humain dans sa recherche et sa rencontre avec Dieu. Il ne focalise pas son attention sur l’initiative de Dieu, sa recherche et sa quête inlassable de l’être humain et finalement de sa rencontre avec ce dernier ici, maintenant, et dans la vie après la mort. Enfin, il ne parle pas de l’effort conjugué de Dieu et de l’être humain, vice versa, dans la recherche passionnée l’un de l’autre, vice versa.
Cette option de l’A. fait que son étude descriptive et synthétique vise à déterminer en premier lieu la voie, le projet d’un cheminent et d’un progrès spirituel, systématique et continu vers Dieu. Il recherche le cadre de la réalisation de ce projet, s’il existe. En second lieu, l’A. abordera la question de la médiation des Ancêtres face à Dieu. Intéressant est le troisième degré de son questionnement qui pose le problème de la Providence de Dieu et de l’origine du mal. La quatrième question qu’il se pose vise à éclairer la valeur de l’amour africain envers Dieu, c’est-à-dire, la gratuité et la conformité à la volonté divine. Enfin, il aborde la question du contenu dogmatique de l’Eschatologie de la RA et des critères éthiques qui permettent la participation au contenu de la vérité de la RA[3].
Dans le développement des thèmes, l’A. commence avec l’existence ou non d’un culte adressé à Dieu dans la RA. Il montre que les avis des chercheurs sont partagés. Il y en a qui sont pour et d’autres contre une telle existence. Les raisons données pour justifier l’inexistence d’un culte théologal sont révélatrices de l’idée que l’on a de Dieu : l’Être sans besoin, plénitude de bonheur et de bonté ; sa transcendance et son inaccessibilité font que le culte humain ne l’intéresse nullement. Cependant, Dieu qui ne dépend pas du culte anthropologique est présent au monde et aux êtres humains. Sans la présence de Dieu l’être humain n’existerait pas[4]. L’A. dégage également ce qui constitue au fond la loi de tout culte dans la RA : Dieu est adoré à travers la vénération des Ancêtres[5]. Cependant, constate l’A., à la suite des spécialistes de la RA, que la vénération des Ancêtres occupe factuellement plus d’espace que l’adoration de Dieu. Dieu est moins invoqué que les Ancêtres et les esprits dans ce qui constitue le thème central de la RA : « la condition humaine, concrète, considérée à tous les niveaux : familial, social, économique et politique »[6].
« Des chercheurs, cependant, pensent que, d’après les Africains, Dieu lui-même est d’accord pour que des supplications et des sacrifices soient offerts aux ancêtres. La vie nous vient de Dieu par leur canal. Ils demeurent par conséquent nos médiateurs et nos intercesseurs. Et, en assurant la sauvegarde et l’accroissement de la vie de leurs descendants, c’est le don de Dieu lui-même qu’ils protègent et développent »[7].
Quant à la question portant sur la providence et le problème du mal, l’A. montre une fois de plus que les résultats des travaux des chercheurs ne sont pas unanimes. D’aucuns disent que certaines tribus défendent l’unicité de l’origine de tout, le bien et le mal. Pour ces peuples, le malheur qui vient de Dieu est médicinal. Il est l’expression de sa miséricorde et de sa bonté. D’autres, au contraire, affirment que Dieu n’est pas la cause du mal. Ce sont les Ancêtres, les esprits et les sorciers, créés par Dieu, qui sont, en revanche, la cause du mal[8]. Il existe une vraie relation parentale entre Dieu et les êtres humains, vice versa. Dans cette relation familiale, « Dieu est dans sa totalité de vie » comme être Suprême, simultanément père et mère, vice versa[9].
En 1994, un article de l’A. sera publié. Il porte sur l’eschatologie Kongo[10]. De cette étude descriptive de l’eschatologie Kongo et en même temps comparative avec la vision d’autres peuples[11], rien de particulier n’est dit sur la doctrine de Dieu. Mais, juste dans le dernier paragraphe de l’article l’A. propose des images bibliques qui peuvent servir dans l’inculturation de l’eschatologie kongo qui met l’accent sur l’eau. Les références bibliques données parlent au moins de deux personnes divines : le Père et le Fils.
L’eau fraîche et limpide qui baigne le village des ancêtres et traverse leur pays, cette eau dont le peuple kongo a rêvé pendant des siècles, cette eau qui coule éternellement et étanche la soif de ceux qui en boivent, dans l’autre vie, pourrait rappeler la vision du fleuve de cette Jérusalem nouvelle qui nous attend, du fleuve de ce paradis futur que décrit le livre de l’Apocalypse : ‘Puis, il me montra un fleuve d’eau vive brillant comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau’’ (Ap. 22, 1). ‘‘Et il me dit : … A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive gratuitement’’ (Ap. 22, 6[12] ; 22, 17). En fin de compte, c’est le Christ lui-même que nous avons à désirer, puisque d’après le Nouveau Testament, il est le rocher d’où jaillit, au désert, l’eau qui restaure et redonne la vie (1 Cor. 10, 4). Et il est aussi le bon berger, le grand ancêtre, qui nous prendra près de lui (Jn 14, 3), si nous lui sommes fidèles et qu’il nous conduira lui-même auprès des eaux limpides de l’autre vie, pour nous désaltérer : ‘‘car, l’agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d’eaux vives. Et Dieu essuiera toute haine de leurs yeux (Ap. 7, 17)[13].
L’intérêt de la citation tient aux analogies cosmologiques qui parlent de l’identité du Fils de Dieu et dans son don en kénose et dans sa vie ad intra, après la glorification. La symbolique de l’eau et même celle du rocher sont, en fait, un patrimoine du prophétisme kongo[14]/Congo[15]. Mais, dans cet extrait, il recouvre la plénitude de leur signification trinitaire, même si Mgr Ntedika ne fait pas de références explicites aux rapports qui existent entre la symbolique de l’eau et l’Esprit-Saint donné par Jésus-Christ (Jn 3, 5)[16]. Au fond, si l’A. ouvrait sa recherche à une étude systématique, il pouvait aboutir à une théologie trinitaire inculturée[17].
Mais, à l’actif de l’A. nous retiendrons le fait qu’il assume les analogies de l’eschatologie kongo comme lieu d’expression de la vérité eschatologique du Verbe incarné et glorifié. En d’autres mots, l’eschatologie kongo est un lieu de révélation du Dieu Trinité dont notre unique voie de connaissance historique est l’événement Jésus-Christ. Ce dernier est venu rencontrer les congolais dans les chemins culturels tracés par leurs Ancêtres. Il en est le suprême herméneute.
Dans une autre étude sortie aussi en 1994, l’A. rapporte la christologie et la pneumatologie d’une secte de Kinshasa[18]. Le cadre global de l’article et sa finalité sont en pure continuité avec les thèmes déjà vus dans la tradition prophétique congolaise[19]. Pour nous en rendre compte, reprenons un extrait de l’article.
Le message de l’Église de Jésus/Alliance Finale, de Masina (Kinshasa), est un mélange de visions et de prophéties. Il fait ainsi partie de la littérature religieuse de genre apocalyptique et eschatologique. L’interprétation des documents à étudier doit, par conséquent, tenir compte des principes herméneutiques requis pour la compréhension des textes en cette matière. Doivent être également pris en compte la sensibilité, les enjeux spirituels et le conditionnement historique et culturel et social de la secte[20].
Pour le moment, il faut le constater, l’A. ne donne pas ces principes herméneutiques et ne nous offre pas non plus tous les autres éléments requis dont il parle. En revanche, il passe directement à la description de la vocation et de l’investiture du prophète fondateur de la secte de l’Alliance Finale[21]. Cette description de l’appel divin est daté et même l’on y détermine l’heure de la vision. Cette note est très importante car elle montre le caractère vraiment historique de l’événement. La vision d’investiture au cours de laquelle le prophète devient le fondateur de la secte est nocturne. Quant au contenu de la vision, elle est purement anthropologique et missionnaire. Le prophète ne voit et n’entend pas Dieu, mais des êtres humains dans leur état eschatologique qui, cependant, n’abroge pas leur appartenance raciale et leur langue[22].
Une langue congolaise, le lingala, devient dans cette vision, une langue céleste, langue d’expression des Noirs dans leur condition finale[23]. Par le même biais, la diaconie eschatologique est attribuée aux Noirs, race qui devient par le même fait, le symbole eschatologique du triomphe de Dieu. La théologie de la conquête et de la victoire est interprétée en fonction de la race noire. De même, la théologie de la clôture de la révélation avec le surgissement du dernier prophète est contextualisée strictement dans le cadre de la secte et en la personne du prophète fondateur de ladite secte : Mungunzi Mundambu[24]. Ce prophète est le missionnaire de Dieu dont la vie et les œuvres sont en une parfaite relation symétrique : il fera sept cents ans et accomplira sept cents symboles et signes[25]. La mission du prophète devient l’espace eschatologique privilégié de la théologie du nom non seulement de l’envoyé, de ceux qui envoient, mais également de l’identité stricte entre le Dieu de Jésus-Christ et celui des Ancêtres. Toute cette théologie a pour contenu l’Alliance Finale entre Dieu et la totalité du réel[26].
L’eschatologie de l’Église de l’Alliance Finale est inclusive et universaliste : sans xénophobie ni exclusivisme. Cependant, elle répond également au principe herméneutique propre à nos initiations tribales : l’inversion symbolique ou la présentation des données visées par la voie du contraire. C’est par ce fait que les dominés de la terre deviennent le symbole parlant de la gloire et de la victoire de Dieu sur le péché[27]. L’inversion ne suit pas des raisons purement raciales et sociologiques. En revanche, la participation à la vie céleste a pour condition obligatoire pour tous les êtres humains la conversion. Cette dernière est le critère d’authentification et d’intériorité à l’exemple du message que Noé adressa à ses contemporains[28]. Nous sommes là au cœur même de la particularité du langage spécifique de la foi. Mais quels sont les habitants de ce monde céleste qui fait appel à la logique de la foi ? C’est en répondant à cette question que l’Église de l’Alliance Finale fait intervenir la Trinité. L’on affirme en effet que « Le monde céleste est la demeure de Dieu le Père, de Dieu le Fils, de l’Esprit-Saint, des esprits ou chefs du ciel et des ancêtres »[29].
Outre le fait qu’il sied de noter que l’ordre divin est respecté, il faut signaler de nouveau, l’insertion de l’eschatologie africaine dans la vision eschatologique de la Trinité. Il y a là une présence remarquable des « esprits et des Ancêtres (= RA) » auprès du « Père, du Fils et de l’Esprit-Saint (= christianisme) ». Les Ancêtres sont saisis ici comme des personnes qui se sont convertis à la Trinité. Ils ont écouté l’appel de Dieu à la repentance que Dieu lui-même leur a adressé. Comment ? Le texte ne le dit pas. Mais, ce qui est évident, c’est ce fait dogmatique : le « Dieu des Ancêtres » est donc, selon cette eschatologie, le Dieu Trinité[30]. Effectivement, signale l’A. dans sa christologie eschatologique, l’Église de l’Alliance Finale affirme que « le Dieu de nos ancêtres enverra son Fils bien aimé »[31].
Avant l’avènement de la parousie, les êtres humains sont invités à accomplir non seulement la volonté de Dieu, mais aussi celle de Jésus-Christ et des esprits. Jésus-Christ et les esprits sont présentés comme la source des merveilles terrestres[32]. La théologie de la parousie est, à notre avis, aussi trinitaire. Le prof. Mgr. J. Ntedika qui rapporte cet événement eschatologique n’en fait pas de commentaire. Voici le résumé descriptif de notre A. : « Et, au terme de toutes les années, les habitants du monde loueront Dieu et Jésus-Christ dans la fête de la dernière alliance. Jésus recevra de Dieu l’Esprit Saint »[33]. Dans la logique de ces deux phrases, c’est dans et par la parousie que l’Alliance finale entre Dieu et les êtres humains se scellera. C’est dire que pour l’Église de l’Alliance Finale, l’ultime alliance entre Dieu et les hommes ne se situe pas dans le mystère de la Croix, mais de l’ultime manifestation de Dieu, dans sa gloire eschatologique, à tout l’univers, non seulement aux êtres humains.
Quel est le contenu de la parousie ? La fin du temps inaugurera l’ère de la doxologie. Les êtres humains louent Dieu le Père et Jésus-Christ. Cette louange se fait au cours de l’alliance finale. Mais, quelle est la place de l’Esprit-Saint au cours de cette fête doxologique/eucharistique ? Mieux, quels sont les rapports qui s’établissent entre les trois personnes divines dans la parousie ? La réponse est très brève, mais très significative : « Jésus reçoit de Dieu l’Esprit Saint ». Cette réponse est comme la réplique de la théophanie baptismale : le Père donne ; l’Esprit Saint est donné (il est le Don) enfin, Jésus reçoit[34]. C’est en cela que consiste l’Alliance finale, c’est-à-dire, dans la réception finale par Jésus glorifié du don de l’Esprit Saint de la part du Père. Deux questions qui se posent : - un tel Jésus eschatologique serait-il encore égal à Dieu ? Quelle idée ce groupe se fait-il du baptême de Jésus ?
Le Jésus eschatologique qui reçoit l’Esprit-Saint de la part de Dieu est dit « […] tout-puissant. Sa puissance, insiste-t-on, n’est pas moindre que celle de Satan, le prince des démons. Nous aussi, nous avons acquis la puissance pour le service de Jésus-Christ »[35]. Dire que Jésus est tout-puissant c’est professer qu’il est Dieu. C’est dire que d’après cette secte tant dans son humanité eschatologique que dans son être Dieu, la deuxième personne de la Trinité reçoit toujours de la part de son Père l’Esprit-Saint. Même si la secte le ne dit pas l’on peut constater du point de vue systématique que l’Alliance Finale qui provoque la louange des êtres humains dans la parousie concerne le don de l’Esprit-Saint par le Père dans l’humanité eschatologique de la seconde personne de la Trinité afin que cette dernière soit introduite, à titre d’unique et absolue exception, dans la vie de la Trinité ad intra.
A la question de savoir quelle est l’idée que cette secte se fait du baptême de Jésus, il n’est pas mieux que de reprendre la description et le bref commentaire de Mgr Joseph Ntedika lui-même : « Les adeptes [de l’Église de l’Alliance Finale] s’émerveillent devant le mystère de l’incarnation. Ils sont touchés du fait que le Fils de Dieu se soit fait enfant comme les autres enfants pour venir nous sauver. Vient ensuite une indication originale : un cantique chante ‘Jésus-Christ Fils de Dieu, Jésus-Christ venu comme l’oiseau, comme l’oiseau de l’Esprit Saint’’. Ici la manifestation de l’Esprit-Saint sous forme de colombe au baptême de Jésus est identifiée à celle de Jésus lui-même »[36].
Le commentaire de l’A. est ici à remarquer. Il parle de la venue de Jésus-Christ, Fils de Dieu, en forme de la colombe en terme d’une « indication originale ». Effectivement, la secte ne réinterprète les évangiles (Mt 3, 16 ; Mc 1, 9-10 ; Lc 3, 22). Au lieu de lier le symbole de l’oiseau exclusivement à l’Esprit-Saint, cette secte préfère parler plutôt de Jésus-Christ. C’est une indication exégétique importante dans la mesure où l’on montre que dans cette secte, il y a suffisamment de motifs culturels [que nous ignorons] qui font que l’on puisse rapporter le symbole de l’oiseau à Jésus-Christ plus qu’à l’Esprit.
A notre avis, plusieurs lectures sont possibles dans cette herméneutique de la théophanie baptismale. La première nous met, peut être, devant ce que l’on appelle la « christologie pneumatique » dont le fondement ne serait autre que « le Seigneur Jésus, devenu Christ par son baptême, est esprit ». La seconde lecture consisterait en ceci : si Jésus-Christ vient comme l’oiseau de l’Esprit-Saint dans la théophanie baptismale c’est parce qu’il est, d’une certaine manière, son fruit économique (Lc 1, 35). L’on met l’accent sur le fait que l’humanité de Jésus est à l’image de la personne de l’Esprit-Saint. Etant totalement porté par l’Esprit et demeurant en lui, il ne peut venir que comme et avec cet Esprit-Saint.
Une troisième lecture est possible. Elle se situerait aux antipodes de la deuxième. Elle mettrait en avant plan le fait qu’une telle christologie pourrait aussi être le signe manifeste de la difficulté que rencontre cette secte dans sa réception de l’originalité inouïe de la personne de l’Esprit-Saint comme une hypostase distincte du Fils de Dieu. Ou encore, pour la secte Jésus-Christ serait en réalité l’Esprit-Saint, vice versa. Nous serions ici devant un modalisme dynamique binaire : seul le Père et une autre personne divine existent réellement. Cette dernière se manifesterait à la fois comme Jésus qui reçoit son baptême dans le Jourdain, et en même temps l’oiseau qui descend du ciel pour inhabiter en ce Jésus.
Bref, l’étude Mgr Joseph Ntedika nous montre que l’originalité de cette secte est très problématique ou à tout le moins ambiguë. Si Jésus-Christ est la personne qui descend en forme de la colombe lors du baptême, alors quel type de lien existe-t-il entre le Fils de Dieu et l’homme que baptise Jean ? L’homme baptisé ne serait-il pas adopté, habité par le Fils de Dieu à partir de l’événement baptismal ? Ne sommes-nous pas devant deux personnes et deux sujets qui subsistent dans un seul et même être humain ? Si la manifestation de l’Esprit-Saint n’est qu’une forme de la manifestation de Jésus-Christ comment éviter le modalisme ou le docétisme ? Il est sans dire qu’il s’agit ici du problème de la réception de l’union hypostatique comme lieu normative de notre saisie de la Trinité des hypostases divines ad extra et ad intra.
Mgr Ntedika ne s’est pas posé ces questions. Une des raisons, croyons-nous, tient au fait qu’il constate que la christologie de la secte est purement fonctionnelle. Il n’y a pas de spéculation abstraite[37]. Un autre élément digne de mention dans cette christologie et sa théologie de la joie (gaudium Christi[38]) dont le fondement est l’amitié de l’être humain avec Dieu, avec Jésus-Christ et avec le prochain. La secte respecte l’initiative divine et dans l’amour pour l’être humain et dans la joie christique que l’être humain éprouve suite à ses relations verticales et horizontales[39].
La section concernant la description de la théologie de l’Esprit-Saint est très brève[40]. Les rapports entre les personnes divines sont celles que nous venons de voir dans la partie christologique : le Père donne, l’Esprit-Saint est donné, Jésus reçoit l’Esprit-Saint. Cependant, l’on ajoute d’autres relations : l’Esprit-Saint est avec Jésus[41] ; l’Esprit-Saint est envoyé par Jésus-Christ auprès des êtres humains[42]. Face à ces êtres humains, l’Esprit-Saint est l’Esprit de Jésus ; il le proclame. L’Esprit-Saint est celui qui fait que les êtres humains accomplissent les œuvres de Dieu. Il permet l’interprétation des symboles du monde sous les signes de Dieu. En tant que tel, il est l’Esprit de Dieu[43]. L’Esprit-Saint habite en nous. Ses œuvres sont aussi divines que celles du Père et de Jésus-Christ[44]. La vocation du prophète et la base biblique de sa mission dans l’œuvre du salut sont également l’œuvre de la personne de l’Esprit-Saint[45].
La deuxième partie de l’article est essentiellement comparative. L’A. situe l’Église de l’Alliance Finale dans le cadre de l’héritage chrétien et ancestral. Il n’ouvre aucune perspective trinitaire à partir de son étude. En effet, il pense que « Les enseignements et les expressions de foi de l’Église de Jésus/Alliance Finale, de Masina, n’ont rien de singulier par rapport à ceux des grandes Églises fondatrices, catholique et protestantes ; ni par rapport à ceux des Mouvements charismatiques et prophétiques de l’époque ancienne ou contemporaine. Théologie dogmatique et spiritualité demeurent identiques à celles mêmes qui se sont développés au cours de l’histoire des Églises chrétiennes. Ce propos se vérifiera tant pour la conception de la vocation et de la mission du prophète que pour la christologie et la pneumatologie […] »[46]. Effectivement, le commentaire que l’A. fait sur la christologie et la pneumatologie de la secte n’apporte rien de nouveau qui mériterait d’être signalé ici[47].
Son étude de 1997 sur « L’Église-Famille chez les Pères de l’Église[48] » est utile à analyser parce qu’elle parle des fondements de ladite Église et dans la culture africaine et dans la Trinité. Dès le troisième paragraphe de son introduction à cette étude l’A. affirme que « L’Église-famille dont traitent les Pères de l’Église évoque surtout l’Église domestique conçue sur le modèle de la petite famille nucléaire gréco-romaine, avec père, mère, enfants[49]. L’Église-famille du Synode africain signifie avant tout une Église conçue d’après le modèle de la grande famille clanique africaine. Les deux types de famille doivent être expurgés, réaménagés et ouverts plus largement aux autres, suivant les exigences de la foi, de la morale et de la spiritualité chrétienne »[50]. Tel est donc le fondement anthropologique de l’Église-Famille de Dieu en Afrique[51]. Le passage se fait de l’Église domestique entendue comme structure tripartite à l’Église dont la structure anthropologique est la famille élargie. Qu’en est-il du fondement théologal ? C’est dans sa description des enseignements du Synode africain qu’il trouve le fondement trinitaire de l’Église-Famille. C’est dans l’amour trinitaire de Dieu, qui est le principe et la fin de l’Église, que l’A. se réfère comme fondement théologal de l’ecclésiologie post-synodale africaine[52].
Conclusion
Tout compte fait, l’on retiendra que les recherches de Mgr Joseph Ntedika que nous avons analysées nous sont utiles dans la mesure où elles nous présentent la doctrine de Dieu de la RA. Elle nous parlent également de la plénitude de l’être humain telle qu’envisagée dans et par la RA. Concernant la doctrine de Dieu de la RA, les recherches dont l’A. fait écho nous mettent devant deux positions exclusives l’une de l’autre : existence et non-existence du culte vers Dieu ; l’acceptation et le manque de prise en compte de Dieu comme fin ultime de la vie spirituelle de l’être humain. Sur le plan des analogies parentales, l’A. nous a signalé que les spécialistes de la RA admettent que Dieu est à fois le Père et la Mère de l’humanité. En lui, il n’y a pas de séparation entre la paternité et la maternité.
Quant à la plénitude de l’être humain dans la vie-là, les métaphores que l’on utilise dans la RA rencontrent, affirme-t-il, leur plénitude dans les symboles eschatologiques qui traduisent l’identité même des personnes divines dans le christianisme. La secte chrétienne qu’il a analysée met un pont entre l’eschatologie clanique africaine et la doctrine de la Trinité chrétienne. Son étude sur l’apport du 1er Synode Africain montre que cet événement avait aussi assumé les valeurs anthropologiques et religieuses de famille clanique africaine comme fondement de son ecclésiologie. Ce même Synode, nous dit-il, avait aussi affirmé que c’est la Trinité qui est le fondement ontologique et exemplaire de l’Église-Famille. Ces intuitions et le matériel que le spécialiste en sciences historiques et patristiques à mis à notre disposition est un patrimoine que les systématiciens congolais a le devoir d’exploiter et de porter à la doxologie comme ultime instance de notre connaissance du mystère et de notre adhésion totale à la Trinité. Bref, l’apport de Mgr J. Ntedika consiste dans le fait de nous montrer que la recherche trinitaire en Afrique se nourrit des sources internes à l’Églises, de la RA et des synthèse des mouvements religieux afro-chrétiens. Ceci signifie que Dieu nous parle à travers tout notre contexte historique et religieux et que le systématicien ne peut se priver de la facticité historique pour aller plus loin que ça en faisant découvrir à l’Église-Famille du Père, Église-Fraternité du Fils et Église-Fécondité de l’Esprit-Saint, le surplus de sens dogmatique qui y déposé par Dieu lui-même en synergie avec la présence et l’action humaines.
[1] NTEDIKA Konde, Mgr, A la rencontre de Dieu. Considérations sur l’apport des Cahiers des Religions Africaines, dans AA.VV., Interpellations et croissance de la foi, p. 33-47. Cette étude a été reprise en grande partie, en 1993, dans ID., La mystique africaine traditionnelle, dans ZUAZUA, D., La mystique africaine, p. 65-95. Ma présentation est intentionnellement très limitée. Elle n’aborde pas les recherches patristiques et historiques de notre auteur. Du point de vue du temps, mon étude prend comme point de départ les années 1990. Ceci pour dire qu’il reste un énorme champ de recherche de la place de la doctrine de Dieu dans l’œuvre du prof. Joseph Ntedika Konde.
[2] Ibid., p. 33.
[3] Ibid., p. 34.
[4] Ibid., p. 34-35.
[5] Ibid., p. 35.
[6] Ibid., p. 37.
[7] Ibid., p. 37-38.
[8] Ibid., p. 38.
[9] Ibid., p. 39. Une partie de la p. 41 et celle de la p. 42, expose l’Eschatologie de la RA avec les mêmes affirmations de base : négation et affirmation de l’existence d’un face-à-face avec Dieu ; prédominance du culte des Ancêtres et des biens terrestres.
[10] NTEDIKA KONDE, J., Eschatologie Kongo : ‘‘Ku Masa’’. Étude cosmologique et anthropologique, dans AA.VV., Philosophie et vie. Actes des Premières Journées Philosophiques de Boma du 26 au 29 mai, Boma, Grand Séminaire ‘‘Abbé Ngidi’’ de Boma, 1994, 18-35.
[11] Ibid., p. 26-30.
[12] Cette citation est erronée. Voici ce que dit Ap. 22, 6 : « Puis il me dit : ‘‘Ces paroles sont certaines et vraies ; le Seigneur Dieu, qui inspire les prophètes, a envoyé son Ange pour montrer à ses serviteurs ce ce qui doit arriver bientôt... ».
[13] Ibid., p. 33.
[14] MAFUTA.
[15] KINKOLE.
[16] L’A. pouvait aussi faire une comparaison de la thématique, par exemple, avec le chuchotement d’eau (Esprit-Saint) qu’entendu s. Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, 7, 2.
[17] Détails, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., Trinité et eschatologie solidaire africaine, dans De Trinitatis mysterio et Maria. Acta Congressus Mariologici-Mariani Internationalis in Civitate Romae anno 2000 Celebrati. Sectio Africana et Asiatica, Vol. II, PAMI, Città del Vaticano, 2006, p. 45-138.
[18] NTEDIKA Konde, (Mgr), La christologie et la pneumatologie de la secte de l’Alliance finale, dans Sectes, cultures et Sociétés. Les enjeux spirituels du temps. Quatrième Colloque International du CERA en collaboration avec la Fédération Internationale des Universités Catholiques (FIUC), Kinshasa 14-21 novembre 1992, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, 129-145. Nous ne reprendrons pas textuellement les descriptions de l’A. En revanche, nous dégagerons souvent des éléments théologiques utiles à la théologie trinitaire inculturée.
[19] L’A. le dit expressément dans Ibid., p. 130, note 1 et donne une note bibliographique qui parle, entre autres, de la secte des Antoniens, des Kimbanguistes et d’autres mouvements de résistance kongo.
[20] Ibid., p. 130.
[21] Ibid., p. 130-131.
[22] Ibid., p. 131. C’est une donnée que l’on retrouve aussi dans l’eschatologie africaine. Les gens qui vivent dans le village des Ancêtres sont situés, chacun dans son clan. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Eschatologie Kongo, p. 24-26 et 32.
[23] Nous venons de voir que dans la vision du prophète Kimbangu Dieu lui-même parle une langue du Congo, le Kikongo. Sur le plan de la signification théologique des langues africaines dans le plan du salut, la vision kimbanguiste est donc plus avancée que celle de cette secte. En effet, une langue parlée par Dieu lui-même et une autre parlée par un groupe d’êtres humains dans leur condition eschatologique n’ont pas le même poids dans la révélation du mystère qui n’est autre que Dieu lui-même comme personne qui parle.
[24] Ibidem.
[25] Ibidem.
[26] Ibidem : « Il [Mungunzi] est le dernier envoyé de Dieu, du Seigneur Jésus-Christ et des esprits célestes (les Chefs du ciel), pour l’annonce de la promesse de Dieu, de la dernière Alliance et de la fin du monde. Par conséquent, le nom de Mungunzi Mundambu change ; il devient : ‘‘le-dernier-envoyé, l’apôtre-du-Zaïre-et-du-monde-entier, l’apôtre-del’Eglise-de-Jésus, de-l’Alliance-Finale et du Dessein-universel-du-Dieu-des-Ancêtres ». Ce qui est intéressant dans cette citation c’est l’insertion de toute la hiérarchie des êtres à l’africaine : Dieu, les Esprits, les Ancêtres et les vivants actuels sur terre (voir aussi, Ibid., p. 132 ; ID., A la rencontre, p. 37). En plus, la théologie du nom, celle de la gloire et de l’alliance font écho à la théologie du Judéo-Christianisme antique. Détails dans DANIÉLOU, J., Théologie du Judéo-Christianisme, Paris, Desclée/Cerf, 19912 ; SESBOÜÉ, B., Les premiers discours chrétiens et tradition de la foi, dans SESBOÜÉ, B. et WOLINSKI, J., Le Dieu du salut, Paris, Desclée, 1994, p. 21-67, p. 26-29.
[27] Ibid., p. 131.
[28] Ibidem.
[29] Ibid. p. 132.
[30] Ce commentaire est nôtre. Du même avis, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, F., En mémoire du professeur P. Kisimba, dans ID., (éd.), Trinité…, p. 6. De l’avis contraire, MATAND Bulembat, J.-B., ‘‘Le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis’’, dans AA.VV., L’Église-Famille et perspectives bibliques. Mélanges Paul Cardinal ZOUNGRANA. Actes du huitième congrès de l’Association Panafricaines des Exégètes Catholiques, Ouagadougou, Burkina Faso du 19-27 juillet 1997, s. éd. Kinshasa, 1997, p. 127-150, p. 145-148.
[31] Ibidem.
[32] Il y a sans doute ici l’insertion de la logique de la RA qui affirme que les biens proviennent de Dieu et des Ancêtres et même des esprits. Seulement qu’ici, l’on ne parle pas des Ancêtres. Cf. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), A la rencontre, p. 37-39.
[33] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), La christologie, p. 132.
[34] Ici également la logique de l’Eschatologie de la RA est assumée, c’est-à-dire, la projection de l’ici-bas dans l’au-delà. NTEDIKA Konde, J. (Mgr), Eschatologie, p. 30.
[35] ID., La christologie, p. 132. Le thème de la force (ngolu) est un des sujets centraux de la RA.
[36] Ibid. p. 133. Nous soulignons.
[37] Ibid. p. 132.
[38] Le commentaire de l’A. à cet effet voir, Ibid. p. 143 : « Notre joie imprescriptible ».
[39] Ibid. p. 133-135.
[40] Ibid. p. 136-137.
[41] En leur langage l’on dit que « l’Esprit-Saint respire du fils de Dieu ». Ibid., p. 136.
[42] Ibid. p. 136.
[43] Cette affirmation est d’une importance capitale, dans la mesure où l’Esprit de Dieu (Pneuma tou Theou) dans son Don économique par le Père. L’identité de l’Esprit-Saint comme « Esprit de Dieu » révèle son identité proexistentielle. Il ne s’agit pas de l’Esprit préexistant dans le monde avant l’incarnation du Fils et l’événement de la Pentecôte, comme le font certains théologiens catholiques.
[44] Ibid. p. 136.
[45] Ibid. p. 137.
[46] Ibid. p. 138.
[47] Ibid. p. 142-143.
[48] NTEDIKA Konde, J. (Mgr), L’Église-Famille chez les Pères de l’Église, dans Église-Famille ; Église-Fraternité. Perspectives post-synodales. Actes de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1997, p. 223-237.
[49] Du même avis, GIORGIO, G., Simbolismo del ‘Padre’, dans ID. (éd.), Dio Padre Creatore. L’inizio della Fede, Bologna, EDB, 2002, p. 193-225; dans le même livre, DAL COVOLO, E. – MARITANO, M., Dio Padre e Creatore nella Patristica, p. 231-250, p. 242.
[50] Ibid. p. 223.
[51] La même idée est reprise dans Ibid. p. 224 et p. 235-237.
[52] Ibid., p. 224.

vendredi 3 juillet 2009

La Trinité et l’union vitale chez Vincent MULAGO (1960, 1965 et 1972)


Par Flavien Muzumanga Ma-Mumbimbi


L’étude de l’œuvre de Mulago est une porte obligée en théologie africaine et spécifiquement congolaise. Mais à cela, il faut ajouter le fait qu’une possible étude de ce grand théologien congolais qui ne prendrait pas pour point central son anthropologie familiale africaine aboutirait à un échec évident. En effet, tous les thèmes majeurs de sa pensée s’articulent autour de l’union vitale, de la sagesse dont les Ancêtres sont les initiateurs[1] ; de la solidarité, de la fraternité, de l’identité et de l’indivisibilité du sang de l’Ancêtre fondateur[2]. Mulago est connu pour son ecclésiologie et sa théologie des sacrements[3] soutenus, comme déjà dit, vigoureusement par l’anthropologie du clan africain[4]. Il considère cette anthropologie familiale clanique africaine comme un mode de réception et d’expression de la foi[5] en relation analogique avec le mystère de l’incarnation[6]. C’est cette prise en charge de l’analogie familiale clanique africaine[7] qui lui permet de parler d’« une vraie confessio africana qui, sans devoir formuler une nouvelle profession de foi, mais à partir de l’Évangile et du Credo traditionnel, donnerait une réponse aux problèmes particuliers du chrétien africain de notre temps »[8].
Cela étant acquis et vu l’objectif de ma recherche trinitaire, il faut cependant se demander si Mulago avait appliqué cette anthropologie familiale clanique à la Trinité. Avant de répondre à la question, il convient de faire remarquer que Mulago n’a pas écrit une étude monographique sur le mystère de la Trinité. En revanche, il a abordé quelques fois le thème de ce mystère fontal en recherche du fondement de son ecclésiologie dont l’analogie de base est le clan et son dynamisme intérieur[9]. Mulago a aussi abordé la question du mystère de la Trinité pour pouvoir trouver l’exemplarité de la famille dans le sens de la relation qui existe entre un époux et une épouse, vice versa. Dit autrement, Mulago a effectivement utilisé l’analogie de la famille en rapport avec la Trinité. Son application de la famille comme analogie de la Trinité est la conséquence de sa théologie de la solidarité. Cette dernière est comprise comme « la communion, la participation vitale, l’unité de vie des membres de la communauté »[10]. A ses yeux, c’est la participation à la même et unique vie qui est le sommet des valeurs de la communauté clanique bantu. Ce principe absolument dynamique permet l’influence vitale réciproque entre les membres d’une communauté et sa concrétisation matérielle par l’usage des symboles[11].
Mulago entend par union vitale une relation d’être et de vie qui implique : ascendants/descendants ; famille ou frères et sœurs de clan ; enfin Dieu : source première et ultime de toute vie. « Dieu est le Participable imparticipé, le Principe non-principié de tout être et de toute vie »[12]. Il est à noter à ce niveau l’utilisation de la « relation d’être et de vie », de « l’identité entre la famille et le clan », de « Dieu est de la famille en tant que Source première et ultime de la vie (Nyamuzinda), plénitude même de l’être et de la vie »[13]. L’on comprend que cette citation nous interdit de parler d’une famille africaine purement naturelle. En effet, dans la définition même de la famille, de toute famille, il y a déjà l’insertion de Nyamuzinda en tant qu’il est la plénitude de la vie. Si la famille est vie, c’est parce que Dieu y est au principe et en est le Principe. Ceci fait que dans la famille existe une pleine circularité de vie, une vraie dynamique vitale qui trouve son épiphanie dans l’être humain de telle manière qu’il est impossible de parler d’une anthropologie essentialiste et figée.
En revanche, il sied de soutenir une vraie « Dynamologie bantu, puisque le ntu est susceptible d’accroissement ou de décroissance… »[14]. Cette dynamique de l’anthropologie de la famille est d’une importance telle que chez Mulago l’interprétation des relations en Dieu en sera foncièrement marquée. C’est dire que chez Mulago, l’application de la famille comme analogie de la Trinité ne peut se comprendre qu’à partir « de ce flux de vie qui venant de Dieu atteint toute la hiérarchie des êtres »[15], leur agir et leur communauté de moyens vitaux[16]. Ce flux accroît et décroît dans un jeux relationnel qui ne se soumet pas à la logique de la fixité ontologique, car la conception que le Muntu a de l’être est synthétique et unificatrice. Pour lui, l’être est foncièrement un et tous les existants sont ontologiquement reliés[17].
Un autre élément essentiel qui détermine la manière dont Mulago applique le concept de la famille à la Trinité est sa conception du mariage. A ses yeux, « Le mariage est un trait d’union entre deux familles claniques, qui deviennent, de ce fait co-familles »[18]. Il convient de noter, comme nous le verrons plus tard, que dans son application du diagramme restreint « époux – épouse, vice versa » au mystère de la Trinité, Mulago tiendra absolument compte de sa critique du mariage bantu qui privilégie, selon lui, la paternité et la maternité au détriment des relations interpersonnelles entre les époux[19]. Pour le moment limitons nous à cela tout en retenant que dans tous les cas, Mulago n’applique pas à la Trinité l’analogie de la famille identifiée strictement et exclusivement à la conception occidentale tripartite : « père – mère – enfant ».
En effet, déjà en 1960 dans leur application concrète du concept de la famille (Jamaa) comme analogie de la Trinité, Mulago et Theuws vont de la famille nucléaire à la famille humaine globale. Il y a chez eux une inexistence et une coexistence de la famille nucléaire tant avec la famille clanique qu’avec la famille humaine globale. Le principe qui motive l’application de cette analogie n’étant autre que l’exemplarité de la Trinité sur la famille humaine[20]. En 1965 dans son célèbre livre « Un visage africain du christianisme. L’union vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale[21] », Mulago est plus qu’explicite dans le rapport qui existe entre la Trinité et le « clan » identifié à l’Église par la voie suréminente. Il suit par là la procédure classique de l’application de l’analogie : affirmation, négation et affirmation suréminente. Le schéma prit par l’A. est proprement celui de l’Église latine. Mulago part de l’unicité de Dieu et de sa nature. Il identifie strictement ce Dieu à Nyamuzinda qui s’appelle aussi Imana. Cette compréhension de Dieu lui permet de dire que Nyamuzinda ou Imana lui-même dans la seconde Personne de la Trinité, est la tête, le Chef des Chrétiens. C’est aussi lui-même Imana ou Nyamuzinda dans l’Esprit-Saint, la troisième Personne de la Trinité, qui a formé le Christ dans le sein virginal de Marie[22].
Cette affirmation de Mulago concerne la révélation de Nyamuzinda aux êtres créés. C’est dire que nous sommes dans l’économie. Pour notre théologien, il n’y a pas de don du Christ et/ou de l’Esprit-Saint qui n’implique pas l’autocommunication de Nyamuzinda. Le Dieu révélé en Jésus-Christ et dans l’Esprit-Saint est l’unique et identique Dieu connu et nommé par nos Ancêtres, de manière différentielle, en nos langues. La révélation du Fils dans l’Incarnation et celle de l’Esprit-Saint qui agit pour que se réalise le mystère de l’union hypostatique implique Nyamuzinda. C’est par l’intermédiaire des relations entre les hypostases divines que l’Église elle-même, comme clan du Christ, est gouvernée par Nyamuzinda. Ainsi, le fondement de l’Église dans la Trinité a un point ultime : le principe inprincipié qu’est Nyamuzinda. L’ordre divin est donc très important dans la pensée de Mulago.
Mulago n’affirme pas que la révélation de Nyamuzinda implique celle de son Fils et de l’Esprit-Saint. Il ne dit pas que la connaissance de Nyamuhanga par nos anciens impliquait aussi la connaissance de la Trinité des hypostases, malgré leur ignorance historique factuelle de cette révélation. Il est bien question ici de la distinction à maintenir entre la vie intime de Dieu en lui-même, son autocommunication tel qu’il est et le registre de la connaissance humaine. La préoccupation de Mulago est de montrer l’identité qui existe entre le Dieu des nos Ancêtres et le Dieu des chrétiens et pas l’inverse. L’on peut dire que la tentative de Mulago dans son interprétation de la relation qui existe entre la Trinité et son Église n’apporte aucune vision nouvelle au niveau proprement de la théologie trinitaire. Elle est l’application de la théologie occidentale classique à l’Afrique en changeant le nom Père par deux noms africains (Nyamuzinda et Imana). L’on peut aussi étayer à cela son cadre d’explication. En effet, dans son traitement de la révélation de Dieu aux Africain (e)s, l’A. part d’abord des attributs divins tels que saisis chez les Bantu. C’est dire que chez lui la démarche philosophique précède celle de l’analyse proprement théologique[23], comme chez Thomas d’Aquin[24]. C’est dans ce cadre que le nom Père est pour lui l’attribut de Dieu qui résume tous les autres[25].
A cela l’on peut répondre en disant que, l’effort de Mulago est innovateur dans le domaine proprement anthropologique. C’est dans la base de l’analogie humaine qui est le soubassement de la compréhension du mystère trinitaire que le théologien congolais introduit le système familial africain (le clan des Bantu) et sa notion d’union vitale. Ceci change qualitativement l’intelligence de la foi en un Dieu un, unique et Trinité comme fondement ultime de l’Église, clan du Christ. La famille clanique entre en la Trinité par le Christ, dans son Corps mystique qui est son Clan. La famille africaine clanique entre en Dieu par la voie et la vie de la Trinité pour nous dans monde. Le point de départ de Mulago est économique. En cela, son effort théologique correspond à la théologie de son époque qui est essentiellement marquée par l’ecclésiologie.
En utilisant le concept d’union vitale Mulago met en avant plan le caractère dynamique et surfécond de l’être paternel de Dieu qui se révèle en son Fils et dans son Esprit. Ce dynamisme et cette fécondité de Dieu se manifestent aussi par son action vis-à-vis de sa famille clanique. Pour étayer sa pensée du point de vue de la christologie, Mulago utilise cette analogie de proportion :
Le Christ, comme Chef de l’humanité régénéré, comme Fondateur et Chef du ‘Clan’ ecclésial, du Corps mystique, n’est complet qu’avec ses membres, tout comme analogiquement, un fondateur du clan, un père de famille, un mwami [roi], ne peuvent se concevoir séparés de leur clan, de leur famille, de leur royaume[26].
Cet extrait est riche en contenus. Le Christ est comparé au fondateur d’un clan. Il y est aussi identifié, directement, à l’Ancêtre fondateur. Etre Ancêtre signifie déployer son identité à la fois comme Père et ou Mère d’un clan. En plus, le Christ est identifié analogiquement à un père de famille (restreinte). Enfin, Christ est comparé à un roi (mwami) qui est considéré comme un père dans son royaume. Il y a donc trois niveaux d’application de la paternité africaine dans cette analogie. L’analogie de proportion directe utilisée par l’A. a pour finalité de nous montrer l’être relationnel qui ne souffre et ne peut pâtir d’aucune fraction dans le rapport qui existe entre l’origine (Ancêtre fondateur, père de famille, mwami), les descendant(e)s et les sujets. Cette même analogie de proportion vise l’inhabitation mutuelle des personnes qui sont en commerce.
Outre cette vision christologique, il convient de retenir que l’approche trinitaire de Mulago va se centrer sur la Vie et la fécondité, qualités essentielles d’une famille clanique africaine. C’est ce qu’il va dire expressément en 1969. « Chez les Bantu, Dieu sera présenté comme la Vie par excellence, Vie féconde et Amour communicatif dans une communauté de Trois »[27]. Cet extrait est une conclusion d’une longue réflexion que nous reproduisons ici avant d’en dégager les lignes maîtresses.
La conception que les Bantu se font de Dieu pourra être exploitée comme base d’un traité du « Mystère de Dieu ». Ce Dieu, source de toute vie, est en même temps la source de toute communauté, de toute participation dans la communion. Source de toute vie et de tous les moyens vitaux, il est Père, il possède la nature divine, la Vie divine originellement, et communique sa Vie depuis toute éternité. Le terme de cette fécondité, c’est la deuxième Personne divine, le Fils. Le Fils possède totalement la Vie divine, comme le Père, mais puisqu’il la possède par communication, il se distingue du Père qui en est le principe. Et depuis toute éternité, le Père et le Fils s’aiment et sont tendus l’un vers l’autre. Cet amour s’exprime dans une troisième Personne, le Saint-Esprit, qui est comme le regard mutuel du Père vers le Fils et du Fils vers le Père. Comme la paternité et la filiation, la spiration, ou la procession du Saint-Esprit, est éternelle en Dieu.
En Dieu existe donc une famille, une communauté basée sur une communion – participation (univoque) à une même Nature, à une Essence, à une même Vie. C’est l’unité la plus parfaite, dont toutes les autres ne sont que des rayonnements et imitations[28].
Apparemment le texte peut-être dit partout dans le monde catholique sans qu’il ne sonne spécialement comme une nouvelle interprétation de la Trinité. Mais, ce dont il faut tenir compte à ce niveau, c’est le fait que tous les concepts que Mulago utilise ici proviennent de sa méditation sur la famille clanique africaine et de ses moyens vitaux.
Ceci fait que quand l’A. parle de l’existence en Dieu d’une famille, il ne parlera pas du nombre et de sa ligne de déploiement (père - mère - enfant), mais des qualités relationnelles qu’elle renferme : communion - participation. Mulago avait pris le soin de dégager ces qualités dans son analyse des institutions familiales, sociales, politiques et religieuses des bantu[29], avant de les appliquer maintenant aux hypostases divines. Autrement dit, pour Mulago, Dieu est famille non pas dans la forme historique concrète de telle ou telle famille, mais dans sa communion – participation. C’est dans son élément dynamique que la famille est analogique à Dieu. Pour rendre évidente son option, non pas pour une famille nucléaire mais plus large, je donne un extrait de la suite du texte cité ci-haut dans lequel l’A. parle de l’image trinitaire de Dieu dans la famille humaine[30].
L’homme, par sa création, participe à la Vie de Dieu et à son unité. Mais, Dieu a voulu que l’homme participe aussi à son mystère trinitaire. Adam et Eve forment, dès le commencement, la première famille humaine, la première communauté humaine. Et le Seigneur Dieu bénit ce premier couple et lui donna le don de la fécondité : Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là’ (Gn 1, 28).
Ainsi l’homme est rendu participant de la fécondité divine ; il devient coopérateur de Dieu dans le prolongement de la création. C’est de ce premier couple que sont issus tous les hommes et toutes les familles humaines[31].
Ce texte est curieux dans la mesure où Mulago affirme qu’avant la création de la femme, l’homme n’était qu’à l’image de l’unicité de Dieu. L’homme ne participait qu’à la vie de Dieu un, mais sa plénitude anthropologique trinitaire n’arrivera qu’avec la création de la femme. La position de Mulago est une conséquence directe de son anthropologie théologique de la participation-communion. Un être humain seul ne peut réaliser cette participation-communication reflet créé de la Vie de Dieu et en Dieu[32]. Mulago n’utilise pas l’analogie psychologique comme reflet trinitaire dans l’être humain individuel.
Pris dans sa profondeur dogmatique, l’extrait cité comporte des énormes conséquences sociétaires et ecclésiales. En effet, construire une société dans laquelle seul dominerait le genre masculin serait synonyme d’appartenir à une économie inachevée de Dieu. Or, dans la vraie foi catholique il n’existe aucune possibilité pour un « Dieu un » qui ne serait pas nécessairement le « Dieu Trine ». Donc, vivre d’une économie inachevée de Dieu, c’est en fait refuser de vivre de Dieu tel qu’il est. Il s’agirait tout simplement ici d’une idolâtrie. Ce qui est dit pour l’unicité vaut également pour sa trinitarité. En effet, une existence exclusive de l’homme par la femme désarticulerait l’unicité de la Trinité. Ceci conduirait, sans nul doute, au polythéisme.
L’on comprend alors pour quel motif le théologien congolais insistera sur la relation bipolaire « homme – femme, vice versa ». Pour lui, c’est dans la famille « Adam et Eve » que se trouve l’analogie de Dieu en lui-même comme famille. Ceci est très important dans la mesure où le déploiement de la descendance ou de la fécondité biologique qui vient d’Adam et d’Eve n’apporte aucune autre révélation de l’identité de Dieu. Les relations qui lient Adam et Eve, vice versa, comme famille sont l’épiphanie de la Trinité. Nous sommes ici loin de la vision tripartite de la famille « père – mère – enfant ».
Une question se pose cependant. Quelle est la finalité du troisième terme dans une famille ? De même que les relations « époux-épouse, vice versa » traduisent les relations intradivines (Trinité ad intra), de même les relations « paternité/maternité – filiation » traduisent la fécondité de Dieu dans la création (Trinité ad extra). Cette position théologique est le fruit de son souci pastoral dans le domaine du sacrement du mariage. Mulago voulait que les chrétiens africains qui se marient dans le Christ découvrent par ce sacrement leur égalité et leur condignité (condignus) basées sur l’amour reçu (debitus) dans le couple comme gratuité (gratuitus). Nous sommes en fait dans la perspective de Richard de Saint-Victor (mort en 1172), mais diversement assumée à cause de la diversité de contexte. Il convient maintenant de reprendre ici sa critique du mariage traditionnel africain[33] dont le danger est connu : la réduction de l’épouse à un pur moyen de production des enfants. Pour notre théologien, l’on ne vit de la Trinité que si l’ont vit de la communion-participation[34]. C’est pour cette raison que Mulago modifiera l’optique du mariage traditionnel qui ne concorde pas avec la vision chrétienne de l’amour trinitaire qui se donne déjà dans le premier couple humain.
Dans le mariage africain l’aspect père-mère prévaut sur l’aspect époux-épouse. Le mari y est considéré avant tout comme le père (ou le futur père), la femme comme la mère (ou future mère) de leurs enfants. La femme et le mari ne sont pas vraiment époux que du jour où ils ont mis au monde leur premier enfant, surtout le premier mâle.
Le mariage est donc considéré essentiellement comme source de vie. C’est la fécondité qui rend les époux pleinement époux, c’est par elle qu’ils prolongent leurs ascendants et se prolongent eux-mêmes dans leur descendance[35].
Cette citation ne donne de sa pleine lumière théologique qu’en rapport avec la spiritualité matrimoniale de l’A. Mulago le fait en reprenant, en 1972[36], le thème de la famille dans sa configuration africaine en relation avec la Trinité. Ce n’est pas une nouveauté, parce que l’A. reprend ici le texte qu’il avait publié en 1969 avec son collègue Th. Theuws[37]. La reprise de ce texte par Mulago seul marque l’importance théologique qu’a l’étude pour l’A. lui-même. Pour nous, cette reprise vient à bon point. Elle nous permet d’éclairer la question de l’analogie familiale dans la Trinité à partir du couple humain « époux-épouse, vice versa ».
Mulago cherche une spiritualité de la famille (Jamaa) africaine. Il ne cherche pas d’abord de trouver une correspondance dans la famille humaine des analogies trinitaires en vue d’éclairer le mystère de la Trinité. Ce qu’il cherche c’est partir « de la ‘Jamaa’ (la Famille) trinitaire » pour fonder en elle, le « modèle du foyer chrétien ». C’est le mystère de la Trinité qui éclaire la famille (Jamaa) et pas le contraire. La question que Mulago se pose donc est celle de savoir comment le mystère de la Trinité est le modèle de la famille africaine. Voici sa réponse :
1. Dieu = Vie féconde et Amour communicatif dans une communauté de Trois. Le mystère de la Trinité est le principe de la vie qui anime les membres de l’Église :
Dieu est Père ;
Dieu est Fils ;
Dieu est Amour mutuel, Don réciproque du Père et du Fils[38].
2. La ‘‘Jamaa’’ (la Famille) trinitaire, modèle du foyer chrétien :
a) La paternité (ubaba) et la maternité (umama) des époux l’un vis-à-vis de l’autre. L’époux est père de son épouse, et l’épouse, mère de son époux.
b) Filiation réciproque. Le mari est fils de sa femme, et la femme fille de son mari.
Ainsi, le premier enfant d’une femme chrétienne, c’est son propre mari, et la première enfant d’un chrétien marié, c’est sa femme.
c) Amour et don total. Les époux tâchent d’imiter la Trinité dans leurs relations interpersonnelles [...] Cette paternité ou maternité, cette filiation et cet amour mutuel s’étendent à tous les wajamaa et à tous les membres du Corps mystique du Christ, ainsi qu’à tous les hommes [...] L’idéal serait de faire de toute la paroisse, de tout le diocèse, de toute l’humanité une Jamaa, une communauté, une famille : ‘Qu’ils soient un’ (Jn. 17, 11)[39].
Il n’y a aucun doute ici que l’A. cherche à poser l’égalité et la condignité des époux. En même temps, il y a une nette option pour le caractère dynamique dans les relations d’origine qui déterminent les liens entre ces époux. Pour Mulago, le troisième terme dans les relations sponsales n’est pas à identifier d’abord avec une hypostase différente de deux parents pris ensemble. Dit d’une autre façon, il n’y a pas d’identité stricte entre le nous conjugal et la génération réelle de la descendance. Cette affirmation se trouve dans l’énoncé de la filiation réciproque entre les époux. Dans les relations qui tissent la paternité/maternité strictement identique à l’être époux/épouse, la filiation est une condition anthropologique nécessaire des parties en commerce. Mais, cette filiation est le fait de « naître » de l’époux et de l’épouse, l’un de l’autre et vice versa.
Et pourtant, nous ne sommes pas cloués dans une relation dyadique autosuffisante et exclusive des autres. La paternité, la maternité et la filiation des époux l’un pour l’autre, vice versa, conduisent à une interpersonnalité ouverte à la famille clanique et universelle. Il est évident que c’est l’idée de la famille nucléaire qui vient en premier lieu. Il est aussi clair que c’est à cette famille restreinte que la Famille trinitaire est mise en relation analogique. Cependant, l’on ne peut ne pas noter ici que plusieurs logiques entrent en jeux dans cette affirmation analogique.
D’abord, celle qui consiste à identifier analogiquement la famille restreinte avec la Trinité. En effet, l’A. affirme une vraie existence de la « Jaama trinitaire ». Le caractère restreint de la famille en Dieu ne tient pas au nombre, mais au caractère univoque et exclusif de sa communion-participation. Dieu est famille de telle sorte qu’aucune autre réalité créée ne peut l’être. Ensuite, l’accent porte sur la causalité exemplaire qu’exerce la Famille trinitaire sur le « foyer chrétien ». C’est dire que, ce n’est pas parce que le foyer chrétien est trinaire ou tripartite (Père, Mère et Descendance) que la Trinité est Famille (Père, Fils et Esprit-Saint). Au contraire, c’est parce qu’en Dieu il existe réellement la plénitude d’être famille que le foyer chrétien doit se modeler à son image.
Comme conséquence immédiate, on ne peut s’attendre que Mulago identifie chacune des Personnes divines avec les trois composantes du foyer chrétien. Mulago vise l’imitation que la famille humaine doit faire de la vie trinitaire. Au fond, l’analogie de Mulago vise le mode d’être (modus essendi) et d’agir (modus operandi) des personnes plutôt que leur ontologie, leur nombre et leur taxis[40]. Il y a, en outre, la question subtile du rapport qui existe entre le « foyer chrétien » et la famille identifiée à toute l’humanité, passant par le Corps mystique du Christ. Au lieu d’opposer le foyer chrétien à la famille clanique, le ‘Clan’ du Christ et à toute l’humanité, Mulago les intègre tous dans une harmonie qui débouche sur la dépendance mutuelle de tout dans la globalité. C’est ici une mise en relief évidente du caractère communautaire du mariage bantu et de sa famille clanique. A ne pas oublier que ce caractère est premier chez lui. Dans la théologie du mariage et famille de Mulago, le caractère communautaire constitue le point de démarcation majeure entre la vision occidentale et la vision africaine[41].
En plus, le problème qui n’est pas à négliger est celui lié au renversement des positions familiales. Nous pensons que ce renversement obéit à la logique des initiations africaines. Même si le diagramme est trinaire « père/mère/enfant », il est impossible, selon cette vision de mettre une hiérarchie au sens d’un pouvoir subjuguant. Au contraire, sous le fond de l’union vitale, il y a une forte prédominance de la circularité familiale, de l’égalité et du respect réciproque, signes de l’amour mutuel qui se déploie dans la fécondité[42].
Cependant, dans cette famille il y a des notes qui ne peuvent changer : le père demeure tel, vis-à-vis de son épouse et la descendance ; de même, la mère demeure telle tant pour l’époux que pour la descendance. Chez Mulago, il y a donc deux types de filiation. La première constitutive à toute relation sponsale c’est-à-dire celle qui existe entre les partenaires. La seconde constitutive, mais peut manquer sans pourtant alterner l’image trinitaire de la famille, est celle qui s’identifie avec la filiation différente du père et de la mère.
D’après Mulago l’épouse et l’époux sont, de manière identique et simultanée, les premiers-nés de toute famille restreinte africaine. Dans cette logique, la plénitude de la famille nucléaire n’attend pas nécessairement un autre pôle différent des premiers-nés qui sont l’époux et l’épouse, vice versa. Dans cette même perspective, l’épouse et l’époux sont mère et père d’eux-mêmes comme ils sont également et au même moment fils et fille, vice versa.
L’on voit que sur le plan proprement dogmatique l’application à la Trinité, même de façon analogique, de ces concepts anthropologiques et de leur interpersonnalité est absolument délicate. Mulago l’a bien compris et il ne l’a pas fait. Il a bien distingué la visée pastorale de son exposé et l’entreprise dogmatique qu’impliquerait cette analogie familiale restreinte. Une impossible application de cette analogie introduirait une identité stricte entre toutes les personnes de la Trinité contredisant et niant ainsi l’inascibilité du Père et le fait que l’Esprit Saint ne procède pas par engendrement, ni le Fils n’est tel par spiration. Mulago garde sauve la distinction nécessaire entre l’ousie et l’hypostase divine.
Dans la Trinité l’égalité, l’unité et la périchorèse entre les hypostases divines ne conduisent nullement au fait que le Père soit le Premier Fils de son Fils; le Verbe le Premier-né de l’Esprit-Saint ; ni l’Esprit le Premier Fils du Père et/ou du Fils. Dans la Trinité seule la première personne engendre et spire sans qu’elle-même ne provienne d’aucun autre principe; seul le Verbe est engendré comme Fils; seul l’Esprit est l’Amour mutuel, Don réciproque du Père et du Fils[43].
En plus, dans la Trinité ad intra, il y a une seule, unique et vraie filiation qui n’admet nullement d’enfance. Le Fils de Dieu n’est pas son enfant dans l’éternité. En effet, l’enfance est une étape qui implique une croissance vers une maturité pleine que la personne n’atteint que par le mystère de sa mort. La chose change dans la Trinité économique. Une personne divine assume vraiment l’enfance. Cette personne est à la fois Fils (personne) et enfant (personnalité créée) de Dieu.
Le manque de correspondance réciproque entre cette vision de la parentalité (Jamaa) et la Trinité, pousse à une nouvelle intelligence du concept de la famille. Mulago s’est rendu compte du fait que le sens du mot Jamaa, tel qu’il l’expliquait, ne pouvait être appliqué aux trois hypostases, au risque de détruire les distinctions personnelles et l’ordre trinitaire. Cependant, le plus important c’est le fait que Mulago montre que l’Église et même toute l’humanité, pour vivre conformément à l’Évangile et répondre à l’idéal du mouvement afro-chrétien la Jamaa, doivent suivre le Dieu Trinité qui est leur modèle. Mulago ne s’intéresse pas à la maternité de Dieu et en Dieu. Il ne cherche pas de correspondance entre la Trinité et la famille humaine nucléaire. Il affirme que Dieu est Famille en lui-même (ou participation-communion univoque) que doivent suivrent les familles humaines tant dans leur structure de foyer, de clan, d’Église que d’humanité.
Le contexte sociopolitique qui a vu naître la pensée de Mulago est un moment crucial pour l’Afrique Noire. Il s’agit des indépendances politiques, de l’affirmation de l’identité africaine niée par des faits historiques dévastateurs et du début de la déception du pouvoir exercé par les Africains eux-mêmes. Face à cette situation, Mulago répond en montrant que la famille africaine doit être la source anthropologique nouvelle, analogie du mystère fontal, en vue de régénérer des espoirs nouveaux. La famille est utilisée comme analogie de la Trinité pour signifier l’égalité des personnes humaines à travers tout l’univers[44]. Au niveau proprement dogmatique, il me semble qu’une des limites de Mulago tient au fait qu’il ne développe pas une pneumatologie spécifique à sa théologie dont la base anthropologique est à la fois clanique et familial au sens restreint[45]. Mais, il n’y a pas de doute que ses concepts d’union vitale et de force vitale pouvaient être identifiés analogiquement à l’Esprit-Saint. Cette identification pouvait conduire l’A., probablement, à des nouvelles perspectives systématiques[46]. Ce chantier est à bâtir par sa postérité. C’est dire que même si Mulago n’a pas écrit un traité de théologie trinitaire, sa pensée ne reste pas moins stimulante pour le développement de la théologie congolaise du XXIe siècle.
Quant à moi, je trouve très suggestive le fait que Mulago ne pose pas d’identification entre le nous conjugal et la personne du fils ou de la fille dans la famille nucléaire. Je crois que ceci devrait faire penser certains théologiens qui, hâtivement, passent du nous qui découle personnalisme grammatical (je–tu–nous) au nous absolument et toujours différentiel de l’union morale dans le mariage. Ce passage est aussi hâtivement fait du nous de l’union morale à l’identité ontologique d’un descendant. L’on oublie que la filiation n’est pas une abstraction, ni une unité morale, mais une concrétude toujours unique, à cause de la consubstantialité spécifique de tout fils et/ou de toute fille.
Ces différents passages d’ordre comporte une réduction de la descendance, qui est toujours hypostasiée individuellement, à n’être qu’une prolongation morale de sa parentalité. Nous qui sommes mariés et qui avons des enfants expérimentons quotidiennement le fait que notre descendance veut, déjà à bas âge, ne pas être confondue avec notre nous conjugal parental. La volonté commune des parents d’avoir un/e descendant/e ne détermine pas non seulement la psychologie, ni également l’acte d’être de la descendance. Dans le mariage, l’enfant n’est pas seulement et exclusivement le fruit de l’amour parental. Il est également le fruit réel d’un flux de vie qui dépasse et surpasse les géniteurs. Il est une personne originale qui ne se réduit pas à ses relations d’origine et leur fondement volitif.
Au niveau des modes d’être, l’on peut et même l’on doit dire que tout enfant s’engendre lui-même par un jeu continuel de différentiation non seulement parental, mais aussi social et cosmique. De même, toujours au niveau des modes d’être, l’enfant engendre ses parents à une nouvelle manière d’être eux-mêmes et de leur autocompréhension. L’engendrement est ici un flux vital des relations réciproques très dynamiques qui, sans affecter l’acte d’être personnel dans son altérité marquée par la communion spécifique, se moque de la fixité et de l’idéalisme d’un nous à la fois grammatical et moral.
Cela étant, ma préoccupation par rapport à la théologie de Mulago tient à son affirmation sur le nom de Dieu comme « Père » dans la RA. Il le considère comme le résumé de tous les attributs de Dieu. D’autres part, nous venons de voir que Mulago affirme en même temps que ce même « Dieu est Père ; Dieu est Fils, Dieu est Esprit-Saint ». L’identification entre la doctrine de Dieu en la RA et en christianisme pose problème. En effet, si « Père » est le nom qui résume tous les autres, comment un chrétien africain peut éviter de faire du Fils et de l’Esprit-Saint qu’ils soient aussi « Père » ? Une autre question est celle de savoir si le nom Père résume tous les attributs de Dieu, comment éviter l’existence en Dieu d’une hypostase qui se définirait par elle-même ? Il s’agit ici de la question très débattue aujourd’hui, en théologie trinitaire, de l’existence ou non, d’une hypostase absolue dans la Trinité. L’existence d’une telle hypostase identique au Père est soutenue par des théologiens occidentaux sur la base du fait que la première personne de la Trinité est le Principe sans principe, Source sans origines et des autres hypostases divines et du monde créé[47]. Mulago, le Maître de la théologie africaine, n’a pris ce chemin hasardeux.
[1] Un visage africain du christianisme. L’union vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale, Paris, Présence Africaine, 1965, p. 148.
[2] Ibid., p. 177.
[3] Lire aussi KALAMBA Nsapo, S., Tendenze attuali della teologia africana, dans GIBELLINI, R., Prospettive teologiche per il XXI secolo, Brescia, Queriniana, 2003, 113-148, p. 117 et 119-120 ; BUJO, B., Vincent Mulago. Un Passionné de la Théologie Africaine, dans BUJO, B. et ILUNGA Muya, J., Théologie africaine au XXe siècle. Quelques figures, Vol. I., Fribourg Suisse, Ed. Univ. Fribourg Suisse, 2002, p. 11-34, p. 13-16 ; AA. VV., Inculturation et libération en Afrique aujourd’hui. Mélanges en l’honneur du Professeur Abbé Mulago Gwa Cikala, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1990 ; AA. VV., Interpellations, o. c. ; AA. VV., Combats pour un christianisme africain. Mélanges en l’honneur du Prof. V. Mulago, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, 1981.
[4] Un visage africain, p. 185.
[5] MULAGO gwa Cikala, M., Le Problème d’une Théologie Africaine revu à la Lumière de Vatican II, dans RCA 24, 3-4 (1969), p. 277-314, p. 286-287.
[6] Ibid., p. 287-294.
[7] Ibid., p. 295.
[8] Ibid., p. 294.
[9] MULAGO, V., Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu, dans AA.VV., Des Prêtres noirs s’interrogent, Paris, Cerf, 1956, p. 19-40.
[10] MULAGO gwa Cikala, M., Solidarité africaine et coresponsabilité chrétienne à la lumière de Vatican II, dans AA. VV., Foi et langage humain. Actes de la Septième Semaine Théologique de Kinshasa (24-29 juillet 1972), Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1978, p. 86-134, p. 86.
[11] Ibid., p. 87.
[12] ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 299. L’on ne peut oublier que Mulago identifie « Dieu, Nyamuhanga ou Imana » avec le Père (p. 302-304).
[13] ID., Solidarité africaine…, p. 87.
[14] ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 297.
[15] ID., Solidarité africaine…, p. 88-90. Souligné par l’A.
[16] Ibid., p. 89-104.
[17] ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 297.
[18] ID., Solidarité africaine…, p. 90.
[19] ID., Mariage traditionnel africain et mariage chrétien, Kinshasa, Ed. Saint Paul Afrique, 1981, p. 60. C’est une thèse qui a été assumée, sans critique par beaucoup, dont BUJO, B., Teologia africana nel suo contesto sociale, Brescia, Queriniana, 1988, p. 174. Pour une position nuancée lire, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Santísima Trinidad, p. 37-40.
[20] MULAGO, V. et THEUWS, Th., Autour de la ‘Jamaa’, dans Cahier n°1 d’Orientation Pastorales, Limete (Léopoldville), 1960, p. 16-18. Cette étude a été reprise par MULAGO gwa Cikala, M., Solidarité africaine…, p. 126-128. Pour éviter des répétitions, l’analyse ne portera que l’étude signée par Mulago seul.
[21] Paris, Présence Africaine, 1965, p. 192-209.
[22] Ibid., p. 193.
[23] Ceci est évident même dans ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 294-298 (philosophie bantu) ; p. 298-308 (Base de l’apport [théologique] africain) ; p. 308-313 (africanisation en théologie).
[24] N’oublions pas que nous sommes ici à l’époque où, en théologie trinitaire, la discussion porte sur la remise en cause du schéma classique « Dieu Un et Trine ». Cf., RAHNER, K., Dieu dans le nouveau Testament, dans Ecrits Théologiques, t. 1, Paris, Cerf, 1971, p. 11-111.
[25] MULAGO Gwa Cikala M., La Religion Traditionnelle des Bantu et leur vision du monde, Kinshasa, CERA, 19802, p. 129 : « Nous pourrions nous étendre plus longtemps sur les attributs de Dieu chez les Bantu. Soulignons plutôt celui qui les résume. Ce Dieu unique, immatériel, tout puissant, source de toute vie et de tous les moyens vitaux, au-dessus de toutes choses et dont la providence couvre toutes ses créatures, les Bantu aiment à le considérer comme Père ».
[26] MULAGO, V., Un visage africain du christianisme, p. 194.
[27] ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 309. Comp. MATONDO Kwa Nzambi, (Mgr), Homélie prononcée au cours de la messe solennelle en rite adapté au Zaïre célébrée pour l’ouverture de la semaine théologique 1989, dans AA.VV., Théologie Africaine, p. 7-11.
[28] Ibid., p. 308-309. Je souligne.
[29] Ibid., p. 295.
[30] N’oublions pas qu’au moment où Mulago écrit, le Père Jésuite Rémy RALIBERA publie aussi son étude sur Théologien-prêtre africain et développement de la culture négro-africaine, dans Présence Africaine 2, 27-28 (1959), p. 154-187. Dans cet article, l’auteur interprète le mystère de la Trinité à partir des analogies familiales claniques (voir, p. 166-168, surtout 181-184). Evidement il serait intéressant de faire une étude comparative entre les deux auteurs. Mais telle n’est pas mon option pour le moment.
[31] ID., Le Problème d’une Théologie Africaine, p. 309.
[32] Il nous semble que pour comprendre la pensée de Mulago, il est important de la relire sur le fond de la théologie trinitaire de RICHARD De Saint-Victor, De Trin. III, 2 : « En Dieu, bien suprême et absolument parfait, se trouve la bonté totale dans sa plénitude et sa perfection. Mais où il y a plénitude de la bonté, il y a nécessairement vraie et charité suprême […] Or jamais on ne dit de quelqu’un qu’il possède proprement la charité à raison de l’amour exclusivement personnel qu’il a pour soi-même ; pour qu’il y ait proprement charité, il faut que l’amour tende vers un autre. Par conséquent, où manque une pluralité de personnes, impossible qu’il y ait charité ». Je souligne.
[33] Mulago s’éloigne aussi ici de la triadologie de Richard de Saint-Victor qui conditionne la plénitude de l’amour au troisième terme. De Trin III, 11 : « […] dans la charité véritable, l’excellence suprême est, semble-t-il, de vouloir qu’un autre soit aimé comme l’on est soi-même […] La preuve de la charité consommée est le désir que soit communiquée la dilection dont on est aimé ». Nous soulignons. Il est à remarquer qu’il y a une pleine coïncidence entre la vue du mariage traditionnel africain et la pensée de Richard de Saint-Victor en ceci : « la preuve de l’amour consommé, c’est la filiation ».
[34] Comp. St. AUGUSTIN, De Trin VIII, 8, 12 : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité ».
[35] MULAGO Gwa Cikala M., Mariage traditionnel, p. 60-61.
[36] ID., Solidarité africaine…, p. 126-128.
[37] Il reprend, MULAGO, V. et THEUWS, Th., a. c.
[38] Cette première partie du texte cité suit la théologie classique. Lire CODA, P., Il De Trinitate di Agostino e la sua promessa, dans Nuova Umanità 24, 140-141 (2002), p. 219-248 ; dans le même numéro, SLIPPER, C., Il Dio unitrinitario e l’experienza dell’amore, p. 365-390. On pourra aussi lire le bel exposé pastoral de YANNARAS, Ch., L’approche orthodoxe de l’amour humain, dans Contacts. Revue française de l’orthodoxie 180 (1997), p. 318-329.
[39] MULAGO gwa Cikala, M., Solidarité africaine, p. 127-128.
[40] La question reste de savoir si l’amour est un mode d’être (modus essendi [voir, YANNARAS, Ch., a. c., p. 322ss]) ou un acte d’être (actus essendi) comme le soutient FORTE, B., La dimora nella Trinità: contributo ad una ontologia trinitaria, dans CODA, P. – ŽÁK, L. (éd.), Abitando la Trinità per un rinnovamento dell’ontologia, Roma, Città Nuova, 1998, p. 109-22. La pensée de Mulago est à situer dans la deuxième option (actus essendi).
[41] MULAGO, V., Mariage traditionnel, p. 57 ; ID., Mariage africain et mariage africain. Perspectives liturgico-pastorales, dans Revue du Clergé Africain 20, 6 (1965), p. 548-554.
[42] ID., Mariage traditionnel africain, p. 60.
[43] ID., Solidarité africaine, p. 127.
[44] Ceci est aussi vérifiable dans la triadologie africaine anglophone qui tente de concilier l’utilisation socio-politique de Ujaama avec la communion trinitaire. VÄHÄKANGAS, M., African Approaches to the Trinity, dans Africa Theological Journal 23, 2 (2000), p. 33-50, p. 39-41.
[45] Ceci a été fait par contre par RALIBERA, R., a. c., p. 183 : « Cet échange continuel d’affection entre Dieu Raymandreny [Père et Mère] et son Fils Zanaka [fils (ou fille)] est le Fihavanana [parenté-amitié], l’Esprit-Saint ».
[46] La perspective de Mulago a été suivie par VONKEMAN, J., The doctrine of Trinity in Africa, dans Missionalia 1, 3 (1973), p. 147-155. Ce denier a identifié le Père à la Vie originante, le Fils à la Vie originée et l’Esprit-Saint à la Médiation entre le Père et le Fils. Pour plus d’informations, MUZUMANGA Ma-Mumbimbi, Fl., Trinidad y África Negra, dans Estudios Trinitarios 36, 1 (2002), p. 3-67, p. 47-52.
[47] Les débats dans LADARIA, L. F., La Trinidad misterio, p. 145.