mardi 8 septembre 2009

48- La Trinité enseignée au Congo Belge à travers la catéchèse du P. VANHERPE (1947)

Par Flavien Muzumanga Ma-Mumbimbi

L’exposé sur la présentation catéchétique du mystère de la Trinité par le Père Vanherpe[1] est d’une grande importance vu sa date de publication, en 1947. Nous sommes à l’époque où les idées du Père Tempels meuvent toute l’Église du Congo Belge. En plus, Vanherpe se trouve dans la même province que Tempels. Son apostolat se réalise dans la zone culturelle (luba du Katanga) étudiée par le fondateur de la philosophie africaine contemporaine. L’A. va-t-il recevoir ces idées ou les refuser ? Quelle est l’originalité de Vanherpe par rapport à la pensée de Tempels ?
Dès son point de départ, l’A. reconnaît n’avoir pas de compétence technique et mystique par rapport à la visée de son entreprise[2]. Cependant, il justifie son exposé catéchétique du mystère incompréhensible au fait qu’il se considère comme un instrument de la grâce dans la préparation des âmes à la foi[3]. Comme instrument de la grâce il dira « Je dois faire aimer la Très Sainte Trinité et faire entrer dans la pratique de la vie ce dogme fondamental de notre sainte religion. Comment trouverai-je des paroles de vie ? Si je n’aime pas ce mystère, si je n’en vis pas moi-même, mes enseignements sonneront creux : ‘aes sonans’ »[4].
Le public visé par Vanherpe dans sa leçon sur le catéchisme trinitaire est celui constitué par les enseignants. L’enfance n’est atteinte qu’en deuxième lieu. L’A. ne part pas d’un texte personnel. Il traduit le catéchisme de son vicariat qu’il transcrit en français[5]. Quatre questions structurent le catéchisme : 1. Y a-t-il un seul Dieu ?; 2. Comment s’appellent les trois personnes divines ?; 3. Ces trois personnes sont toutes Dieu, et toutes égales ?; 4. Ces trois personnes sont-elles un seul Dieu ? D’après l’A., « Ces quatre questions contiennent ce qu’on doit connaître du mystère de la Très Sainte Trinité […] »[6].
Pour répondre à la première question, Vanherpe part du Credo (Credo in unum Deum), de la révélation de Dieu à Moïse qui dira à tout son Peuple que Dieu est unique. De la révélation de l’Ancien Testament, il passe à la théologie des perfections divines excluant par là la possibilité de l’existence d’un polythéisme. Dans la présentation des perfections divines, l’A. se sert des analogies cosmiques : soleil qui totalise toute la lumière ; la mer qui réunirait toute l’eau. Après l’exclusion du panthéisme et donc l’affirmation de l’unicité divine, l’A. exploite la méditation sur le Pater[7]. Il affirme que l’unique Dieu prié par les enfants en Europe comme « Notre Père, qui êtes aux cieux » et le même que l’on prie en Afrique.
A la question de savoir « qui est une personne divine ? », Vanherpe part de l’analogie familiale « enfant – père – mère[8] », mais sans l’exploiter à fond dans la perspective de l’amour par exemple. Au contraire, il axera son enseignement sur les propriétés et les actions de l’être humain. Pour lui, est personne celui ou celle qui pose des actes et peut dire « moi »[9]. Cette réponse comporte trois éléments structuraux à noter : un sujet, l’activité qu’il pose et son autoconscience exprimée en terme de « Moi ».
De là, l’A. poursuit sa pensée en disant qu’en la Trinité, « Il y en a trois qui disent ‘Moi’. Il y a trois Personnes en Dieu »[10]. Cette formule ne veut pas dire qu’il y a trois actants mais un seul sujet (monosubjectivisme). Au contraire, l’auteur défend le tri-subjectivisme , c’est-à-dire que chaque actant est un ‘‘moi’’ distinct des deux autres, vice versa.
La révélation de l’existence des trois personnes en Dieu est attribuée à Dieu lui-même. C’est pour cette raison que l’Église croit et enseigne cette vérité. Vanherpe continue sa leçon en recourant à la liturgie de la messe où l’on chante trois fois Saint, pour honorer les trois personnes en Dieu[11]. Concernant les noms des trois personnes divines, l’A. se sert du signe de la croix pour l’approfondissement de son enseignement sur : Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit. D’après Vanherpe chaque personne divine dit, selon son ordre, « Moi, je suis Dieu ». L’argument, comme on le voit, se base sur la conscience de soi que possède chaque personne divine comme base des distinctions en Dieu[12]. A la personne correspond la question « qui est ». La connaissance des différences en Dieu part du baptême de Jésus et de son mandat de baptiser le monde aux noms des trois[13]. L’égalité totale des trois personnes divines est exposée à partir de l’unicité de la doxologie ou de l’unique gloire que l’Église rend au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint[14]. Elle est étayée par les articles du Credo[15]. Ces trois personnes sont toutes un seul Dieu. C’est là que réside la différence entre les personnes en Dieu et les personnes que sont les êtres humains[16]. Bref, le mystère absolu réside dans le fait que « trois moi soient un seul Dieu ».
L’explication de la nature au sens philosophique et théologique est rendue par l’idée de la finalité des choses et leur « manière d’être ». Une banane est pour manger. Telle est sa nature, affirme Vanherpe[17]. Au contraire, un caillou n’est pas faite pour être mangé[18]. Mais, la différenciation dans les natures devient patente dans le rapport qui existe entre l’animal et l’être humain. Leur différence est liée à l’intelligence humaine, à son âme immortelle, sa connaissance de Dieu et à sa prière envers lui[19]. La nature humaine se différencie de la nature divine parce que Dieu est Créateur, tandis que l’être humain est une créature.
C’est à la question de « Qu’est-ce cela ? » que répond la nature. Pour expliquer la nature spécifique de chaque personne humaine, Vanherpe se sert de l’anthropologie hylémorphique[20]. Chaque être humain a une âme et un corps différents des autres. Ceci signifie qu’il a une nature différente des autres êtres humains, même si cette nature leur est semblable[21]. Pour exprimer l’identité totale et unique de la nature (consubstantialité numérique) des trois personnes divines, l’A. se base sur la perfection, la sainteté et l’éternité divine[22]. Cette unicité de la nature divine implique l’unicité de l’action des trois personnes divines[23]. Les trois acteurs, sont trois sujets distincts, mais ils ne posent toujours qu’une seule action. Pour quelle raison ? L’auteur n’y répond pas.
La leçon du père Vanherpe ne porte pas d’indice d’effort d’assomption culturelle africaine parce qu’en fait elle vise ceux et celles qui récitent le bréviaire[24]. Il est sans dire que ces personnes ne peuvent être autres que des missionnaires occidentaux et des africains formés à la culture occidentale. L’on ne peut non plus se priver de constater que le concept de personne que cet auteur utilise diffère de celui du Catéchisme de 1624 (antu atatu). L’histoire du concept nous montre, en effet, qu’à partir du 17e siècle, personne acquiert la signification de « conscience de soi »[25]. C’est ce concept que Vanherpe utilise.
Cependant, la différence entre les deux documents marque aussi l’actualité de la leçon du père Vanherpe dans la théologie de notre temps. Vanherpe opère avec le concept de personne influencé par le subjectivisme dont l’autoconscience et l’auto-expression verbale sont les remparts inaltérables. Cette leçon nous abouche aux questions très actuelles en anthropologie systématique. Ces questions n’ont pas encore trouvées des réponses qui puissent recevoir un consensus universel au niveau de la théologie.
Avant de présenter ces questions, il convient de dire avec Jean Galot qu’il ne faut pas confondre le sujet et son activité consciente. L’autoconscience de soi est une activité du sujet[26]. D’où la question de savoir ce qu’est le ‘‘moi’’. Le ‘‘moi’’ est-il à identifier, strictement, avec l’âme rationnelle en l’être humain dont parle Chalcédoine[27] ? Est-il l’équivalent du « moi rationnel » ? L’identité entre le moi rationnel et la personne ne pose-t-elle pas des problèmes à la compréhension de l’unicité du sujet théologal en Jésus ? En effet, le Christ est un homme qui possède un vrai moi rationnel humain dépendant de son âme rationnelle humaine ? [28]
Le manque d’identité entre l’âme rationnelle et le ‘‘moi’’ montre que la ‘‘personne’’ est une réalité métaphysique qui ne se confond pas avec l’autoconscience de soi qui s’exprime par le ‘‘moi’’. La personne se situe à la racine ontologique du ‘‘moi’’ phénoménologique.
La leçon du père Vanherpe ne coïncide pas avec l’interprétation actuelle de la personne comme interrelation ou inter-personne. Dans l’actualité, l’on préfère dire qu’est personne celle ou celui qui est en relation avec d’autres personnes[29]. L’on insiste sur la qualité de cette relation arrivant même à identifier relation et amour, ce dernier entendu comme acte d’être et non seulement un mode d’être[30]. Cette définition nous approche vigoureusement, en fait, du concept trinitaire de la personne comme relation. Dans ce contexte de compréhension, nombreuses sont également les questions qui se posent en rapport avec la définition du sujet comme ‘‘moi’’. Dit autrement, la pluralité des ‘‘moi’’ en Dieu ad intra est-il relatif aux relations subsistantes entant que celles-ci sont des réalités relatives opposées et donc différenciées et qui différentient ? Le ‘‘moi’’ en Dieu est-il relatif à l’unicité numérique de l’essence divine ? L’unicité du ‘‘moi’’ en Dieu ad intra est-il à entendre comme une réalité dépendante de l’unité dans la relation constitutive des personnes ?
A ce niveau de l’étude la réponse à toutes ces questions complexes et difficiles, qui demandent un vaste traitement monographique, est encore à espérer. Mais l’on retiendra très brièvement que le concept de personne part de l’expérience humaine universelle que tout être humain fait de lui-même en rapport avec les autres[31]. Cependant, cette expérience outre le fait qu’elle connaît une médiation culturelle très particulière, elle est également fonction de la spécificité absolument unique de tout être humain. Et, enfin, au plan de sa thématisation philosophique, celle-ci est strictement dépendante d’une métaphysique très particulière parce que contextualisée. Ce point de vue est-il universellement partagé ? La réponse est négative, comme le démontre la position du Père jésuite E. Hocedez.
[1] VANHERPE, J., Ma leçon de catéchisme sur le Mystère de la Très Sainte Trinité, dans Revue du Clergé Africain (RCA) 2, 6 (1947), p. 454-464.
[2] Ibid., p. 454.
[3] Ibidem. Il est à noter que la considération de la personne humaine comme un instrument, même de Dieu, est vigoureusement rejetée par l’anthropologie théologique du XXe siècle. Cette dernière ayant assumé l’anthropologie de Luther (la personne précède ses œuvres et se constitue comme telle par sa foi), la philosophie de Kant (l’être humain est une fin en soi parce qu’il représente, sous une forme individuelle et inremplaçable l’espèce humaine), et les revendications des théologies féminines, elle n’admet plus la vision instrumentale de l’être humain. Bref, aujourd’hui l’on pense que l’anthropologie instrumentale est en opposition frontale avec l’identité de l’être humain entendue comme personne et donc sujet de liberté. Lire, WERBICK, J., Personne, dans EICHER, P. (dir.), Nouveau Dictionnaire de Théologie, Paris, Cerf, 19962, p. 720-726, p. 723 ; NEUFELD, K.H., La recezione di Kant nella teologia catolica, dans PIRILLO, N. (a cura di), Kant e la filosofia della religione, t. 2, Morcelliana, Brescia, 1996, p. 661-671 ; BOF, G., Kant e la teologia protestante del’900, dans PIRILLO, N. (a cura di), Ibid., p. 703-738 ; Lire aussi, O’COLLINS, G., La encarnación, p. 86.
[4] Ibidem.
[5] Ibid., p. 455. C’est bien dommage que nous n’ayons pas le texte original en langue africaine (Swahili). Il nous permettrait, comme dans le cas du Catéchisme de 1624, de voir l’effort d’adaptation au moins linguistique, dans l’enseignement de la Trinité. Nous savons que le texte qui a été traduit en français est celui du Catéchisme utilisé dans le vicariat de Baudouinville [ville de Moba, dans le Katanga] compréhensible, selon l’A., par les vieux qui l’entendent réciter et les enfants qui doivent l’apprendre (p. 464).
[6] Ibidem. Je souligne.
[7] Ibid., p. 456.
[8] Ibidem: « Dans votre famille vous [enfants] connaissez des personnes : votre père, votre mère… ».
[9] Ibidem. Vanherpe utilise, peut-être, ici le concept de personne dans le sens d’un sujet unique de conscience et d’autoconscience. En cela, il est dépendant de la conception de Descartes (1596-1650). Détails dans, TSHIAMALENGA Ntumba, L’a priori pragmatico-corporel en liturgie. Approche philosophico-théologique, dans CRA 20-21, 39-42 (1987), p. 49-66, p. 52-59. Lire aussi, O’COLLINS, G., La encarnación, p. 86. Mais, cette option qui identifie strictement « personne » avec le « sujet agissant et autoconscient », n’est pas sans discution en anthropologie et en théologie. En effet, la perte de l’autoconscience et de la capacité d’agir détruisent-elles l’être personnel d’un être humain ? Les enfants qui n’ont pas encore de conscience de soi, n’agissent pas et qui ne peuvent s’exprimer en terme de « moi », sont-ils pour cela des êtres pré-personnels, impersonnels ou non-personnels ? En Dieu, existe-t-il une seule et unique conscience (monosubjectivisme [position de K. Ranher]) ou trois centres de conscience (trisubjectivisme [position de Luis F. Ladaria ; Jean Galot ; José A. Sayés, etc. qui critiquent K. Rahner ]) ? Pour certains, la définition de la personne dans l’actualité n’a pas encore trouvée une solution satisfaisnte pour tous [Regina Radlbeck qui analyse et critique J. Moltmann et W. Kasper].
[10] VANHERPE, J., Ma leçon…, p. 457 ; Comp. SAYÉS, J. A., La Trinidad misterio de salvación, Madrid, Pelícano, 2000, p. 217 qui affirme qu’en la Trinité il y a trois « yoes (yo, au pluriel = moi) », trois sujets qui participent ( !) à la même nature divine sans la multiplier ni la diviser. A y voir de près, l’argument portant sur la compréhension de la personne comme sujet qui parle, ou qui est identifié dans un dialogue, est connu par Saint Justin, Apol. I, 36, 1.2 ; 37, 1.3.9; 38, 1; 49, 1; Tryph., 42, 3; 86, 6. D’après Andrea MILANO (o. c., p. 69-70), Origène, Hippolyte et Clément d’Alexandrie connaissent également cet usage qui obtiendra des significations vraiment trinitaires en Tertullien.
[11] Ibidem.
[12] Ibid., p. 458.
[13] Ibidem.
[14] Ibid., p. 458-459.
[15] Ibid., p. 459.
[16] Ibid., p. 460.
[17] NB : que cette définition de la nature (substance) peut s’étendre à la problématique de la théologie de l’inculturation de l’Eucharistie. En effet, la nature du pain, fabriqué avec n’importe quelle farine, est unique « être mangé ». Mais, cette unicité téléologique implique-t-elle l’autorisation de la célébration de l’Eucharistie avec d’autres pains différents de ceux faits avec la farine du blé ?
[18] Ibid., p. 460-461.
[19] Ibid., p. 461.
[20] Comp. LOBATO, A., Maria modello di donna: antropoanalisi della ‘‘Mulieris Dignitatem’’, dans TONIOLO, E. M., Come si manifesta in Maria la dignità della donna, Roma, Centro di Cultura Mariana ‘‘Madre della Chiesa’’, 1990, p. 124-156, p. 150-153.
[21] VANHERPE, J., Ma leçon…, p. 461-462. Dit d’une manière technique, tandis qu’en Dieu la nature des trois personnes divines a une identité stricte (homooúsios), les personnes humaines vivent dans une communauté de nature dont le fondement est la ressemblance (homoiousía).
[22] Ibid., p. 462.
[23] Ibid., p. 463.
[24] Ibid., p. 464.
[25] Lire LADARIA, L. F., La Trinidad, misterio de comunión, Salamanca, Secretariado Trinitario, 2002, p. 92.
[26] GALOT, J., Dieu en trois personnes, Saint-Maur, Parole et Silence, 1999, p. 41.
[27] DS, 301.
[28] O. COLLINS, G., La encarnación, p. 87, critique l’identification entre le ‘‘moi rationnel’’ avec la personne parce que celle-ci est contraire, affirme-t-il, aux enseignements de Chalcédoine.
[29] Ibidem.
[30] FORTE, B., La dimora nella Trinità: contribuito ad una ontologia Trinitaria, dans CODA, P. et ŽÁK, L’., Abitando la Trinità per un rinnovamento dell’ontologia, Roma, Città Nuova, 1998, p. 109-122, p. 117-118; dans le même livre, CODA, P., Sul concetto e il luogo di un’antropologia trinitaria, p. 123-135; RUPNIK, M.I., La visione dell’uomo a imagine del Dio-Trinità, p. 137-154; POLLANO,. G., Maria. Persona e grazia, Torino, Paoline, 2002, p. 18.
[31] GALOT, J., o.c., p. 41.

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